Crise malgache de 2009 et intérêts exogènes
Les historiens et les politistes évalueront les deux années de crise que vient de vivre Madagascar d’abord sur des aspects endogènes : une crise cyclique caractérisée par les luttes entre groupes d’influences politiques et économiques farouchement attachés à la conquête du pouvoir et de ses prébendes. Sans compter l'incapacité des gouvernements successifs à définir et bâtir un modèle de développement pérenne susceptible de sortir sa population d’une pauvreté et d’un sous développement endémiques.
Les historiens et les politistes évalueront les deux années de crise que vient de vivre Madagascar d’abord sur des aspects endogènes : une crise cyclique caractérisée par les luttes entre groupes d’influences politiques et économiques farouchement attachés à la conquête du pouvoir et de ses prébendes. Des groupes s’appuyant à tour de rôle, d’une part, sur une frustration et une fracture sociales avérées et, d’autre part, sur l’incapacité des gouvernements et des régimes successifs (mais est ce seulement l’unique problème des gouvernements ?) à bâtir une démocratie effective. Il y a enfin l’inaptitude de ces mêmes gouvernements successifs à définir et bâtir un modèle de développement pérenne susceptible de sortir sa population d’une pauvreté et d’un sous développement endémiques.
L’autre aspect dominant de cette crise aura été l’engagement et l’implication absolus dans la crise d’une Communauté Internationale (1)1 partagée entre, d’une part, un camp strictement accroché à des principes de légitimité sur lesquels s’est fondé un isolement formel du pouvoir putschiste et, d’autre part, un camp tout autant attaché à un appui, de principe ou opportuniste de ce même pouvoir. Au soutien évident que certains ont apporté ou apportent encore à l’ancien dirigeant, Marc Ravalomanana, s’oppose le soutien à peine moins formel que d’autres accordent à la Haute Autorité de la Transition issue d’un coup d’Etat unanimement reconnu.
Cet affrontement n’est pas anodin. Il reflète des conflits d’intérêts exogènes : aux intérêts et à la géopolitique d’un bloc, s’opposent les intérêts et la géopolitique d’un autre bloc. Ces intérêts sont si forts, que les principaux protagonistes du drame malgache, à savoir le président déchu Marc Ravalomanana et le président de la (Haute autorité de transition) HAT, se prévalant de ces appuis respectifs, n’ont pu se départir de postures figées qui rendaient le consensus impossible. Ainsi, si la résolution de la crise devait idéalement être malgacho-¬malgache, elle devrait aussi se réaliser en prenant en compte ces jeux d’influence extérieurs et les enjeux que représente Madagascar aux yeux des différents protagonistes étrangers.
La France est à l’avant scène de cette crise. Sa mise en cause (2) 2 comme instigatrice directe du coup d’Etat, si elle n’est pas avérée (3)3, offrira certainement aux chercheurs et aux politologues matière à une riche thèse. Le soutien de Paris au pouvoir issu de Mars 2009 n’a jamais été officiellement exprimé, mais l’activisme permanent de l’Elysée et du Quai d’Orsay, et leurs interventions ne laissent que peu de doute sur un engagement qui ne cesse d’interpeller l’opinion malgache et internationale.
L’accommodement de la France quant à la situation, qui a irrité le Département d’Etat américain (4) 4, qui dérangeait les chancelleries européennes et à laquelle s’opposait farouchement le bloc africain (5)5, et l’attention portée par l’ensemble de la communauté internationale à cette interminable crise malgache reflètent des enjeux qui, s’ils ont une réalité économique, relèvent aussi de problématiques tout autant géopolitiques que géostratégiques que la grande majorité des Malgaches ne mesure peut être pas pleinement.
