Depuis les champs pétrolifères soudanais jusqu'aux fermes zimbabwéennes, partout en Afrique la présence chinoise se voit et se fait sentir. Selon Stephen Marks, la relation sino-africaine s'est récemment modifiée, passant d'une idéologie de la Guerre Froide à une poursuite-type d’intérêts personnels économiques. Mais le tableau n'est pas tout aussi sombre que l’on pourrait le croire - alors que le géant économique mondial grandit, de nouvelles perspectives se présentent pour l'Afrique.
...lire la suiteDepuis les champs pétrolifères soudanais jusqu'aux fermes zimbabwéennes, partout en Afrique la présence chinoise se voit et se fait sentir. Selon Stephen Marks, la relation sino-africaine s'est récemment modifiée, passant d'une idéologie de la Guerre Froide à une poursuite-type d’intérêts personnels économiques. Mais le tableau n'est pas tout aussi sombre que l’on pourrait le croire - alors que le géant économique mondial grandit, de nouvelles perspectives se présentent pour l'Afrique.
Sur une plus grande échelle, une présence chinoise plus intense en Afrique fait partie de l’effort de créer un paradigme de la mondialisation qui favoriserait la Chine. Dans le passé, la présence chinoise en Afrique a pu profiter d'une histoire partagée en tant que cible d’un impérialisme européen et à cause de son engagement idéologique contre l’impérialisme et pour la libération nationale.
La Chine a déclaré son respect du principe de la souveraineté nationale et la non interférence dans les affaires internes. Non seulement une telle approche séduisait les dirigeants qui faisaient face à la menace de conflits internes pour des raisons peu nobles mais elle contrastait aussi avec les mobiles douteux des ex-pouvoirs coloniaux.
Mais plus récemment, la politique chinoise a abandonné l’idéologie de la Guerre Froide pour entreprendre une poursuite-type de ses intérêts personnels économiques sous forme d'accès aux matières premières, aux marchés et aux sphères d'influence à travers l'investissement, le commerce et l’aide militaire – à un tel point que la Chine peut être soupçonnée de couver des ambitions d'impérialiste.
La nouvelle orientation s'est manifestée lors du premier Forum de Coopération Sino-africaine qui a eu lieu à Beijing en 2000 - mécanisme dont le but était de promouvoir les relations diplomatiques, le commerce et l'investissement entre la Chine et les pays africains. Pendant la même année, le commerce sino-africain a passé le cap des US$10 milliards pour la première fois [1]. En 2003, il a atteint US$18.5 milliards et selon certaines estimations, cette année il est en cours d'atteindre US$30 milliards [2]. Des estimations chinoises plus récentes affirment que le commerce sino-africain approche déjà la barre de US$40 milliards [3].
En 2004, il y avait déjà presque 700 entreprises chinoises qui étaient implantées dans 49 pays africains [4]. Le Forum de décembre 2003 à Addis Abeba auquel étaient présents le Premier Ministre chinois Wen Jiabao et le Secrétaire Général de l’ONU Kofi Annan, a attiré 250 hommes d'affaires d’Afrique et 150 de Chine.
La phase « idéologique » précédente des relations sino-africaines faisait partie d'une stratégie mondiale qui vers le milieu des années 70, a vu quelques 15 000 médecins et plus de 10 000 ingénieurs agricoles venant de Chine exercer leurs fonctions à travers les pays du Tiers-Monde. En Afrique, la Chine a entrepris d’ambitieux projets d'infrastructures tels que la construction de la voie ferrée Tamzam reliant la Tanzanie à la Zambie, en parallèle à un système routier financé par les pays occidentaux.
L'influence chinoise a été également promue par l’offre de compétences techniques, de médecins, de bourses et d'aide. Aujourd'hui, plus de 900 médecins chinois travaillent toujours dans des pays africains [5]. L'aide militaire s’est concentrée sur les alliés idéologiques (y compris à diverses époques l'Ethiopie, la Tanzanie, l'Ouganda et la Zambie). En 1977, le commerce avec l'Afrique avait atteint le record de US$817M [6].
