Le volet agressif du dispositif militaire US d’intervention en Afrique sera basé en Italie
De manière discrète ou plus ou moins ouverte, l'armée américaine tisse sa toile en Afrique. Aujourd’hui elle est à même d’intervenir dans 46 des 54 États africains. Des interventions modulées, usant ou s’appuyant sur des éléments polyvalents, flexibles et rapides. Pour cela elle va disposer d’une base-clé en Italie.
Vicence en Italie sera une étape-clé dans le processus de modernisation stratégique de l’armée US. Dans le but de disposer de troupes de plus en plus polyvalentes, flexibles, rapides et efficaces, le Commandement central de l'armée US a annoncé qu’en mars 2013, une brigade de trois mille hommes sera activée pour opérer en Afrique dans le cadre d'un programme pilote baptisé Regional Alignment Concept.
Ce sera un premier test du nouveau modèle structuré sur des bases rotatoires, ce qui - selon le Pentagone – permettra de disposer à l’avance d’un nombre adéquat de soldats prêts à intervenir pour des "missions de courte durée visant principalement la formation et l'entraînement militaire". La "rotation" de la nouvelle brigade régionale alignée sera dirigée par US Army Africa, la composante terrestre du commandement US pour les opérations en Afrique (AFRICOM), stationnée à Vicence. Comme l’a précisé le porte-parole d’AFRICOM à Stuttgart, au printemps prochain, les militaires de la nouvelle force d’intervention seront engagés dans plusieurs "tours" en Afrique "pour former les troupes locales au soutien." Chaque intervention durera "de quelques semaines à quelques mois" et "comprendra de multiples missions dans divers endroits." Le concept stratégique des regionally aligned forces sera ensuite étendu au Moyen-Orient et au Pacifique.
La 2e brigade d'infanterie de combat, appelé Dagger Brigade ("Brigade poignard") sera la principale unité utilisée pour les missions "pilote" d’US Army Africa. "Les hommes de la brigade 2/1ID Dagger resteront à Fort Riley, Kansas, pour une bonne partie du temps où ils seront assignés à AFRICOM", a déclaré Andrew Dennis, un colonel britannique qui travaille pour l'armée US en tant que chef de division pour la "politique de défense et coopération." "Les équipes qui iront en Afrique pourraient être très petites, à un niveau de compagnies, par exemple. Elles pourraient être impliquées dans des missions de bas niveau ou avec une organisation plus structurée, et participer également à des manœuvres proprement dites. "
La nouvelle vision opérationnelle et stratégique de l'armée US a été commentée par Lesley Anne Warner, analyste des affaires africaines du Center for Strategic Studies à Washington. "Pour la première fois depuis qu’a été mis en place le commandement unifié pour l'Afrique en octobre 2008, des forces de combat seront affectées à AFRICOM par rotation, qui seront transférées à partir de bases sur le continent nord-américain vers des sites choisis en Afrique", écrit Warner. «La mise en œuvre de la Regionally Aligned Brigade indique que les militaires ont reconnu la nécessité de développer un système plus efficace de gestion de la force et d’expérimenter un concept opérationnel plus réduit et plus léger. Ce faisant, ils tenteront de maintenir une présence mondiale pour faire face aux menaces transnationales, en gardant à l'esprit les leçons tirées du travail avec les forces de sécurité locales en Irak et en Afghanistan au cours de la dernière décennie. "
Le concept de la nouvelle brigade régionale permettra également au commandement AFRICOM d'élargir les petites missions en cours, tout d'abord, celles qui sont dirigées par le Commandement des Forces Spéciales - Afrique (SOCAFRICA) et par les Forces de la Marine US - Afrique (MARFORAF). "Un exemple de ces opérations est le déploiement d'une centaine d'hommes des forces spéciales pour la formation et le conseil du groupe d’intervention constitué par quatre pays, l'Ouganda, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Sud-Soudan, qui opère pour capturer le chef de l'Armée de résistance du Seigneur, Joseph Kony ", a ajouté l'analyste au Center for Strategic Studies. "L'autre exemple est la Marine Corps Special Purpose - Air Ground Task Force, la composante spécialisée aérienne et terrestre du corps des Marines, composée d'un peu plus de 200 hommes organisés en petites unités, qui est engagée sur la base de Sigonella, en Italie, dans la conduite d’ opérations de coopération de sécurité et de développement de capacités de riposte pour des crises limitées."
