L’unique solution aux problèmes du Sud Soudan
La crise au Sud Soudan est le résultat d’un cocktail mortel composé d’ambitions personnelles, des effets d’un Etat raté, d’un degré élevé de corruption, d’un manque de prestations de services à la population, de manipulations politiques liées à une ethnicité négative et de l’échec de la transformation d’un mouvement de libération en un parti au pouvoir responsable. Dans la recherche d’une solution au drame de ce pays, la première chose à faire est de dissoudre le Sudanese Liberation Movement.
Alors que les combats continuent de faire rage au Soudan du Sud, les commentaires s’accumulent sur la genèse de ces problèmes et sur la manière de les résoudre au mieux
Deux explications courent sur les origines de cette situation. Le gouvernement du Soudan du Sud évoque une tentative de coup d’Etat ayant eu pour but de renverser le président démocratiquement élu. Les rebelles emmenés par Riek Machar clament que cette tentative de coup d’Etat est une pure invention visant à camoufler les véritables origines de la crise. Lesquelles, affirment-ils, résident dans les dérives autoritaires du président Salva Kiir.
Les deux explications semblent crédibles, du moins pour quelqu’un qui n’est pas au fait des politiques du Soudan du Sud. En réalité, les Sud Soudanais eux-mêmes, qui connaissent depuis longtemps et le président et le Dr Riek Machar, sont perplexes. Ils ne savent ni qui ni quoi croire.
Certains observateurs concordent avec le récit de Machar. C'est-à-dire que le "coup d’Etat" est un mensonge tordu du président Kiir qui visait à empêcher l’émergence d’un mouvement démocratique au sein du Sudan People’s Liberation Movement (Splm) au pouvoir. En d’autres termes, pour eux, c’est une bonne intention qui a mal tourné. Selon votre degré de connaissance des personnalités qui sont derrière le "mouvement démocratique", vous pouvez décider de croire leur récit ou non.
Il est vrai que le président Kiir dormait. Qu’il était assis dans un fauteuil confortable, oubliant les sensibilités ethniques du pays. Le président est aussi devenu très complaisant face aux ambitions personnelles de Dr Machar. Il a oublié les tentatives de Dr Machar de destituer l’ancien dirigeant du Splm, feu Dr John Garang, à l’époque de la lutte armée contre le président El Bashir au nord. Il a aussi oublié l’histoire du pays et les raisons premières de la sécession du Soudan du Sud.
En bref, il est vrai que le président Kiir a complètement perdu la boule et est devenu totalement autoritaire.
Mais qu’en est-il de Dr Riek Machar lui-même ? Pourquoi quelqu’un devrait-il croire sa version d’un mouvement pour la transformation démocratique du parti au pouvoir ? Il n’y a pas de raison claire à cela. Permettez-moi d’apporter un éclairage sur les personnages clés qui opèrent derrière le mouvement démocratique. A commencer par le Dr Riek lui-même.
Assez de choses ont été dites et écrites à propos de Dr Riek Machar lui-même. Il est évident que c’est un homme ambitieux. Il veut à tout prix être le président du Soudan du Sud. Ses hautes ambitions sont surtout encouragées par les prédictions d’un certain "prophète" du nom de Ngundeng, qui vivait à peu près au 19ème siècle, et aurait "prédit" qu’un homme, gaucher de son état, ayant un espace entre les dents, accéderait au pouvoir et propulserait le pays vers la gloire. Pour le Dr Machar et ses adeptes, ces caractéristiques physiques sont présentes chez lui. Il est celui qui a été prédit et il ne laissera personne empêcher la matérialisation de la "prophétie".
Cela ne signifie pas que Dr Machar n’a pas de bonnes intentions pour le pays. Seulement, ses intentions sont noyées par ses actions et ses ambitions énormes. Il est impatient. Dr Machar sait aussi qu’il a le soutien de sa tribu, les Nuer, pour faire avancer sa quête pour le siège suprême.
Les autres dirigeants clés qui évoluent derrière le "mouvement démocratique" sont les vétérans du Splm, mais leur bilan est trouble. Pagan Amun Okiech, ancien secrétaire général du Splm, a ses propres ambitions politiques. Il veut aussi devenir le président du Soudan du Sud. Mais sa prestation comme secrétaire général du Splm ne lui a pas valu que des amis parmi les piliers du parti. Il est vu comme la cause de la mauvaise prestation du Splm et de la perte de vision du parti. Il est aussi dit que Pagan a fait usage de la machinerie du parti pour conclure des accords commerciaux et amasser des richesses à son propre profit.
D’autres personnages comme Deng Alor Kuol, Kosti Manibe, Oyal Deng Ajak et Gier Chuang font partie du "mouvement démocratique". Certains d’entre eux, avant d’être détenus, étaient objets enquête pour corruption. Ils sont aussi les victimes d’un remaniement du gouvernement dont le but était de limiter les dépenses de l’Etat et la mise en place de mesures d’austérité. D’une façon ou d’une autre, il est difficile de croire que ce sont là d’authentiques agents de transformation démocratique du pays.