La Politique d'aide chinoise
Certes, il existe des éléments de continuité avec la politique chinoise précédente. Des prêts à des taux d'intérêt bas, renouvelables ou annulables ont été accordés lors des Forums de Coopération Sino-africaine, ce qui a permis à la Chine de bénéficier d’un soutien diplomatique au sein de l’ONU (par exemple au sujet de Taiwan).
Des équipes médicales, agricoles et d’ingénieries chinoises continuent à travailler dans plusieurs pays africains.
« Depuis 1963, quelques 15 000 médecins chinois ont travaillé dans 45 états africains soignant presque 180 millions de patients séropositifs ou atteints du SIDA. A la fin de 2003, 940 médecins chinois travaillaient toujours à travers le continent. Pour des raisons évidentes Beijing préfère proposer aux pays africains un support technique plutôt qu’une aide financière quelconque. L'aide financière met à rude épreuve les ressources et écarte le capital des besoins importants du pays. Aussi les investissements dans le commerce et les projets qui pourraient ramener des recettes, sont-ils plus populaires qu’une aide directe ou que des projets d'emprunt.
Le fait que la Chine continue à renforcer les projets éducatifs et l’offre d’experts permet de qualifier ce pays de modèle de pouvoir « indulgent ». Cela dit, les 15 000 étudiants africains qui ont étudié en Chine depuis les indépendances [6] ont évidemment apporté à la Chine des atouts sur le plan commercial et politique.
Le Rôle économique de la Chine
« Aujourd'hui presque chaque pays africain témoigne d'une présence croissante chinoise, depuis les champs pétrolifères à l'est jusqu'aux fermes dans le sud, en passant par les mines du centre du continent. Selon un rapport récent de Reuters, des fermes gérées par des Chinois en Zambie approvisionnent en légumes le marché ouvert de Lusaka, et les entreprises chinoises - en plus de lancer des satellites nigérians - détiennent quasiment le monopole dans le domaine de la construction au Botswana [2].
« Les 674 entreprises chinoises présentes en Afrique ont investi non seulement dans des secteurs florissants tels que les mines, la pêche, les bois précieux et les télécommunications, mais aussi dans d'autres secteurs qui avaient été délaissés, voire abandonnés, par l'Occident faute de rentabilité. Par conséquent, aujourd’hui les mines de cuivre de Chambezi en Zambie fonctionnent à nouveau et les réserves de pétrole gabonaises qui étaient soi-disant épuisées, sont maintenant réexploitées.
En 2004 les investissements chinois représentaient plus de US$900M des US$15 milliards investis directement en Afrique. Sur ces milliers de projets en cours, 500 sont exclusivement dirigés par la China Road and Bridge Corporation, entreprise d'état dont l’objectif est de placer les 43 entreprises chinoises qui se trouvent parmi les 225 meilleures de la région.
En Ethiopie, la Chine est impliquée dans les télécommunications, en République Démocratique du Congo, elle a contribué à l'exploitation minière étatique Gecamine, au Kenya elle a réparé la route reliant Mombasa à Nairobi et c’est elle qui a lancé le premier satellite spatial du Nigéria. Comme motivation pour les ressortissants chinois, huit pays africains ont été officiellement désignés destinations touristiques » [6].
Pour la Chine, l'Afrique représente :
·Une source clé de matières premières, surtout de pétrole brut, dont la Chine est actuellement le deuxième plus grand consommateur de la planète, avec plus de 25% de ses importations de pétrole venant du Soudan et du Golf de Guinée [6].
Selon les statistiques douanières chinoises rapportées par la BBC en janvier 2006, pendant les 10 mois précédents, le commerce entre l'Afrique et la Chine a augmenté par 39% pour atteindre plus de US$32 milliards, ce commerce étant alimenté dans une large mesure par les importations de pétrole venant de l’Afrique, principalement du Soudan. Selon l'agence américaine, EIA (Energy Information Administration), depuis les quatre dernières années la Chine représente plus de 40% de la croissance nette en besoins de pétrole du marché international [7]
·Un créneau pour les produits chinois à faible coût de production.
·La possibilité d’investir dans les infrastructures [centrales hydro-électriques, oléoducs, usines, hôpitaux]
Il s’agirait surtout de créneaux potentiels où des entreprises occidentales pourraient se laisser dissuader de par leurs préoccupations politiques telles que les sanctions ou l'instabilité.
