L’homme politique sénégalais, politicien ou homme d’Etat ?
L’histoire du Sénégal, depuis la période coloniale, a mis en selle des hommes qui ont participé à la construction et à la gestion de l’Etat. Mais selon les perceptions que les uns et les autres ont eu de leur mission, ainsi que les attitudes qui ont été les leur, ils n’ont pas marqué l’histoire de la même manière. Sidy Diop trace ainsi la démarcation entre le pire que peuvent représenter les politiciens et le meilleur que doivent incarner les hommes d’Etat.
L’appellation « homme politique » apparaît comme une expression générique recouvrant plusieurs profils : homme d’Etat, politicien, ou, pour souligner la grande habilité du personnage, on parlera de fin politique et même d’ « animal » politique.
Machiavel, pour sa part, a écrit que l’homme politique doit avoir de la vertu et de la chance. Si la chance peut être définie comme le facteur qui fait que la réussite couronne tout ce que l’on entreprend et qui serait extérieur à la volonté, voire aux attentes de celui qui agit, il faudrait alors la ranger dans le domaine du fortuit. Or, de nos jours et dans nos pays où tout est à faire, l’on ne saurait raisonnablement s’en remettre uniquement à la chance. En démocratie, l’homme politique doit donc, surtout, avoir de la vertu, si celle-ci signifie intégrité morale, sincérité dans les promesses et engagement à travailler pour le bien public.
Mais alors, qu’est-ce qui distinguerait le politicien de l’homme d’Etat ? La réponse à cette interrogation nous mettra, probablement, sur la voie qui conduit à identifier les agents qui évoluent dans le champ politique sénégalais et, chemin faisant, à mesurer l’intérêt que les uns et les autres peuvent présenter pour le futur du pays.
LES DIFFERENCES
L’homme politique est une personne qui, principalement, mène une action intéressant la marche de l’Etat ou de ses démembrements. Elle est membre d’un parti (ou d’un de ces mouvements dits « citoyens » qui investissent de plus en plus le champ politique), dont le rôle est de concourir à l’expression de la volonté des populations. Le politicien est, en particulier, celui qui s’active de manière soutenue, pour atteindre des objectifs partisans. Au sein du parti, il travaille au maintien de celui-ci aux affaires lorsqu’il est au pouvoir et, quand il est dans l’opposition, il s’emploie à le porter à la tête de l’Etat. Dans les deux cas, ce que l’on constate, c’est que, loin d’avoir à cœur la mise en œuvre d’un programme, dont l’objectif principal serait de conduire le pays vers un rapide progrès, il s’intéresse plutôt au contrôle sur les institutions, sur les hommes et sur les ressources, que peut conférer à son parti l’exercice de l’autorité.
Pour le politicien, le pouvoir est recherché pour le pouvoir. Pour arriver à ses fins, il recourt à une panoplie d’outils qui varient selon qu’il s’adresse à l’opinion, ou qu’il est dans une posture de combat contre l’adversaire. Vis-à-vis du public, c'est-à-dire, pour lui, les électeurs actuels ou potentiels, il présente sous le meilleur jour possible, les activités de son parti, ou du gouvernement si ce dernier est entre les mains de sa formation. Cette démarche le conduit souvent à présenter les faits de telle sorte qu’ils apparaissent favorables à son bord politique.
Les exemples sont nombreux : ainsi, lorsque l’opinion est préoccupée par l’état de pauvreté qui sévit dans le pays, il met en avant une augmentation du taux de croissance globale de l’économie et prétend que si la tendance se maintient, la pauvreté disparaitra ; il ne dira jamais quelles catégories de la société sont concernées par ladite croissance, ni comment sont répartis les revenus entre les populations. De même quand une saison pluvieuse aura permis de bonnes récoltes de céréales traditionnelles (mil, maïs), il annoncera avec empressement que l’autosuffisance alimentaire est acquise ; il ne précisera pas que les céréales en question ne se substituent pas au riz dont l’importation continue de plus belle. Egalement, si les travailleurs réclament des augmentations de salaires, la comparaison sera vite agitée avec ce qui a cours dans des Etats voisins, sans qu’il soit indiqué que des écarts importants, peuvent exister quant au coût de la vie, d’un pays à l’autre. Par ailleurs quand un secteur est en difficulté, du fait d’une fiscalité de porte trop élevée, sur les matières premières importées pour son fonctionnement (c’est le cas de l’énergie), la diminution de ces prélèvements à laquelle le gouvernement aura été contraint, sera présentée comme une subvention, un cadeau, qui serait fait au consommateur final.
