Alors que Jacob Zuma et le Congrès National Africain (ANC) sont assurés de remporter la victoire lors des élections qui ont eu lieu le 22 avril en Afrique du Sud, William Gumede examine l’ascension vers le pouvoir de son dirigeant et ses efforts auprès de la majorité noire paupérisée pour se présenter comme étant fondamentalement différent de son ancien rival Thabo Mbeki. En s’autoproclamant «champion» des pauvres, Zuma doit le succès de sa campagne électorale à son habile exploitation de la dichotomie entre riches et pauvres, orientant ainsi les élections à son propre profit, argumente Gumede. Ayant généré des attentes très élevées, pour ne pas dire fiévreuses, auprès des pauvres d’Afrique du Sud, le succès de la présidence de Zuma va dépendre de sa capacité à exploiter les talents des populations à un moment où l’économie n’est guère favorable, conclut l’auteur.
Jacob Zuma et l’ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud, ont gagné les élections du 22 avril après avoir réussi à transformer ces consultations en une confrontation entre, d’une part les Noirs et les Blancs des classes aisées, d’autre part la majorité noire dépossédée, évitant ainsi que les élections soient le verdict quant à la politique menée par le gouvernement au pouvoir.
En dehors de quelques exceptions, après 15 ans de pouvoir, peu de choses ont changé pour la plupart des Sud Africains noirs qui vivent toujours dans une pauvreté accablante, sans emploi et sans logement. Et pourtant, Zuma aura gagné les élections grâce aux voix de la plupart des Sud Africains pauvres, dont la vie a connu peu de changements depuis que le pays est devenu une démocratie en 1994. Pendant sa campagne électorale, Zuma a réussi à se dépeindre comme étant lui-même pauvre. Suite à son exclusion de l’administration de l’ancien président Thabo Mbeki, dont il a été le vice président et allié jusqu’à son éviction pour des allégations de corruption en 2005, il s’est présenté comme étant aussi un exclus, victime des mêmes discriminations que les pauvres.
Zuma a évincé Mbeki de la direction du parti en 2007, après une lutte féroce dont l’objet était le contrôle du pouvoir plutôt qu’une différence idéologique ou de vision politique. Aux yeux beaucoup de Sud Africains pauvres, Zuma a réussi à se départir des défaillances du gouvernement de l’ANC, qu’il met entièrement à la charge de Mbeki. Tout au long de sa campagne électorale, il a dépeint ses partisans, maintenant responsables de l’ANC, comme un parti complètement différent. Ses stratèges ont présenté Zuma et ses partisans, maintenant à la tête du parti, comme étant notoirement plus favorables aux pauvres, plus démocrates et moins corrompus, qui gouverneront avec plus d’efficacité une fois le pouvoir conquis. En outre, ceux qui ont mené la campagne de Zuma se décrivent comme les héros de batailles épiques contre l’aile corrompue de la classe marchande qui est aussi la classe moyenne et la tendance pro blanche de l’ANC, représentée par Mbeki.
En fait, Zuma a su exploiter le changement d’humeur spectaculaire de la majorité noire sud-africaine qui vit, désespérée, dans des bidonvilles éparpillés à travers tout le pays. Ce groupe, oublié par l’élite, a maintenant perdu patience et exige les dividendes économiques de la démocratie. Il est des Sud Africains pauvres qui blâment la démocratie pour leur exclusion et leurs problèmes, plutôt que l’incompétence du gouvernement, l’indifférence des classes dirigeantes ou les luttes internes de l’ANC
Toutefois, la nouvelle démocratie a octroyé quelque pouvoir à ceux, rares, qui avaient des liens avec les dirigeants de l’ANC et avec la classe moyenne noire ou blanche. Cette réalité a été au cœur des manifestations violentes et spontanées des communautés noires dépossédées, contre l’incurie du gouvernement, au cours de ces dernières années. Zuma a réussi à convaincre beaucoup de Sud Africains noirs et pauvres, qu’il est la victime des machinations de Mbeki et des riches Noirs et Blancs qui ont inventé 16 chefs d’accusation de corruption à la seule fin de barrer le chemin d’un pauvre paysan de l’Inkandla, le hameau rural au KwaZulu Natal où il est né et où il a construit une luxueuse résidence. Tant pis pour le fait qu’il a été un proche de Mbeki jusqu’à son éviction en 2005 et un membre éminent de l’élite noire qui s’est enrichie grâce à ses connexions avec l’ANC.
