Éviter que la Centrafrique ne retombe dans le chaos

Les autorités de transition, la Minusca, et les partenaires internationaux de la Centrafrique, dont la France, doivent tout faire pour éviter que la République centrafricaine ne retombe dans le chaos. Les événements récents doivent également pousser les autorités de transition à définir de toute urgence un calendrier réaliste qui puisse permettre de sécuriser le processus électoral et d’organiser des élections transparentes et libres, garantissant la participation pleine et entière du peuple centrafricain.

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AJ

Nos organisations expriment leur profonde inquiétude face à la vague de violences inter-communautaires qui secoue Bangui, capitale de la Centrafrique, depuis samedi 26 septembre, et qui aurait fait plus d’une cinquantaine de victimes, une centaine de blessés et près de 30 000 personnes déplacées. Nos organisations condamnent toute forme de violence et appellent les autorités de transition, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) et les forces françaises de l’opération Sangaris présentes dans le pays à tout faire pour protéger la population civile et rétablir la sécurité, afin que les violences ne dégénèrent à nouveau en conflit fratricide ouvert et ne s’étendent au reste du pays.

« Ce nouveau pic de violence est un signal d’alarme qui doit pousser les autorités de transition et les partenaires internationaux de la Rca, au premier rang desquels la Minusca, à améliorer la protection des civils et faire avancer de façon rapide et effective le processus de désarmement des milices et de sécurisation du pays. Sans désarmement, toute feuille de route pour sortir la Centrafrique de la crise, mener à des élections inclusives, libres et transparentes et à l’avènement de nouvelles institutions risque d’être condamnée à l’échec », a déclaré Karim Lahidji, président de la Fidh.

Le détonateur de ces violences a été l’assassinat, dans la nuit du vendredi 25 au samedi 26 septembre 2015, d’un jeune musulman peulh dont le corps a été retrouvé dans le quartier de Combattant dans le 8ème arrondissement de Bangui. En guise de représailles, des jeunes musulmans armés du quartier de PK5 – qui fut l’épicentre des violences inter-communautaires à la fin de l’année 2013 et au début de l’année 2014 – ont commis des attaques d’une extrême violence à l’encontre de civils suspectés d’être chrétiens. Une vague de violence a alors gagné les quartiers proches de PK5 avant de paralyser l’ensemble de la capitale, et de nombreux affrontements ont eu lieu au sein de la population et entre milices anti-balaka et pro-Séléka.

Des barricades sont encore dressées sur toutes les grandes artères de Bangui, des habitations, commerces et lieux de culte continuent d’être pillés et incendiés, et la radio communautaire La Voix de la paix, dont certains programmes sont animés par des musulmans, a été entièrement saccagée et détruite. Les locaux de plusieurs Ong humanitaires, dont ceux de Médecin sans frontières, la Croix-rouge, Corps d’aide, Mercy Corps, Première urgence, du Programme alimentaire mondial (Pam), de l’Organisation Internationale pour les Migrations (Oim) et d’Aide médicale d’urgence, ont également été pillés et une partie de leur personnel évacuée. Dimanche 27 septembre, le Premier ministre, Mahamat Khamoun, a décrété un couvre-feu, qui n’a pas été respecté et n’a pas permis d’enrayer les violences. Cette nuit encore, deux stations essence du 4ème arrondissement auraient été pillées.

Des hommes en armes circulent toujours librement dans la capitale, des tirs sporadiques continuent d’être entendus et des affrontements ont eu lieu lundi 28 septembre dans les 3ème, 5ème et 8ème arrondissements de Bangui. Hier, mardi 29 septembre, entre 13 et 15h, des échanges de tirs à l’arme lourde et légère et des jets de gaz lacrymogènes ont eu lieu sur l’avenue des Martyrs, entre les forces françaises de l’opération Sangaris et des groupes d’anti-balaka. Les soldats français cherchaient à démanteler des barricades dressées sur cette artère qui mène à l’aéroport de Bangui, alors que la présidente de la transition, Catherine Samba-Panza, revenait de New York, où elle assistait à l’Assemblée Générale des Nations Unies. Aucun bilan n’a encore été établi.

Des groupes d’anti-balaka ont lancé des appels à Bouca, Bouali, Bossangoa, Yaloké et Bozoum pour que des renforts gagnent Bangui et nourrissent leurs rangs. Des groupes armés pro-Séléka auraient lancé le même appel à Ndele et Bambari, laissant craindre que la situation ne dégénère rapidement en bain de sang. Les autorités de transition, la Minusca, et les partenaires internationaux de la Rca, dont la France, doivent tout faire pour éviter que la République centrafricaine ne retombe dans le chaos. Les événements récents doivent également pousser les autorités de transition à définir de toute urgence un calendrier réaliste qui puisse permettre de sécuriser le processus électoral et d’organiser des élections transparentes et libres, garantissant la participation pleine et entière du peuple centrafricain.