Pourtant, par un examen rapproché, l’on se rend compte qu’une réduction de certaines dépenses de l’Etat, dont l’utilité est douteuse, aurait pu rendre ces droits d’entrée, en grande partie, sans objet. Autre exemple : pour mettre en exergue les efforts de l’Etat en faveur d’un secteur social comme l’éducation ou la santé, l’on indique avec insistance la proportion du budget national qui y est consacrée, sans préciser s’il s’agit de dépenses de fonctionnement ou d’investissement ; le plus souvent d’ailleurs, les charges en question sont relatives au personnel et la part qu’elles prennent dans le budget, est justifiée par le fait que les effectifs concernés constituent la majorité des agents de la fonction publique.
On le voit, tous les cas décrits ci-dessus, illustrent un recours au procédé qui consiste à ne dire qu’une partie de la vérité et à occulter le reste qui, s’il était connu, aurait pour effet de ruiner l’argumentaire.
En fait, l’objectif visé ici n’est autre que de circonvenir l’opinion, ce qui est rendu d’autant plus facile, que la majorité de la population, en raison de son manque d’instruction, n’a pas la possibilité de connaître tous les paramètres qui sont à l’œuvre dans les différents secteurs.
Cette démarche politicienne n’est donc pas conforme à la vertu, qui commanderait qu’on informe les populations de la réalité et des vrais résultats de l’action qui est conduite en leur nom, sans hésiter à signaler les difficultés qui n’ont pas pu être surmontées, pour leur permettre de vérifier que le mandat qu’elles ont donné a été respecté.
Voilà pourquoi ce type d’homme politique qu’est le politicien, est à l’origine de toutes les dérives constatées dans l’exercice du pouvoir, au sein des démocraties représentatives ; ces élus qui deviennent une coterie et qui, par la manipulation des faits et la dissimulation, cherchent à conserver un pouvoir, devenu pour eux, finalement, un simple outil de domination.
Face à l’adversaire, puisque le pouvoir est conçu comme, non pas le moyen de servir les intérêts de la nation, mais celui de contrôler un pays, le politicien s’engage dans une lutte farouche pour prendre ou garder le dessus. Dans cette confrontation, ce ne sont pas les idées, les programmes qui sont mis en comparaison, voire en opposition, c’est le recours à d’autres instruments qui est privilégié. Dans cette perspective, toutes les entités que la sociologie politique désigne sous le nom de groupes de pression (syndicats de travailleurs, artistes et intellectuels, chefs religieux, organes de presse, organisations sportives, etc.) sont les cibles du politicien, qui cherche à obtenir leur faveur au détriment du camp adverse. Et le plus souvent, il met à la disposition des intéressés (ou promet de le faire), divers avantages (aides à la presse, subsides aux religieux à l’occasion des manifestations confrériques, offre de postes dans certaines institutions, etc.).
Allant plus loin encore, l’on n’hésite pas à chercher à recruter dans les rangs de l’adversaire de nouveaux militants, afin de le destabiliser et de l’affaiblir ; et lorsqu’un succès quelconque est obtenu dans cette entreprise, les médias sont fortement mis à contribution pour donner à l’évènement le plus large écho possible. Jusques et y compris les attaques personnelles, destinées à ternir la réputation de celui d’en face, rien n’est laissé de côté, le but étant de démontrer qu’il est inapte à assumer de hautes responsabilités.
Au contraire du politicien, l’homme d’Etat arbore une tout autre stature. Il est certes membre d’un parti qu’il aura le plus souvent fondé, ou en tout cas dont il est un des principaux leaders. Il peut, d’autre part, être titulaire de hautes fonctions dans l’Etat, s’il n’en est pas le chef. Mais ce par quoi il se distingue, c’est son aptitude à identifier les vrais défis auxquels sa nation est confrontée et sa détermination à les relever, en coopération avec l’ensemble de ses concitoyens. Les défis en question peuvent être de plusieurs ordres : la libération pour une nation opprimée par un pays étranger, la paix dans la dignité pour un pays en conflit armé contre un autre, ou qui est en proie à une guerre civile, le vrai développement économique, l’instauration d’une authentique démocratie, dans un Etat dirigé par un pouvoir personnel, assorti d’une négation de certains droits et libertés, etc.
