Côte d’Ivoire : Les forces de Gbagbo accusées de crimes contre l’humanité
Human Rigths Watch a publié un rapport sur la Côte d’Ivoire, détaillant l’horreur de la guerre civile qui embrase ce pays. Des crimes abominables venant surtout des éléments pro-Gbagbo, mais aussi du camp de Ouattara. Et ils se déroulent dans conditions et à une échelle telle que HRW parle de crimes contre l’humanité. Revue de l’horreur.
Il est grand temps pour le Conseil de sécurité de l'ONU d'imposer des sanctions contre Gbagbo et ses alliés directement impliqués dans les graves exactions de la période postélectorale. La communauté internationale devrait également envoyer un message clair au camp Ouattara que les meurtres commis en guise de représailles feront d'eux les prochains sur la liste des sanctions. » Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch
La campagne de violence organisée menée depuis trois mois par les forces de sécurité sous le contrôle de Laurent Gbagbo et les milices qui le soutiennent s'apparente de toute évidence à des crimes contre l'humanité. Une nouvelle enquête de Human Rights Watch à Abidjan indique que les forces pro-Gbagbo prennent de plus en plus pour cible les immigrés des pays voisins d'Afrique de l'Ouest dans leurs attaques incessantes contre les partisans réels ou supposés d'Alassane Ouattara, qui est internationalement reconnu comme le vainqueur de l'élection présidentielle de novembre 2010.
La crise s'est aggravée depuis la fin de février 2011, avec des affrontements entre les forces armées fidèles à Gbagbo et Ouattara dans les régions du centre et de l'ouest du pays, ainsi qu'à Abidjan, la capitale financière. Des combattants armés ont commis des crimes de guerre, notamment des exécutions de détenus ainsi que des assassinats ciblés de civils et la destruction de leurs biens, a déclaré Human Rights Watch. Les meurtres de civils par les forces pro-Ouattara, revêtant parfois une motivation ethnique ou politique, risquent également de s'apparenter à des crimes contre l'humanité s'ils devenaient généralisés ou systématiques. Personne n'a été tenu responsable de ces attaques, qui ont fait des centaines de morts, et aucun des deux camps n'a même publiquement dénoncé les exactions commises par ses propres forces.
« Il est grand temps pour le Conseil de sécurité de l'ONU d'imposer des sanctions contre Gbagbo et ses alliés directement impliqués dans les graves exactions de la période postélectorale », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « La communauté internationale devrait également envoyer un message clair au camp Ouattara que les meurtres commis en guise de représailles feront d'eux les prochains sur la liste des sanctions. »
Avec l'aggravation des violences commises par les deux camps, les casques bleus de l'ONU et la force de maintien de la paix française doivent prendre toutes les mesures nécessaires dans le cadre de leurs mandats pour protéger les civils, a ajouté Human Rights Watch.
Le 10 mars, le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a confirmé les décisions antérieures de l'Union africaine, de la Communauté économique des États d'Afrique occidentale (CEDEAO), de l'ONU et de l'UE reconnaissant Ouattara comme le vainqueur de l'élection présidentielle du 28 novembre et a appelé Gbagbo à se retirer. Les représentants de Gbagbo ont immédiatement rejeté la décision de l'Union africaine, menant ainsi la Côte d'Ivoire au bord de la guerre civile totale - avec des affrontements armés entre les forces des deux camps se produisant déjà quotidiennement.
Au cours d'une récente mission de 10 jours en Côte d'Ivoire consacrée aux violations de droits humains et du droit humanitaire international à Abidjan depuis la mi-février, Human Rights Watch a mené une enquête approfondie, comprenant des entretiens menés auprès de plus de 100 victimes et témoins de graves exactions. Ce travail s'appuie sur les résultats détaillés de travaux similaires réalisés sur le terrain à la mi-janvier.
Des résidents du Mali, du Burkina Faso, du Nigeria et du Niger ont fait des comptes-rendus détaillés d'attaques quotidiennes de la part des forces de sécurité et des milices armées pro-Gbagbo, qui ont battu des ressortissants étrangers à mort avec des briques, des gourdins et des bâtons, ou les ont aspergés d'essence et brûlés vifs. Un homme malien, interrogé par Human Rights Watch a décrit comment lui et six autres Africains de l'ouest ont été contraints à monter dans deux véhicules par des miliciens armés et emmenés dans la cave d'un bâtiment abandonné. D'autres jeunes étaient en attente, et ont ensuite exécuté à bout portant cinq des Africains de l'Ouest capturés. Les maisons, les magasins et les mosquées de centaines d'autres Africains de l'Ouest ont été brûlés, ou ils ont été chassés de leurs quartiers en masse sous la menace de mort aux mains des milices pro-Gbagbo.
L'essentiel de ces attaques s'est produit immédiatement après que le « ministre de la Jeunesse » nommé par Gbagbo, Charles Blé Goudé, a appelé publiquement, le 25 février, les « vrais » Ivoiriens à mettre en place des barrages routiers dans leurs quartiers et à « dénoncer » les étrangers. La situation menace de s'aggraver encore, comme l'a annoncé une lettre du 7 mars, adressée à l'ambassadeur du Burkina Faso par un groupe militant pro-Gbagbo. La lettre menaçait de « rompre le cordon ombilical » avec les ressortissants burkinabés en Côte d'Ivoire s'ils ne quittaient pas le pays avant le 22 mars.
Human Rights Watch a également documenté les disparitions forcées récentes d'au moins sept membres actifs du parti de Ouattara, ainsi que le viol de neuf femmes actives politiquement le 25 février - le lendemain de l'éclatement de combats entre forces armées fidèles à Gbagbo et Ouattara dans la zone d'Abobo à Abidjan. Les forces pro-Gbagbo utilisent une force excessive en réponse à des manifestations pacifiques en grande partie, faisant au moins 25 morts depuis le 21 février - notamment sept femmes tuées le 3 mars, lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu avec une mitrailleuse et une arme plus lourde non identifiée sur des milliers de manifestantes.