En effet, là où les entreprises occidentales peuvent être découragées par des pressions intérieures de la part des ONG ou par l'impact sur leur réputation que pourrait avoir leur association avec des régimes répressifs et corrompus, la Chine, elle, profite des deux côtés - le fait d'être indemne de ces pressions fait d’elle une collaboratrice attirante aux yeux de certains régimes, et l'absence de toute concurrence de la part des multinationales occidentales crée la possibilité de plus de recettes [1].
Le Soudan
« La Chine, à travers la Coopération Nationale Chinoise de Pétrole (CNPC), est l'investisseur le plus connu et le plus important du Soudan dans les domaines de l'exploitation de pétrole, la transportation et les infrastructures associées à la production pétrolière. En 1999 ces investissements ont permis au Soudan de se lancer dans l'exploitation pétrolière et de finir par devenir exportateur net de pétrole. Même si la capacité actuelle de production de 310 000 barils par jour (bpj) du Soudan est relativement peu importante par rapport à la production mondiale qui est approximativement de 82M bpj, le produit est de haute qualité.
Sur le marché mondial, il existe une pénurie de ce type de pétrole « brut-léger-doux » qui se vend au prix fort, relatif au pétrole brut venant du Moyen Orient dont la quantité de soufre est élevée. Grâce à l'investissement chinois dans la capacité de production de pétrole soudanaise, celle-ci représente actuellement 5% des importations nettes chinoises. Il est impératif de reconnaître que la Chine est le plus grand consommateur de pétrole soudanais, ayant importé plus de la moitié des exports soudanais en 2003 » [1].
Même si en 1995 la Chine s’est fait accepter sa soumission d'exploiteur pétrolier au Soudan, c'était en fait la décision prise deux années plus tard par Washington de couper tout lien avec ce pays qui a permis à la Chine d'y intervenir. Alors que Washington maintient toujours des sanctions partielles contre le pétrole soudanais, la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial du Soudan, important 60% des exports pétroliers de ce pays, ce qui représente 9% des besoins chinois en matière de pétrole.
« On est parti de zéro au Soudan », déclare Li Xiaobing, directeur adjoint au sein du Ministère Chinois du Commerce, responsable des Affaires africaines. « Quand on a débuté, le Soudan était importateur de pétrole, et maintenant il en est exportateur. Nous avons construit des raffineries et des oléoducs et nous nous sommes engagés dans la production ». Écartant une question portant sur le dossier des droits de l'homme soudanais, il préfère dire, « Nous nous approvisionnons en pétrole de toute source possible » [8].
De son côté, la Chine a menacé d’utiliser son droit de veto au Conseil de Sécurité pour caler ou bloquer toute résolution sur le Darfour. Au dire du Ministre adjoint chinois des Affaires étrangères, Zhou Wenzhong : « Je pense que la situation interne au Soudan ne concerne que le pays lui-même ; nous ne sommes pas en mesure de leur imposer quoi que ce soit.»
Ce mélange d'investissements dans les infrastructures, de soutien commercial et politique auprès de l’ONU constitue « un ensemble complet » [5].
Et le compliment est retourné. Selon Awad al-Jaz, le Ministre soudanais de l'Énergie et des Mines, « les Chinois sont très aimables. Ils ne se mêlent pas à la politique ou aux problèmes. Les affaires se passent bien » [5].
L’Angola
La capacité chinoise à présenter « un ensemble complet » dépourvu de toute conditionnalité extra commerciale s’illustre également par le cas de l’Angola qui est actuellement son deuxième partenaire commercial le plus important en Afrique et lui vend 25% de sa production de pétrole [6].
Vers la fin de 2004, Eximbank, banque d'exportation chinoise, a approuvé un crédit de US$2 milliards pour la reconstruction des infrastructures détruites lors de la guerre civile. En contrepartie, la Chine recevait 10 000 barils de pétrole par jour.
