Coup de semonce de la Chine dans les relations internationales
Pendant la réunion, à Londres, des ministres de l`Economie de vingt pays plus avancés au monde, en prélude au sommet du G20 sur la crise financière mondiale prévue en avril 2009, les dirigeants et chef d`Etats africains ont fait clairement entendre leur voix. Le Premier ministre de Grande Bretagne, M. Gordon Brown, a saisi l`occasion pour souligner son rôle d’ « ami de l`Afrique ». De même, pour la première fois, on a enregistré un communiqué de presse conjoint du Brésil, de la Chine, de la Fédération Russe et de l’Inde, demandant une reforme des institutions financières internationales afin de donner une meilleure représentativité aux pays en développement et de créer, un jour, une meilleure régulation du systeme financier. Mais les Africains ont aussi pris en charge leurs propres préoccupations.
Le Président de la Banque de Développement Africaine, Donald Kaberuka, a ainsi défini l’effet de la crise financière en Afrique comme étant « plus sérieuse que prévu ». Dans le même temps, le Premier ministre éthiopien, Melas Zenawi et le ministre de l`Economie sud-africain Trevor Manuel ont demandé au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale une plus grande flexibilité, afin de rendre disponibles les financements pour le commerce. Pour M. Zenawi, investir en Afrique est d’une rentabilité économique plus évidente, dans la mesure où l’effet global dans l`économie de chaque dollar investi sur le continent est plus important que l`effet de chaque dollar investi aux Etats Unis ou au Royaume Uni. En plus, le résultat sur l`instabilité et la crise pourrait être d’une autre portée. Cette vision a été saluée par le président libérien, Ellen Johnson-Sirleaf.
Les dirigeants Africains s’étaient retrouvés dans la capitale britannique pour une rencontre organisée par Gordon Brown. En écoutant les propos des uns et des autres, il a pu mesurer la profondeur de la crise sur le continent africain. A titre d’exemple, 500 000 ouvriers ont été licenciés dans la région zambienne de production du cuivre, à cause de la chute des prix, et beaucoup des agriculteurs ont perdu leur travail et leur revenu. Les ressources financières en provenance de l’étranger se sont également raréfiées. En réaction, les quatre pays du BRIC (Brésil, Russe, Inde et Chine), dans une déclaration commune, se sont fortement prononcés à faveur d`un meilleur accès au crédit. Ils ont dénoncé la diminution des investissements du secteur privé pour l`année en cours et pour l`année à venir, soulignant qu’il est « est fondamental que les institutions financières multilatérales puissent augmenter les niveaux du crédit afin de contrer la crise ».
Dans ce contexte, la Chine tisse cependant sa toile. Le « Financial Times » rapporte que le Fonds de Développement Sino-africain a reçu une injection de liquidité de 2 milliards de dollars bien avant les termes prévus, et que Pékin cherche à occuper les espaces financiers abandonnés par les investisseurs occidentaux. A cette date, le Fonds, créé vers la fin 2006, a investi 400 millions de dollars en plus d’un milliard de dollars de subventionnes par la Banque de Développement Chinois. Le montant restant sera utilisé en 2009, deux ans avant les termes prévus, selon le PDG du Fonds, Chi Jianxin.
Les projets en cours de réalisation incluent des aménagements agricoles en Ethiopie, au Malawi et au Mozambique, ainsi que le développement des zones industrielles en Egypte, au Nigeria et en Ile Maurice. Un joint-venture est aussi prévu pour une centrale électrique au Ghana, alors que le Fonds à commencé à développer une nouvelle branche en Afrique du Sud, devenue fonctionnelle avec la signature d’une entente avec le ministère du Commerce et de l`Industrie sud-africain.
Selon le magazine chinois « Peoples Daily », l`investissements chinois à l`étranger en 2008 avait porté sur 52,1 milliards de dollars, soit une hausse de 96,7 % par rapport à l`année 2007. Le « Washington Post » parle de l’envie des Chinois d`aller faire « des folies dans les magasins ». Le 12 de février, la compagnie d`Etat Chinalco, un géant du secteur minier, a signé un accord commercial, pour une valeur de 19,5 milliards de dollars, avec la compagnie australienne Rio Tinto. Cette opération doublera la participation chinoise dans la seconde plus importante compagnie minière du monde.
Par ailleurs, la Chine a déjà utilisé trois fois des prêts financiers afin de protéger le niveau de ses réserves énergétiques. Les 17 et le 18 de février, la compagnie China National Petroleum a signé des accords séparés avec la Fédération Russe et le Venezuela. A la Russie elle s`engage à prêter 25 milliards de dollars, contre 4 milliards au Venezuela. En retour, les deux pays vont lui fournir du pétrole à long terme. Le 19 février, la Banque Chinoise de Développement a signé un accord similaire avec la compagnie brésilienne Petrobas, pour une valeur de 10 milliards. En plus, l`Iran a annoncé avoir signé un accord de 3,2 milliards de dollars avec une joint-venture chinoise, afin de développer l`exploitation d`une zone sous marine du Golfe Persique, estimée contenir le 8% des réserves mondiales du gaz naturel.