L'activation de la nouvelle brigade US est accompagnée par le renforcement de la capacité d'intervention d'urgence et de projection des unités de l’U.S. Army Africa stationnées à Vicence. Il y a quelques mois, dans la petite ville de Vénétie a été activée une petite unité, le Headquarters and Headquarters Battalion, pour fournir des services de soutien logistique à tous les militaires engagés dans le continent africain. Au cours de la première semaine de juin, à Vicence sur la base aérienne d'Aviano, a été testé pour la première fois l’emploi du Contingency Command Post (Poste de Commandement d’urgence) de la US Army Africa (CCP), le commandement mobile destiné à diriger les futurs instruments de coordination et de communication pour assurer "des réponses flexibles et variées" aux demandes de «déplacement des détachements, d’assistance humanitaire ou d'évacuation des non-combattants." "Les versions du CCP peuvent être configurées aussi bien en équipe de liaison d’une douzaine de personnes qu’en une véritable task force de commandement conjoint en soutien à plus d'une centaine de personnes pour une opération d’US AFRICOM", a déclaré le sergent-major David Brasher, chef du CCP. "L'exercice mené à Vicence et Aviano a certifié la capacité du Contingency Command de l’ U.S. Army Africa à déployer un commandement avancé avec l’équipement appropriés grâce à l'utilisation d'un avion-cargo C-17. Le CCP est prêt à opérer partout où c'est nécessaire, sur tout le continent africain. Il nous faudra ensuite certifier la bonne combinaison aérienne pour embarquer nos approvisionnements en vue de planifier et d'effectuer de nouvelles missions avec la plus grande efficacité. "
Le renforcement opérationnel d’ U.S. Army Africa a été souligné par le général David R. Hogg, chef des forces terrestres stationnées à Vicence jusqu'en août dernier : "Avec toujours plus de soldats, US Army Africa continuera à renforcer ses liens avec l'armée et les gouvernements de la région, enseignant des tactiques de guerre, dispensant de la formation dans le domaine de la logistique et de la santé, et combattant la faim, la maladie et le terrorisme", a dit Hogg. "L'armée US permet actuellement à ses soldats de n’intervenir que dans 46 des 54 États africains en raison des dangers pour leur sécurité. Lors de récentes manœuvres, l'armée US a formé les forces armées ougandaises à ravitailler par voie aérienne les commandos qui dans les forêts donnent la chasse aux rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur, une milice accusée d'avoir commis des atrocités en Afrique centrale. Aujourd'hui, avec l'autorisation du gouvernement de l'Ouganda, une centaine de militaires et civils US, dont deux équipe de combat, contrôle, communication et logistique, fournissent informations, conseils et assistance aux forces armées partenaires qui luttent sur le terrain contre Joseph Kony " .
Grâce à un financement du Département d'Etat, les militaires d’U.S. Army Africa sont également en train d’assurer la formation des troupes des pays africains destinées aux missions controversés de maintien de la paix en Somalie et à la "protection des convois" et à "la prévention de dispositifs explosifs improvisés" dans Corne de l'Afrique. Dans un avenir proche, selon le général Hogg, l'armée US "devra participer à des cours militaires en Afrique, à l'école française de survie dans le désert de Djibouti, et dans la jungle au Ghana et au Gabon."