Lorsqu’il était président, Mbeki -avec l’approbation de Zuma jusqu’à sa chute en 2005- a constamment utilisé les institutions démocratiques dans le but de discréditer des opposants. Au début de ce mois d’avril, le National Prosecuting Authority a abandonné les accusations de corruption formulées à l’égard de Zuma, déclarant qu’il y avait une conspiration politique entre les différents procureurs pour formuler des accusations en ce moment précis, mais a affirmé que les accusations demeurent valides. Ceci bien que dans un jugement précédent le verdict prononcé a été que les accusations restent valides si elles sont fondées, leurs motifs n’ayant rien à voir.
Au cours de sa campagne électorale, Zuma a réussi a convaincre son électorat que l’administration de Mbeki - à laquelle il a participé jusqu’en 2005 - avait fait un usage abusif des institutions démocratiques pour discréditer ses opposants. En particulier, lui, Zuma, un pauvre paysan, le champion des pauvres et ce dans le but de lui barrer le chemin de la présidence. Le«champion» des pauvres dépense 1 million de rands par mois pour sa sécurité personnelle.
Il est évident que l’ascension de Zuma au poste de dirigeant de l’ANC, le premier à ne pas provenir de la classe moyenne, est un modèle du genre. Les déclarations de Zuma, soi-disant qu’il peut voir, à la façon dont un femme est assise, si elle est en quête d’aventures sexuelles, ou ses commentaires selon lesquels une douche après des relations sexuelles non protégées avec une personne infectée par le VIH peut prévenir l’infection ; et que que les criminels bénéficient de beaucoup trop de droits, ont été ignorées.
Lors de la campagne qui visait à obtenir l’abandon des accusations de corruption contre Zuma, les dirigeants de l’ANC ont dissout l’unité d’élite anti-crime qui avait porté les accusations devant les tribunaux, et ce sans référence au parlement dont c’est pourtant le privilège. L’organe dirigeant de l’ANC a aussi attaqué quotidiennement les médias critiques ou les juges qui se sont prononcés contre lui, en déclarant que la plus haute Cour de Justice d’Afrique du Sud, la Cour Constitutionnelle « n’est pas Dieu ». Les partisans de Zuma ont lancé une campagne afin de purger l’ANC, le gouvernement et les entreprises nationales de tous leurs critiques. Les opposants ont reçu l’étiquette de «Coping» en référence au COPE (The Congress of the People) – même s’ils ne le sont pas -, une formation composée de membres de l’ANC opposés à l’élection de Zuma à la tête du parti. Ils en ont été ainsi exclus.
Zuma et certains de ses partisans ont aussi joué subtilement la carte ethnique, en encourageant des orateurs zoulous à se prononcer en leur faveur sur la base de leur appartenance à une même ethnie, plutôt qu’au vu de leur performance. Pendant l’administration de Mbeki, des intellectuels partisans de ce dernier ont dénoncé les critiques de l’ancien président afin de gagner ses faveurs. Fait alarmant, cette situation se répète maintenant avec Zuma et l’on voit des intellectuels noirs et blancs, qui avaient critiqué les atteintes à la démocratie sous Mbeki, avec pour conséquence leur marginalisation, se rallier à Zuma sans poser de question.
Au cours de sa campagne, Zuma a généré une attente fiévreuse parmi les pauvres. Il a promis beaucoup de politiques et d’institutions nouvelles, mais aucun détail quant à leur contenu ou un calendrier, encore moins le coût de ces programmes.
Les dissidents de l’ANC, qui l’an dernier ont créé COPE, ont ouvert un nouvel espace politique sur une scène totalement dominée par l’ANC depuis 1994. Toutefois, le COPE, comme tous les autres partis, ne s’est pas intéressé aux problèmes des pauvres Noirs dans les communes, les zones rurales ou les bidonvilles, population dont le soutien est pourtant indispensable à qui veut gagner les élections. Ses responsables ont été incapables de contrer le message de Zuma et de l’ANC qui les décrit comme les participants à une cabale montée par les Noirs et les Blancs riches pour s’opposer aux pauvres Noirs.