On remarquera chez cette personne de belles qualités humaines : une forte détermination dans la voie qu’elle aura choisi de suivre, une grande capacité de dépassement de soi, qui la tiendra loin de certains états d’âme : Napoléon Bonaparte a dit : « L’homme d’Etat doit avoir son cœur dans sa tête ». De même, elle n’éprouvera pas la crainte d’être temporairement, impopulaire auprès de certaines catégories de la population, quand elle sera convaincue que l’action engagée sert les intérêts de la grande majorité des citoyens. Il s’agit aussi d’un homme qui a une haute idée de sa nation, pour laquelle il nourrit une ambition de grandeur et de puissance et son patriotisme ne saurait être pris en défaut.
L’homme d’Etat a donc une vision qu’il doit transformer en projet. Il prendra soin de bâtir la stratégie qui lui paraitra la plus adéquate pour arriver à ses fins. Dans ce cadre, il lui faudra certes s’appuyer sur un parti dont le rôle est double : d’abord permettre, par la confrontation des ses idées avec celles des autres membres de l’organisation qui partagent sa vision, et qui, par la réflexion et le débat peuvent enrichir les options et affiner les différentes approches ; ensuite, constituer un relais chargé de diffuser la teneur du projet auprès des populations et susciter, de la part de celles-ci, des réactions ou prises de positions qui fourniront la possibilité d’opérer les ajustements nécessaires.
Mais dans les faits, les situations peuvent se révéler d’une grande diversité et des adaptations s’avèrent sans cesse indispensables. Aussi, l’homme d’Etat est-il souvent seul, ou entouré d’un petit nombre de personnes, pour assumer des décisions qui ne peuvent pas attendre, les circonstances ne lui laissant pas d’autre choix. En outre, parce qu’il aura besoin, comme nous l’avons indiqué, de l’appui d’un parti politique, les risques sont réels d’une divergence de vue avec les politiciens du parti, dont la seule préoccupation est d’acquérir et de conserver la position dominante que confère la détention du pouvoir. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il est souvent arrivé que ces grandes figures aient éprouvé le besoin de s’adresser, directement, à leur peuple pour, non seulement le prendre à témoin, mais surtout contourner l’écran, l’obstacle que peut constituer le parti.
Cette caractérisation étant faite, il conviendrait, à présent, de voir de quelle manière, depuis plusieurs décennies, voire plus loin dans le passé, se définissent les acteurs présents sur la scène politique de notre pays.
REPARTITION DES ACTEURS ENTRE LES DEUX CATEGORIES
Déjà avant la colonisation du pays par les Français, l’histoire a retenu certains monarques qu’elle considère comme de vrais hommes d’Etat, du fait de leur engagement dans les causes qui, à l’époque, inspiraient l’action à la tête des différents royaumes. Il faut rappeler que les enjeux, pour un roi, étaient principalement de conserver l’indépendance de son Etat vis-à-vis des autres, souvent des voisins et le maintien au pouvoir, de sa dynastie.
Quand l’impérialisme européen a ensuite amené les puissances occidentales à s’engager dans l’entreprise coloniale, presque tous les souverains sénégalais ont fait montre de leur grande qualité de résistants et ont farouchement défendu la liberté de leur peuple. Mais l’on ne peut pas dire que pendant cette période, les politiciens aient été absents de la cour des rois. Il est souvent arrivé, en effet, que certains personnages, pour sauvegarder leurs intérêts qu’ils voyaient menacés par la tournure des évènements, aient cherché à pousser le monarque à trouver des arrangements avec l’étranger ; c’est pour cette raison que certains royaumes ont assez vite conclu des traités de protectorat qui ont mis fin à la lutte et qui eurent, pour conséquence, d’installer l’autorité française sur les territoires concernés. Il reste entendu que la main de la puissance étrangère n’était pas absente de ces intrigues, car c’était pour elle, une autre facette de sa stratégie de conquête.
Pendant toute la durée de l’occupation, la principale aspiration des populations était de recouvrer la liberté, l’indépendance. Et c’est en fonction du degré d’implication des différents hommes politiques d’alors, dans la défense de cette cause, que l’on peut ou non leur attribuer la qualité d’homme d’Etat. Néanmoins, l’on est obligé de s’interroger sur la manière dont les leaders sénégalais ont porté ce vœu de liberté.
Que ce soit Blaise Diagne ou Lamine Guèye, on peut observer que leur démarche a surtout visé à obtenir l’amélioration du sort des populations à l’intérieur du système colonial. Ils ont ainsi œuvré pour faire instaurer l’égalité de droits entre les Français de la métropole et, d’abord les ressortissants des quatre communes (Saint Louis, Dakar, Rufisque et Gorée), avec Blaise Diagne en 1917-18, ensuite la totalité des habitants du pays (loi Lamine Guèye du 7 mai 1946). Il s’agissait probablement de conquérir cette première position, qui fut acquise de haute lutte, pour, ensuite, envisager d’autres avancées. Et, comme deux ans après l’adoption de la loi Lamine Guèye, la France, à l’instar de beaucoup d’autres Etats, ratifia la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la voie fut naturellement ouverte à l’élite politique sénégalaise, pour réclamer l’indépendance.
