Si Nkrumah avait vécu ses cent ans…

Le 21 mars 2009, Kwame Nkrumah aurait eu 100 ans. La mort l’a frappé le 27 avril 1972 à Bucarest (Roumanie), dans la solitude de l’exil. Six ans plus tôt, le 24 février 1966, un coup d’Etat l’avait destitué. Le reste de sa vie, il le vécut en Guinée. Ce centenaire, l’Afrique le vit en étant toujours à la poursuite de ce rêve qui fut au cœur de la réflexion et de l’action politique de Nkrumah. Son idéal de panafricanisme reste un défi, une espérance. Au regard de ce qu’il représentait et voulait réaliser, de ce nouvel ordre qu’il désirait pour l’Afrique, Ama Biney en arrive à tracer des similitudes entre lui et Obama, dans la recherche de la justice pour la genre humain. Elle projette aussi le regard de Nkrumah sur le monde actuel, si ce dernier avait vécu pour atteindre ses cent ans.

En commémorant le 21 septembre 2009 le centenaire de la naissance de Nkrumah, nous nous souvenons d’un titan de la lutte anti-coloniale et de l’Histoire africaine dont tous ceux d’ascendance africaine, jeunes et vieux, devraient être fiers. Pourquoi ? Parce que Nkrumah était de ces Africains qui, pour utiliser les termes du 44e président américain, le premier Afro-Américain à occuper un tel poste, a eu l’audace d’espérer défier les Européens longtemps avant la génération d’Obama. Nkrumah a encouragé les Africains et ceux d’ascendance africaine à avoir l’audace de rêver de liberté politique et de s’organiser en conséquence, à une époque où la vaste majorité des peuples africains, dans le monde entier, était sous la coupe des Européens et où la suprématie blanche était considérée comme étant l’ordre naturel des choses.

Nkrumah a instillé l’espoir dans les Africains. Il a inspiré le rêve aux Africains. Comme le disait succinctement le grand panafricaniste, feu Dr Tajudeen Abdul Raheem, lors d’un débat où il était question de savoir si le panafricanisme était une vision essentielle ou de la fantaisie : « si vous avez un rêve vous devez le maintenir vivant. »

Le monde de Nkrumah était un monde très différent de celui auquel est confronté Obama aujourd’hui. Néanmoins on peut tirer des parallèles entre les talents et l’origine des deux hommes. Alors que Nkrumah provenait d’un petit groupe ethnique, les Nzimah du sud-ouest du Ghana, Obama est née d’une mère du Kansas et d’un père africain appartenant à l’ethnie des Luo au Kenya. Les deux dirigeants ont été capables de faire usage de leur origine pour dépasser les divisions. Obama a su faire appel, au-delà des lignes de fractures raciales des Américains, à une large section de l’électorat : les Blancs, les Latinos, les Afro-Américains et d’autres minorités. De même Nkrumah était une entité inconnue lorsqu’il a quitté le Ghana en 1935 et c’est avec le même statut qu’il y est retourné 21 ans plus tard.

Deuxièmement, les deux hommes sont doués de talents oratoires brillants qui leur ont permis d’entrer en contact avec les gens ordinaires.

Troisièmement, les deux hommes ont compris la nécessité de construire des organisations. C’était le credo de Nkrumah et son application concrète de « l’organisation décide de tout » qui a mené son parti, le Convention People’s Party (CPP), à trois victoires consécutives et a gagné l’indépendance. Il allait à pied de village en village, le long de ce qui était alors la Côte d’Or, apportant son message aux gens ordinaires, aux femmes au marché, à la jeunesse, aux fermiers, aux chefs. C’était leur argent qui finançait le CPP. Nkrumah était un génie de l’organisation, étant capable de prendre l’initiative de créer un journal pour le CPP, le Accra Evening News qui est devenu le porte-parole du parti. De même, Obama a mené une campagne qui a attiré les gens qui ont donné ce qu’ils pouvaient (ainsi que les grandes compagnies, les banques et les riches). Il a voyagé dans tout le pays pour gagner des voix dans les Etats décisifs comme la Floride, l’Ohio et la Pennsylvanie. Lors de sa campagne, il a utilisé Internet pour communiquer avec ses supporters.

