Sénégal : Le triomphe du peuple pour une République debout
Le 23 juin, les populations sénégalaises se sont soulevés pour manifester contre le vote, par l’Assemblée nationale, d’une nouvelle modification de la Constitution, destinée à faciliter la réélection de Wade et à baliser le pouvoir pour son fils. La pression populaire a fait reculer ce dernier, son gouvernement et l’Assemblée nationale. Pour Mamadou Diallo, c’est la folle dérive d’un homme que le peuple vient ainsi stopper.
Il n’est point besoin de se livrer à de savantes analyses pour savoir dans quel état de déclin, de faiblesse, d’abaissement et d’humiliation, le président Wade et sa majorité ont enfoncé la République et ses institutions depuis l’alternance politique survenue en 2000 au Sénégal.
En prenant trop de liberté avec la Constitution, Wade a fini par réunir les conditions d’une présidentialisation monarchique. Son hymne africain joué à la place de l’hymne national du Sénégal et la modification des emblèmes du pays (l’étoile à la place du baobab), constituent des actes qui démontrent suffisamment le degré de banalisation des institutions et les atteintes à notre identité historique. La prestation de serment des ministres témoigne à elle seule le fonctionnement des allégeances et sa nomination discrétionnaire de 65 sénateurs sur les100 composant le Sénat accentue la configuration monarchique de son pouvoir.
Et voilà qu’en ces temps troublés où les horizons se dérobent, ce mot d’équilibre que constitue ce que mous appelons la sagesse, devant être signe et sens, le chef de l’Etat nous sort son inacceptable projet de ticket présidentiel. Ce fut la provocation de trop pour que cette journée du 23 juin 2011, une date devenue historique, tout un peuple déterminé et plus combatif que jamais ne descende dans la rue pour cracher son zénith de dédain contre les innombrables détricotages constitutionnels, les tripatouillages électoraux, les laisser-faire, les laisser-passer, l’unilatéralisme, l’autisme, les intimidations, les menaces, les violences, l’intolérance, l’impunité…
Désormais, le peuple sénégalais entend signifier qu’il ne serait plus là pour recevoir l’action, la subir sans en être en tous points, les collaborateurs. Des concitoyens ont été longtemps ravalés à la condition d’instrument, quelle que soit leur valeur et leur compétence. Cette politique cherchait à les traiter comme des choses puisqu’il s’agit de disposer d’eux. On découvre jusque dans des médias d’Etat, attributs du pouvoir, qu’il y a une constante : le président et des variables : nous, pauvre peuple
Le personnage de chef d’Etat et de parti est devenu le seul possesseur de la plénitude de l’action, absorbant toutes les valeurs dans la sienne. Louis XIV a laissé un nom, une trace dans l’Histoire de France. Il a porté à son apogée, la monarchie absolue. Chacun retiendra sa célèbre formule : «L’Etat, c’est moi. »
La folie ne commence-t-elle tant pour les individus que pour les peuples quand ils commencent à s’arroger le privilège dont on ne sait quelle surhumanité ? Quand ils ignorent que toute politique implique quelle idée de l’homme et quelle idée d’une société ? Comment imaginer un seul instant, la modification de toute une série de textes majeurs de notre Loi fondamentale du 07 janvier 2001 dont on est par ailleurs l’inspirateur (articles 6, 26, 27, 28,31, 33, 34, 36, 37, 39,41 et 101), sans passer par la voie référendaire, ni susciter un minimum de débats au niveau national.
Une Constitution n’est pas une balançoire aux mouvements gracieux, permettant de faire ce que l’on veut et quand on le veut, sans tenir compte de la volonté de son peuple ni des recommandations de la CEDEAO. La force essentielle de toute Constitution réside dans sa permanence et quant à la loi, elle ne doit être modifiée que pour une raison juridique ou technique. Mais sûrement pas à des fins politiques. En réalité, l’Exécutif accorde peu de considération aux parlementaires de sa majorité (députés et sénateurs). Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur l’ensemble de ces députés. Certains sont respectables. Ils ont eu le courage de ne pas voter la loi Ezzan, la suppression d’un texte sur le blanchiment ou le ticket présidentiel.
