Peut-on, au nom de l’Islam, exclure les femmes des affaires de la Cité ?
Pour des raisons philosophiques et d’opportunités, la loi sur la parité votée au Sénégal en 2010 n’était pas très utile. Même à l’Assemblée nationale où son application est assez avancée, note-t-on un vrai débat sur les transformations sociales, la modernisation de notre société ?
J’avais dénoncé, en son temps, le vote de la Loi sur la parité. Surtout son caractère politicien, au moment où, à travers des initiatives comme celle des Assises nationales, une bonne frange de la classe politique et la Société civile luttait pour sauver la démocratie sénégalaise et la République. Encore une fois, l’instrumentalisation de la lutte des femmes pour asseoir les bases d’un pouvoir personnel fut réelle. On l’a vue à travers la création du poste de vice-président qu’on avait fait miroiter à beaucoup de personnalités féminines du pays.
Pour des raisons philosophiques et d’opportunités, cette loi n’était pas très utile. Même à l’Assemblée nationale où son application est assez avancée, note-t-on un vrai débat sur les transformations sociales, la modernisation de notre société ? La question de l’accès aux instances de prise de décision a relégué au second plan, ces dernières années, des préoccupations essentielles pour asseoir les bases réelles du pouvoir et de l’autonomisation des femmes. Comme le profil de la famille sénégalaise, les conditions d’accès au pouvoir, la démocratisation véritable des institutions de conquête du pouvoir, l’accès aux ressources, la transparence, le respect de la femme dans notre société (qui est épouse, mère, sœur et citoyenne pleine et entière,...).
Lorsqu’on entend dire des promotrices de la parité qu’elle n’intègre pas la sphère familiale, autant y renoncer. Car à chaque fois que la femme se consolide dans la sphère publique, il y aura des répercussions dans la sphère privée - cela va sans dire ! Toutes ces remarques ne signifient pas une absence d’engagement pour lutter contre la marginalisation de la femme. Au contraire !
Cette affaire autour de la liste de Touba m’inspire deux idées majeures. Premièrement, s’il y a une confrérie au Sénégal qui a bien intégré les valeurs de civilisation négro-africaine, c’est bien la mouridiyya. L’inculturation chez les mourides s’identifie fondamentalement au culte d’une femme, celui de Mame Diarra Bousso. J’ai l’habitude de dire que dans la rue, si vous interrogez n’importe quel Sénégalais sur les noms du père et la mère de Serigne Touba, vous pouvez être sûr, d’avoir comme réponse exacte celle qui porte sur le nom de sa mère, en l’occurrence Mame Diarra Bousso.
Voilà une valeur que les nouvelles générations de Touba devront préserver, puisqu’il s’agit d’un élément très fort de leur identité, en faisant de l’intégration de la femme une pièce maîtresse de leur démarche. La deuxième chose porte sur l’Islam des origines. Je ne pourrai pas, dans cette réflexion limitée, interroger et analyser l’ensemble des scripturaires ; je m’en limiterai à quelques idées.
Ainsi, on note dans le Coran, un esprit humaniste qui privilégie l’être humain (Insân) sans distinction de genre. «Le message spirituel est comme le décrit le Coran dans plusieurs passages, un «Rappel» (dhikr» qui consiste à éveiller chez l’être humain le côté le plus noble de sa conscience afin qu’il demeure dans une continuelle proximité avec le Créateur» (Asma Lamrabet : «Le Coran et les femmes. Une lecture de libération.»
Peut-on exclure la femme dans les sociétés musulmanes, de la gestion de la Cité ? Ma réponse est non ! Prenons la Sourate An Nissa’ 4-1 : «O vous, êtres humains, craignez votre Seigneur, qui vous a créés d’une seule essence (nafsun wâhida) et qui a créé d’elle son conjoint (Zawjaha) et qui de ceux-là, a fait propager beaucoup d’hommes et de femmes.»
Aujourd’hui, l’avancée significative dans la connaissance permet la réinterprétation des notions contenues dans ce verset. La réflexion chez Mouhammed Abdou ou le grand mystique Ibn Arabi (XIe-XIIe siècles), offre une vision centrée sur l’abstraction. Muhammed Abdou, dans ses écrits, soutient que Adam signifie ici «humanité» dans son ensemble, ce qui revient à dire qu’en créant Âdam, Dieu créa donc l’espèce humaine, mâle et femelle à la fois, dans sa forme initiale ; une humanité qui procède d’une seule matière, d’une seule origine !
Selon Riffat Hassan : «Le Coran utilise indifféremment les termes et images au féminin et masculin, afin de décrire la création d’une seule origine et d’une seule substance.» Ce qui correspond à ce dualisme de la création, maintes fois cité dans le Coran : «De toutes choses, Nous avons créé deux éléments d’un couple, afin que vous rappeliez» (Sourate An Ham V 49, 5 Imaran, 3, v 49). Il s’agit là d’une «paire» ou «couple» qui confirme le principe majeur du Coran. Le Créateur est Un alors que toute la création est en «paire». Et qui dit paire dit égalité.
Mieux, dans toutes les Sourates «Ibadat» qui portent sur les croyances profondes, Dieu s’y adresse de façon identique à l’homme et à la femme : les croyants et les croyantes, les musulmans et les musulmanes, les chastes (hommes et femmes). Le Coran parle beaucoup des femmes, de leurs combats, leurs épreuves. A travers les divers personnages féminins décrits dans le Coran, on note une certaine transcendance vers l’humain, on y sublime aussi le côté femme avec ses aptitudes, ses valeurs. Son abnégation, mais aussi ses défaillances et faiblesses sont abordées. Comme tout être humain (Nissà, Maryam, Mu’min, Zuleykha...)
Pour conforter cette place de la femme dans la Révélation, rappelons quelques images de femmes : Sarah et Haggar, les emblèmes du monothéisme, Aish’a l’intellectuelle qui a transmis à la postérité l’essentiel de la Sunna prophétique, Hafsa, la fille de Umar qui a conservé l’unique exemplaire du Coran rassemblé par le Calife Abu Bakr, et qui a ressoudé la Umma’ islamique en exigeant l’enterrement immédiat de Uthman, le 3e calife assassiné par les guerriers Qurra’... et dont la dépouille était complètement oubliée au moment de régler la succession.
En politique (dans le sens d’acter), en dehors du rôle exceptionnel de Khadija, les mubâyi’ât constituèrent les femmes qui tout le long de la révélation ont fait la «Baya» (allégeance) au Prophète et elles sont nombreuses. Le problème de la participation des femmes dans la Cité ne s’est jamais posé dans l’Islam des origines, la référence. Pour conclure, le lieu où les femmes peuvent jouer un rôle de premier plan pour le développement est celui qui est si proche de la sphère familiale, les collectivités locales. A la limite, elles restent le terrain de prédilection pour l’apprentissage de la politique, de la gestion et de l’amélioration du bien-être familial.
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