La ligne de crédit - à 1,5% sur une période de 17 ans – semble peut-être défavoriser la Chine à court terme, mais les entreprises chinoises se taillent la part du lion en se faisant garantir des contrats lucratifs pour la reconstruction nationale. Les gens du pays sont mécontents. Comme le précise l'économiste indépendant Jose Cerqueira: « Il y a une clause dans le contrat de prêt qui stipule que 30% des affaires seront sous-traités aux sociétés angolaises, mais cela laisse encore 70% qui ne le seront pas. Cette situation inquiète les hommes d'affaires angolais puisqu'ils perdent l'occasion de décrocher des contrats, d'autant plus que la construction est un secteur dans lequel les Angolais espèrent trouver du travail » [6].
Certains disent que c’est la disponibilité du prêt chinois qui a encouragé l'Angola à résister à la pression exercée par le FMI et les pays occidentaux pour que ce pays que l’on considère comme le plus corrompu de toute l’Afrique, améliore la transparence de son secteur pétrolier et qu’il mette en place d'autres réformes. Un colloque à l'intention de donateurs, fixé pour la mi-2005, a été reporté. Toutefois l'ambassadeur chinois en poste en Afrique du Sud a qualifié d’injustifiée l’insistance sur la transparence comme condition préalable au colloque [5].
Cela dit, l'Angola a aussi été témoin de l'une des rares occasions où la Chine est intervenue pour assurer que son aide ne soit pas utilisée à des fins troubles. Le 9 décembre 2004, en raison de la pression de la part des Chinois, l'intermédiaire commercial Antonio Pereira Mendes de Campos Van Dunem a démissionné de son poste de Secrétaire au Conseil des Ministres Angolais après que Global Witness, organisme britannique de contrôle pour la transparence, avait annoncé que l'argent risquait d'être détourné vers d'autres fins. En effet, une partie de la somme a contribué à financer la propagande gouvernementale pour les élections générales de 2006 [6].
Malgré ce détournement, cette ligne de crédit a rendu possible le financement de réparations ferroviaires, la construction de routes, de bureaux et d'un réseau en fibres optiques [9].
Le Zimbabwe
Au Zimbabwe, la Chine a également saisi l'occasion présentée par le désengagement des pays de l'Ouest et par l’insistance mise par ces derniers sur la transformation. Elle s’est portée source alternative d'investissement et d'aide inconditionnelle. Faisant partie de ce que Robert Mugabe qualifie de sa politique « orientée vers l'Est », la Chine a remis à l'armée zimbabwéenne douze chasseurs à réaction et cent camions lorsque le pays était sujet à un embargo sur les armes imposé par les pays occidentaux [10].
En 2004, une délégation de 100 hommes d'affaires chinois, menée par Wu Bangguo, président du corps législatif chinois, a conclu des marchés de collaboration dans les domaines de l’exploitation minière, des transports, des communications et de l’énergie [2]. De plus, il serait question de l’envoi de caisses de t-shirts chinois destinés aux partisans du parti majoritaire lors des élections de 2005. La Chine aurait également fourni à une base militaire située en dehors de la capitale un dispositif de brouillage de radio qui aurait empêché les stations de radio indépendantes de diffuser des émissions pendant la campagne électorale.
La Chine aurait aussi conçu la nouvelle demeure de 25 chambres de Robert Mugabe au coût de US$9M, et aurait fait don des tuiles en ardoise bleu cobalt. Comme l’affirme Emerson Mnangagwa, Speaker du Parlement zimbabwéen : « Avec des amitiés inconditionnelles comme celle de la République Populaire de Chine…le Zimbabwe ne sera jamais seul. »
La Sierra Leone
À un stade de football, qui était à l'origine un don de la Chine pendant les années 70 - durant l'étape initiale de la phase idéologique des relations sino-africaines – viennent maintenant s’ajouter un bâtiment de bureaux gouvernementaux , un édifice parlementaire, et un quartier général militaire de construction chinoise. Des entreprises chinoises ont aussi investi dans un centre de production sucrière, une usine de tracteurs, et un complexe industriel, aussi bien que dans la rénovation et la gestion du plus grand hôtel.