De Stuttgart les commandants d’AFRICOM précisent cependant ne pas avoir l'intention, à moyen terme, d'établir des "bases permanentes" sur le continent. Aujourd'hui, les USA possèdent en Afrique, un Forward Operating Site «semi-permanent» au Camp Lemonnier (Djibouti), où ont été déployés plus de 2.000 hommes de la Combined Joint Task Force-Horn of Africa (CJTF-HOA). L'infrastructure est utilisée pour les opérations militaires US dans la Corne de l'Afrique, dans le golfe d'Aden et au Yémen et a été louée par le gouvernement local jusqu'en 2015 avec la possibilité d'une prolongation jusqu'en 2020. Une autre base d'opérations avancée d'AFRICOM est l'île d'Ascension, possession britannique dans l'Atlantique Sud. Parmi ses installations et de soutien, le commandement de Stuttgart énumère ensuite les bases aéronavales de Rota (Espagne) et Sigonella (Sicile), Aruba (Antilles néerlandaises), Souda Bay (Grèce) et Ramstein (Allemagne).
Les forces armées US ont également un accès libre à un nombre indéterminé de bases aériennes et de ports en Afrique et ont mis en place une série d'installations prêtes à être utilisées en cas de besoin et habituellement gérées par les armées locales. Appelées par le département de la Défense Cooperative Security Locations (CSL), elles se trouvent en Algérie, au Botswana, au Gabon, au Ghana, au Kenya, au Mali, en Namibie, à Sao Tomé-et-Principe, en Sierra Leone, en Tunisie, en Ouganda et en Zambie. AFRICOM a également des bureaux de représentation et de liaison aux QG de l'Union africaine en Ethiopie, d’ECOWAS au Nigeria, du Kofi Annan International Peacekeeping Training Center au Ghana et de l’International Peace Support Training Center au Kenya.
Selon une étude exhaustive publiée récemment par le Washington Post, l'armée US disposerait en Afrique aussi de quelques bases aériennes pour le décollage d’avions- espions avec ou sans pilote. Le centre qui coordonne le système de renseignement serait au Burkina Faso sous le couvert d'un programme de surveillance secrète au nom de code Creek Sand, une douzaine de militaires et d’agents de sous-traitance US opèreraient de manière stable dans la zone militaire de l’Aéroport International de Ouagadougou. Les avions espions décolleraient aussi du Mali, de Mauritanie, d’Ethiopie, de Djibouti, du Kenya, d'Ouganda et de l'archipel des Seychelles (océan Indien). Une autre base top secrète devrait être bientôt activée aussi au Sud-Soudan.
L'excellence guerrière d’U.S. Army Africa Vicence est confirmée par le profil du nouveau commandant nommé il y a moins d'un mois. C'est le général Patrick J. Donahue, venant du Training and Doctrine Command de Langley-Eustis, en Virginie. L'officier supérieur a dirigé de nombreuses unités d'assaut aéroportées et d'infanterie mécanisée, il a été membre de l'équipe qui a planifié les opérations militaires en Irak et, après avoir quitté Bagdad en mai 2003, il a pris le commandement de la 1ère Brigade de la 82ème Division aéroportée à Kandahar, en Afghanistan, en appui à l'opération Enduring Freedom. Après une nouvelle mission en Irak en 2004, en 2005-2006 général Donahue a servi en tant que commandant de la région orientale de la force multinationale en Afghanistan, dirigeant de sanglantes opérations de "contre-insurrection" dans la province de Khost. Maintenant, pour ce militaire, est arrivé le moment d'intervenir sur le "chaud" continent africain.
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** Antonio Mazzeo est chercheur et journaliste italien travaillant sur les thèmes de la paix, de la militarisation, de l’environnement, des droits humains et de la lutte contre la criminalité mafieuse. Dernier livre paru : « I Padrini del Ponte. Affari di mafia sullo stretto di Messina » (Les parrains du pont: affaires mafieuses sur le détroit de Sicile), Edizioni Alegre, Roma. - Texte traduit par Fausto Giudice
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