Le Brics et l’Anc passent à l’ennemi : le capital international
A l’instar de la conférence de Berlin de 1884, le sommet des Brics à Durban était pour diviser le continent avec un objectif commun : l’extraction efficace des ressources par le biais d’infrastructures orientées vers l’exportation pour la continuation de l’exploitation capitaliste qui enrichira une minorité et non les masses.
Dans le compte rendu d’un débat public tenu le 28 février concernant la prochaine conférence des chefs d’Etat de Brésil/Russie/ Inde/ Chine/ Afrique du Sud (Brics) intitulé "Les nouveaux amis de l’Afrique seront-ils tellement différents de l’Occident ?," Peter Fabricius a choisi l’insulte, afin de pas avoir à aborder quelques profonds dilemmes. Pour lui, "Bond exprime régulièrement son communisme à l’ancienne". De même, l’ambassadeur Anil Sooklal "devait, d’un point de vue purement rhétorique, réfuter les attaques de Bond comme étant de la politique estudiantine. Bond a tiré à boulets rouges sur ce que la Gauche considère comme la trahison de l’Anc qui se vend au capital international et au néolibéralisme, etc., et pas seulement aux Brics."
DURBAN OU L’EQUIVALENT DE LA CONFERENCE DE BERLIN EN 1884
Non. Comme beaucoup de Sud-Africains, les idées de la nouvelle Gauche m’attirent, là où le stalinisme et le nationalisme corrompu me dégoûtent. Et bien que l’adoption par l’Anc du néolibéralisme en 1994, plutôt qu‘un programme de reconstruction et de développement, est une trahison historique, je plaide coupable d’avoir eu à tirer à boulets rouges sur l’Anc et les Brics.
Pourquoi ? Parce que maintenant nous devons arrêter de tourner autour du pot si, comme il est certain, le sommet de Durban entrera dans l’Histoire comme une deuxième conférence de Berlin de 1884-1885. Cinq puissances coloniales, reçues par l’Allemagne - la Grande-Bretagne, la France, le Portugal, la Belgique l’Allemagne (plus l’Italie et l’Espagne), avaient alors divisé le continent avec un objectif commun : l’extraction efficace des ressources au travers d’infrastructures orientées vers l’exportation.
LES BANQUES DES BRICS SERONT-ELLES DIFFERENTES DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS ?
Afin de mettre à jour cet objectif, les dirigeants des Brics ont invité 16 chefs d’Etat africains, dont de nombreux tyrans. L’arme de choix sera une nouvelle "Banque des Brics", à propos de laquelle les économistes londoniens et new-yorkais, Nick Stern et Joe Stiglitz, tous deux anciens vice-présidents de la Banque mondiale, ont annoncé qu’elle coûtera, comme capital initial 50 milliards de dollars (qui s’avère être précisément le montant qu’ils ont choisi d’annoncer).
Cette nouvelle banque survient neuf mois après le gaspillage de 78 milliards de dollars par les mêmes cinq pour sauver la mise à la Banque mondiale, de telle façon que non seulement l’Afrique a perdu des votes, mais a aussi mis en péril les perspectives de récupération de l’économie mondiale. Et il y a 11 mois, les deux candidats des Brics à la présidence de la Banque mondiale ont été sèchement battus par le candidat de Washington, grâce au pouvoir électoral injuste des Etats-Unis/Union européenne.
Les Brics aimeraient remplacer la "Banque du Sud"- dont avait rêvé feu Hugo Chavez et qui a été régulièrement sabotée par les bureaucrates conservateurs de Brasilia mais aussi combattue par Pretoria - mais la leur sera-t-elle autre chose que la banque jumelle de Washington ?
Si Sooklal a raison et que Beijing soutient maintenant la candidature de l’Afrique du Sud pour héberger cette nouvelle banque, sans que personne d’autres ne pose sa candidature à ce stade, alors nous devrions nous faire du souci.
