Un « cycle pour le développement » ne peut plus être un cycle de « libre échange »

« Le commerce international peut jouer un rôle important dans la promotion du développement économique et la diminution de la pauvreté. Nous reconnaissons le besoin qu'ont tous les peuples de bénéficier de l'augmentation des opportunités et des progrès du bien-être que génère un système multilatéral du commerce. La majorité des membres de l'OMC sont des pays en développement. Nous prétendons mettre leurs besoins et intérêts au centre du programme de travail adopté dans la présente déclaration. » Déclaration ministérielle de Doha de l'Organisation mondiale du Commerce, 14 novembre 2001. C'est par ces paroles qu'a débuté le cycle de négociations de l'OMC, il y a sept ans. Mais en réalité, le développement économique, la réduction de la pauvreté, les besoins de tous nos peuples, l'augmentation des opportunités pour les pays en développement sont-ils réellement au centre des négociations en cours à l'OMC ?

La première chose que je dois dire c'est que si tel était le cas, les 153 pays membres et surtout la grande majorité des pays en développement devraient être les principaux acteurs des négociations de l'OMC. Mais nous voyons en réalité qu'une poignée de 35 pays sont invités par le Directeur Général à des réunions informelles pour avancer dans l'essentiel de la négociation et préparer les accords de ce « cycle pour le développement » de l'OMC.

Les négociations de l'OMC se sont converties en une lutte des pays développés pour ouvrir les marchés des pays en développement en faveur de leurs grandes entreprises.

Les subventions agricoles du Nord, dont les principaux bénéficiaires sont les firmes agro-alimentaires des Etats-Unis et de l'Europe, non seulement vont se perpétuer, mais vont en augmentant, comme on peut le voir avec la Loi Agricole américaine “Farm Bill 2008”. Les pays en développement abaisseront les droits de douane des produits agricoles tandis que les subventions réelles des Etats-Unis et de l'Union Européenne à leurs produits agricoles ne diminueront pas.

En ce qui concerne le volet des produits industriels des négociations de l'OMC, le but recherché est d'assurer que les pays en développement réalisent des coupes de leurs droits de douane de 40 % à 60 %, tandis que les pays développés diminueront en moyenne leurs droits de douane de 25 % à 33 %.

Pour des pays comme la Bolivie, l'érosion des préférences douanières par la distribution généralisée des droits de douane aura des effets négatifs sur la compétitivité de nos exportations.

La reconnaissance des asymétries, et le traitement spécial et différencié réel et effectif en faveur des pays en développement est limité et sa mise en œuvre est bloquée par les pays développés.

Dans les négociations, on encourage la libéralisation des nouveaux secteurs des services, alors qu'il faudrait exclure définitivement les services de base que sont l'éducation, la santé, l'eau, l'énergie, et les télécommunications du texte de l'Accord Général sur le Commerce des Service de l'OMC. Ces services sont des droits humains qui ne peuvent être objet de commerce privé et de règles de libéralisation qui conduisent à leur privatisation.

La déréglementation et la privatisation des services financiers, entre autres, sont la cause de l'actuelle crise financière mondiale. Davantage de libéralisation des services n'amènera pas plus de développement, mais plus de possibilités de crise et de spéculation dans des domaines aussi vitaux que l'alimentation.

Le régime de la propriété intellectuelle établi par l'OMC a bénéficié surtout aux transnationales qui ont le monopole des brevets, renchérissant le prix des médicaments et d'autres produits vitaux, encourageant la privatisation et la marchandisation de la vie même, comme le prouvent les divers brevets sur les plantes, les animaux et même les gênes humains.

Les pays les plus pauvres seront les principaux perdants. Les projections économiques d'un possible accord à l'OMC, effectuées y compris par la Banque Mondiale, indiquent que les coûts accumulés en terme de perte d'emplois, de réduction du champ des décision possibles dans la définition des politiques nationales et de perte de revenus douaniers seront plus importants que les « bénéfices » du « cycle de Doha ».

Après sept ans, le cycle de Doha est ancré dans le passé et déphasé par rapport aux phénomènes les plus importants que nous vivons aujourd'hui : la crise alimentaire, la crise énergétique, le changement climatique et l'élimination de la diversité culturelle. On fait croire au monde qu'un accord est nécessaire pour résoudre un agenda mondial et cet accord ne représente pas cette réalité. Ses bases ne sont pas adéquates pour faire face à ce nouvel agenda mondial.