Le COPE et le principal parti d’opposition actuel, le Democratic Alliance (DA), ont sévèrement critiqué la morale douteuse de Zuma et ses attaques contre les institutions démocratiques, critiques qui ont été entendues par les Noirs et les Blancs de la classe moyenne, mais auxquels ceux sans emploi, qui vivent dans des taudis, sont restés sourds. Les pauvres se sont accrochés avec l’énergie du désespoir aux promesses de soins de santé gratuits, de scolarisation et de bourses sociales faites par Zuma, toutes choses urgemment requises mais à propos desquels le candidat président n’a fourni aucun détail. Même le Congress of South African Trade Unions (COSATU), allié de Zuma, s’est abstenu de le soutenir à propos de ces objectifs et de ces calendriers clairement définis.
L’Afrique du Sud est sur le point d’encaisser le choc de la crise financière internationale, avec une augmentation du chômage dans tous les secteurs de l’économie. Zuma va hériter d’une économie en déclin, après presque une décennie de croissance économique portant sur une moyenne de 5% au cours de ces 5 dernières années.
Cependant, ni l’ANC ni les partis d’opposition n’ont proposé de remèdes avec des calendriers qui permettent de résoudre les problèmes sociaux du pays. En ce moment, le facteur de cohésion des différents groupes qui composent l’ANC ne consiste pas en une vision politique partagée, ou la direction que le pays devrait prendre ou une idéologie particulière. Seul le désir de voir Zuma élu président tient le mouvement ensemble. Sur le chemin vers le pouvoir et la présidence, Zuma a amassé une coalition disparate d’intérêts et il a fait à chaque groupe les promesses que celui-ci veut entendre, quitte à ce que lesdites promesses soient diamétralement opposées entre elles.
La réalité est que ces groupes à qui il a été promis monts et merveilles vont être perdants. Des attentes déçues, des querelles intestines dans la coalition de Zuma sur la façon de résoudre les problèmes urgents de l’Afrique du Sud sous sa présidence pourrait être la cause d’une nouvelle fracture au sein de l’ANC.
Il est peu probable que Zuma ait le bénéfice d’un état de grâce comme les précédents gouvernements de l’ANC. De même, si Zuma ne tient pas ses promesses, les pauvres vont se retourner contre lui et il connaîtra le même sort que Mbeki. En 2005, dans des scènes rappelant l’Apartheid des années 1980 en Afrique du Sud, lorsque les ressortissants noirs des communes protestaient contre les négligences du gouvernement, les résidents noirs et pauvres d’une commune du nom de Khutsong ont brûlé des bâtiments gouvernementaux et ont physiquement attaqué les politiciens de l’ANC, les accusant de leur avoir fait défaut. Il y aura quantité de Khutsong à travers toute l’Afrique du Sud si Zuma ne tient pas ses promesses immédiatement. La façon dont il réagira à ces pressions dans une économie en récession déterminera le futur de l’Afrique du Sud.
Mbeki n’a pas hésité à utiliser les institutions de l’Etat pour écraser la dissension. Les partisans de Zuma espèrent et prient qu’il ne fera pas la même chose ou pire.
La réaction initiale de Zuma n’est guère encourageante. Bien qu’il ne soit pas encore formellement au pouvoir, il a copié nombre de mauvaises choses de l’ère de Mbeki desquelles il avait précédemment pris ses distances. Mais il peut encore confondre ses détracteurs et réussir, s’il utilise son pouvoir pour conjuguer les talents de tous les Sud Africains - de toutes les races, qu’ils soient critiques ou qu’ils acquiescent - plutôt que de récompenser des sycophantes incompétents, des financiers véreux ou ceux de son groupe ethnique. Il ne lui suffira pas de parler avec éloquence de sa défense de la Constitution du pays, des institutions démocratiques et de ses valeurs. Son vrai défi sera de le prouver dans son comportement de la vie de tous les jours. En assumant la présidence, Zuma ferait bien de se souvenir de la mise en garde d’un ancien pilier de l’ANC, Mac Maharaj : «C’est l’action qui inspire la confiance’’
* Willaim Gumede est l’auteur du bestseller «Mbeki and the battle for the soul of the ANC’’
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