Quatrièmement, les deux hommes ont inspiré des individus. Nkrumah a montré qu’il est possible de sortir de prison un jour et d’être Premier ministre le lendemain. Il a aussi convaincu les gens ordinaires de la Côte d’Or qu’un Ghana libre peut être une puissance économique et un paradis dans une situation d’autodétermination. Le credo d’Obama « Yes we can » (Oui ! nous nous pouvons) a conduit les Afro-américains et tous les peuples d’ascendance africaine de croire de nouveau au rêve américain. Comme l’a dit un rappeur congolais à Paris : « Obama nous dit que tout est possible ».

Cinquièmement les deux dirigeants ont été capable d’insuffler l’espoir et la confiance dans les gens ordinaires et en particulier dans la jeunesse. Nkrumah est retourné sur la Côte d’Or en 1947 et a galvanisé les jeunes du pays, les «vérandas boys », en établissant des comités d’organisation de la jeunesse qui s’est plus tard détachée de l’élitiste United Gold Coast Convention (UGCC), et qui est devenue le CPP. Obama a aussi fortement stimulé la jeunesse désabusée américaine : les Noirs, les Blancs, les Latino, les Chinois et les Asiatiques. Beaucoup étaient enthousiastes à l’idée de voter pour la première fois et ont vraiment cru que leur vote ferait la différence.

Enfin, autant Obama que Nkrumah, au moment où ils menaient campagne, ont représenté un changement politique ; Nkrumah représentait la rupture d’avec le règne colonial et Obama représente le changement après huit années au pouvoir d’une administration qui avait fait perdre aux Etats-Unis le respect du monde. Les deux ont promis de résoudre les problèmes les plus pressants. Toutefois, contrairement à Obama, Nkrumah est un visionnaire. Obama ne propose pas une vision radicalement transformée de l’Amérique dans un monde différent, parce que les problèmes de l’Amérique sont enracinés dans son engagement idéologique en faveur de la libre entreprise et des intérêts américains à l’étranger.

Nkrumah était brillant sous plus d’un aspect. Il a été le premier dirigeant de l’Afrique de la période qui a suivi la 2ème guerre mondiale à mener son pays à l’indépendance en mars 1957. Le Ghana est alors devenu un phare qui éclaire le chemin pour que d’autres puissent suivre. Deuxièmement, Nkrumah était le premier dirigeant de l’Afrique moderne à parvenir à la reconnaissance internationale. Troisièmement, Nkrumah n’était pas seulement un nationaliste et un panafricaniste, mais aussi un internationaliste.

Il est plus largement connu comme un panafricaniste, mais Nkrumah était aussi préoccupé par le sort du genre humain dans son ensemble et a pris position en conséquence sur nombre de questions pertinentes de son époque, tel que la Guerre Froide. Ce qui l’a conduit à adopter le « non alignement » et la « neutralité positive ». Il était opposé à la course à l’armement nucléaire et a fortement désapprouvé Charles de Gaulle et ses essais nucléaires dans le Sahara au début des années 1960, parlant « d’impérialisme nucléaire ». Il était en faveur d’une fin aux conflits du Moyen Orient ; il était en faveur d’une paix mondiale et voulait apporter son concours à la paix au Vietnam et à la guerre américaine. En conséquence de quoi, il a accepté une invitation de Ho Chi Minh espérant faciliter la paix. C’était alors qu’il était en train d’effectuer cette mission qu’a eu lieu le coup d’Etat qui l’a destitué le 24 février 1966.

Nkrumah était déterminé à éviter à l’Afrique le sort d’équarisseur des forêts et de réservoir d’eau des riches pays industrialisés. En cette année du centenaire de la naissance de Nkrumah, je me suis souvent demandée ce qu’il penserait de notre monde globalisé d’aujourd’hui et plus particulièrement des graves problèmes actuels. S’il avait vécu jusqu’à cent ans, il aurait déploré amèrement les développements régressifs qui ont pris place au cours des cinquante dernières années en Afrique. Pour n’en mentionner que quelques uns, nous avons vu des Africains exercer une brutalité sévère à l’encontre d’autres Africains, aidés en cela par la fourniture en petites armes par des compagnies européennes qui ont prolongés guerres et conflits en Sierra Leone, au Libéria, en Côte d’Ivoire, au Burundi, en Ouganda, en Somalie, au Soudan, au Rwanda en République Démocratique du Congo. Beaucoup de ces conflits ont impliqué des enfants soldats et des viols collectifs des femmes.

