Les Afro-américains à la Banque mondiale : Sous le chape de plomb raciale

Alors que se célèbre l’anniversaire de Dr King, le 15 janvier, nous devons nous souvenir que ce jour est commémoré pas seulement en hommage au sacrifice ultime fait pour la justice, mais aussi pour réanimer l’esprit et maintenir son rêve vivant. C’est dans ce sens que nous écrivons cet article

La Banque mondiale a été établie en 1946 et à l’heure qu’il est, elle est le deuxième employeur de la capitale américaine, juste après le gouvernement fédéral. Son histoire est profondément biaisé sur le plan racial contre les Noirs en général et les Afro-américains en particulier. Des douzaines d’écrits et de média en ligne ont décrit le problème comme étant "incroyablement raciste" (Foreign Policy in Focus), marqué du "péché de bigoterie" (The Huffington Post), "déshumanisant" (The Africa Report), d’une "inégalité chronique" (The Guardian UK), et "au-delà de la décence humaine" (Pambazuka News, UK)

En 1996, un des directeurs de la Banque a naïvement déclaré en public qu’à son avis les Noirs devraient être maintenus dans leur "ghetto africain". En 1998, un rapport de l’équipe pour l’égalité raciale à la Banque mondiale a pris note d’une évaluation interne qui "révèle qu’il y a un préjugé racial parmi certains managers, qui considèrent que les Africains manquent de raffinement et sont inférieurs ". Ce ne sont pas là de simples anecdotes. Une étude réalisée en 2005 par l’Association du personnel a enregistré 450 plaintes en 5 ans de la part du conseiller principal en matière d’égalité raciale. (Références disponibles sur notre Facebook : End Racial discrimination at the World Bank)

Parce que la Banque Mondiale jouit d’une immunité en ce qui concerne les Cours de justice américaines, les victimes de la discrimination ne peuvent avoir recours qu’à un tribunal interne. Malheureusement, le tribunal a rejeté tous les cas de discrimination qui lui ont été soumis et ce dès sa création en 1980. Dans un rapport de l’Us Gouvernment Accountability Office (Gao) datant de 1999, il est dit que le système de justice de la Banque "ne protège pas de façon adéquate les droits des victimes de discrimination et ne demandait pas de compte aux managers". Le Trésor américain a endossé le rapport le jugeant "juste et précis". Plusieurs études récentes sont parvenues à la même conclusion. Les Noirs ne sont pas seulement discriminés, on leur nie également le droit à un procès équitable

LES AFRO-AMERICAINS SONT CONFRONTES A LA PLUS GRANDE DISCRIMINATION

Dans un édito publié par le Washington Post, feu William Raspberry rapportait que "sur 619 professionnels américains à la Banque Mondiale, seuls trois étaient des Américains noirs". Une enquête menée en 2009 par le Government Accountability Project (GAP) n’a trouvé que "quatre Noirs américains sur plus de 1000 professionnels". Le propre rapport de la Banque en 1998 indique que "les Noirs sont recrutés de façon disproportionnée en qualité de secrétaire, en ignorant leurs qualifications et leurs réussites professionnelles". Nombre d’entre eux "sont qualifiés pour faire partie du corps des professionnel de la Banque". Le rapport note que "le personnel de secrétariat représente 32% du total des employés. Pour les Africains ce pourcentage atteint 47% et 75% pour les Afro-américains". Les Afro-américains sont exclus de la Banque ou sont maintenus dans des postes de secrétaires comme temporaires. Voici un exemple.

Mme Hitch, une Afro-américaine a travaillé à la Banque pendant près de 20 ans comme temporaire. Selon une évaluation indépendante du Gap, "elle a postulé pour trois postes différents entre 2003 et 2004 et tous lui ont été refusés, y compris un poste pour lequel elle n’avait pas postulé, mais pour lequel elle avait été sélectionnée et qu’on ne lui a pas offert". En 2004, elle a été une fois de plus présélectionnée pour un poste mais au final elle a été exclue des entretiens. Elle a finalement eu un entretien, mais seulement après qu’elle se soit enquise des raisons de son exclusion. Par la suite le panel qui procédait aux entretiens l’a identifiée comme "étant la candidate de choix".