« L'investissement chinois nous convient parce qu'on se réunit une seule fois, on discute de ce qu'ils veulent faire, et puis ils vont de l'avant », affirme l'ambassadeur sierra léonais à Beijing, Sahr Johnny, à Lindsey Hulsum de la BBC. « Il n'y a ni test d’évaluation de performance ni conditions requises, aucune évaluation des éventuels impacts sur l'environnement. Si l’un pays du G8 nous avait proposé de reconstruire le stade, nous en serions toujours en phase de réunion. »
Cependant, d’après Hilsum, c'était justement cela qui inquiétait les militants locaux dans leur lutte contre la corruption, dont Zainab Bangura, du Groupe pour la Responsabilité Nationale de la Sierra Leone, qui dit : « Nous avons consacré quinze années à travailler sur des conventions contre la corruption ; maintenant les Chinois arrivent et ils n'en souscrivent à aucune. Ils sont de nature secrète et ils ne traitent qu'avec des gouvernements - ils ne consultent ni la société civile ni personne d’autre d’ailleurs. Je crains que les gouvernements africains perçoivent la Chine comme étant une alternative aux pays du G8, parce qu’avec les Chinois, ils n'ont pas à se soucier de la bonne gouvernance, entre autres » [4].
La Chine - nouvel impérialiste?
Le président adjoint de l'Institut Sud-Africain des Affaires Internationales, Moeletsi Mbeki, qualifie les relations entre l'Afrique du Sud et la Chine d’« une répétition de la vieille histoire du commerce sud-africain avec l'Europe ».
Tout en reconnaissant les avantages du commerce, il signale que les exportations de la Chine et de Hong Kong vers son pays sont deux fois plus importantes que celles de l'Afrique, et presque deux fois plus importantes de ce que l'Afrique du Sud exporte vers la Chine. « Nous leur vendons des matières premières et en retour ils nous fournissent des biens manufacturés. Le résultat est prévisible : une balance commerciale négative pour l'Afrique du Sud » [2].
On dirait la répétition-type des relations commerciales établies par l'impérialisme européen : l'Afrique du Sud, tout comme d'autres états africains, exporte des matières premières vers la Chine et importe des produits chinois à faible coût de production qui se vendent moins chers et rivalisent avec les industries locales. La Fédération des Syndicats Sud-africains, COSATU, a demandé que les importations chinoises soient réduites et a vivement conseillé aux détaillants de favoriser tout produit de fabrication locale, et cela à un minimum de 75% [4].
Les militants sud-africains n’ont qu’à signaler les exportations chinoises de textiles vers l'Afrique du Sud qui ont augmenté de 40% pour atteindre 80% vers la fin de 2004. De plus l'industrie se trouve dans une position défavorable à cause de la croissance des exportations chinoises à faible coût de production vers les Etats Unis et l'Europe, ce qui détruit tout espoir pour l'Afrique de pénétrer dans ces marchés.
Cet impact se fait sentir de manière plus aigue depuis que l'Accord de Multifibre (MFA) a expiré « Une fois que l'accord avait expiré en janvier 2005, les exportations chinoises vers les Etats Unis sont montées en flèche et les exportateurs africains se sont rendu compte qu'ils ne pouvaient pas leur faire concurrence. Plus de 10 usines textiles au Lesotho ont fermé leurs portes en 2005 et, par conséquent, au moins 10 000 employés se sont retrouvés sans emploi. Les exportations de vêtements sud-africains vers les Etats Unis ont chuté de US$26M à US$12M au cours du premier trimestre des années 2004 et 2005 respectivement» [5].
En octobre 2005, des syndicalistes représentant les industries de vêtements, de textile, de chaussures et de cuir de plusieurs pays - le Ghana, le Kenya, le Malawi, Madagascar, l’île Maurice, la Namibie, la Tanzanie, le Nigeria, le Lesotho, le Swaziland, la Zambie, le Zimbabwe et l'Afrique du Sud - se sont réunis au Cap dans le but de discuter des effets de l'expiration de l'Accord Multifibre (MFA).
Leur conclusion ? - que le continent africain a perdu plus de 250 000 emplois ces dernières années puisque les marchés domestiques africains avaient été inondés de produits textiles à faible coût de production ainsi que d’importations de vêtements en provenance de la Chine [11].
Ces syndicalistes ont demandé aux gouvernements africains d’imposer les mesures préventives temporaires acceptées lors de l'accession de la Chine à l'OMC, mesures qui limitent l'invasion chinoise du marché domestique à 7.5% jusqu'en 2008. Les Etats-Unis et l'Union Européenne ont déjà conclu de tels accords dont l’impact pour les manufacturiers africains sera des plus avantageux : le rythme auquel les exportations chinoises qui déplacent celles en provenance de l’Afrique, arrivent aux Etats-Unis et en UE ralentira.