En matière de commerce, beaucoup de pays africains ont vu les conditions se dégrader en ce qui concerne les minerais et les produits agricoles. De surcroît, l’impact funeste de la Guerre Froide a démontré la nature antagoniste de l’impérialisme en Angola, avec un gouvernement angolais marxiste protégé par des soldats cubains et soviétiques, cependant que son pétrole était extrait par des compagnies américaines qui soutenaient l’UNITA. L’héritage tragique de cette guerre sont les mines antipersonnelles et les nombreux amputés. Néanmoins, la faute à l’appauvrissement continu de l’Afrique incombe au néo-colonialisme comme l’avait analysé Nkrumah.

C’est un système dans lequel une partie des dirigeants africains corrompus sont en collusion avec des gouvernements et des multinationales occidentales qui saignent à blanc les pays africains de leurs ressources, à des fins économiques et politiques propre aux intérêts de leur classe. C’est un système dans lequel des gouvernements anti peuples ont pillé leur nation, où, comme le formulait Winnie Mandela, « l’élite des oppressés et l’élite des oppresseurs s’unissent contre le peuple ». Pourtant le continent africain est l’un des plus riches de la planète et sa richesse continue de développer d’autres nations au détriment de son propre peuple.

Nkrumah n’a pas formulé ce constat avant la fin des années1960 dans son livre « Class struggle in Africa » (La lutte des classes en Afrique), publié en 1970. Là, il a clairement identifié les ennemis de classe internes à l’Afrique comme étant un obstacle à l’unité et au développement des ressources africaines, en faveur de la majorité plutôt qu’au profit d’une minorité. Nkrumah était un prophète politique qui a mis en garde, dés la Conférence des pays africains indépendants en avril 1958, contre la menace d’une nouvelle forme de colonialisme, c'est-à-dire le néocolonialisme qui s’abattrait sur l’Afrique malgré l’indépendance.

Au jour d’aujourd’hui, il semble qu’il ne soit plus acceptable, dans les cercles académiques occidentaux, de parler d’impérialisme ou de néo-colonialisme, ces termes étant jugés obsolètes et sans pertinence dans le discours concernant l’Afrique. De même, certains Africains sont mal à l’aise avec cette terminologie, ne pouvant pas ouvertement mordre la main qui les nourrit. Fondamentalement, le néo-colonialisme et l’impérialisme sont des réalités actuelles du continent africain, qui se manifestent sous une forme raffinée et hautement exploitante et auxquels Nkrumah s’est opposé avec véhémence.

Son livre « Neo colonialism- the last stage of imperialism » (le néo-colonialisme-dernière étape de l’impérialisme), publié en 1965, a conduit à une rupture diplomatique avec les Etats-Unis qui a rappelé son ambassadeur. Dans son introduction, Nkrumah écrit : « L’essence du néo-colonialisme est que l’Etat qui en est l’objet est, en théorie, indépendant et a tous les signes extérieurs d’une souveraineté internationale. En réalité, son système économique et donc sa politique est dirigée de l’extérieur… Mais le plus souvent, les néo-colonialistes exercent leur contrôle au travers de l’économie et de moyens monétaires. L’Etat néo-colonial peut être contraint de prendre les produits manufacturés de la puissance impérialiste à l’exclusion de produit compétitifs d’autres provenances » (1). Ces propos sont aussi valables aujourd’hui qu’en 1965, parce que le néo-colonialisme continue d’être une menace sérieuse pour le futur de l’unité africaine.