Les exactions commises par les forces pro-Gbagbo contre des partisans de Ouattara réels et supposés se sont multipliées depuis la mi-février. Depuis que la campagne de violence a commencé au début de décembre, les témoins et les victimes interrogés par Human Rights Watch ont régulièrement mis en cause les mêmes groupes pro-Gbagbo comme les principaux coupables : la Garde Républicaine et le Centre de Commandement des opérations de Sécurité (CECOS), deux forces de sécurité d'élite sous le contrôle de Gbagbo, ainsi que les Jeunes Patriotes et la FESCI, deux groupes de milices violents liés depuis longtemps à Gbagbo, notamment par Charles Blé Goudé. La chaîne de télévision d'État de Gbagbo, Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), a contribué à encourager les exactions par de fréquentes incitations à la violence contre les casques bleus de l'ONU, les ressortissants ouest africains et les partisans de Ouattara - par exemple l'appel de Blé Goudé du 25 février.
Human Rights Watch estime que Gbagbo et plusieurs de ses proches alliés sont désormais impliqués dans des crimes contre l'humanité tels que définis par le Statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale. Le rôle de Blé Goudé et de la RTI démontre une politique gouvernementale d'encouragement à la violence, d'autant plus soutenue par le refus de Gbagbo et de ses chefs militaires d'arrêter ou de dénoncer les exactions récurrentes commises par les forces de sécurité placées sous leur contrôle. Les assassinats ciblés, les disparitions forcées, les viols à motivation politique, et la persécution des ressortissants ouest-africains sur une période de trois mois démontrent une politique de violence systématique par les forces de sécurité sous le contrôle de Gbagbo et les milices qui lui sont fidèles depuis longtemps.
Avec la mort de près de 400 civils recensés par l'ONU - la grande majorité tuée par les forces pro-Gbagbo dans des circonstances sans rapport avec le conflit armé et sans provocation apparente - les attaques semblent être généralisées. Soit le caractère généralisé des attaques ou soit l'élément systématique est suffisant pour déclencher la qualification de crimes contre l'humanité lorsqu'ils sont combinés avec la nature des crimes documentés par Human Rights Watch et d'autres ainsi que le fait que les crimes semblent être le résultat d'une politique délibérée des autorités, équivalant à une « attaque contre une population civile ».
Du côté de Ouattara, des combattants armés ont commencé une série d'exécutions extrajudiciaires contre les combattants pro-Gbagbo présumés détenus dans le territoire de Ouattara depuis que les Forces Nouvelles (FN) ont pris le contrôle effectif du quartier d'Abobo et du village d'Anyama autour du 26 février. Human Rights Watch a documenté 11 cas similaires auprès de témoins et ainsi que d'auteurs - notamment trois détenus qui ont été brûlés vifs et quatre autres qui ont eu la gorge tranchée, des pratiques assimilables à des crimes de guerre en vertu du droit humanitaire international. Des rapports dignes de foi indiquent que le nombre de morts pourrait être plus élevé.
En outre, une attaque flagrante du 7 mars par des combattants pro-Ouattara contre un village près d'Abobo a fait au moins 9 morts, un cas apparent de punition collective contre des partisans civils réels et supposés de Gbagbo.
« Au cours de la dernière décennie en Côte d'Ivoire, les victimes de graves exactions ont vu les malfaiteurs échapper à la justice à maintes reprises », a déclaré Daniel Bekele. « Le devoir de rendre compte de ses actes ne doit pas être mis sur la touche encore une fois, sous peine de voir se répéter les séries de violence. »
Le 14 mars, la Haut Commissaire de l'ONU pour les Droits de l'Homme, Navanethem Pillay, a fait écho à l'appel de plusieurs États membres du Conseil des droits de l'homme pour établir une Commission d'enquête qui enquêterait sur les violations graves de droits humains et du droit humanitaire international au cours de la période postélectorale. Une telle commission devrait enquêter sur les personnes clés impliquées dans les crimes commis par les deux camps, en contribuant à faire en sorte que les responsables soient tenus de rendre des comptes, a observé Human Rights Watch.
Notamment, la Côte d'Ivoire est soumise à la juridiction de la Cour pénale internationale. Même si elle n'est pas un État partie à la CPI, la Côte d'Ivoire a accepté la compétence de la cour en 2003 à travers ce qu'on appelle une déclaration de l'article 12 (3). Le Bureau du Procureur a indiqué à plusieurs reprises qu'il poursuivra les crimes commis en Côte d'Ivoire si les exigences de la CPI aux fins d'enquête - qui se rapportent à la gravité des crimes et l'insuffisance des procédures nationales - sont réunies. Une enquête pourrait être déclenchée par un renvoi de la situation par le Conseil de sécurité de l'ONU ou de tout État qui est partie à la cour, ou si le procureur décide d'agir de sa propre autorité.
EXACTIONS COMMISES PAR LES FORCES PRO-GBAGBO
Attaques contre des immigrés ouest-africains
Les résidents d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, notamment le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, le Sénégal, le Niger et le Nigeria, sont soumis à un flux régulier et de plus en plus violent d'exactions commis par des miliciens et des membres des forces de sécurité, a constaté Human Rights Watch. Les forces pro-Gbagbo se livrent à ces actes fréquents de violence meurtrière, sans aucune crainte apparente de faire l'objet d'une enquête ou de rendre des comptes.
Human Rights Watch a documenté les cas où au moins 14 ressortissants ouest-africains ont été passés à tabac ou brûlés vifs, ainsi que les pillages généralisés de nombreux magasins et maisons dont ils sont propriétaires, et l'expulsion systématique des Africains de l'ouest de secteurs d'au moins trois quartiers d'Abidjan depuis le 25 février.
De nombreux témoins ont décrit comment les Africains de l'ouest sont la cible d'exactions sur la seule base de leur nationalité par les forces de sécurité pro-Gbagbo et les milices occupant des postes de contrôle ou patrouillant dans les marchés, les quartiers et autres lieux publics. Des témoins ont décrit comment les victimes ont été battues à mort avec des gourdins, des gros morceaux de béton, des couteaux, des haches et des machettes, tandis que d'autres ont été aspergés d'essence et brûlés vifs.
Des témoins ont décrit comment le 25 février et le 1er mars, des Africains de l'ouest ont été tués par des miliciens, après avoir été tirés de taxis. Le 25 février, deux porteurs du marché ont été ligotés, fourrés dans leurs charrettes à bras, et brûlés vifs. Le 3 mars, un homme handicapé du Burkina Faso accusé par des miliciens de cacher des rebelles dans sa maison a été emmené dans un bâtiment abandonné et brûlé vif. Le 28 février et le 1er mars, des attaquants ont amputé les pénis de deux autres hommes, puis les ont tués. La majorité de ces attaques a eu lieu dans les quartiers de Yopougon, de Port Bouët et de Cocody à Abidjan, qui ont tous une forte présence des milices pro-Gbagbo.