Pour reprendre les mots de la Commission Européenne, l’accord « fournit également la chance de s'adapter aux fabricants dans les pays en voie de développement, dont les exportations en textiles vers l'UE se faisaient déplacer par l’accroissement d’importations chinoises» [12].
Peut-être en anticipant qu'un tel quota soit imposé, l'ambassadeur chinois près l'Afrique du Sud a-t-il récemment annoncé que la Chine « limiter[ait] volontairement les exportations de vêtements et de quelques produits textiles vers l'Afrique du Sud » [13]. Des fonctionnaires sud-africains ont confirmé que les négociations étaient toujours en cours, et que la Chine leur avait proposé de les aider en matière de formation dans les industries du textile et de l'habillement.
Cette déclaration a été accueillie avec circonspection par l'industrie et par l'Union des Travailleurs Sud-africains du Secteur du Textile et de l'Habillement (SACTWU), dont les membres avaient perdu quelques 60 000 emplois entre janvier 2003 et novembre 2005. Selon des sources industrielles, les importations de vêtements en provenance de la Chine avaient augmenté par 40% pendant les neuf mois précédents.
Sur les 250 usines de textiles zambiennes qui fonctionnaient il y a 20 ans, il n’en reste que 20 ; la concurrence chinoise en serait responsable [14]. Leonard Hikaumba, président du Congrès des Syndicats Zambiens, a déploré ce qu'il nommait le «dumping » de produits textiles à faible coût de production et de biens électroniques par les exportateurs chinois. « Ce sont eux qui profitent de cette situation, non pas nous » dit-il [15].
Au Nigéria, le Syndicat des Ouvriers du Secteur de l'Habillement et du Textile estime que pendant les 5 dernières années, quelques 350 000 emplois ont été perdus, phénomène directement lié à la concurrence chinoise, plus 1,5M de manière indirecte. Selon le secrétaire général du syndicat, « La majorité des entrepôts à Lagos ont été transformés en églises parce qu'il n'y a plus aucun bien manufacturé à y entreposer. » [15]
L'industrie de l'habillement kenyane a également prévu des pertes d'emplois additionnelles comme l'afflux des importations chinoises empêche l’accès des fabricants locaux au marché domestique ainsi qu’au marché européen, où l'on attend un assouplissement des quotas sur les importations chinoises (voir ci-dessus). À la fin de 2005 des entreprises de la Zone Industrielle et d'Exportations (EPZ) du Kenya ont rapporté que 14 usines avaient fermé leurs portes et que, par conséquent, 7 000 emplois avaient été perdus depuis janvier de cette même année. Celles qui survivaient, fonctionnaient à 50% de leurs capacités [16].
De surcroît, la politique de la Chine concernant la vente des armes inquiète plus d’un. La Déclaration de Beijing, adoptée en octobre 2000 lors du premier Forum pour la Coopération Sino-africaine, a prévu que la Chine collaborerait au projet de mettre fin à la production illégale, à la circulation et au trafic des armes légères en Afrique. Pourtant, des armes chinoises - voire des mines terrestres - ont été retrouvées au Burundi et au Congo sans parler de la vente légale d’armes aux régimes tels qu’ils existent au Zimbabwe et au Soudan. Trois usines d'armes légères auraient été construites par la Chine à l'extérieur de Khartoum ; par la suite, leurs produits se trouvaient parmi les armes saisies par les rebelles du sud.
L’Avenir : les défis pour l'Afrique
Il serait injuste de suggérer que l'impact chinois ne fasse naître que des problèmes, ou qu'il soit tout simplement une répétition d'impérialismes précédents. Le fait que des sociétés commerciales et des gouvernements occidentaux doivent faire face à une forte concurrence, peut permettre aux états africains une marge de manœuvre plus importante ainsi qu’une alternative aux ordres émis par le FMI.