Le livre continue de revêtir une grande importance et pertinence, en dénonçant les mécanismes hégémoniques utilisés par l’Occident pour piéger les pays africains sur le plan économique malgré l’indépendance. La prescience de Nkrumah était remarquable dans la mesure où il semblait mettre en garde contre les programmes d’ajustements structurels et l’entière construction de l’aide internationale qui a suivi « Live Aid ». L’aide, en terme de prêts à long terme de gouvernement à gouvernement, aux pays africains par des pays occidentaux, est devenue une industrie qui pourvoit des Européens en carrière. C’est une perpétuation de l’asservissement des économies africaines ; elle ne représente en aucun cas le moteur de la croissance économique de l’Afrique pas plus qu’elle ne favorise son indépendance.

Les pays occidentaux n’ont aucun intérêt à éradiquer le sous-développement de l’Afrique parce que, selon la formule de Walter Rodney, le développement continu de l’Europe repose sur la continuation du sous-développement africain. En conséquence de quoi, les fermiers qui cultivent la cacao, le café, le coton vont continuer de perdre au profit des fermiers américains et européens qui reçoivent des subsides de leurs gouvernements. Lesquels mettent en place des mesures protectionnistes tout en niant à l’Afrique des opportunités réelles de manufacturer des produits à partir de ses matières premières. La tendance actuelle du néo-colonialisme en Afrique consiste à accaparer des terres par les pays développés qui souhaitent garantir leur sécurité alimentaire, malgré le système brutal de capitalisme qui est maintenant dans une crise fondamentale.

Déjà en 1945, alors qu’il écrivait son petit livre « Towards colonial freedom » (Vers une libérations des colonies ) et que la 2ème guerre mondiale arrivait à son terme, Nkrumah soutenait que les économies coloniales consistent principalement à exploiter le sujet colonial et que la solution se trouve dans l’organisation des masses colonisées dans le but de se défaire du colonialisme. Aujourd’hui, nous assistons à l’implosion des marchés occidentaux et à un transfert de la richesse à un rythme effréné du domaine public, c'est-à-dire l’argent du contribuable, vers les banques afin de sauver celles-ci. Le tout au détriment des gens ordinaires.

Selon la formule du président brésilien, « ce sont des banquiers blancs aux yeux bleus qui ont mis l’économie mondiale à genoux ». Alors que la crise économique actuelle discrédite le capitalisme, il est légitime de se demander quel serait le système économique souhaitable qui fournisse un profit maximum à une majorité. Ce n’est pas le capitalisme néo-libéral, mais un système qui véritablement redistribue la richesse dans l’intérêt de la majorité.

Si Nkrumah avait vécu pour atteindre ses cent ans, il aurait considéré que les racines de la guerre globale contre le terrorisme résultent de la partialité de la position américaine dans le conflit israélo-arabe ; des décennies de silence américain face à Israël qui ignore les nombreuses Résolutions des Nations Unies ; de l’annonce récente du président Netanyahu de construire d’avantage de maisons pour les juifs dans les territoires occupés de la Cisjordanie et de la duplicité des Américains pour contrôler le pétrole de l’Irak. C’est l’injustice perçue des Etats-Unis qui continue de soutenir Israël dans son occupation illégitime et l’oppression de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, ainsi que sa présence militaire en Arabie Saoudite, en Irak et en Afghanistan qui stimulent les vocations à servir Al Qaeda et les Talibans.

De même, Nkrumah n’aurait-il pas pris parti pour le journaliste de 30 ans, Muntazer al Zaidi, qui a jeté une chaussure à la face du président Bush Junior en décembre 2008 ? Le journaliste irakien a exprimé sa grande indignation politique lors d’une conférence de presse conjointe entre le président Bush et le Premier ministre irakien, Nuri Al Maliki. Bien que la chaussure ait manqué sa cible de peu, Al Zaidi a passé 9 mois en prison pour avoir agressé un chef d‘Etat étranger. Il vient d’être libéré. Pour l’Irakien de la rue, Zaidi n’est pas un criminel mais un héros qui a défié l’hégémonie néo-coloniale instaurée par l’invasion américaine en mars 2003.