Malgré un aveu exprimé du bout des lèvres (6) 6par l’Elysée de l’illégalité de la prise de pouvoir de mars 2009, la poignée de main d’un nouvel ambassadeur à Andry Rajoelina au lendemain de son coup d’Etat, la représentation de la coopération militaire française affichée le 26 juin au grand dam des chancelleries étrangères, les déclarations de Joyandet à l’Assemblée Nationale, ou l’engagement de Kouchner qui soutenait un processus électoral que la communauté internationale réprouvait, les interventions de Bourgi émissaire africain de l’Elysée, l’accueil de Rajoelina avant qu’il ne passe devant la Commission à Bruxelles, les interventions du quai d’Orsay auprès des Africains après le clash de l’Onu, l’activisme diplomatique appliqué à Maputo et Addis, les initiatives qui voulaient promouvoir la relance économique malgache auprès des investisseurs malgré l’illégitimité du pouvoir, etc., sont autant d’éléments d’une longue liste de faits qui ne laisse que peu d’incertitudes quant au souci que la France a de la résolution de la crise malgache. La France n’a peut-être pas été à l’origine de la mise en place du pouvoir instauré par ce coup d’Etat de mars 2009, mais il est peu probable qu’elle ne s’en soit pas réjouie. Et pour servir ses intérêts, elle ne l’a pas rejeté comme elle avait pu le faire en 2002 (7)7 lors de la prise de pouvoir par Marc Ravalomanana dans des circonstances moins ambigües du fait de la réalité de son soutien populaire à l’époque.
La fermeté de Paris face au hold up de Gbagbo en décembre 2010 interpellera aussi le lecteur attentif des événements. Que ne s’est elle exprimée de la même manière face au putsch de Rajoelina ! Deux poids, deux mesures ? Il est vrai que la place de la Côte d’Ivoire comme premier partenaire commercial de la France au sein de la zone Franc et le 4e en Afrique subsaharienne engage des enjeux plus cruciaux (8) 8.
LE LACHAGE DE RAVALOMANANA
L’attachement et l’intérêt de la France pour Madagascar ne se sont jamais démentis. Les relations franco-¬malgaches sont empreintes d’intérêts éminemment stratégico-¬politico¬économiques mais aussi d’une dualité affective ambiguë (9) 9qui voit la France surnommée « reny malala » (la mère chérie) par les Malgaches eux-¬mêmes. Mais, marque de l’importance de la Grande Ile dans le jeu géopolitique et la diplomatie de la Métropole, on a vu se succéder dans la capitale malgache depuis l’indépendance quelques grands noms de la diplomatie africaine de la France : de Maurice Delaunay (1972¬1975) à Gildas Le Lidec (2008), l’ambassade de France à Antananarivo semble être un passage obligé des grandes figures de la diplomatie française. Les effectifs de l’ambassade de France à Antananarivo mettent d’ailleurs, cette délégation à « mission élargie » (10)10 au 8ème rang (11) 11 des représentations françaises dans le monde. Sans qu’il soit nécessaire de retracer l’histoire de leurs relations, depuis la colonisation à l’indépendance, puis de la phase néo¬coloniale qui a suivi jusqu’à la période récente, pour caractériser la force des liens entre Paris et Antananarivo, on se réfèrera simplement au Document Cadre de Partenariat 2006-¬2010. Cet accord cadre re¬formalisait les grandes lignes de la coopération française et caractérisait le souci que la France avait du développement de Madagascar. A travers ce document, la France reconnaissait formellement à l’époque, à l’instar de l’ensemble des institutions internationales, la pertinence et les avancées de l’action du gouvernement Ravalomanana quand elle ne les louait pas… C’était en 2006…
L’année 2007 a vu, en France, une élection présidentielle qui a mis un nouveau pouvoir à Paris. La rupture s’est faite, mais pas nécessairement dans le sens où on aurait pu l’espérer à la lecture des déclarations du président Sarkozy, lors de son élection, qui disait vouloir une autre politique africaine. Une Real Politik empreinte de néo¬libéralisme a depuis repris ses droits sur les discours de grands principes. Ainsi, après avoir vu son prédécesseur Jean¬Marie Bockel, qui énonçait "signer l'acte de décès de la Françafrique", écarté à la demande d’un Bongo irrité, le nouveau secrétaire d'Etat chargé de la Coopération et de la francophonie, Alain Joyandet, déclarait, lui, le 19 juin 2008, « [la France] doit défendre ses parts de marché » et « se repositionner sur le continent africain .»