Un grand nombre d'immigrés africains de l'ouest interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que la violence a commencé à la fin de décembre après que l'organisme régional de la CEDEAO a reconnu Ouattara comme président et a ouvertement discuté de la possibilité d'une intervention militaire pour retirer Gbagbo de ses fonctions. Toutefois, ils ont dit que les attaques se sont grandement intensifiées après les affrontements du 24 février entre les deux forces armées à Abobo et dans la ville voisine d'Anyama, et une réunion télévisée du 25 février par Blé Goudé. Lors de la réunion, transmise ensuite sur la chaîne de télévision de Gbagbo, RTI, Blé Goudé a déclaré :
« Je vous donne cet ordre, qui doit être appliqué dans tous les quartiers .... Lorsque vous rentrez dans vos quartiers ... vous devez occuper des points de contrôle pour surveiller les allées et venues dans vos quartiers et dénoncer tout étranger qui y entre. »
Le terme « étranger » est systématiquement utilisé par les militants pro-Gbagbo pour désigner les ressortissants ouest-africains et autres groupes ethniques du nord de la Côte d'Ivoire. De nombreuses victimes ont affirmé avoir entendu des miliciens faire référence à « l'ordre » de Blé Goudé tandis qu'ils commettaient des exactions à leur encontre, notamment un commerçant qui, au cours d'une attaque du 1er mars, a entendu les miliciens dire : « Notre général [Blé Goudé] nous a envoyés pour sécuriser ce quartier ce qui signifie que tous les ... Mossi [un groupe ethnique du Burkina Faso], Maliens ... doivent quitter ce lieu. »
Un jeune Malien de 21 ans qui a été détenu avec six autres hommes qu'il pensait être des Africains de l'ouest a décrit comment cinq d'entre eux ont été exécutés à bout portant par des miliciens pro-Gbagbo après avoir été arrêtés le 6 mars dans les rues de Yopougon :
« Ce jour-là je portais des vêtements sales car je travaillais comme porteur. Voilà comment ils savaient que j'étais Malien - nous formons la plus grande partie des porteurs. Alors que je marchais, six gars armés de kalachnikovs sont arrivés derrière moi, et l'un d'eux a enfoncé son arme dans mon dos et m'a poussé vers la route. Ils ont fait la même chose à quelques autres, et bientôt ils avaient sept d'entre nous au total. Nous étions tous ressortissants d'Afrique de l'Ouest. Ils nous ont mis de force dans deux taxis, et quand nous sommes arrivés à une maison inachevée ils nous ont forcés à descendre au sous-sol, où il y avait d'autres gars qui attendaient avec des kalaches. Il y faisait sombre, alors ils ont utilisé leurs téléphones cellulaires en guise de lampes pour nous faire descendre. Il y avait une odeur horrible. »
« Ils nous ont battus avec une barre de fer et une ceinture qui avait une boucle métallique tranchante. Quatre d'entre eux montaient la garde avec leurs fusils pointés sur nous à tout moment. Chacun d'entre eux dans le sous-sol portait une cagoule. Ils ont ensuite attaché des bandanas noirs sur les yeux des deux premiers types, et l'un des Patriotes les a exécutés à bout portant. Un autre gars éclairait la zone pour lui avec un téléphone portable pour s'assurer qu'il ne le rate pas, même si la distance n'était que de deux mètres. Ils ont fait la même chose pour les trois suivants, alors qu'ils suppliaient pour avoir la vie sauve. Cinq ont été exécutés juste à côté de moi, alors qu'ils étaient à genoux. Pendant tout ce temps, ils n'ont pas arrêté de dire que nous étions des rebelles, nous étions des rebelles.
« Quand ils ont essayé de mettre le bandana sur ma tête, je me suis défendu. Chaque fois qu'ils ont essayé, je me débattais. Alors ils m'ont de nouveau battu avec la barre de fer. J'ai continué à refuser de les laisser me mettre le bandana, comme l'a fait le gars à côté de moi, un jeune du Niger. Finalement, je les ai entendu dire qu'ils allaient nous finir ailleurs, et ils nous ont ramenés à l'extérieur. Ils ont mis le gars du Niger de force dans un taxi, mais j'ai vu une autre voiture arriver et j'en ai profité pour m'enfuir. Ils ont tiré deux coups de feu par derrière, mais ne m'ont pas touché. J'ai couru et puis une fois hors de vue, j'ai trouvé un endroit pour me cacher. J'ai fini par rentrer chez moi. »
Plusieurs commerçants maliens et nigérians qui vendaient de l'essence, du bois et des pièces automobiles dans un marché du quartier de Sebroko, une zone dominée par les marchands africains de l'ouest, ont décrit comment le 24 février, des membres de la Garde Républicaine sont arrivés pour disperser une manifestation pacifique à proximité, et ont ensuite ouvert le feu et jeté des grenades dans leurs magasins, provoquant un gigantesque incendie qui en a détruit au moins 35. Un homme malien a raconté avoir entendu un soldat crier : « Dites adieu à vos magasins ! » avant d'ouvrir le feu sur une zone qui vend des articles hautement inflammables. Les témoins ont déclaré que tandis qu'un groupe de Maliens essayait de sauver les articles de leurs magasins en feu, la Garde Républicaine leur a tiré dessus, tuant deux personnes.