Si Nkrumah avait vécu jusqu’à cent ans, qu’est-ce qu’il aurait dit de l’AFRICOM établie par Georges Bush et héritée par Obama ? Que l’Histoire se souvienne que le concept et la vision d’un haut commandement africain étaient celle de Nkrumah. Au cours de la crise au Congo, en août 1960, Nkrumah et Lumumba ont signé un accord secret par lequel ils s’engageaient à collaborer à l’établissement d’une union des Etats africains et un haut commandement conjoint. Suite à quoi, Nkrumah a écrit à nombre des chefs d’Etat d’alors, y compris le président Gamal Abdel Nasser d’Egypte, l’empereur Haile Selassie, le président Sékou Touré et d’autres, leur proposant la formation d’un haut commandement conjoint (2). Son but initial était de faire déguerpir rapidement les troupes étrangères du Congo. Il aurait été constitué des chefs d’état-major des Etats africains indépendants. Des réunions régulières auraient dû avoir lieu, qui permettraient de passer en revue la défense commune en cas d’agression sur l’une ou l’autre partie de l’Afrique.

Mais l’appel de Nkrumah pour un haut commandement au cours de la tragique crise du Congo est resté sans effet, malgré le fait qu’il était soutenu par les radicaux des pays du Groupe de Casablanca, y compris le Ghana. Malgré tout, Nkrumah a continué à se faire le champion de ce projet avec plus de ferveur, une fois qu’il a eu surmonté sa désolation à la nouvelle de l’assassinat de Lumumba en janvier 1961, son allié idéologique. Dans son livre « Challenge of the Congo » (les défis du Congo), publié en 1967, Nkrumah est devenu plus absolu dans son exigence pour un haut commandement africain. Il s’agit d’un ouvrage où il met en garde contre l’absence d’unité et de forces militaires combinées pour une défense commune, prédisant qu’à défaut les pays seront tentés de conclure des pactes de défense avec les anciennes puissances coloniales, ce qui les mettrait tous en péril face au néo-colonialisme.

Nkrumah a souligné le gaspillage financier des armées nationales, qui drainent des ressources dont on a grand besoin ailleurs, alors qu’on pourrait partager une force de défense. Enfin, et c’est peut-être le plus important, un haut commandement africain a nécessairement pour corollaire une politique économique commune qui coordonnerait toutes les ressources économiques et humaines dans le cadre d’un gouvernement d’union continentale pour l’Afrique et qui bénéficierait à tous les peuples africains. Le panafricanisme était pour Nkrumah, et demeure aujourd’hui encore, la solution pour combattre le néo-colonialisme et l’impérialisme.

En février 2007, 47 ans après la proposition de Nkrumah pour un haut commandement africain, Georges Bush, président des Etats-Unis, annonce l’établissement d’un commandement pour l’Afrique connu sous le sigle de AFRICOM. Malgré la rhétorique officielle américaine qui annonce que l’AFRICOM est une nouvelle organisation hybride, dans la mesure où elle rassemble civils et militaires, incluant le Département américain de la défense, le Département d’Etat et l’USAID, dont le but affiché est d’assister l’Afrique à améliorer ses capacités sous un commandement unifié, il demeure clair, en réalité, que les objectifs et visions de l’AFRICOM servent essentiellement les intérêts de l’empire américain au 21ème siècle. Ces intérêts sont liés avec ce que certains nomment la « grande stratégie » qui implique de s’assurer du ravitaillement futur en pétrole, particulièrement en provenance du Nigeria, de l’Angola et d’autres pays africains qui, selon les plans, fourniront le quart du pétrole qui sera consommé aux Etats-Unis en 2017.(3)

Les Américains ont aussi l’intention de défier la présence économique croissante de la Chine sur le continent et la menace du GWOT (Global War on Terrorism – guerre contre le terrorisme) dans la Corne de l’Afrique. Par conséquent, il y a une modeste présence américaine au Camp Lemonnier, à Djibouti, ainsi que des opérations navales dans le Golfe de Guinée.