Un des employés des ressources humaines (Rh) a alors envoyé un e-mail au directeur responsable de l’embauche pour lui signifier : "Je pense devoir apporter à votre seule connaissance le contexte de l’Afro-américaine pour le moment où vous prendrez la décision finale quant à son embauche. Elle a environ 57 ans, a été dans la Banque depuis environ 20 ans, dont 18 comme temporaire… Je crois que dans le département nous avons besoin de quelqu’un de jeune et dynamique, qui apprend vite et qui a la volonté d’en faire plus." Un jeune Indien a obtenu le poste.

Mme Hitch a porté son cas devant le Tribunal. Rejetant ses accusations de discrimination raciale, de genre et d’âge sans autre forme de procès, le tribunal notait "qu’il avait été perturbé par les regrettables stéréotypes… lors de comparaisons des candidats au cours du processus de sélection". Dans son argumentaire il explique que la décision de la Banque "était basée sur les qualifications respectives des différents candidats et des considérations légitimes de diversité". Selon le Gap "la manière dont le Tribunal est arrivé à cette conclusion n’est pas claire". La Banque n’a jamais établi que l’Indien était mieux qualifié. En particulier, l’affirmation selon laquelle il y a " des considérations légitimes de diversité" était une fraude judiciaire effrontée. Les Afro-américaines sont bien moins représentées - et de loin- que les Indiens à la Banque Mondiale. Ms Hitch a dû quitter la Banque après 20 ans de service, sans retraite.

UNE NOUVELLE LOI QUI ATTEND D’ETRE MISE EN ŒUVRE

Il a été reconnu depuis longtemps, que la discrimination raciale et les représailles à l’encontre de ceux qui la dénoncent fermentent sous le voile de l’immunité dont jouit la Banque face à la justice américaine. Des cas comme celui de Mme Hitch ont conduit à l’adoption de l’Amendement Lugar-Leahy en 2005, qui demandait à la Banque de permettre aux dénonciateurs l’accès à un arbitrage extérieur. Malheureusement, la Banque a refusé de se soumettre à la loi. Ce qui a déclenché le Consolidated Appropriations Act en 2012, demandant que les Etats-Unis n’approuvent leur participation financière à la Banque Mondiale que lorsque elle aura fait des progrès substantiels pour se mettre en conformité avec la loi. Mais la Banque a déjà bafoué la nouvelle loi. Ci-dessous un exemple. Il y en a d’autres, y compris des cas qui sont dans les mains de la Eeoc.

AI VS LA BANQUE MONDIALE (2010)

Dr AI a porté plainte contre la Banque, l’accusant de discrimination après que sa candidature pour le poste de Global Manager, un poste important du International Comparison Program (Icp), a été rejetée parce que "les Européens n’ont pas l’habitude de voir un Noir dans une position de pouvoir". Les études internes de la Banque de 1992, 1998, 2003 et 2005 ont montré que les Noirs sont limités " à des postes subalternes et au profil bas " et qu’on leur abandonne la vice-présidence de la région africaine. Au cours du procès portant sur le cas du Dr AI, la Banque a eu l’effronterie d’effacer toute référence au management dans son dossier professionnel, prétendant qu’il n’avait pas d’expérience dans ce domaine pour lui permettre d’occuper le poste de Global manager.

Avant qu’il ne porte plainte, son dossier aux Rh pour 2005 et 2006 disait : "[Dr AI] a été le député Global manager. Il continue de fournir une excellente prestation en gérant un des programmes les plus critiques que la Banque a eu à gérer [2005]… Il a des fonctions multiples dans le management global de l’Icp, s’occupant de cas difficiles de coordination et de gestion. Ses nombreuses compétences méritent des éloges [2006]"

En 2009, la Banque a affirmé qu’il ne jouait aucun rôle dans le management global du Icp, revenant sur les évaluations de ses prestations précédentes, signées et archivées, déclarant que ces remarques "étaient surfaites et ont eu la conséquence indésirable d’alimenter ses vues mégalomanes qui lui ont fait croire qu’il pouvait prétendre au poste de global manager". Sept ans de performances exceptionnelles ont été effacés du dossier de Dr AI. La banque l’a licencié et a été jusqu’à effacer son nom des publications officielles, prétendant qu’il n’avait fait partie que du personnel technique. Le tribunal a rejeté son cas, sans même tenter d’établir les faits. Le cas a généré une grande indignation, entraînant l’intervention sans précédent du secrétaire au Trésor américain, l’Association du personnel et du Gap. En vain.