Un vieil homme malien qui avait vécu dans le quartier de Yopougon pendant 35 ans a également décrit la façon dont le 10 février, après un crescendo régulier d'insultes et de menaces de miliciens des Jeunes patriotes occupant un point de contrôle près de sa maison, les miliciens ont mis le feu à sa maison, alors que lui, ses trois femmes et 15 enfants dormaient - les forçant à fuir le quartier le lendemain matin. Alors qu'ils fuyaient, a-t-il ajouté, les Jeunes Patriotes lui ont conseillé de ne jamais revenir, faute de quoi ils « le couperaient lui et sa famille en morceaux. »
Plusieurs commerçants maliens et nigérians ont décrit comment les 4 et 8 mars, des bandes d'environ 150 jeunes armés de machettes et de haches ont scandé : « Tuer, brûler, tuer, brûler, vous devez tous partir », alors qu'ils faisaient irruption et pillaient les étalages de nombreux marchands ouest-africains à Yopougon - en menaçant les commerçants de mort s'ils continuaient d'y vendre. Un homme nigérian qui a été blessé par un coup de machette lors de l'attaque a déclaré qu'on lui avait dit : « Si Jonathan [le président nigérian] veut amener l'ECOMOG [la force militaire de la CEDEAO] ici, nous vous tuerons tous ! »
Human Rights Watch a documenté plusieurs attaques contre des Africains de l'ouest par des groupes de miliciens et les forces de sécurité travaillant de concert. Un commerçant nigérian qui a décrit l'attaque du 1er mars par le CECOS, une unité d'élite de police et de gendarmerie, lors de laquelle les assaillants ont fait une référence claire aux commentaires de Blé Goudé, a déclaré que la bande a brûlé vifs deux hommes nigériens, l'un vendeur de bois et l'autre chauffeur de taxi portant un boubou (habit traditionnel musulman). Il a déclaré :
« Après avoir pillé et mis le feu à six étalages, ils sont retournés sur la route où ils sont tombés sur un homme âgé du Niger qui vendait du bois près du marché. Ils l'ont frappé, puis emmené à un poste de police en disant : « Nous avons trouvé un rebelle et un assassin ! » Ils sont sortis quelques minutes plus tard. L'homme criait : « Non, non, je suis un homme Haoussa du Niger... Je ne suis pas un rebelle ! » En quelques minutes, ils lui avaient mis un pneu autour du cou, l'ont aspergé d'essence et lui ont mis le feu. C'est arrivé juste en face du poste de police, mais ils n'ont rien fait. Une demi-heure plus tard, ils ont arrêté un taxi à leur barricade, en ont tiré un homme dont nous avons appris plus tard qu'il était également du Niger, l'ont battu cruellement, lui ont lié les mains et les jambes, puis l'un d'eux lui a sectionné le sexe... Ensuite, ils ont apporté un pneu et de l'essence et l'ont brûlé vif .... Tout s'est passé si vite.»
Human Rights Watch a également documenté des cas de persécution flagrante fondée sur l'appartenance ethnique contre les Ivoiriens originaires du nord de la Côte d'Ivoire, notamment le cas d'un homme qui a été brûlé vif et d'un autre dont la gorge a été tranchée à un poste de contrôle occupé par les milices. Les deux cas se sont produits à Yopougon à la fin de février :
« Nous avons été attaqués par les Patriotes qui nous ont ordonné de quitter Yopougon. Nous avons tous [les Dioulas] et les Africains de l'ouest du quartier - environ 200 d'entre nous - décidé de fuir. Alors que nous prenions la fuite, les Patriotes criaient : « Rentrez chez vous, vous êtes tous des imbéciles. Gbagbo est notre président, quittez cet endroit ou nous allons tous vous tuer. » Nous sommes partis avec ce que nous pouvions mettre dans nos sacs. »
« Depuis l'endroit où nous vivions jusqu'à la sortie de Yopougon, il y avait sept points de contrôle occupés par des Patriotes ; ils étaient armés de machettes et de blocs de bois. À chaque point de contrôle, ils ont exigé de l'argent et nous ont menacés si nous ne pouvions pas payer. Aux environs de 14 heures, nous avons atteint le dernier. Ils ont arrêté un jeune homme Dioula qui avait environ 20 ans, et lui ont demandé sa carte d'identité. Il était terrifié et s'est mis à courir. Les Patriotes l'ont capturé presque immédiatement. Le garçon disait : « Je n'ai rien à voir avec le problème, pardonnez-moi, je vous en prie. »
« Avant de le tuer, les Patriotes ont dit : « Toi, tu es un Dioula, c'est vous qui apportez la guerre en Côte d'Ivoire ». Ils l'ont battu avec du bois et des machettes, puis l'un d'eux a sorti un grand couteau, le genre que vous utilisez pour tuer un mouton, et lui a tranché la gorge. C'était à deux mètres à peine de moi. Il a commencé à trembler alors que la vie s'écoulait hors de lui. Quand j'ai vu le jeune se faire tuer, j'ai pensé qu'ils allaient également tuer mon propre enfant. C'était la seule chose à laquelle je pouvais penser : mon fils, mon fils... La mère du garçon et d'autres membres de sa famille étaient là, dans le groupe avec nous, mais ils ne pouvaient rien dire. Tout ce qu'ils pouvaient faire avec toute cette douleur dans leur cœur était de s'en aller. Lorsque nous avons été à une certaine distance, la mère a commencé à pleurer. »
Violences sexuelles
Human Rights Watch a documenté les viols de neuf femmes perpétrés par des groupes de miliciens et de policiers agissant ensemble ; toutes les victimes étaient des membres actives et publiques du parti politique de Ouattara. Les attaques documentées se sont produites le 25 février dans le quartier d'Abobo, le fief de Ouattara, le jour qui a suivi l'intensification dans cette zone des combats entre forces armées fidèles à Gbagbo et à Ouattara.
Dans deux cas, les femmes ont été violées en présence de membres de leur famille, et le mari et le père des victimes ont ensuite été détenus arbitrairement et sont toujours portés disparus. Les sept autres femmes ont été emmenées de leurs maisons jusqu'à un bâtiment en construction, où elles ont été violées, certaines par un homme et l'une d'elles par quatre. Dans tous les cas, les assaillants ont clairement exprimé le motif politique de l'agression sexuelle. Une femme de 30 ans, l'une des trois qui ont été détenues après avoir été enlevées dans la même maison pour être ensuite violées collectivement par des miliciens et des policiers, a décrit à Human Rights Watch l'attaque du 25 février :
« J'habite avec deux autres femmes. Nous étions bien connues dans notre quartier pour notre travail politique en faveur d'Alassane [Ouattara]. Nous faisons souvent du porte à porte avec des brochures exposant son programme politique, nous portons des tee-shirts arborant ADO [surnom de Ouattara], nous participons à des manifestations et nous allons à des réunions [du parti].
