Lors d'une réunion qui s’est tenue à Johannesburg pour discuter des droits de la femme et du VIH/SIDA, 54 femmes venant de 21 pays d'Afrique ont exprimé leur inquiétude sur le déroulement du procès pour viol intenté à Jacob Zuma. Ce dernier, vice président de l'Afrique du Sud, avait été accusé de viol suite à des allégations d'une femme séropositive de 31 ans. Le procès a été marqué par des actes obscènes commis à l'extérieur du bâtiment abritant la Cour de Justice : Khwezi, car la victime est ainsi surnommée par ses sympathisants, a été malmenée et insultée par les partisans de Zuma. Ces 54 femmes venant de 21 pays d'Afrique ont redigé la déclaration qui suit.
Nous qui sommes 54 femmes de 21 pays d'Afrique et qui représentons 41 organisations nationales, régionales et internationales y compris des associations de femmes, de défense des droits de l’homme et de lutte contre le VIH / SIDA, nous sommes réunies à Johannesburg en Afrique du Sud, les 6 et 7 avril 2006 pour plaider en faveur des droits des femmes séropositives ou atteintes du SIDA. Nous sommes scandalisées par la façon dont se déroule le procès de viol intenté à Jacob Zuma, vice président du Congrès National Africain. Pour nous, les avocats de la défense, les médias, les Cours de Justice ainsi que la police se comportent de façon déplorable.
1. Nous avons été et sommes toujours affectées par le double fléau frappant les femmes, d'une part victimes de la violence et d'autre part, atteintes du VIH/SIDA. Nous sommes plusieurs à vivre avec le VIH tout en subvenant aux besoins des membres de notre famille et des communautés atteints du VIH/SIDA .En tant que jeunes filles ou femmes adultes, nous avons été victimes d’actes de violence commis par des hommes dans des positions d’autorité au sein de notre famille ou dans la société .Certaines parmi nous se souviennent de ces femmes sauvagement assassinées lors d’actes de violence commis à la maison, au travail ou à l'école. Nous savons que les femmes sont souvent violées par des hommes connus d’elles.
2. Nous saisissons l’occasion d’exprimer publiquement notre solidarité envers Khwezi. Nous saluons le courage dont elle a fait preuve en signalant sa mésaventure à la police et en déclarant devant la cour pour rapporter le viol dont elle a été victime. Khwezi a respecté les méthodes établies en Afrique du Sud pour signaler et résoudre tout acte criminel. Avoir à faire face à des hommes forts et haut placés est à la fois difficile et courageux. Nous souhaitons que toute l'Afrique du Sud, le monde entier et Zhwezi elle-même sachent qu’elle a toute notre affection et notre soutien.
3. Nous sommes indignées par le traitement horrible, injuste et amoral accordé à Khwezi par la presse parlée et la presse écrite. Elle a été vilipendée de façon abusive dans des comptes-rendus à caractère foncièrement sexiste. Nous prenons note de ces secteurs médiatiques qui ne cessent d’être à la fois juge et jurés à travers la caméra des médias ; ainsi ils ont culpabilisé Khwezi en rapportant de façon inappropriée sa séropositivité, sa façon de se vêtir, son passé sexuel basé sur des viols dont elle a été victime lors de son enfance.
4. Nous sommes outrées par l'inaction de la police qui, au lieu d'assurer un entourage sûr à Khwezi, a permis à des milliers de supporteurs de Zuma de mettre le feu à des sous vêtements et des photos de cette dernière à l'extérieur de la Cour de Justice, actes haineux et intimidants. Nous pensons que le Chef de la Police a agi de sorte que la violence publique s’est propagée aux alentours de la Cour de Justice. Dans un lieu où il aurait pu assurer une atmosphère paisible, il a, au contraire, accepté que Khwezi souffre de façon dramatique en étant bousculée alors qu'elle se rendait à ou sortait de la Cour de Justice.
5. Nous sommes offusquées par la manière dont Jacob Zuma a manipulé les pratiques et coutumes traditionnelles zouloues. Nous sommes aussi indignées que Zuma ait reconnu avoir tenté d'abuser de la culture zouloue en essayant d’acheter le silence de Khwezi et de sa mère en leur offrant quelques vaches engraissées .Ainsi les femmes ont l'air d'un sac de viande avec qui on peut avoir des relations sexuelles et le problème est résolu par l'échange de bétail en guise d'accord de mariage. Cette tactique de référence à la coutume traditionnelle constitue un outrage malhonnête vis-à-vis d’un continent qui lutte au quotidien avec des notions barbares et primitives au sein d'un monde global bâti sur le racisme et les inégalités et qui croit que les Africains ne peuvent respecter les droits humains.