Par ailleurs, la Chine a formulé une offre de prêt d’un milliard de dollars pour l`Angola, destiné à développer des projets agricoles et dans le secteur du bâtiment. Le prêt s`ajoute au budget de 5 milliards de dollars alloué à la fin de la guerre civile en 2002. Au même moment, au Nigeria, la Chine a commencé des discussions bilatérales afin d’élaborer les détails pour la réalisation d`une zone économique spéciale appelé Ogun Guangdong. Il s’agira d’une enclave industrielle de 7.000 hectares, financée par des entreprises chinoises de Guangdong, une région de la Chine méridionale.
En Zambie, deux compagnies chinoises, la Zhonghui Guoha Industry (Group) Limited et la State Grid International Development ont souligné leur intérêt à investir dans la région du Mwinilunga. C’était au cours d’une rencontre officielle avec le ministre du Commerce et de l`Industrie et le ministre des Ressources minières. Avant cela, le gouvernement zambien avait annoncé sa disponibilité à mettre à disposition trois régions, bien délimitées, pour l`exploitation du pétrole et du gaz naturel. Dans la même temps, le « New York Time » annonçait que le ministre du Commerce chinois était, pour la première fois, à la tête d`une délégation de cadres commerciaux, dans le but de développer des fusions et acquisitions en Europe.
Pour un ancien analyste du FMI spécialisé sur la Chine, cet activisme constitue un clair signe de la volonté chinoise de renforcer sa compétitivité future. Cela s’est vérifié dans la récente révision du budget de 600 milliards de dollars, et aide à mieux comprendre les avertissements lancés par le Premier ministre Wen Jiabao, quand il se disait perplexe sur la sécurité des avoirs chinois aux États-Unis. En effet, quelques jours après les propos ce dernier, qui s’exprimait pendant une conférence de presse après la session annuelle de la législature chinoise, l`agence de presse gouvernementale Xinhua a fourni un contexte plus spécifique, à ses mots. Ceci, en publiant un rapport sur les estimations données par le Département du Trésor américain sur le flux de trésorerie international. Ainsi, on note qu’en janvier les achats étrangers de la dette publique américaine ont atteint 10,7 milliards de dollars. Les chiffres indiquent aussi que pendant le même mois la Chine a augmenté ses possessions de la dette américaine jusqu`à 12,2 milliards de dollars (plus que l`augmentation net global).
Il devient donc évident que le processus de rétablissement de l`économie américaine, mené par le président Obama, est financé, au fond, par la Chine, qui détient 60% de la dette américaine. Les responsables politiques américains ont été rapides à confirmer et répéter les mots rassurants prononcés par Hillary Clinton, disant que « pour investir il n`y a pas un marché meilleure que les Etats-Unis », il n’empêche qu’on lit dans le « Washington Post » : « Les experts disent que le fait de détenir 60% de la dette américaine a permis à la Chine d`avoir un avantage dans ses rapports avec Washington et que les mots prononcés par Wen doivent être entendus comme un coup de semonce. En fait, ces mots ont été prononcés seulement après une échauffourée dans les eaux internationales, entre un navire de guerre américain et cinq vaisseaux chinois. L`escarmouche a fourni l`occasion pour des récriminations tant aux Etats-Unis qu’en Chine. En plus, les cadres chinois ont souligné une tendance politique, menée par le Congres Américain, au protectionnisme. Une politique qui pourrait gêner les exportations de Pékin, déjà amoindries par la crise mondiale.
Le Washington Post poursuit : «… Le pouvoir que la Chine a aujourd’hui est directement lié au fait que sa politique économique est vue comme un signal du niveau de confiance que les investisseurs étrangers ont sur la capacité des Etats-Unis à résorber sa detten analyse Eswar Prasad, un des responsables chez Brookings Institutions». Et d’ajouter : « Les mots du président chinois peuvent être considérés comme un coup de semonce, parce qu’implicitement ils disent aux Etats-Unis de reculer en matière de politique monétaire et de politique commerciale ».
Jusqu’à aujourd’hui donc, tous les faits corroborent l`idée que pendant la rencontre du G20, en avril, il sera difficile de nier aux pays émergeants un rôle majeur dans la gestion de la finance internationale. Les pays du BRIC doivent pourtant chercher à assurer que toutes les différentes voix du Sud Global et de l`Afrique puissent être réellement représentées dans la nouvelle structure de la finance mondiale. Mais, d`un autre point de vue, le défi le plus stimulant est de voir si les quatre pays du BRIC veulent vraiment devenir la voix du Sud et de l`Afrique.
* Stephen Marks est chercheur Associé et Coordinateur du Projet ‘La Chine en Afrique’ à Fahamu.
* Sanusha Naidu est directeur du Projet ‘La Chine en Afrique à Fahamu
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