En se greffant sur cette position officielle, l’exaspération des acteurs économiques de nationalité française installés à Madagascar, qui ne supportaient plus la concurrence déloyale du président entrepreneur, ne pouvait que sceller le sort du dirigeant malgache alors en place. Ces acteurs, ancrés sur « un tout sauf Ravalomanana » dans un rejet du personnage tout aussi absolu que celui de ses opposants politiques, issus en particulier des grandes familles malgaches, ont véritablement diabolisé le chef d’Etat entrepreneur. C’est cette diabolisation, relayée par les réseaux de l’Elysée, qui a probablement donné le « la » de la position d’un gouvernement français, trop facilement convaincu du bien fondé du renversement de l’ancien dirigeant et de la crédibilité de ses auteurs.
Ceci expliquant cela, le contentieux de 2002 entre Ravalomanana et la France, laquelle à l’époque avait traîné des pieds pour reconnaître le nouveau pouvoir, avait par ailleurs laissé s’installer entre ces deux protagonistes des rancoeurs et une effective méfiance mutuelle. S’est enfin rajoutée à cela l’irritation des diplomates du Quai d’Orsay quant à l’expulsion, incompréhensible à leurs yeux, d’un de leurs plus brillants émissaires, l’ambassadeur Gildas le Lidec. Tous ces points de friction ne devaient mener qu’à la rupture du fait des maladresses et exactions de l’un et des analyses approximatives de l’autre. Le président Sarkozy reconnaissait ainsi, du bout des lèvre,s à propos de la prise de pouvoir de Rajoelina : « Il s’agit bien d’un coup d’Etat… Mais, l’ancien président avait quand même des choses à se reprocher ».
La question reste alors : à quoi doit-on donc le lâchage de Ravalomanana par la France ? A quoi doit-¬on l’engagement de Paris dans la crise malgache ? Serait-ce pour satisfaire d’obscurs schémas de géopolitique ou de géostratégie ? Serait-ce au souci de préservation des ressources du futur ? Serait-ce au souci de sauvegarde d’intérêts économiques locaux de certains Français et bi¬nationaux ? Serait-ce à l’activisme d’une certaine « Françafrique » ? Serait-ce aux appétits de lobbys opportunistes sherpas de la HAT ? Ou serait-ce aux exigences d’une guerre économique sur les marchés que se livrent les grandes entreprises dans le jeu de la Mondialisation ? Un peu de tout cela, assurément.
NOTES
1) La notion de C.I, caractérise les participants du Groupe International de Contact (GIC) sur Madagascar, à savoir : l’Union Africaine (UA), la Commission de l’Océan Indien (COI), la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC), les Nations unies (ONU), l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et l’Union Européenne (UE), les membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ainsi que le Japon, membre non permanent du Conseil de sécurité. C’est la seule notion qui devrait prévaloir en termes de reconnaissance internationale. En ne répondant qu’à des enjeux de propagande interne, les tentatives de reconnaissance diplomatique du pouvoir issu du coup d’Etat se sont donc fait à la périphérie de cette C.I : Syrie, Pakistan, ou Turquie ¬même si cette dernière est membre non permanent jusqu’au 31 décembre 2010 du Conseil de sécurité.
2) Cette mise en cause directe par Ravalomanana lui¬-même, dès Mai 2009, depuis l’Afrique du Sud, est largement reprise par la grande majorité des milieux intellectuels malgaches. Le professeur Adolphe Rakotomanga, pour ne citer que lui, s’est vu « inviter » pour un entretien de mise au point par l’Ambassadeur de France Jean Marc Chataignier. L’ambassadeur lui reprochait des propos tenus dans un communiqué du 27 avril 2010 publié dans les Nouvelles, où il incriminait la France : il nous semble très clair à présent ; les autorités françaises veulent à tout prix que la Grande Île reste française et que le futur président (qu’elles essaient de faire élire dans des élections forcées) soit un « ami de la France ». Le même ambassadeur refusait d’admettre en février en entretien privé la montée d’un sentiment francophobe auprès des malgaches.
3) source Wikileaks : (Remi) Marechaux (conseiller de l’Elysée: ndla) denied rumors indicating that France was providing a military plane to the HAT; he said that bilateral relations were in a « gray zone», with the new French Ambassador not yet having presented his credentials. Marechaux said that France was abiding by the EU’s strictures against « no new non¬ humanitarian assistance, » which the EU was enforcing strictly. The GOF is trying its best not to embroil itself in the dispute over control over MADAGASCAR’s embassy in Paris..