Cependant, il est clair qu’à l’exception de la présidente du Libéria, Ellen Johnson-Sirleaf, aucun autre chef d’Etat ne s’est précipité pour offrir l’espace d’un quartier général à l’AFRICOM. Parce que non seulement les Africains n’ont pas été consultés, mais aussi parce que les organisations émanant de la société civile restent très critiques à l’égard de l’AFRICOM. Néanmoins, les gouvernements africains ont discrètement et de façon regrettable, accepté de nombreux programmes d’entraînement militaire fournis par les Américains sous l’égide de l’AFRICOM. (4) Dans le sillage de la décolonisation, les anciennes puissances coloniales que sont le Portugal, la France, la Grande Bretagne et la Belgique ont encouragé les pays à l’indépendance nouvellement acquise à établir des pactes militaires et des programmes d’entraînement afin de sauvegarder les intérêts occidentaux dans les anciennes colonies. Aujourd’hui, les Etats Unis ont repris ce rôle sous le couvert des apparences bienveillantes de l’AFRICOM. Comme le soutient Volman, en consolidant les capacités internes de sécurité des Etats africains néo-coloniaux, ces Etats peuvent agir par procuration pour défendre les intérêts américains en Afrique. (5)

Présenté comme une force bienveillante pour la paix, la nature militaire de l’AFRICOM représente non seulement une militarisation de l’Afrique, mais aussi une nouvelle configuration impérialiste et néo-coloniale des intérêts en Afrique, sous le couvert de ce que la vice-assistance du secrétaire à la Défense pour les affaires africaines, Theresa Whelan, décrit comme « aider les Africains à augmenter leurs capacités à assurer leur propre sécurité » (6) C’était astucieux de la part d’Obama de marginaliser la question de l’AFRICOM dans son discours, lors de sa visite au Ghana en juillet. Il est néanmoins nécessaire de spéculer sur la façon dont l’administration américaine va réaliser les objectifs de l’AFRICOM. Celle-ci est simplement la négation complète de la vision panafricaniste de Nkrumah. Donc il est impératif que les Africains continuent de résister à sa notion même et aux opérations sur le continent.

Dans ses réflexions sur l’héritage de Nkrumah, Ali Mazrui a tort lorsqu’il soutient que Nkrumah est responsable de l’introduction du modèle autoritaire du parti unique. Il prétend que « par un étrange tour du destin, Kwame Nkrumah était à la fois un héros qui a porté le flambeau du panafricanisme en même temps qu’il est le vilain qui a légué à l’Afrique les régimes au parti unique ». (7) Cette critique selon laquelle Nkrumah a instauré un régime au parti unique, face au défi de la construction d’une nation, est valide. Son concept de l’Etat reflète sa propre représentation intellectuelle de la nature de l’Etat et de ses fonctions. Il a donc influé sur la nature de la formation de l’Etat du Ghana.

Cependant, Nkrumah était parvenu aux mêmes conclusions que ses contemporains comme Sékou Touré, Houphouët-Boigny, Léopold Senghor, Modibo Keita, Julius Nyerere et Jomo Kenyatta. Bien que la Côte d’Ivoire et le Sénégal se soient présentés comme des Etats multipartistes, ils étaient de facto des Etats d’un seul parti dans lesquels les autres partis n’avaient aucune chance d’obtenir le pouvoir. Ces différents Etats africains étaient tous aux prises avec les mêmes problèmes : comment prévenir la fragmentation ethnique et religieuse de la société ?

Mettant l’idéologie de côté, Houphouët-Boigny et Jomo Kenyatta ont publiquement endossé le capitalisme, cependant que Nkrumah adhérait, dès 1962, à ce qu’il appelait « le socialisme scientifique ». Tous ont eu recours à des méthodes politiques similaires pour résoudre les problèmes sociétaux lors de la construction de la nation : ils ont tous créé un régime au parti unique et donc Nkrumah n’est aucunement le père de ce que Mazrui nomme « toute la tradition d’autoritarisme noire de la période post-coloniale » (8). L’héritage de l’autoritarisme caractérise la politique africaine suite à l’indépendance. Il a été initié et partagé par tous les dirigeants de cette époque.

Partie intégrante du legs et de la vision de Nkrumah, cinq aspects demeurent pertinents pour les Africains du continent comme poour ceux de la diaspora.

