Neuf propositions à l’Ue pour soutenir la démocratisation en Afrique

Suite à l’actualité africaine au Burkina Faso et en République Démocratique du Congo, dans l’anticipation d’autres confrontations ailleurs entre démocrates et pouvoirs inamovibles, face aux changements qui sont en train de structurer l’évolution politique future de l’Afrique, poussés par des populations, un positionnement européen est attendu, qui soit à la hauteur des moyens déjà engagés.

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Lettre ouverte à l’attention de :

- Mme Federica Mogherini, haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎, vice-présidente

- Neven Nimica, commissaire au Développement de l’Union européenne

Madame la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎,

Monsieur le commissaire au Développement de l’Union européenne,

Le Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique, à Paris, se mobilise depuis 2009 pour le soutien aux démocrates africains. L’observation des difficultés autour de la mise en place de processus électoraux le conduit à proposer des éléments d’améliorations pour une réforme des politiques françaises et européennes qui faciliterait la démocratisation en Afrique.

Lors de la journée des Droits humains de l’Union européenne, le 10 décembre 2014, le Conseil de l’Union européenne et la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, annonçaient la mise à jour et le renouvellement en 2015 du Plan d’action associé au Cadre stratégique sur les droits de l’homme et la démocratie de l’Union européenne [1].

La liste des présidentielles et des législatives prévues en Afrique en 2015 et 2016 est longue : selon les fins de mandat et sans les reports, dix présidentielles et onze législatives en 2105, seize présidentielles et douze législatives en 2016 [2], vingt et une en 2015 et vingt sept en 2016, vingt six présidentielles et vingt-trois législatives, quarante élections sur 2 ans, dans 54 pays[3].

En raison de ces scrutins, ces deux années seront essentielles pour la démocratisation du continent. Le moment est venu pour relancer la relation Europe-Afrique autour de plus d’efficacité et de résultats dans le soutien à la démocratie par l’amélioration de la qualité des processus électoraux.

La question de la limitation du nombre de mandats présidentiels [4], souvent évoquée par la diplomatie américaine et abordée par le président français au Sommet de la Francophonie de Dakar le 30 novembre 2014, a été, fin 2014, reprise par l’Onu. Son secrétaire général, Ban Ki-Moon s’est clairement exprimé sur le sujet au dernier sommet de l’Ua, le 30 janvier 2015 : « Je partage les craintes émises vis-à-vis des dirigeants qui refusent de quitter leurs fonctions à la fin de leur mandat. Les changements de Constitution non démocratiques et les vides juridiques ne devraient pas être utilisés pour s’accrocher au pouvoir » [5].

L’angle d’observation de la longévité au pouvoir et de l’absence de possibilité d’alternance, associé à la prise en compte du manque de qualité des processus électoraux, permet de distinguer les chefs d’Etat les plus résistants à la démocratie, ceux qui veulent supprimer les limitations du nombre de mandats présidentiels des constitutions, au Burundi, au Congo Kinshasa ou au Congo Brazzaville [6], ceux qui n’en ont jamais eu, en Gambie et en Guinée Equatoriale, comme ceux qui les ont déjà supprimées, en Ouganda, au Gabon, au Tchad, au Cameroun ou à Djibouti [7], tout comme au Togo où le chef de l’Etat refuse l’application de l’Accord politique global [8] qui avait suivi son accession sanglante au pouvoir.

Suite à l’actualité africaine au Burkina Faso et en République Démocratique du Congo, dans l’anticipation d’autres confrontations ailleurs entre démocrates et pouvoirs inamovibles, face aux changements qui sont en train de structurer l’évolution politique future de l’Afrique, poussés par des populations, un positionnement européen est attendu, qui soit à la hauteur des moyens déjà engagés.

L’approche globale européenne est associée à une dispersion de budgets en particulier au travers du Fond européen de développement. Cependant, la gestion des priorités entre les trois grands domaines « Paix et sécurité », « Développement » et « Démocratie et Etat de droit » [9] est régulièrement déséquilibrée dans le sens d’une gestion des crises et de la politique de défense commune. La partie aide au « Développement » économique profite d’un certain consensus économique entre Union européenne et de nombreux pouvoirs africains. Un maillon faible de la politique européenne se trouve ainsi dans la difficulté à soutenir le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, particulièrement dans les pays en début de démocratisation.

Pourtant, l’étude des conflits politiques et militaires montre qu’un facteur principal de l’arrivée de ces crises se trouve dans l’absence de démocratie et d’Etat de droit. De même, le sous-développement et l’absence de partage des richesses trouvent aussi une de leurs origines dans le maintien de régimes politiques illégitimes, réfractaires au progrès social et aux réformes démocratiques des institutions.

Pour la période 2014-2020, ce sont 30,5 milliards d’euros qui seront alloués pour l’ensemble des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique au titre du 11e Fonds européen de développement, dont près de 14 milliards destinés à soutenir les programmes nationaux des Etats africains. Les contribuables européens sont invités à participer au financement d’un développement basé sur des progrès réels de la démocratie et de l’Etat de droit, mais dans les dictatures les plus verrouillées, malgré plusieurs révisions des Accords de Cotonou, la politique européenne sous forme d’approche globale n’a pas prouvé son efficacité.