« Le 25 février, en raison des [combats entre forces armées] dans notre quartier, les milices ont mis en place un barrage routier et ont commencé à saccager. Aux environs de 17 heures, un groupe d'une dizaine d'hommes avec des fusils ont frappé à notre porte et fait irruption dans notre maison. Trois d'entre eux portaient des uniformes de la police, et les autres étaient les Jeunes Patriotes - nous en avons reconnu certains. Ils ont dit : « Nous savons qui vous êtes, nous savons tout sur votre travail.... Vous êtes sur notre liste. » Nous avions des photos d'Alassane sur le mur, et un grand nombre des brochures que nous distribuons, qu'ils ont déchirées sous nos yeux.
« Ils nous ont obligées sous la menace des armes à monter dans une camionnette et nous ont emmenées jusqu'à un bâtiment en construction près du marché de nuit. Nous avons toutes été violées. Trois d'entre eux m'ont violée, et l'une de mes sœurs a été violée par quatre d'entre eux. Tandis qu'un finissait, les autres me tenaient par derrière. Puis ils changeaient. Pendant que nous étions là, ils ont amené quatre des Mama Amazones, les femmes plus âgées qui dansent pour [Ouattara] quand il y a des rassemblements. Je pouvais entendre qu'elles étaient interrogées sur leur travail politique. Certaines d'entre elles pleuraient.
« Ils nous ont gardées là jusque vers 10 heures le lendemain matin. Nos vêtements étaient complètement déchirés.... Tandis que nous rentrions chez nous, un voisin nous a donné un tissu pour nous couvrir. Avant de nous laisser partir, ils ont dit : « Si nous entendons dire que vous continuez à faire de la politique, nous savons où vous vivez et nous viendrons vous trouver.... Vous devriez le savoir maintenant, un Dioula ne gouvernera jamais la Côte d'Ivoire. »
Violences politiques commises par les forces pro-Gbagbo
Les violences commises par les forces pro-Gbagbo à l'encontre des partisans réels et supposés de Ouattara se sont poursuivies ces dernières semaines, caractérisées par une violence ciblée et organisée dirigée contre des dirigeants politiques du parti de Ouattara, et par la répression sanglante de manifestations largement pacifiques contre les tentatives de Gbagbo pour se maintenir au pouvoir.
Disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires
Human Rights Watch a recueilli les déclarations de témoins de sept disparitions forcées d'hommes liés au parti politique de Ouattara par des forces fidèles à Gbagbo. Les témoins ont généralement désigné des membres du CECOS, unité d'élite de gendarmerie et de police, ainsi que des éléments des milices pro-Gbagbo. La majorité des cas documentés au cours de nos recherches ont eu lieu à Abobo fin février, immédiatement après la recrudescence des combats entre partisans armés de Gbagbo et de Ouattara.
Une jeune femme a décrit comment son père, un responsable de la section locale du parti de Ouattara, a été arrêté puis emmené par un groupe de policiers et de miliciens. Elle a déclaré avoir été violée au cours de l'incident, qui est survenu le 25 février. Quelques témoins, parmi lesquels une femme de 34 ans dont le mari a été arrêté le 25 février et est toujours porté disparu, ont indiqué que des hommes armés s'étaient présentés chez eux avec une liste comportant les noms des membres de leur famille. Cette femme a expliqué comment ces hommes l'avaient violée au cours de l'incident :
« À 8 h du soir, trois hommes en civil ont frappé à notre porte. Je suis allée ouvrir et j'ai demandé quel était le problème. Ils m'ont donné l'ordre d'aller chercher mon mari, qui dormait dans notre chambre. J'ai essayé de rester calme et je leur ai demandé qui ils étaient et pourquoi ils étaient venus. L'un d'eux a sorti une carte sur laquelle j'ai lu CECOS. Ils ont dit que nous organisions la campagne d'Alassane dans le quartier. C'était vrai - nous sommes très actifs dans le RHDP - mais bien sûr je n'ai pas dit ça.
« Ils ont sorti une liste et ont dit que le nom de mon mari était dessus. Ils avaient déjà franchi la porte à ce moment-là. Je pleurais : « S'il vous plait ne prenez pas mon mari.... Il ne fait pas de politique, ce n'est qu'un simple chauffeur. Ne l'emmenez pas, mes enfants sont encore jeunes. » L'un d'eux a pointé son pistolet sur mon mari et lui a dit de venir. Je sanglotais, et mon mari m'a demandé de me calmer.
« L'un d'eux m'a giflée, m'a arraché mes sous-vêtements et m'a maintenue sur le canapé. Mon mari a crié : « Laissez ma femme. Je vous en supplie, laissez-la. » Ils ont répondu : « Tais-toi, nous pouvons faire tout ce que nous voulons. » Ils ont dit qu'ils allaient tuer tous les Dioulas qui travaillent pour Alassane, que nous étions des rebelles. Quand ils ont eu fini [de me violer], ils ont traîné mon mari dehors et l'ont emmené dans l'un de leurs véhicules (du CECOS). Je l'appelle sur son portable, encore et encore, mais il ne répond pas. »
Un autre dirigeant du RHDP habitant le quartier de Riviera Palmière a été enlevé le 10 février par trois hommes armés en tenue de camouflage verte. Un témoin a entendu l'un des hommes armés qui disait : « C'est toi qui est derrière Alassane, on nous a envoyés te chercher », et il a indiqué que les hommes armés avaient tiré en l'air quand un groupe de personnes s'étaient approchées de la voiture pour tenter de libérer la victime. Le sort de cet homme demeure inconnu.
Les forces de Gbagbo ont également été impliquées dans des exécutions extrajudiciaires associées à des disparitions. Un chauffeur de 25 ans interrogé par Human Rights Watch a été détenu avec deux de ses amis après qu'un groupe de policiers et de miliciens qui fouillaient leur maison à Abobo ont trouvé des tee-shirts du RHDP et une affiche de Ouattara. Cet homme a expliqué comment un de ses amis avait été extrait de la cellule et tué :
« Lorsque les policiers nous ont fouillés dans la cellule, ils ont trouvé une amulette qu'il avait sur son bras. Il leur suffisait de voir ça pour ‘prouver' qu'il était un rebelle. Ils lui ont ordonné de sortir de la cellule et l'ont emmené à l'extérieur. Je l'ai entendu dire : « Non, non, je ne suis pas un rebelle, laissez-moi ! » Puis nous avons entendu deux coups de feu. Quelques jours plus tard j'ai trouvé son corps à la morgue, portant deux blessures par balle.... Nous n'avons pas encore trouvé mon autre ami qui était dans la cellule. »
Utilisation excessive et indiscriminée de la force
Human Rights Watch a documenté les meurtres de 25 protestataires et manifestants commis par des membres des forces de sécurité de Gbagbo depuis le 21 février. Des dizaines d'autres ont été grièvement blessés, du fait de l'utilisation prouvée de tirs à balles réelles, grenades à fragmentation, tirs de lance-roquettes, et d'une arme non identifiée tirée à partir d'un char.