De plus, pendant la deuxième guerre mondiale qui s’est achevée en 1945, la France avait fait la douloureuse expérience de l’occupation de son territoire, plusieurs années durant, par l’armée allemande. En toute logique, il lui était donc devenu malaisé de trouver une légitimité au maintien du régime colonial. L’autonomie interne fut obtenue en 1956. Elle eut pour avantage de révéler au peuple sénégalais, tant à l’assemblée territoriale qu’au gouvernement, la présence en son sein d’éminents cadres (professeurs, médecins, avocats), qui n’avaient rien à envier à leurs homologues français et qui constituaient la meilleure assurance que l’accession du pays à la souveraineté complète, ne pouvait être qu’un succès.
Une fois l’indépendance acquise, le Sénégal eut deux défis à relever : l’édification d’un nouvel Etat pour remplacer la colonie et la construction d’une économie pilotée par la puissance publique. Les deux dirigeants de l’époque, Senghor et Mamadou Dia, étaient parfaitement convaincus que leur mission commune était de tout faire pour atteindre ces deux objectifs. Et l’on peut dire que les équipes qui les entouraient et qui ont constitué les premiers gouvernements du Sénégal indépendant, ont parfaitement partagé avec eux cette détermination, cet engagement, parce qu’ayant tous, conscience qu’ils se trouvaient à un moment décisif de la vie de leur nation.
C’est ainsi que, dès après la mise en place des institutions, une réforme entra en vigueur pour restructurer l’administration territoriale et remplacer les cadres français par des nationaux.
Au plan politique, on assista à la fusion des deux principaux partis que dirigeaient respectivement Lamine Guèye et Senghor, ce qui donna naissance au parti unique : le but visé à travers cette unification semblait être de rassembler les efforts pour construire un Etat fort, exerçant efficacement son autorité sur l’ensemble du territoire et favorisant la consolidation de la nation. L’on peut reconnaître sans difficulté que ce but fut amplement atteint, assez rapidement.
En ce qui concerne l’économie, c’est à Mamadou Dia, Président du Conseil, que revenait le soin de prendre en main sa construction. Il eut en effet une grande vision qui consistait, d’abord, à mettre fin à l’économie de traite qui privait les paysans de l’essentiel du fruit de leur labeur. Pour cela, il fut mis en place un important réseau de coopératives, pour la collecte des récoltes et l’accès au crédit, sans négliger la création de structures d’encadrement et de conseil. Ensuite, pour le financement du développement, les dispositions furent prises pour installer un système bancaire comprenant le Crédit populaire Sénégalais, la Banque Sénégalaise de Développement et l’Union Sénégalaise de Banque. L’Etat était également présent dans d’autres secteurs et branches d’activités (secteur primaire, industrie, etc.)
Cette nouvelle orientation, à la fois nationale et sociale, se heurta très vite à l’opposition des entreprises françaises qui voyaient leurs intérêts directement menacés. Et certains observateurs présentent cette situation, comme ayant été à l’origine du conflit qui occasionna la rupture entre Dia et Senghor, celui-ci ayant été influencé par certains représentants des intérêts étrangers. En tout état de cause, l’on peut dire que Senghor et Dia, chacun dans sa sphère d’activités, ont revêtu les habits d’hommes d’Etat. Le premier pour bâtir l’Etat, le second pour restructurer l’économie.
Cependant, au cours des décennies qui ont suivi, toute cette œuvre a été pervertie par les dérives politiciennes du parti unique : le secteur public qui embrassait une bonne partie de l’économie a fini par sombrer, du fait de l’absence de contrôle et de l’impunité.