LE BILAN DOUTEUX DU MODELE DE LA DBSA
Après tout, notre propre précédent, la Development Bank of Southern Africa (Dbsa) est une institution très malade. Elle a fait la promotion d’idées stupides comme la commercialisation de l’eau et les routes à péage et a fermé les yeux sur la collusion dans l’industrie de construction. Après avoir perdu la somme époustouflante de 370 millions de rands en 2012, son travail a été qualifié de "médiocre" par le nouveau directeur exécutif. La Dbsa a aussi été attaquée en juillet de l’année dernière par la Southern African Development Community, dont le numéro deux a estimé qu’une nouvelle Sadc serait préférable.
Nous avons toutes les raisons de nous faire du souci concernant les influences étrangères douteuses, lorsque l’envoyé international principal de la Dbsa, est Mo Shaik, un ancien espion qui a accusé à tort le procureur général d’être un agent de l’Apartheid, qui n’a aucune expérience dans le domaines de la banque ou du développement, qui était partie prenante à la douteuse transaction Ferrostaal d’armements, qui a révélé des secrets du cabinet de Zuma au département d’Etat américain (selon les câbles secrets publiés par Wikileaks) sur ce qui se passe vraiment à Pretoria.
Egalement perturbante est la question de la réforme du monde de la finance, lorsque le ministre des Finances Pravin Gordhan demande au Fond Monétaire International (FMI) d’être "méchant" à l’égard des Européens à bas revenus, pendant que le vice-gouverneur de la Reserve Bank d’Afrique du Sud, Daniel Mminele, se vantait, en novembre à Pretoria, de se tenir au côté de Washington en faisant opposition à la réglementation globale comme la "Robin Hood Tax" sur les transactions financières.
LA PRATIQUE DU "DEUX POIDS, DEUX MESURES" DES BRICS SUR LA QUESTION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
De plus, comme l’a formulé Mminele, "l’Afrique du Sud est alignée sur les économies avancées sur la question des finances climatiques", c'est-à-dire opposée au paiement "de la dette écologique" à un nombre croissant de pays désespérés qui déjà perdent 400 000 personnes par an, des morts dues au climat. La même alliance Washington/Brics se trouve aussi lors des sommets des Nations Unies sur le climat, qui refuse d’adopter des coupes contraignantes d’émission : une décision qui a couvert de honte le nom de Durban suite à l’échec du COP17 en décembre 2011.
Par conséquent, l’Afrique peut devenir un champs de bataille encore plus violent en raison du conflit entre les compagnies des Brics en quête de pétrole, de gaz, de minerais, que ce soit les Petrobras et Vale brésilien, Anglo ou Bhp Billiton d’Afrique du Sud (toutefois avec leur siège à Londres et à Melbourne) ou le Tata et Arcelor-Mittal indien ou les compagnies, propriété de l’Etat chinois ou les corporations de l’énergie russe.
LE MAL DEVELOPPEMENT MENE PAR LES NOUVEAUX IMPERIALISTES
Il y a quelques années, le ministre de la justice, Jeff Radebe a qualifié ces firmes de "nouveaux impérialistes", "parce que de nombreuses compagnies d’Afrique du Sud, travaillant ailleurs en Afrique, sont perçues comme arrogantes, irrespectueuses, hautaines et négligentes dans leur attitude envers la communauté locale du business, les demandeurs d’emploi et même les gouvernements".
Le mal développement qui en résulte est illustré à South Durban où 250 milliards de rands en subsides couleront bientôt pour des infrastructures étatiques (des éléphants blancs) comme des ports chaotiques et une expansion de l’industrie pétrochimique, malgré la résistance des communautés victimes.
Cette résistance va croître (…). C’est là que les critiques pourront débattre aussi bien des Brics que du néolibéralisme de l’Anc, en dehors des distorsions journalistiques superficielles de Fabricius
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** Patrick Bond est le directeur du Centre for civil society de l’université de KwaZuluNatal, en Afrique du Sud. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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