Le 3 mars, au cours d'un incident qui est venu illustrer la brutalité avec laquelle Gbagbo tente de s'accrocher au pouvoir, les forces de sécurité ont tué sept femmes qui manifestaient pacifiquement avec des milliers d'autres femmes dans le quartier d'Abobo. Alors que ces femmes parvenaient au lieu de rassemblement convenu, une camionnette verte équipée d'une mitrailleuse, un camion de transport de la police, un char de l'armée portant un camouflage vert et un char bleu de la gendarmerie sont passés à proximité.
Trois témoins ont indiqué à Human Rights Watch que le char de l'armée avait tiré avec une arme lourde de gros calibre. Presque simultanément, un individu en uniforme vert et portant un casque militaire a ouvert le feu avec une mitrailleuse installée à l'arrière d'une camionnette.
Un médecin qui a soigné plusieurs des femmes qui n'ont pas survécu a affirmé que leurs blessures étaient manifestement causées par des armes lourdes, et non par de simples balles. Le médecin, ainsi que deux témoins présents sur les lieux, ont déclaré à Human Rights Watch que la tête d'une des victimes avait été complètement séparée de son corps. D'autres victimes, dont deux qui n'ont pas survécu à leurs graves blessures, portaient des blessures par balle de mitrailleuse.
Quatre jours plus tard, le 7 mars, quatre autres personnes ont été tuées à Abidjan dans le quartier de Treichville lors d'une manifestation contre les violences du 3 mars, lorsque les troupes de la Garde républicaine et des CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité), une autre unité d'élite des forces de sécurité, ont ouvert le feu sur la foule.
Des recherches menées précédemment par Human Rights Watch ont révélé les meurtres d'au moins sept manifestants dans les quartiers de Koumassi et de Treichville le 21 février, dont six suite à des tirs de grenades au lance-roquettes par le CECOS et les troupes de la Garde républicaine, respectivement. Le 16 décembre, la réponse violente des forces de sécurité de Gbagbo à une manifestation de partisans de Ouattara a fait au moins 30 autres morts, dont beaucoup ont été tués par des grenades à fragmentation lancées sur les foules.
« Tirer sur une foule de manifestantes, entre autres à l'arme lourde, illustre la faillite morale des forces de sécurité de Gbagbo », a déclaré Daniel Bekele.
En outre, Human Rights Watch a documenté cinq victimes tuées par des balles perdues entre le 4 et le 11 mars à Abobo lors de mitraillages aveugles par les forces de sécurité de Gbagbo. Plus d'une dizaine d'habitants d'Abobo ont expliqué comment les véhicules des forces de sécurité avaient traversé à toute vitesse le territoire contrôlé par les Forces Nouvelles plusieurs fois par jour, tirant en tous sens avec des kalachnikovs - parfois en l'air, d'autres fois en direction de personnes dans les rues. Ces agissements terrorisent la population, entraînant aussi un déplacement interne massif des habitants d'Abobo.
Un médecin d'un hôpital à Abobo a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait pratiqué une intervention sur 108 personnes entre le 28 février et le 8 mars à la suite des violences postélectorales, dont toutes sauf quatre impliquaient des blessures par balle ou provoquées par des tirs à l'arme lourde des forces de sécurité de Gbagbo. Le médecin n'a pas été en mesure de préciser le nombre de civils parmi les blessés.
VIOLATIONS COMMISES PAR LES FORCES PRO-OUATTARA
Human Rights Watch a documenté des violations graves des droits humains et du droit humanitaire perpétrées ces dernières semaines par des forces armées combattant pour Ouattara à Abidjan, notamment des meurtres de civils commis en représailles et des exécutions extrajudiciaires contre des détenus appartenant aux forces pro-Gbagbo. Bien que Ouattara et Guillaume Soro, ancien chef des Forces Nouvelles et actuel Premier ministre de Ouattara, aient officiellement nié être liés aux forces combattantes à Abobo, des sources à Abobo et au sein du camp de Ouattara ont reconnu la présence et le rôle forts à Abobo des soldats des Forces Nouvelles sous le contrôle du parti de Ouattara.
Les forces pro-Ouattara exercent désormais une autorité totale sur de larges sections d'Abobo et sur la ville d'Anyama, et sont présentes à des dizaines de postes de contrôle dans cette zone. Ce niveau de contrôle, venant s'ajouter à la déclaration du gouvernement de Ouattara selon laquelle il est le pouvoir d'État légitime, signifie que ces forces - et le gouvernement de Ouattara dans la mesure où il contrôle ces forces - devraient être tenues pour responsables des violations des droits humains et du droit humanitaire dans ces zones. La semaine écoulée donne des indications inquiétantes sur des violations des droits humains et des crimes de guerre qui y sont commises, a déclaré Human Rights Watch.
Meurtres de civils dans le village d'Anonkoua
Aux environs de 2 h du matin le 7 mars, plus de 60 combattants pro-Ouattara ont attaqué le village d'Anonkoua-Kouté, situé tout près de leur fief militaire d'Abobo à Abidjan. Anonkoua est un village habité principalement par des membres de l'ethnie Ébrié, qui soutiennent largement Gbagbo. La veille, il y avait eu des affrontements dans cette zone entre forces armées des deux camps. Des victimes de l'attaque du 7 mars ainsi qu'un combattant appartenant au camp Ouattara ont expliqué à Human Rights Watch que les forces pro-Ouattara pensaient que des armes avaient été laissées dans le village. Toutefois, les assaillants semblent avoir tué des civils au hasard et ont incendié une grande partie du village.
Human Rights Watch a interrogé quatre victimes d'Anonkoua-Kouté et a pu confirmer la mort de neuf civils, dont deux femmes qui ont été brûlées. L'une des victimes a déclaré à Human Rights Watch :
« Je pouvais entendre des tirs nourris de mitrailleuses, et les gens du village ont commencé à crier. Je suis sorti pour voir ce qui se passait, et je suis tombé sur quelqu'un qui m'a attrapé et a demandé un mot de passe. Je ne le connaissais pas, alors il a pointé son fusil à canon scié sur moi à deux mètres de distance et il a tiré. J'ai lancé mon bras vers le fusil juste au moment où il tirait et des chevrotines ont giclé dans mon bras et mon cou. Je suis tombé par terre et je suis resté couché en faisant le mort, en respirant à peine. Je les ai vus massacrer le village tandis que j'étais couché là.