Premièrement, il y a l’héritage de sa vision de l’unité africaine. Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour réaliser l’Union africaine, malgré la métamorphose de 2002, qui a fait passer de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) à l’Union Africaine.

Deuxièmement, tous les Africains doivent comprendre, défier et éradiquer les vestiges néo-coloniaux dans tous leurs aspects. Ceci requiert un défi contre l’élite africaine néo-coloniale et l’AFRICOM.

Troisièmement, dans son livre « Handbook for revolutionary warfare » (Manuel pour des guerres révolutionnaires) paru en 1968, Nkrumah a appelé de ses vœux une plus grande coopération Sud-Sud, en formant une Organisation de la Solidarité des Peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine (OSPAAL). Un tel bloc, qui devrait intégrer les pays des Caraïbes, pourrait contrer la domination impérialiste occidentale et marquer le vrai commencement d’un nouvel ordre mondial basé sur une coopération authentique et un système économique plus égalitaire. Dans les dernières années de sa vie, Nkrumah a exprimé son point de vue dans « Class struggle » (Lutte des classes). Son propos était de dire que la destruction des systèmes économiques capitalistes éliminerait le néo-colonialisme et contribuerait positivement à la création d’une Afrique unie sous la férule d’un gouvernement socialiste. (9)

Quatrièmement, dans son livre « Consciencism », il argumente que l’Afrique doit faire la synthèse entre trois courants culturels qui ont marqué l’histoire africaine : l’africanité, l’islam et l’euro christianisme. En résumé, si les Japonais sont capables d’user de technologies et garder leur identité japonaise dans un monde globalisé, alors les Africains peuvent en faire autant et réaffirmer leur personnalité africaine sur la scène mondiale.

Enfin, Nkrumah a mis en contact l’Afrique et ses enfants de la diaspora de manière concrète. Non seulement en les employant dans son gouvernement lorsqu’il était président, mais aussi en les encourageant à retourner en Afrique et y faire la contribution de leurs talents et expertises. Il a aussi affirmé, sans équivoque, que « tous les peuples d’ascendance africaine, qu’ils vivent en Amérique du Nord ou du Sud, dans les Caraïbes ou dans n’importe quelle autre partie du monde, sont des Africains et appartiennent à la nation africaine » (10) Par conséquent, avec une telle affirmation, il n’est guère surprenant que sous la direction de Nkrumah le Ghana soit devenu ce que Malcolm X a justement appelé, suite à une visite au Ghana, « la source du panafricanisme ».

Depuis la mort de Nkrumah, le Ghana continue d’être La Mecque des Africains de la diaspora. L’autre dirigeant africain contemporain qui a formulé la connexion entre la diaspora africaine et le continent avec passion et un engagement sans faille en faveur du panafricanisme charismatique, était feu Dr Tajudeen Abdul Raheem. Il est mort de façon tragique et ironique en cette année du centenaire de la naissance de Nkrumah, le 25 mai, le jour de la Libération de l’Afrique. Pour paraphraser Kofi Hadjor, quelque peu, disons : « Autant Nkrumah que Tajudeen nous rappellent non pas ce qu’est l’Afrique mais ce qu’elle doit devenir ». (11)

* Dr Ama Biney est un panafricaniste vivant au Royaume Uni. Cet article est une version plus longue de celle qui a d’abord paru à Nyansapo et publiée par Ligali, une organisation des Droits de l’Homme panafricaine basée en Grande Bretagne.

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NOTES
K. Nkrumah, Neo-colonialism: The Last Stage of Imperialism, 1965, p. ix.
K. Nkrumah, Challenge of the Congo, 1967, pp. 115-116.
Guardian, UK, 9 Feb 2007.
D. Volman, http://concernedafricascholars.org/africom-and-the-geopolitics-of-african-oil
Ibid.
Cited in Volman.
A. Mazrui, Nkrumah’s Legacy and Africa’s Triple Heritage: Between Globalization and Counter Terrorism, 2004, p. 3.
Ibid, p. 4.
K. Nkrumah, Class Struggle in Africa, 1970, p. 87.
Ibid, p. 87.
K. Hadjor, Africa in an Era of Crisis, 1990, p. 162.