Des études de la FAO signalent que les actuelles forces de production agricoles sont capables de nourrir 12 milliards d'êtres humains, c'est-à-dire, quasiment le double de la population mondiale actuelle. Et pourtant, il y a une crise alimentaire, car on ne produit pas pour le bien-être de l'humanité, mais en fonction du marché, de la spéculation et de la rentabilité des grands producteurs et des grands négociants d'aliments. Pour faire face à la crise alimentaire, il est nécessaire de renforcer l'agriculture familiale, paysanne et communautaire. Nous, pays en développement, devons récupérer le droit de réglementer nos importations et nos exportations pour garantir l'alimentation de nos populations.

Nous devons en finir avec la consommation effrénée, le gaspillage et le luxe. Dans la partie la plus pauvre de la planète, des millions d'êtres humains meurent de faim chaque année. Dans la partie la plus riche de la planète, des millions de dollars sont dépensés pour combattre l'obésité. Nous consommons trop, nous gaspillons les ressources naturelles, et nous produisons des déchets qui polluent la Terre Mère.

Chaque pays devrait consommer en priorité ce qu'il produit localement. Un bien qui traverse la moitié du monde pour arriver à destination est souvent moins cher que celui qui est produit chez soi, mais si nous tenons compte des coûts environnementaux du transport de cette marchandise, la consommation d'énergie et la quantité d'émissions de gaz carbonique que cela génère, alors nous arrivons à la conclusion qu'il serait plus sain pour la planète et l'humanité d'encourager la consommation de ce qui est produit localement.

Le commerce extérieur doit être un complément de la production locale. Nous ne devons privilégier d'aucune façon le marché extérieur aux dépends de la production nationale.

Le capitalisme veut tous nous uniformiser pour nous transformer en de simples consommateurs. Pour le Nord, il n'existe qu'un seul modèle de développement, le sien. Les modèles uniques sur le plan économique s'accompagnent de processus d'acculturation généralisée qui nous impose une seule culture, une seule mode, une seule façon de penser et de voir les choses. Détruire une culture, porter atteinte à l'identité d'un peuple, est le dommage le plus grave que l'on peut faire à l'humanité.

Le respect et la complémentarité pacifique et harmonique des diverses cultures et économies sont essentiels pour sauver la planète, l'humanité et la vie.

Pour que ce cycle de négociations soit effectivement un cycle du développement, ancré dans le présent et le futur de l'humanité et de la planète, il devrait :

Garantir la participation des pays en développement à toutes les réunions de l'OMC, et mettre un terme aux réunions exclusives de la « salle verte » [*] ;

Mettre en œuvre de véritables négociations asymétriques en faveur des pays en développement dans lesquelles les pays développés octroient des concessions conséquentes ;

Respecter les intérêts des pays en développement en ne limitant pas leur pouvoir de définir et de mise en œuvre de politiques nationales dans les secteurs de l'agriculture, de l'industrie et des services ;

Réduire effectivement les mesures protectionnistes et les subventions des pays développés ;

Garantir le droit des pays en développement à protéger, le temps qu'il faut, leurs industries naissantes, comme l'ont fait les pays industrialisés par le passé ;

Garantir le droit des pays en développement de contrôler et de définir leurs politiques en matière de services, en excluant de manière explicite les services essentiels de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) de l'OMC ;

Limiter les monopoles des grandes entreprises sur la propriété intellectuelle, promouvoir le transfert de technologie, et interdire le brevetage de toute forme de vie ;

Garantir la souveraineté alimentaire des pays en éliminant toute limitation à la capacité des États à réglementer les exportations et les importations d'aliments ;

Adopter des mesures qui contribuent à limiter la consommation et le gaspillage des ressources naturelles, à éliminer les gaz à effet de serre et la production de déchets qui portent préjudice à la Terre Mère.

En ce XXIe siècle, un « cycle pour le développement » ne peut plus être un cycle de « libre échange ». Il doit au contraire promouvoir un commerce qui contribue à l'équilibre entre les pays, les régions et la mère nature, en établissant des indicateurs qui permettent d'évaluer et de corriger les règles du commerce en fonction d'un développement durable.

Sur nous qui gouvernons, repose une énorme responsabilité à l'égard de nos peuples. Des accords comme ceux de l'OMC doivent être largement connus et débattus par tous les citoyens et non seulement par des ministres, des entrepreneurs et des « experts ». Nous, peuples du monde, devons cesser de n'être que des victimes passives de ces négociations, et nous devons devenir des protagonistes de notre présent et de notre futur.

* Evo Morales Ayma, Président de la République de Bolivie

[*] “Green room meeting” ou “réunion dans la salle verte” est le nom des réunions informelles de négociation à l'OMC auxquelles participe un groupe de 35 pays élus par le Directeur général.

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