« Les rebelles étaient tout habillés de noir. Certains d'entre eux portaient des cagoules, d'autres avaient des bandanas. Ils tambourinaient sur les portes des maisons et ne cessaient de répéter : « Nous sommes ici pour la guerre, nous ne sommes pas ici pour nous amuser », et ils demandaient où les gens cachaient des armes tout en les frappant et en les tuant. »
‘À une maison proche de la mienne, une femme a refusé d'ouvrir la porte. Ils ont lancé des bouteilles allumées qui avaient été trempées dans de l'essence, et la maison a pris feu. La femme est sortie en courant en hurlant ; elle était en feu. Elle est morte plus tard ce jour-là. Je les ai vus attraper un autre de mes voisins et lui tirer dessus à bout portant. C'était vraiment de la barbarie. »
Un autre témoin a affirmé avoir vu les attaquants égorger son père de 72 ans. Au moins 15 maisons ont été incendiées, et tout le village est désormais abandonné. Il a déclaré que les forces pro-Ouattara contrôlent maintenant la région.
« Commettre des atrocités à l'encontre des civils n'est en aucune manière une façon pour Ouattara de prendre le pouvoir », a insisté Daniel Bekele. « Ouattara devrait immédiatement demander une enquête sur ces actes déplorables de violence et exiger des comptes à ceux qui les ont ordonnées et exécutés. »
Human Rights Watch a exprimé sa profonde préoccupation au sujet du traitement des partisans réels ou supposés de Gbagbo qui demeurent dans les parties d'Abidjan contrôlées par les Forces Nouvelles. Le 8 mars, un membre du groupe ethnique Bété a indiqué que des soldats pro-Ouattara avaient fracassé sa porte et saccagé sa maison à Abobo. Ils ont pointé leurs armes sur lui et dit qu'il était un « Patriote », menaçant de le tuer. Des voisins sont intervenus en sa faveur, ce qui selon la victime lui a sauvé la vie, mais les assaillants lui ont malgré tout volé tous ses biens. La victime est partie immédiatement pour une zone se trouvant sous le contrôle de Gbagbo.
Une victime résidant dans une autre partie d'Abobo a décrit une attaque similaire par des soldats pro-Ouattara survenue le 7 mars à son domicile. La grande majorité des personnes appartenant à des groupes pro-Gbagbo ont quitté les secteurs d'Abobo qui se trouvent sous le contrôle des forces de Ouattara.
Exécutions sommaires de membres des forces de Gbagbo
Human Rights Watch a documenté les exécutions sommaires de 11 membres des forces armées et des milices fidèles à Gbagbo, depuis le 1er mars. Dans sept de ces cas, selon des témoins, des véhicules ou des individus à pied ont été arrêtés à des postes de contrôle des Forces Nouvelles à Abobo et des armes ont été trouvées. Lorsque les combattants pro-Ouattara ont « jugé » que la personne était un combattant pro-Gbagbo, ils ont tué le détenu désarmé.
Un combattant pro-Ouattara à Abobo a mentionné à Human Rights Watch quatre incidents auxquels il avait pris part. Le 2 mars, une ambulance a été stoppée et ses compagnons combattants ont indiqué qu'ils avaient découvert des kalachnikovs lors de la fouille, et son chauffeur a alors été arrêté. Le 5 mars, le combattant pro-Ouattara a expliqué qu'il avait trouvé trois personnes avec des armes qui passaient à pied un poste de contrôle près d'Anonkoua, sous-quartier d'Abobo. Dans les deux cas, le combattant pro-Ouattara a assuré avoir amené les détenus à un officier supérieur, ce qui indique une organisation et une chaîne claire de commandement parmi les combattants. Après avoir été détenue, la personne a été soumise à un « interrogatoire intense », puis « neutralisée », selon le combattant. L'ambulance a aussi été brûlée, selon les dires de plusieurs témoins qui l'ont vue plus tard.
Un témoin de l'exécution de trois autres personnes soupçonnées d'appartenir aux forces fidèles à Gbagbo a expliqué à Human Rights Watch :
« Le lundi 6 mars, je me promenais dans Abobo lorsqu'un 4x4 noir est tombé sur un poste de contrôle. Les membres des Forces Nouvelles qui se trouvaient là ont arrêté la voiture et l'ont fouillée. Ils ont trouvé trois kalachnikovs ainsi que des uniformes des forces de sécurité - je pouvais voir le camouflage, mais je me trouvais à environ 50 mètres, aussi je ne pourrais dire exactement de quel type de forces de sécurité.
« Les gars des FN ont brandi les kalachnikovs, et immédiatement dix autres FN sont tombés sur la voiture. Ils ont saisi les trois personnes qui se trouvaient à l'intérieur et les ont jetées à terre, les frappant avec de longues planches et les armes qu'ils venaient de saisir. Ils ont déchiré leurs vêtements et tandis que certains d'entre eux continuaient à les frapper, d'autres ont attrapé des pneus et les ont entassés sur eux. Les gars des FN ont alors versé de l'essence d'un récipient et ont mis le feu au tout. On pouvait voir bouger les jambes des gars de Gbagbo tandis qu'ils brûlaient, toujours frappés par les soldats des FN. »
Lors d'un autre incident survenu le 7 mars, des forces pro-Ouattara ont détenu quatre chefs présumés des Jeunes Patriotes à Abobo et les ont sommairement exécutés. Des témoignages dignes de foi, dont celui d'un combattant pro-Ouattara et d'une personne habitant près de l'endroit où les détenus ont été tués et qui a pris une vidéo des corps peu après leur exécution, indiquent que deux personnes ont été capturées puis utilisées pour tendre un piège à des chefs plus importants. Les quatre dirigeants Patriotes ont alors été exécutés après avoir été détenus, selon les dires du combattant pro-Ouattara. Human Rights Watch a pu voir les images du corps de « Lamté », un chef des Jeunes Patriotes dans cette zone impliqué dans des meurtres postélectoraux contre des partisans réels et supposés de Ouattara. Il avait eu la gorge complètement tranchée. Dans la vidéo, une autre victime avait été empalée avec un pieu, mais il n'était pas clair que ce soit avant ou après sa mort.