Il est tout naturel que les ONG, les militants pour les droits de l'homme et les syndicalistes se soient tous concentrés sur les moments où cette marge de manœuvre a été exploitée par des régimes répressifs qui cherchaient à éviter les pressions venant des gouvernements de l'Ouest, ceci dans une tentative de renforcer au moins quelques uns des droits de l’homme et un minimum de bonnes pratiques environnementales. Mais cela ne veut pas dire que « l'option chinoise » ne pourrait pas être également exploitée pour inclure tous les états africains, non pas seulement ceux qui ne respectent pas les droits de l'homme.
A cet égard, la volonté de la Chine d'offrir un prêt à l’Angola - quelles que soient les conditions imposées par le FMI - peut s'avérer être un précédent bénéfique pour d'autres cas. Et la volonté de la Chine d'investir dans des secteurs que les investisseurs occidentaux ont négligés - la production du coton en Zambie, par exemple - devrait être bien accueillie même si la Chine n’investit dans ces secteurs peu lucratifs que pour promouvoir ses propres intérêts économiques.
En effet, au moins un africaniste américain a ébauché un scénario optimiste (voire utopique pour certains) selon lequel les Etats-Unis et la Chine collaboreraient sur un programme qui promouvrait les droits de l’homme et le développement durable en Afrique, ce qui servirait à long terme l'intérêt des deux pays.
« Alors, la question se pose : la Chine veut-elle être perçue en Afrique comme le défenseur des états solitaires, en quête agressive de ressources naturelles africaines, sans égard pour la transparence, le développement ou pour la stabilité de ce continent ? Y a-t-il une possibilité de développer quelques règles générales, des objectifs communs ? Est-il possible de promouvoir la stabilité et la démocratie en parallèle avec des bénéfices économiques chinois dont profiteraient l'Afrique ainsi que la Chine ? Les Etats-Unis peuvent-ils offrir un système de primes - plus de collaborations commerciales, plus d'initiatives en commun pour l'exploitation et la préservation des ressources naturelles en Afrique (ses forêts tropicales, par exemple) ?
Autrement dit, est-il possible d’augmenter les occasions en Afrique où les Etats-Unis et la Chine pourraient gagner à tous les coups ? Il vaut mieux explorer ces possibilités que tenter de restreindre l'influence de la Chine, ce qui serait difficilement envisageable, tout du moins dans un proche avenir » [5].
Pour peu probable que les deux grandes puissances - notamment Washington et Beijing –suivent ces conseils, il est impératif que la société civile africaine trouve le moyen de réagir face au défi chinois de manière à, d'une part, ne pas tout accepter et de l'autre, à ne pas tout rejeter. Il faut certes tirer des leçons des expériences vécues par d'autres nations du « monde majoritaire » en s'engageant avec le dynamisme économique chinois de façon à ce qu'un problème devienne une ouverture, à ce qu’une Afrique émerge « qui sache dire non » [17] pour reprendre les mots de Chris Alden.
Les régimes stigmatisés par l'Ouest pour être des « états solitaires » (souvent à juste titre d'ailleurs) ne voudront ni pourront imposer de conditions en contrepartie d’une aide chinoise vitale. Mais cela ne devrait pas empêcher la société civile africaine de faire des recherches sur une éventuelle série de mesures qui pourraient faire partie intégrante d’un ensemble d’investissements chinois. Ces mesures pourraient inclure des formations, le transfert technologique, la stimulation du savoir-faire local en matière de gestion et l’obligation de réserver un certain pourcentage des investissements et projets d’infrastructures chinois aux entreprises et à la main d’œuvre africaines.
L'expérience faite par certains états de l'Amérique du Sud pourrait servir d'exemple. Le Brésil, le Chili, le Mexique et le Venezuela ont tous vécu la hausse du commerce et des investissements chinois mais ils ont su l’allier à une balance commerciale positive, en partie grâce à des accords bilatéraux favorisant l'accès de ces états aux secteurs clés.
Plus récemment, selon le site web du Ministère du commerce brésilien, il a été convenu que la Chine fixerait des quotas sur huit types d’exportations de textiles vers le Brésil. Ces produits représentent 60% des importations textiles brésiliennes [18]. Des recherches plus poussées et un échange d'informations montreraient dans quelle mesure l'expérience sud-américaine pourrait être généralisée dans le but de déterminer des politiques applicables au contexte africain.