Par ailleurs, le parti unique fut maintenu bien plus longtemps que nécessaire, car la consolidation de la nation qui était la principale raison de son instauration, a été assez rapidement obtenue. Voilà pourquoi l’exigence d’une démocratie véritable est vite devenue un nouveau défi pour le pays. Et de fait, de 1970 à 2000 la vie politique a été émaillée par de nombreux conflits entre l’opposition et le pouvoir, principalement suscités par les contentieux post-électoraux et, d’une manière générale, par la question des libertés publiques. Ce défi de la démocratie a d’ailleurs mis, au second plan, la question du développement économique et voilà pourquoi aucune avancée significative n’a été obtenue, pendant cette période, dans l’amélioration des revenus de la majorité de la population
Démocratie et développement sont donc demeurés les enjeux pour toute la nation. Certes, la transparence et la liberté des élections ont quelque peu progressé, l’alternance en 2000 en est une preuve ; mais le nouveau défi concerne le fonctionnement convenable des institutions à travers une vraie séparation des pouvoirs. Ce fut d’ailleurs une des principales revendications de l’opposition avant l’alternance et, curieusement, malgré l’arrivée au pouvoir d’un des principaux partis de ladite opposition, cette revendication n’est toujours pas satisfaite : le président de la République est toujours secrétaire général de son parti et en conséquence, garde la haute main sur le parlement où celui-ci est majoritaire. De même, le Sénat, composé essentiellement de personnes désignées par le président de la République, a été restauré, impliquant que des non élus, qui en fait sont des représentants de l’exécutif, participent, paradoxalement, à l’élaboration et au vote de la loi. Peut-on trouver plus grave violation du principe de la séparation des pouvoirs, qui pourtant figure dans le préambule de la constitution ? Il y est écrit ceci : « Le peuple souverain du Sénégal proclame la séparation et l’équilibre des pouvoirs, conçus et exercés à travers des procédures démocratiques ».
Le développement reste aussi la grande préoccupation du pays et si des infrastructures ont été construites, leur effet sur l’augmentation des productions et donc des revenus du plus grand nombre, n’est pas au rendez-vous. Ceci, parce que simplement, toutes les infrastructures n’ont pas la même signification, quant à leur impact sur la croissance de la production des biens et des services. D’où l’impérieuse nécessité de bien choisir le type d’équipement à édifier, dans un pays habité, pour l’essentiel, par des pauvres. Les difficultés sont croissantes chez l’écrasante majorité des Sénégalais et les investissements publics ne concernent pas l’acquisition d’actifs, pouvant favoriser l’accroissement des productions et des revenus.
Si donc l’on s’en tient au critère retenu, à savoir : capacité et détermination à relever un défi essentiel se présentant à son pays, l’on ne peut être que fort embarrassé, quand on veut identifier des hommes d’Etat sur la scène politique, tant au sein de ceux qui exercent le pouvoir, que parmi les dirigeants de l’opposition. Simplement, parce que d’un côté comme de l’autre, l’on aimerait pouvoir distinguer une figure porteuse d’un dessein national et visant, par-dessus tout, à répondre à la demande pressante de développement et à l’aspiration des Sénégalais à une vraie démocratie.
La grande question qui se pose à notre pays, est en conséquence, de trouver des citoyens, pour qui le devenir de notre nation prime sur l’intérêt de leur parti, ainsi que sur le simple désir d’occuper de hautes fonctions.
En effet, de nouveaux et sérieux efforts doivent être entrepris, pour relever les défis intérieurs, parce que là est le cœur de la mission confiée à ceux qui dirigent le pays. C’est seulement à ce prix que la nation, pour sa part, se rappellera. La mémoire des peuples n’est, en effet, à notre avis, qu’une cristallisation du souvenir autour de ce qui est profondément ressenti comme un grand bien, une action remarquable par ses effets sur le vécu de l’ensemble des populations. C’est la découverte chez les personnes qui mènent les nations, de qualités naturelles, ainsi que le constat d’efforts désintéressés et sincères qu’elles déploient en direction du bien public, qui suscite l’admiration et reste gravée dans les esprits.
Au vu de ce qui précède, doit-on conclure que l’homme d’Etat est finalement une perle rare ? Qu’il ne suffit pas de se proclamer tel pour vraiment l’être ? Qu’il y a surtout, au Sénégal, foison de politiciens qui, par leur démarche toujours intéressée, retardent ou compromettent le développement du pays et son ancrage dans la vraie démocratie ? Nous ne pouvons que répondre « oui » à ces différentes questions, car elles correspondent à des constats irréfutables. Voilà pourquoi le peuple sénégalais ne doit plus délivrer un blanc seing à ses représentants, ni prendre pour argent comptant les engagements des uns ou des autres: il doit, comme nous l’avons déjà proposé, se réserver la possibilité d’intervenir directement, de sa propre initiative, pour édicter les mesures propres à servir ses intérêts vitaux. Ainsi, il ne dépendra plus, en cela, des décisions d’un chef d’Etat ou de parlementaires plus soucieux des préoccupations de leur parti et de leur maintien au pouvoir, que de répondre aux vraies aspirations de ceux qui les ont élus.
* Sidy Diop, leader du mouvement Convergence patriotique- le Sénégal d’abord
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