Plus tôt en février, Human Rights Watch a documenté trois meurtres injustifiés à Abobo de personnes soupçonnées d'être des membres des forces de sécurité pro-Gbagbo, dont une identifiée comme le Chef Dago Séri, qui servait dans la Garde républicaine de Gbagbo.
« La torture et l'exécution d'un combattant ennemi capturé constitue un crime de guerre », a rappelé Daniel Bekele. « Les forces qui soutiennent Ouattara doivent cesser immédiatement ces agissements et veiller à ce que toute personne détenue soit traitée avec humanité. »
Les habitants d'Abobo et les enquêtes menées par Human Rights Watch à Abobo ont aussi montré clairement que les forces combattantes fidèles à Ouattara omettent généralement de se distinguer des civils, comme l'exige le droit humanitaire international. En s'habillant en tenue civile normale et en se cachant parmi les civils, ces forces mettent dans un plus grand danger les gens pour lesquels ils prétendent se battre, a souligné Human Rights Watch. Plusieurs habitants d'Abobo ont attribué les mitraillages quotidiens par les forces de sécurité de Gbagbo au moins en partie à leur incapacité à distinguer entre les combattants de Ouattara et la population civile.
Human Rights Watch a appelé Ouattara et Soro à dénoncer ces violations immédiatement et à ouvrir une enquête qui oblige leurs auteurs à rendre des comptes, en particulier pour les meurtres d'Anonkoua. Le fait de ne pas exercer un commandement effectif sur leurs combattants et de ne pas veiller à ce qu'ils respectent les obligations humanitaires et en matière de droits humains menace d'aggraver la crise et encourage de nouvelles exactions. Human Rights Watch a documenté une longue succession de crimes de guerre commis par les Forces Nouvelles pendant le conflit de 2002-2003 et la période qui a suivi, notamment des massacres, des actes de torture et l'utilisation d'enfants soldats.
L'interdiction des crimes de guerre et crimes contre l'humanité fait partie des interdictions les plus fondamentales dans le droit pénal international. Selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, les crimes contre l'humanité peuvent être commis en période de paix ou de conflit armé et consistent en des actes spécifiques commis de façon généralisée ou systématique dans le cadre d'une « attaque contre une population civile », ce qui signifie qu'il existe un certain degré de planification ou de politique de la part des autorités. De tels actes incluent le meurtre, le viol et la persécution d'un groupe pour des motifs d'ordre politique, ethnique ou national.
Les crimes de guerre dans un conflit armé qui n'est pas de nature internationale comprennent le fait de tuer des personnes ne prenant pas de part active aux hostilités, y compris des membres des forces armées qui ont été détenus, et de mener intentionnellement des attaques contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités.
Lorsque des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre sont commis, les personnes ayant une autorité de commandement qui auraient dû avoir connaissance du crime et ne l'ont pas empêché ou n'ont pas mené d'enquêtes ni de poursuites peuvent se voir exiger des comptes.
PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
Au Conseil de Sécurité des Nations Unies :
• En réponse à la persistance de graves violations des droits humains au cours de la période postélectorale, assimilables à des crimes contre l'humanité, mettre en œuvre un gel des avoirs et une interdiction de voyager à l'encontre de Laurent Gbagbo, du Général Bruno Blé Dogbo, commandant de la Garde Républicaine, et du Général Guiai Bi Poin, commandant du CECOS. Pour incitation constante à la violence contre les troupes de l'ONU et les ressortissants étrangers sur RTI, appliquer les mêmes sanctions contre Pierre Brou Amessan, directeur général de RTI. Envisager des sanctions contre d'autres chefs militaires et politiques proches de Gbagbo qui sont impliqués dans de graves violations des droits humains.
• Publier le rapport de 2004 de la Commission d'enquête qui a détaillé les crimes graves commis pendant la guerre civile de 2002-2003 et la période qui a suivi, ce qui contribuerait à rompre un cycle d'impunité long de dix ans qui alimente la crise persistante.
• Afin d'améliorer la capacité de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) à protéger efficacement les civils, assurer le déploiement rapide des renforts déjà autorisés et prévoir des déploiements supplémentaires de troupes bien entraînées et équipées, ainsi que des équipements tels que les hélicoptères, si la situation se détériorait davantage.
• Demander un exposé à la Représentante spéciale sur la violence sexuelle dans les conflits et veiller à ce qu'elle reste saisie de la situation.
À Alassane Ouattara, à Guillaume Soro, et aux commandants des forces fidèles à leur gouvernement :
• Dénoncer publiquement les crimes commis par leurs partisans contre les civils dans le village d'Anonkoua-Koute et indiquer clairement que les auteurs de ces actes seront tenus d'en rendre compte dans le futur.
À Laurent Gbagbo, à Alassane Ouattara, et aux commandants des forces armées des deux camps :
• Donner des ordres afin que toutes les actions militaires soient effectuées conformément aux normes du droit international humanitaire et des droits humains.
• Garantir le traitement humain de tous les détenus et permettre l'accès aux observateurs internationaux et nationaux.
• Mener des enquêtes sur les cas d'exécutions extrajudiciaires et exiger des comptes aux responsables de ces crimes.
• S'assurer que tous les combattants reçoivent une formation en droit international humanitaire, y compris la responsabilité pénale des commandants pour avoir omis d'empêcher ou de poursuivre des crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
À l'UNOCI et à la force française de maintien de la paix Licorne :
• Poursuivre l'augmentation des patrouilles dans les quartiers instables et recourir à une force légitime, si nécessaire, pour protéger les civils «sous la menace imminente de violence physique » dans leurs zones de déploiement, conformément à leurs mandats.
• Accorder une attention particulière aux besoins urgents de protection des ressortissants de la CEDEAO et être prêts à les évacuer si nécessaire.
Au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies :
• Mettre en place une Commission d'enquête pour enquêter sur les violations postélectorales des droits humains et du droit humanitaire. Veiller à ce que son mandat soit suffisamment large pour couvrir à la fois la campagne ciblée de violence menée par les forces de sécurité de Gbagbo, ainsi que les crimes récents et futurs commis par les deux parties au conflit tandis que la violence s'aggrave.
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