« Les enquêtes menées par nos organisations depuis 2013 ont montré que les violences et les crimes étaient en partie organisés par les groupes armés qui ont intérêt à faire retomber le pays dans le chaos à la veille d’échéances électorales. », a déclaré Jospheh Bindoumi, président de la Lcdh.

Ces événements témoignent de la nécessité de restructurer et équiper les forces armées centrafricaines, la gendarmerie et la police. Samedi 26 septembre, le commissariat du 5ème arrondissement de Bangui a été attaqué et incendié. Des policiers ont été blessés et des armes ont été récupérées par les assaillants. De même, la prison de Ngaragba, située à l’est de Bangui, a été désertée lundi 28 septembre en fin d’après-midi par les gardiens des Forces armées centrafricaines, et environ 600 prisonniers – parmi lesquels de nombreux anti-balaka suspectés de graves crimes – se seraient évadés malgré les coups de feu échangés avec les forces internationales stationnées devant la prison. Nos organisations appellent la Minusca et les autorités de transition à intervenir pour arrêter les prisonniers en fuite, lesquels pourraient se livrer à des exactions contre la population centrafricaine.

« Qu’ils soient musulmans ou chrétiens, qu’ils appartiennent à des milices armées ou aux forces internationales stationnées dans le pays, les présumés responsables de graves violations des droits humains commises à Bangui ces derniers jours devront être traduits en justice et, le cas échéant, tenus pour responsables. Les partenaires de la Rca doivent continuer d’appuyer les autorités de transition dans la lutte contre l’impunité en République centrafricaine, notamment en apportant un soutien technique et financier aux forces de sécurité centrafricaines et à l’opérationnalisation rapide de la Cour pénale spéciale », a déclaré Mathias Morouba, président de l’Ocdh.

Par ailleurs, de graves allégations pèsent sur certains éléments de la Minusca, qui auraient tué trois manifestants en ouvrant le feu pour tâcher de disperser un rassemblement devant le palais présidentiel lundi, ce qu’a immédiatement démenti la Minusca. Certaines sources ont aussi dénoncé le comportement de certains contingents de la Minusca, accusés de ne pas protéger pleinement la population civile et d’agir de façon partiale en se rendant complices de certaines milices. Nos organisations exhortent le Conseil de Sécurité des Nations Unies (Csnu), le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon, et le chef de la Minusca, M. Parfait Onanga-Anyanga, à s’assurer que tous les casques bleus présents sur le sol centrafricain honorent le mandat prévu dans les résolutions 2149 et 2217 du Csnu et se conforment à leurs obligations internationales, en toute impartialité.

Des manifestations sont organisées aujourd’hui et les forces internationales doivent tout faire pour assurer la sécurité et la protection de tous les manifestants. Les partenaires internationaux de la République centrafricaine, qui participeront à une réunion extraordinaire de haut-niveau demain, jeudi 1er octobre en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, doivent à tout prix s’engager à soutenir la Centrafrique et concrétiser leurs engagements dans les plus brefs délais.

CONTEXTE

La République centrafricaine n’a pas connu de violences d’une telle magnitude depuis les massacres à caractère inter-confessionnel de décembre 2013, qui ont plongé le pays dans une crise dont il n’est toujours pas sorti. Pourtant, le 4 octobre 2015, les Centrafricains devaient se prononcer par voie référendaire sur l’adoption d’une nouvelle Constitution et élire dans la foulée leurs représentants au cours d’élections présidentielle et législatives initialement prévues le 18 octobre pour le premier tour et le 22 novembre pour le second. Les autorités de la transition travaillent depuis quelques semaines à un report des scrutins, mais l’Agence nationale des élections (Ane) n’a toujours pas annoncé de nouveau chronogramme, les listes d’électeurs ne sont pas établies et les cartes électorales, pas distribuées.

En septembre 2012, des groupes armés centrafricains unis au sein de la coalition Séléka, lançaient une offensive dans le nord du pays. Le 24 mars 2013, à l’issue de 4 mois d’intenses combats, la coalition Séléka menée par Michel Djotodia prenait la capitale Bangui et chassait du pouvoir François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’état en 2003. Au cours de l’été 2013, des groupes armés d’auto-défense pro-Bozizé, les anti-balaka, ont attaqué de plus en plus régulièrement les Séléka et les populations musulmanes auxquelles ils sont assimilés. Le 5 décembre 2013, les anti-balaka menaient une attaque surprise coordonnée sur Bangui à la veille du déploiement des forces françaises de l’opération Sangaris autorisée par la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies pour venir en aide à la force africaine (Misca) qui n’arrivait pas à faire stopper les massacres des populations civiles. Le 9 janvier 2014, sous la pression de la communauté internationale, Michel Djotodia quittait le pouvoir et les Séléka se retiraient du sud et de l’ouest du pays pour se regrouper au nord et à l’est. Les milices anti-balaka profitaient de ce retrait pour attaquer systématiquement les populations, essentiellement musulmanes, qu’elles accusent de complicité et de soutien envers les Séléka.

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