4) « Nous savons que d'autres pays évaluent actuellement leurs relations avec Madagascar, au niveau de l'aide qu'ils lui accordent. Nous trouvons que l'assistance militaire est une question particulièrement problématique et nous nous demandons pourquoi quiconque voudrait continuer à fournir une telle assistance à un régime non constitutionnel. » ¬Interview accordé à America.gov par le sous¬-secrétaire d'État adjoint aux affaires africaines, M. Karl Wycoff - ¬15 janvier 2010
5) « Le président (Andry Rajoelina – ndr) de la Haute Autorité de transition (HAT) a été empêché vendredi (25/09/09 – ndr) de s'exprimer au nom de Madagascar devant l'Assemblée générale de l'ONU, à la suite d'une intervention des pays d'Afrique australe. Un représentant de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC ; ¬15 pays) a soulevé une objection à l'intervention de M. Rajoelina, dont la légitimité est contestée par de nombreux pays d'Afrique. La motion a été mise au vote, lequel a été favorable à la position de la SADC ». (AFP) – 25 sept. 2009
6) Côté français, vendredi, peu après que le ministère des Affaires étrangères eut parlé de "changement de pouvoir hors normes", le président Nicolas Sarkozy, à Bruxelles pour un sommet européen, a repris l'expression de "coup d'Etat", en réclamant "des élections le plus rapidement possible", "seule façon de sortir de l'imbroglio" selon lui. ¬LEXPRESS.fr, publié le 20/03/2009
7) Le 6 mai 2002, l'ensemble du corps diplomatique, à l'exception de la France, était présent à Mahamasina pour l'investiture de Marc Ravalomanana. Le 26 juin, la France était absente des cérémonies de la fête nationale, et ne se décide que le 3 juillet à reconnaître le pouvoir en dépêchant sur place Dominique de Villepin. Au regard de cela, quant à la crise de 2009, après 8 mois de vacance de la représentation française due au « renvoi » de l’Ambassadeur Le Lidec en juillet 2008, le nouvel ambassadeur, Jean Marc Chataignier, arrive à Antananarivo le 18 mars 2009, soit le lendemain du coup d’Etat. Il rencontre Andry Rajoelina le 19 mars.
8) Les grands groupes français traditionnellement présents en Afrique sont pour la plupart actifs en Côte d’Ivoire au travers de filiales. On dénombre environ 140 filiales françaises qui emploient près de 40 000 personnes et quelque 500 PME françaises de droit local, soit la plus forte implantation française en Afrique sub¬saharienne. Le chiffre d’affaires des entreprises françaises, filiales, à participation ou de statut local installées dans le pays représente environ 30% du PIB et 50% des recettes fiscales (source mission économique française en Cote d’Ivoire)
9) « Les Malgaches attachent une importance particulière aux points de vue des Français, avec lesquels les relations s’inscrivent très souvent encore dans le registre des affects. Ces rapports sont en effet d’une grande ambiguïté. Quelque part, la France reste la Reny Malala (la Mère chérie) ; c’est en priorité vers elle que l’on se tourne lorsqu’il s’agit de s’adresser à la communauté internationale, sans négliger le fait qu’une forte communauté malgache vit en France. On suppose également que le sort de la grande île continue à la préoccuper. Mais on souhaite par ailleurs rompre complètement avec le passé colonial. » Faranirina V. Rajaonah – Les Imaginaires de l’Etranger dans la crise malgache, ¬mai 2002. Publié dans Politique Africaine
10) Les ambassades du réseau diplomatique français sont définies entre trois formats types : les ambassades de plein exercice à mission élargie (39), celles à mission prioritaire (90) et celles à mission spécifique « de veille » (31).
11) Dans l’ordre : Etats¬-Unis, Royaume uni, Allemagne, Espagne, Italie, Maroc, Sénégal, Madagascar
* Patrick Rakotomalala (alias Lalatiana Pitchboule) - Madagoravox.wordpress.com
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