Tout laisse croire que la Chine pourrait envisager des quotas semblables pour l'Afrique du Sud, ce qui est encourageant, tout comme le dialogue qu’ont entamé ces deux nations sur une aide possible en formation et restructuration. Il ne serait pourtant pas trop cynique de voir en de telles initiatives le désir d’éviter des mesures ultérieures plus rigides. Il faut un ensemble plus détaillé, négocié à l'échelle africaine, surtout vu que les accords sur les quotas établis par l'OMC expireront en 2008, et que, de toute façon, certains pays ne les respectent pas [12].
Comme Alden l'a proposé, plus de recherches pourraient relever le potentiel d'intégrer dans un ensemble des éléments tels que:
·Renforcer l'accord existant par lequel la Chine s’engage à annuler les dettes bilatérales;
·Soulever devant le comité responsable des conflits de l’OMC les pratiques de dumping de la Chine; ou bien lier la démarche chinoise et d’autres problèmes commerciaux aux futurs accords portant sur les matières premières;
·Promouvoir dans toute affaire de commerce et d’investissement l’intérêt des consommateurs et l’économie au niveau local;
·Intensifier l’engagement existant de la Chine à soutenir l’Union Africaine relatif au désarmement au Darfour, ainsi que son engagement précisé par la Déclaration de Beijing de 2000 par lequel elle respecterait la régularisation de la vente des armes illégales ; chercher à faire étendre cet engagement pour qu’il inclue un contrôle plus responsable des ventes légales d’armes.
Il faut également entamer des recherches sur le bien-fondé de la proposition selon laquelle le Forum de Coopération Sino-africaine puisse constituer un outil institutionnel pour un tel projet, avec code de conduite adopté et renforcé par un rapport annuel sur les progrès réalisés, et en parallèle un forum pour la société civile, similaire à celui introduit à la demande de l’Afrique du Sud, lors des sommets du Mouvement Non-Aligné.
Une étude plus approfondie des procédures qui s’opèrent lors de la prise de décisions politiques ainsi que de l’évolution de la pensée chinoise pourrait indiquer s’il serait envisageable que la Chine accepte et participe à un tel processus. Comme le conclut Chris Alden:
« Alors que la stabilité est considérée comme une condition préalable au développement, la proximité de Beijing ou de ses entreprises étatiques aux gouvernements africains qui, systématiquement, ne respectent pas les droits de l’homme de leurs citoyens ne fait que mettre en péril la réalisation de ce but final. Après tout, la Chine n’a qu’à se rappeler sa propre expérience faite de décennies de banditisme avant 1949 pour comprendre les effets dévastateurs que les conflits nourris de l’extérieur peuvent avoir sur une société et ses aspirations à développer son économie ».
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* Stephen Marks est écrivain et chercheur indépendant spécialiste des questions de développement et de droits humains
* Texte traduit de l’original sous la direction de Vanessa Everson (maître de conférences à l’Université du Cap) par Frances Chevalier et Kesini Murugesan
Références
[1] Economic growth and soft power: China's Africa Strategy
Drew Thompson
[3] New highlights in China-Africa comprehensive cooperation
http://english.people.com.cn/200601/14/print20060114_235306.html
[4] The Chinese are coming
Lindsey Hilsum
New Statesman
4 July 2005
http://www.cfr.org/publication/8436/chinas_rising_role_in_africa.html
[6] China's trade safari in Africa
Le Monde Diplomatique
May 2005
Jean Christophe Servant
[8] China in Africa: all trade with no political baggage
New York Times, August 8 2004
http://www.globalpolicy.org/socecon/develop/africa/2004/0808africantrade.htm
[9] Boston Globe 24 December 2005
http://www.csmonitor.com/2005/0330/p01s01-woaf.html
[11] http://allafrica.com/stories/printable/200602210354.html
[13] Textiles: China Voluntarily Cuts Back Exports to South Africa
20-01-06
[15] `Tsunami of cheap goods' overwhelm African jobs
Reuters, 20-12-05
[17] Leveraging the Dragon: Toward "An Africa That Can Say No"
Chris Alden
eAfrica, 1 March 2005
http://en-1.ce.cn/Business/Macro-economic/200602/13/t20060213_6065807.shtml