En fait, c’est la vieille garde dépitée qui crie au loup pour avoir perdu les sièges prestigieux de la table d’honneur. Pourquoi n’ont-ils rien fait au moment où ils étaient dans de confortables positions ministérielles au gouvernement ? Le fait est que tout ce à propos de quoi ils se plaignent maintenant s’est produit pendant qu’ils étaient encore ministre. Mais aucun n’a jamais bougé le petit doigt en signe de protestation.
Peut-être que les deux seuls membres du "mouvement démocratique" qui ont des raisons démocratiques de se plaindre d’être les victimes de l’autoritarisme du président Kiir sont les deux anciens gouverneurs Taban Deng Gai (Unity State) et Chol Tong Mayai (Lakes State). Tous deux ont été limogés de façon anticonstitutionnelle des postes auxquels ils avaient été démocratiquement élus. Car, selon la Constitution, le président ne peut destituer un gouverneur que pour raison de sécurité nationale. Ni l’un ni l’autre ne représente une menace de sécurité.
Aujourd’hui, le vrai nœud du problème n’est pas de savoir qui a commencé quoi et pourquoi. Il s’agit de trouver une solution aux problèmes. Une violence indicible a été infligée à la population. Destruction des vies, de la propriété, de l’espoir. La population est désespérée. Les discussions en cours n’offriront qu’une solution temporaire aux problèmes. Elles sont importantes. Elles fourniront un répit à la population souffrante. Elles contribueront à mettre un terme aux hostilités, au moins pour un temps. La communauté internationale doit donc continuer à exercer des pressions et user de son influence. Mais la solution permanente aux problèmes du Soudan du Sud ne réside pas dans les accords conclus en Ethiopie. La réponse se trouve au sein du Splm lui-même.
Le Splm est obsolète et anticonstitutionnel. Bien que ce soit un mouvement historique avec une connotation symbolique, il reste la source des problèmes au Soudan du Sud. Ce parti est une machinerie légitime pour perpétuer la violence, la corruption et dépravations associées. Si le Soudan du Sud est soucieux de sa prospérité, veut sérieusement mettre un terme à la violence actuelle et prévenir sa récurrence à l’avenir, il doit se débarrasser du Splm. Le mouvement doit être dissout.
Dans le climat politique actuel, la place dans la hiérarchie du Splm détermine son influence dans le pays. Si vous vous trouvez à un échelon élevé de la hiérarchie du parti, vous êtes assurés d’un bon morceau du gâteau national. Vous pouvez employer et licencier qui vous voulez. Vous pouvez accéder à toutes les positions que vous désirez, raison première du problème actuel.
Riek Machar souhaite désespérément devenir le président du Sud Soudan. Mais il ne peut accéder à ce poste à moins d’être le président du Splm. La présidence lui garantit automatiquement la candidature à la présidence de la République en qualité de représentant du parti. Et une fois que vous êtes le candidat du Splm, vous avez la présidence du pays sous le coude. C’est la seule raison pour laquelle Riek Machar combat durement pour remplacer le président Kiir. Ce dernier n’a pas l’intention de quitter son poste maintenant et des individus puissants le pressent pour qu’il reste en place aussi longtemps que possible. Ces bénéficiaires du système ne veulent pas tout tout cela tombe entre les mains de quelqu’un d’autre. Le président Kiir est l’outil de leurs ambitions d’autres personnes.
Personne ne devrait s’attendre à ce que le président quitte son poste dans un avenir proche. Dr Riek Machar, entre tous, n’a aucune chance d’occuper le bureau présidentiel. Si la pression internationale s’exerce sur le président Kiir, il choisira plutôt un autre Nuer comme successeur. Peut-être l’actuel chef d’Etat major James Hoth Mai. Bien sur que Riek, qui se voit lui-même comme un dirigeant lumineux de la tribu des Nuers et qui pense que personne d’autre ne viendra avant lui, s’y opposera. A cette fin il luttera jusqu’au bout, aussi longtemps que le Splm existera. Il n’acceptera pas non plus de se faire expulser du parti parce que ceci sonnerait le glas de ses ambitions présidentielles. Dr Machar comprend tout cela.
Par conséquent, l’unique solution serait d’atteindre un consensus national pour que le Splm soit dissous. C’est ce qui peut mettre un terme aux guerres dans le pays. Aussi idiote et douloureuse que l’idée puisse paraître, c’est le seul remède aux problèmes du Soudan du Sud. La dissolution du Splm signifie que l’armée sera nationalisée en tant que forces de défense du pays et plus, comme l’est la Sudan People’s Liberation Army (Spla). Les politiciens pourront former des partis politiques indépendants et travailler pour conquérir les cœurs et les esprits de la population. Les ambitions politiques seront moins liées à l’adhésion au parti politique dominant. Et surtout, les Soudanais du Sud commenceront à forger des alliances politiques selon des inclinations idéologiques et moins en raison d’appartenance tribale.
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** Maker Mayek Riak est juriste. Il prépare une thèse à l’université de New South Wales en Australie. Contact Twitter : @MakMayek
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