Les enfants aussi ont des droits

Trafic des enfants, travail des enfants,... les réalités que recouvrent la maltraitance et l’exploitation de cette couche la plus fragile de la population sont multiformes. Malgré les législations nationales, ainsi que les conventions et chartes signées par les Etats, les atteintes aux droits de l’enfant demeurent une réalité aussi criante que cruelle. Pour Fatou Camara, c’est une cause qui mérite un engagement inlassable.

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Quel que soit son âge, son origine sociale, sa couleur de peau, ses croyances, son appartenance religieuse, son état de fortune, son sexe, sa nationalité, … l’être humain a, en vertu de cette seule qualité d’être humain, des droits appelés «droits de la personne humaine» ou «droits de l’homme». Ces droits partagent les caractéristiques suivantes :

- Inaliénabilité : ils ne peuvent être ni vendus, ni donnés, ni échangés,

- Indivisibilité : ils ne sont pas négociables, on ne peut pas respecter ceux qui nous plaisent et rejeter ceux qui nous déplaisent, heurtent notre sensibilité ou nos croyances,

Imprescriptibilité et universalité : ils existent par-delà l’espace et le temps, on ne peut ni les perdre, ni y renoncer en quelque lieu ou à quelque époque que l’on soit, ils sont attachés à la personne comme la peau et les os.

L’enfant est une personne et pour cette seule raison, il a droit à la reconnaissance et à la protection de ses droits d’être humain. Face à un droit humain, l’Etat de droit démocratique a une triple obligation de protection, de promotion et de réalisation. L’Etat du Sénégal a signé, ratifié et intégré au corpus même de sa Constitution la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (Cadbe) dont le préambule déplore la situation suivante : «Notant avec inquiétude que la situation de nombreux enfants africains due aux seuls facteurs socio-économiques, culturels, traditionnels, de catastrophes naturelles, de poids démographiques, de conflits armés, ainsi qu’aux circonstances de développement, d’exploitation, de la faim, de handicaps, reste critique et que l’enfant, en raison de son immaturité physique et mentale, a besoin d’une protection et de soins spéciaux.»

L’article 3 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, intitulé Non-discrimination, apporte la précision suivante : «Tout enfant a le droit de jouir de tous les droits et libertés reconnus et garantis par la présente Charte, sans distinction de race, de groupe ethnique, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’appartenance politique ou autre opinion, d’origine nationale et sociale, de fortune, de naissance ou autre statut, et sans distinction du même ordre pour ses parents ou son tuteur légal.»

En conséquence, les Etats parties à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ont pris l’engagement selon lequel : «Toute coutume, tradition, pratique culturelle ou religieuse incompatible avec les droits, devoirs et obligations énoncés dans la présente Charte doit être découragée dans la mesure de cette incompatibilité» (article 1er §3 Cadbe).

L’article 21 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant intitulé Protection contre les pratiques négatives sociales et culturelles énonce très clairement l’engagement pris par le Sénégal :

«1. Les Etats parties prenantes à la présente Charte prennent toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales qui sont au détriment du bien-être, de la dignité, de la croissance et du développement normal de l’enfant, en particulier : a) les coutumes et pratiques préjudiciables à la santé, voire à la vie de l’enfant».

L’article 29, intitulé, « Vente, traite, enlèvement et mendicité », pose explicitement la règle suivante : «Les Etats parties prenantes à la présente Charte prennent les mesures appropriées pour empêcher : a) l’enlèvement, la vente ou le trafic d’enfants à quelque fin que ce soit ou sous toute forme que ce soit, par toute personne que ce soit, y compris leurs parents ou leur tuteur légal ; b) l’utilisation des enfants dans la mendicité.»

Dans un contexte où l’Islam est parfois invoqué pour légitimer le fait d’apprendre aux enfants à mendier et de les mettre à la rue dans ce but, il est utile de rappeler les dispositions de l’article 19 de la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme de 1981 selon lesquelles : «Tout enfant a le droit d’être entretenu et correctement élevé par ses parents, et il est interdit de faire travailler les jeunes enfants et de leur imposer toute charge qui s’opposerait ou nuirait à leur développement.»

C’est donc conformément à sa Constitution et à ses engagements régionaux et internationaux que l’Etat du Sénégal se doit d’appliquer la disposition suivante de l’article 3 de la loi de 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes (loi N°02/2005, adoptée par l’Assemblée nationale le 29 avril 2005, Jors du 30 mai 2005 p. 225 ; Chapitre I : De la traite des personnes et de l’exploitation de la mendicité d’autrui ; Section II : De l’exploitation de la mendicité d’autrui) :

«Quiconque organise la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit, embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie ou continue à le faire est puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 000 francs à 2 000 000 francs Cfa.

Il ne sera pas sursis à l’exécution de la peine lorsque le délit est commis à l’égard d’un mineur, d’une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge ou de son état de santé ayant entraîné une déficience physique ou psychique, de plusieurs personnes, recours ou d’emploi de contrainte, de violence ou manœuvres dolosives sur la personne se livrant à la mendicité.»

Nota Bene : L’article commence par le terme général et impersonnel «Quiconque», cela sert à mettre en avant le fait que la loi s’applique à tous sans discrimination ni exception aucune, qu’elle tienne au statut social, à l’appartenance ethnique, à la profession, à la confession religieuse, etc. Tous les citoyens sont égaux devant la loi et l’interdiction qu’elle pose.

La multiplication des conventions régionales, continentales et internationales, combinée à la réalité de la globalisation, fait que plus aucun Etat de la planète ne peut se permettre de vivre en autarcie sur quelque plan que ce soit. Un Etat n’est plus libre d’ignorer, sans être inquiété ni rappelé à l’ordre, les droits humains de sa propre population. La société civile, interne et internationale, organisée en associations nationales et transfrontières a arraché de haute lutte des concessions sous forme de traités, chartes et conventions qu’elle n’est pas prête de laisser les Etats ignorer une fois qu’ils les ont signés et ratifiés.

En tant qu’invitée du Département d’Etat américain, dans le cadre du International visitors leadership program, j’ai eu la grande chance de rencontrer, en compagnie de onze autres activistes africaines, le lundi 21 septembre 2009, le juge à la Cour suprême du Nevada, Justice Nancy Saitta. Elle est le troisième juge de sexe féminin à servir à la Cour suprême de l’Etat du Nevada. Elle s’est présentée à nous de la manière suivante (ma traduction) : «J’ai fait carrière en étant une activiste connue pour défendre les droits des enfants. J’ai fait ce choix car les enfants n’ont pas de voix dans le sens où elle n’est pas entendue par ceux qui font/appliquent les lois (…) Les enfants n’ont pas de voix, nous devons donc chacune de nous, partout où nous sommes et à tout instant être leur voix.»

A la question de savoir comment efficacement protéger les droits des enfants, Justice Saitta a donné la réponse suivante : La branche législative et la branche exécutive doivent créer un bureau ou un organe qui ne s’occupe que de l’Enfant. Il ne faut pas prendre une approche conciliante (soft approach) en matière de droits des enfants. Et surtout il faut continuer à éduquer, à former, à infatigablement faire passer son message. Finalement elle nous a renforcées dans notre conviction que nous devons tous et toutes être partout et à tout moment les ambassadeur(e)s courageux (courageuses) et déterminé(e)s de la cause des enfants.

* Fatou Kiné Camara, est Docteure d’Etat en Droit, chargée d’enseignement à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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