Il faut néanmoins souligner que beaucoup parmi eux sont incapables de faire preuve de détachement, de gagner leurs galons, d’exhiber leurs mâchoires, leurs crocs, de montrer leur goût de la liberté, de l’indépendance et du défi. Ils ont choisi l’alignement, le calcul, la carrière au détriment de l’intérêt national. Leurs artifices, leurs ruses, leurs mollesses et leurs postures ont fini par contribuer à la destruction de la République. Et pour « les assommer », le gouvernement crie haut et fort être sorti de la nasse, cette journée de jeudi, que par le seul salut du corps religieux.
Il est de l’honneur et du devoir de tout député de se mettre en accord avec ses idées et sa conscience. Car la vertu politique doit être une attitude de vie. Et on ne grandit qu’en servant une ambition haute, celle-là même qui doit habiter chacun d’entre nous et nourrir sa légitime fierté d’être citoyen.
La vérité est trop sévère. Le Sénégal est devenu surréaliste, il ressemble trop souvent à un théâtre de boulevard, où la politique ne serait plus qu’une comédie. Voilà des années que ce pouvoir y alterne tous les rôles, même le plus inimaginable avec l’affaire des 25% de suffrages pour être élu président de la République. Le peuple, d’abord amusé, attend désormais qu’il n’en interprète plus qu’un : celui de gouverner avec respect et sérieux.
En définitive, le style de Wade est incompatible avec les institutions et sa méthode de communication davantage horizontale que verticale ne l’aide guère. De peu d’hommes, il est permis de dire qu’ils deviennent une silhouette coulée dans un ton, comme une caricature réussie de ce qu’on leur reprocha d’être et qui finit par faire, surtout l’âge venu et le pouvoir entre les mains sinon leur charme, au moins leur singularité
Le personnage Wade a su prendre toutes les vagues et tous les virages. Tout l’homme est illisible dans ses choix et ses aspirations. Mais il a une obsession : la conservation du pouvoir et la dévolution monarchique. Il refuse de voir que dans un monde concurrentiel, nul ne peut être compétent par onction.
Excès personnels, débauche médiatique. Le style Wade écrase, personnalise, cristallise. Par nature, il n’aura jamais assez la distance et la solennité que revendiquaient de Gaulle.
(…) Est-il capable de changer ? Vraiment. Qui le croit encore ? S’imposer comme l’arbitraire des élégances républicaines ? Rien ne s’arrange avec le temps.
L’hyperactivité se fait brouillonne. Est-ce bien la peine de s’acharner à prendre de la hauteur si c’est pour revenir à sa nature. D’aucuns disent qu’il s’était pourtant appliqué. Afin de se présidentialiser. Il prétendait s’arracher à la mêlée, retrouver l’élan des réformes et fixer enfin le cap sur la demande sociale. Très vite, les moments d’efforts et de contention ascensionnelle sont retombés.
A quoi bon dialoguer avec un pouvoir si arrogant, trompétant, violonant, chantant, flûtant et traitant son opposition de tiède ?
Depuis 2000, il n’y a eu dans ce pays qu’un seul consensus général. Il portait sur la loi créant la Commission électorale nationale autonome (CENA). Le pouvoir libéral décida très vite de le rompre unilatéralement. Le PDS (aujourd’hui Parti-Etat) qui est né, a grandi et prospéré dans les rapports de force, devenu le résultat d’un système cherchant à en perpétuer le modèle, trait par trait, accepte difficilement que la démocratie puisse se nourrir de contradictions
(…) Aujourd’hui, la peur a changé de camp. Des esprits se remémorent que dans l’Histoire de France, à 18 heures,Fouquet était roi, à 2 heures du matin, il n’était plus rien. La réussite de la journée de mobilisation a métamorphosé le Sénégal. Il ne s’agit plus d’avoir des fulgurances. Il faut que Bennoo Siggil Senegaal (coalition de l’opposition) et la société civile s’attèlent à tourner la page de ce pouvoir qui sait maintenant que pour lui chaque espérance devient un purgatoire, chaque tentative une humiliation.
L’Histoire est un cycle et nous sommes parvenus à la fin de ce cycle ouvert par l’alternance. Le moment est venu d’avoir l’élégance de partir juste avant d’être tard. La République debout, vertueuse, démocratique, humaniste est déterminée à être plus haute et plus essentielle que ses fossoyeurs.
* Mamadou Diallo, avocat au Barreau de Paris
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