6. Compte tenu des commentaires irresponsables et inexacts qu’a émis Jacob Zuma sur le risque de transmission du virus et la douche infâme, nous réclamons le démantèlement du SANAC, le Conseil National Sud-africain contre le Sida, qui représente évidemment un véhicule de fausses informations et de mauvaise éducation et qui est une institution qui accepte l'abus du pouvoir politique au lieu d'honorer son mandat légal réglementaire concernant la prévention, le traitement et les soins relatifs au HIV.
7. Il n'est pas séant que les sévices sexuels dont fut victime Khwezi lorsqu'elle avait 5 ou 13 ans servent de référence à la Cour. Ces incidents se sont déroulés lorsque cette dernière était mineure et qu’elle avait besoin d'être protégée ; il est injuste qu'ils fassent partie du dossier juridique actuel.
8. L'Afrique du Sud se vante d'être une démocratie dont la constitution protège les droits et les libertés de la femme contre les abus sexuels .Elle se vante de promouvoir et de protéger les droits des femmes et d’autres personnes atteintes du VIH et du SIDA. L'Afrique du Sud se défend d'avoir un système judiciaire sophistiqué, libre d'influences politiques et de tout autre influence importante. Nous voulons que ces principes audacieux soient respectés.
Compte tenu du rôle essentiel que joue l'Afrique du Sud dans la politique régionale et internationale, la façon dont les différentes instances traitent de l'affaire Zuma envoie des signaux forts concernant les droits humains des femmes africaines au 21ème siècle. Sont concernés : les médias, les Cours de Justice, la police, l'ANC au pouvoir, les bureaux de la Présidence, le Parlement, la Commission des Droits de l'homme, la Commission pour l'Egalité des Sexes et chacun des services gouvernementaux.
C'est un siècle où, sous l'égide de l'Union Africaine, l'Afrique du Sud et les 52 autres états du continent africain ont signé le Protocole de la Charte Africaine des Droits des femmes ainsi que la Déclaration Solennelle sur l'Egalité des Sexes en Afrique. De plus, la Déclaration sur les Sexes et le Développement avec l’addenda sur la Violence envers les Femmes, documents qu’a élaborés la SADC, portent la signature de tous les membres de cette association, y compris l'Afrique du Sud.
Les femmes du continent africain méritent mieux. Les droits des femmes sont des droits humains et ne devraient, en aucun cas, être bafoués, que le mobile soit religieux, politique ou culturel. L'Afrique du Sud saura-t-elle agir en conséquence de ses déclarations en maintenant, au niveau régional et international, le respect de sa Constitution et de ses engagements vis-à-vis des droits des femmes?
Signataires : Ama Kpetigo, Women in Law & Development (WILDAF), Amie Bojang-Sissoho, GAMCOTRAP, Amie Joof-cole, FAMEDEV, Beatrice Were, Uganda, Bernice Heloo, SWAA International, Bisi Adeleye-Fayemi, AWDF, Buyiswa Mhambi, Empinsweni Aids Centre, Caroline Sande, Kenya, Dawn Cavanagh, Gender AIDS Forum, Diakhoumba Gassama, Dorothy Namutamba, ICW, Ednah Bhala, Ellen Chitiyo, The Women's Trust, Ennie Chipembere, South Africa, Everjoice Win, South Africa, Faith Kasiva, COVAW - Kenya, Faiza Mohamed, Somalia, Flora Cole, WOLDDOF -GHANA, Funmi Doherty, SWAA - Nigeria, Gcebile Ndlovu, ICW, Harriet Akullu, Uganda, Helene Yinda, Switzerland, Isabella Matambanadzo, OSISA, Isatta Wuire, SWAA - Sierre Leone, Izeduwa Derex-Briggs, Nigeria, Jane Quaye, FIDA - Ghana, Joy Ngozi Ezeilo, Women's Aids Collective (WACOL), Ludfine Anyango, Kenya, Marion Stevens, South Africa, Mary Sandasi, WASN, Mary Wandia, Kenya, Matrine Chuulu, WLSA, Neelanjana Mukhia, South Africa, Sandasi Daughters, Zimbabwe, Olasunbo Odebode, Prudence Mabele, Positive Women's Network, Rouzeh Eghtessadi, Sarah Mukasa, Akina mama Wa Afrika, Shamillah Wilson, AWID, Sindi Blose, Siphiwe Hlophe, SWAPOL, Sisonke Msimang, OSISA, Tabitha Mageto, Africa, Taziona Sitamulaho, South Africa, Theo Sowa, Therese Niyondiko, Thoko Matshe, Vera Doku, AWDF, Oti Anukpe Ovrawah, National Human Rights Commission - Abuja
* Ce texte a été traduit de l’anglais sous la direction de Vanessa Everson, Section de français de l’Université du Cap, par Kesini Murugesan.
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*La version anglaise de cette déclaration a d’abord paru dans Pambazuka News numéro 250. Voir :