Ayant compris qu’il n’y avait pas justice à la Banque Mondiale pour les Noirs, Dr AI s’est concentré sur la sauvegarde de son futur. Son avocat a approché la Banque, proposant de mettre un terme aux revendications de compensation de licenciement en échange d’une lettre officielle confirmant ses responsabilités et ses réalisations. A cet effet, Dr AI a fourni à la Banque un projet de lettre soulignant ses réalisations au niveau du management, se basant sur le rapport figurant dans son dossier aux Rh. Selon son avocat, "la Banque a accepté de fournir une lettre de "recommandation" mais a refusé de caractériser son travail d’une quelconque façon et le texte proposé substantiellement revu". La Banque a insisté pour revoir le texte extrait du dossier, sachant pertinemment que la publication d’une lettre non corrigée exposerait les avocats pour ce qu’ils sont : des parjures.

Le Trésor américain et le Directeur exécutif américain de la Banque mondiale ont formellement demandé que le senior management de la Banque résolve le cas de Dr AI par un arbitrage extérieur, ce que la Banque a rejeté. Dr AI n’a eu d’autres choix que de recourir au tribunal qui a jugé son licenciement "illégal, arbitraire, une violation du processus judiciaire équitable et un abus de discrétion", mais a décidé que la Banque ne devait pas lui rendre son poste. Il déclarait que "ni les statuts du tribunal ni ses règles requièrent que le tribunal doit ordonner son réemploi lorsqu’il trouve que le licenciement a été arbitraire".

Dr AI se retrouve sans emploi et sans identité professionnelle officielle en sa qualité de manager. Il lui est difficile de mentionner ses réalisations de manager dans son Cv alors que le dossier officiel de la Banque présente du matériel contredisant ses déclarations. Ses perspectives de carrière sont irrémédiablement gâchées et ses moyens de subsistance, ainsi que ceux de sa famille en ruine. Dans sa quête d’un arbitrage extérieur, Dr AI a demandé son dossier officiel au Rh en vue d’une réparation légale pour les tourments psychologiques endurés ainsi que pour les torts financiers et professionnels subis. Quel qu’aient été les décisions du tribunal face à ses revendications précédentes, il a le droit de recevoir une copie non falsifiée de son dossier Rh.

Le Consolidation Appropriation Act est devenu loi afin de fournir à des personnes comme Dr AI la protection de la justice. La loi requiert que le Trésor américain le rapporte au Congrès américain et aux Appropriation Committes du Sénat, quand la Banque viole l’Appropriation Act. Le cas de Dr AI, que le Trésor lui-même a reconnu comme un cas d’alerte, sert de test permettant d’établir si le Trésor est vraiment résolu à faire respecter la loi. Une pétition récente lancée par le Gap et le National Tax Payers Union (union national des contribuables), signée par plus de cinq cents personnes, a exprimé sa préoccupation de voir le Trésor apposer son blanc-seing sur les pratiques de la Banque. Si cela était avéré, et face aux claires et constantes violations des droits humains sur sol américain, l’échec continu du Trésor à entreprendre des actions décisives représenterait un déni de responsabilité légale et morale.

Les Afro-américains ont soufferts pendant des siècles aux Etats-Unis, aussi bien de l’esclavage que de la ségrégation légalisée durant la période de Jim Crow. C’est pour mettre un terme à la déshumanisation des Noirs que de nombreux dirigeants des droits civils afro-américains ont sacrifié leur vie. Dr King n’est pas mort pour que Jim Crow soit remplacé par du racisme du genre Bretton Woods visant même plus les Afro-américains que d’autres Noirs.

Justice for Blacks, un groupe constitué d’anciens et actuels employés de la Banque Mondiale, en appelle aux dirigeants américains des droits civils afin qu’ils élèvent leur voix pour que l’administration Obama applique immédiatement le Consolidated Appropriations Act, qui est un premier pas crucial vers une assurance de justice pour les Noirs à la Banque mondiale. Le groupe fait aussi appel aux médias pour qu’ils abandonnent leur silence assourdissant face à l’injustice raciale. Réanimer l’esprit du Dr King et maintenir son rêve vivace n’en requiert pas moins

Les auteurs sont des Afro-américaines et membre de Justice for

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** Blacks. Ms Muhammad est titulaire d’un JD de la Harvard Law School et Ms Smith est diplômée de la Morgan State University (Mba). Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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