L’argent du contribuable européen dédié à la démocratie ou à la bonne gouvernance y est dépendant du pouvoir de gouvernements et de chefs d’Etat qui ne sont pas issus de scrutins démocratiques, et est en partie gaspillé faute de solutions pratiques, tandis que les clans au pouvoir s’enrichissent au travers de la gestion des ressources naturelles. Le contribuable européen est légitimement en droit de demander une clarification et des améliorations, concernant les modalités pratiques du soutien à la démocratie dans les pays non-démocratiques, ainsi qu’une plus grande transparence et qu’une meilleure correspondance des résultats aux objectifs politiques initiaux.

Sur la base de ces constats et analyses, par ailleurs développés dans le dossier « Union européenne et élections en Afrique en 2015 et 2016 : relancer la relation Europe – Afrique par un soutien accru a la démocratisation » [10], soucieux d’une amélioration constante de la relation entre l’Europe et l’Afrique, attentif au renouvellement et la mise à jour prévus en 2015 du Plan d’action associé au Cadre stratégique sur les droits de l’homme et la démocratie de l’Union européenne, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique, recommande de :

- Redéfinir la politique européenne en accord avec les Etats membres, en rééquilibrant les trois grands pôles, politique de défense et sécurité, politique de développement économique et politique de soutien à la démocratie et à l’Etat de droit, dans le sens d’un soutien accru à la démocratie.

- Soutenir les démocrates africains dans leur exigence de respect des constitutions au niveau des limitations du nombre de mandats présidentiels, et prendre position sur l’absence d’alternance et de qualité des processus électoraux dans les pays sans limitation du nombre de mandats présidentiels.

- Face au nombre de scrutins en Afrique en 2015 et 2016, renforcer les moyens et les compétences de l’Union européennes dans les processus électoraux, au niveau des Missions d’observations électorales et surtout pour le soutien technique au processus électoraux en amont au niveau recensement, identification, fichier électoral.

- Tenir compte des inversions de résultats des scrutins, présidentiels ou législatifs, de l’historique des élections, dans le traitement diplomatique et politique des processus électoraux et redéfinir les modalités de sanctions économiques pour rétablir une conditionnalité partielle de l’aide n’affectant pas directement les populations.

- Conditionner la mise en œuvre des programmes de ‘gouvernance démocratique’ à des éléments d’un Etat de droit minimal, comportant la liberté d’expression, la liberté de réunion, le droit de manifester, le droit à une défense équitable devant la justice et l’absence d’arrestations extra-judiciaires, et la liberté de la presse.

- Améliorer la mise en œuvre des projets de ‘gouvernance démocratique’ financés par les Fonds Européens de Développement en renforçant les cahiers des charges, le suivi et les évaluations, et en rendant indépendant du gouvernement du pays bénéficiaire le choix et le financement des partenaires.

- Renforcer les contrôles sur l’utilisation de l’aide européenne et en particulier du Fond Européen de Développement dans les pays les moins démocratiques, en particulier en Afrique centrale, et rendre transparent l’utilisation de l’aide par une communication accessible localement.

- Favoriser une harmonisation des politiques des Etats membres, diplomatiques, économiques et militaires, en particulier en observant et contrôlant les effets des coopérations militaires des Etats membres sur la démocratisation des Etats africains.

- Soutenir l’évolution et les activités de l’Union africaine vers une politique de soutien à la démocratie axée sur la qualité des processus électoraux.

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique
Paris, 23 février 2015

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** SIGNATAIRES
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- Cameroun : Collectif des organisations démocratiques et patriotiques de la Diaspora Camerounaise (Code Bruxelles), Union des populations du Cameroun
- Centrafrique : Comité d’action pour la conquête de la démocratie en Centrafrique (Cacdca),
- Congo-Brazzaville : Fédération des congolais de la diaspora
- Djibouti : Union pour le salut national (Usn)
- Gabon : Ca suffit comme çà ! (au Gabon)
- Tchad : Forces vives tchadiennes en exil
- Rassemblement national républicain (Rnr)
- Togo : Alliance nationale pour le changement Ile-de-France

**** Les opinions exprimées dans les textes reflètent les points de vue des auteurs et ne sont pas nécessairement celles de la rédaction de Pambazuka News

NOTES
1] Federica Mogherini, European Union on Human Rights Day, 10.12.14 : http://bit.ly/1C4pWAs, 25.06.12 ‘Strategic Framework on Human Rights and Democracy with an Action Plan’ : http://bit.ly/1C4pWAs

2] et deux présidents élus par un parlement

3] sans deux scrutins le 30.6.15 au Sud Soudan peu crédibles, Synthèse agenda des élections en Afrique 54 pays 2015-2016 : http://bit.ly/1AdsAgV

4] Campagne des Ong Tournons la page http://tournonslapage.com/, Régis Marzin 15.10.14, ‘En 2015 et 2016, la limitation du nombre de mandats des présidents africains, un levier pour accélérer la démocratisation ? http://bit.ly/1wWgPzE

5] 30.1.15 Ban Ki-Moon traduction AFP : http://bit.ly/1AdWktg, discours officiel : http://bit.ly/1wpIRD7

6] Régis Marzin, 8.1.15, Burundi, Rdc, Rwanda : les Grands Lacs entre limitations du nombre de mandats présidentiels et accords de paix, http://bit.ly/1F7inYS

7] Et en Algérie où il est en projet de remettre la limitation. Tableau des limitations du nombre de mandats dans 54 pays d’Afrique : http://bit.ly/1GnPHch

8] http://bit.ly/1FFZFWk

9] Classement en 3 pôles principaux proposé par le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique, excluant quelques domaines comme santé, migration, commerce international…

10] 23.2.15, http://bit.ly/1E96nEC