L’agriculture écologique en Afrique de l’est et australe
Les conditions qui ont conduit à la promotion des méthodes d’agriculture durable dans le reste du monde ont également fait naître un regain d’intérêt pour ces méthodes dans les pays d’Afrique de l’Est et d’Afrique Australe. Les effets nocifs des produits agrochimiques sur la santé humaine et sur l’environnement, leurs coûts élevés et leur inaccessibilité pour la majorité des producteurs, de même que le fait que leur efficacité a diminué, ne sont que quelques raisons parmi d’autres pour l’intérêt accru de l’agriculture durable.
Il existe, aujourd’hui, une bonne génération de producteurs qui ont expérimenté les effets, dans l’immédiat «miraculeux», des engrais et autres produits agrochimiques sur les rendements. Des producteurs qui ont pu, à la longue, constater la baisse de ces rendements, au fur et à mesure que les coûts des intrants dépassaient leurs moyens. Avec l’abandon du compostage, du fumier et des autres mesures de conservation comme moyens de maintenir la fertilité des sols dans plusieurs pays, au profit des engrais, les sols sont devenus plus minces, plus dégradés et moins fertiles, exigeant davantage d’engrais coûteux.
Cela, évidemment, n’est pas durable. Dans les pays où ces techniques agricoles «modernes» avaient été largement adoptées, les rendements ont commencé à chuter avec le renchérissement des engrais et l’oubli né de l’abandon du vieux savoir faire et des anciennes techniques de conservation.
Les modèles d’utilisation de techniques agricoles intensives et grosses consommatrices d’intrants chimiques étaient étroitement liés aux modèles coloniaux. Les pays ayant connu des communautés de colons européens plus importants ont été les plus touchés par les modèles d’agriculture intensive. L’adoption généralisée de ces techniques, même parmi les petits producteurs ruraux, a contribué à faire de ces pays des puissances agricoles sophistiquées, mais au prix d’impacts de plus en plus néfastes.
Par conséquent, des pays à «fort taux de colonisation», comme l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et le Kenya ont été les plus rapidement et les plus fortement concernés par l’adoption des techniques agricoles à forte utilisation d’intrants, dès le début et le milieu du XXe siècle. D’autres pays africains dans la région, qui étaient des colonies européennes mais qui n’avaient pas connu de fortes implantations de colons européens, comme l’Ouganda et la Tanzanie par exemple, avaient conservé des méthodes agricoles plus traditionnelles. C’est pourquoi, si l’Ouganda n’a jamais pu disposer des grands domaines très productifs et tournés vers l’exploitation, avec leurs multiples avantages économiques, qui étaient courants au Kenya voisin, il a pu conserver sa riche végétation et ses sols relativement purs.
L’ironie, c’est que si l’agriculture « hyper développée » des anciens pays d’implantation coloniale, dont ils étaient si fiers naguère, se débat dans toutes sortes de difficultés pour soutenir sa forte consommation d’intrants, ce sont les pays comme l’Ouganda qui tirent avantage de la pureté de leurs sols aujourd’hui. L’Ouganda est devenu un pays leader dans la production et l’exportation des produits bio, en prenant avantage de son utilisation historiquement faible de produits agrochimiques pour profiter de la demande sans cesse croissante de produits alimentaires dépourvus de produits chimiques.
Les promoteurs de l’agriculture écologique en Afrique de l’Est et Australe font certes graduellement des progrès, mais ils sont confrontés à de nouveaux obstacles. Même si l’utilisation des produits agrochimiques a considérablement baissé du fait de leurs coûts élevés et de leur inaccessibilité, l’idéologie de l’agriculture intensive, considérée comme le système le plus « moderne » et le plus sophistiqué, demeure fort.
L’agriculture durable doit donc batailler ferme contre son image de système démodé et inefficace, qui n’est que le dernier recours pour ceux qui n’ont pas d’autre choix. Ce problème de perception constitue un obstacle majeur à l’utilisation de l’agriculture durable même en l’absence de véritable alternative. Ainsi, même si l’agriculture écologique est en pleine croissance, elle est encore considérablement gênée par la force et l’influence résiduelle de ce qui est désormais perçue comme étant « l’agriculture correcte, « moderne ». Cela signifie que les techniques d’agriculture durable sont essentiellement adoptées par des groupements de petits producteurs, en particulier dans les zones d’intervention des ONG chargées de le promouvoir. Pendant ce temps, la grande majorité des moyens et gros producteurs se débattent pour se maintenir dans l’agriculture intensive.
Les promoteurs de l’agriculture durable travaillent dans un environnement hostile ou pour le moins indifférent. Les autorités gouvernementales, les politiques et services d’encadrement n’ont aucune considération ni attitude de promotion à l’égard de l’agriculture durable. Souvent, ils le considèrent comme un dernier recours lorsque les méthodes intensives « préférées » ne sont pas accessibles. Dans presque tous les pays où l’agriculture écologique commence lentement, mais sûrement, à être prise au sérieux, il y a de grands programmes de subvention et promotion de l’utilisation des produits agrochimiques.
Les fabricants et fournisseurs d’intrants incitent les producteurs, à grands renforts de publicité, à utiliser leurs produits, en offrant des facilités de crédits auxquels les producteurs peuvent difficilement résister. Même quand ils sont au courant des effets négatifs. Le lobby des OGM est assez puissant en Afrique et l’Est et en Afrique Australe, avec de plus en plus de pays adoptant des programmes d’essai de coton, de maïs, manioc, bananes et autres spéculations génétiquement modifiées.
Mais, en dépit des nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés, les tenants de l’agriculture durable mettent la pression et continue d’exercer impact de celle-ci sur une nombre de plus en plus grand de producteurs et de spécialistes de l’agriculture intensive. Le Kenya, l’Ouganda et la Zambie sont parmi les pays de la région qui ont des mouvements et des organisations d’agriculture durable encore embryonnaire mais déjà forts et en pleine croissance. Au Kenya et en Zambie, ils coexistent avec de grands domaines pratiquant l’agriculture conventionnelle, mais un certain nombre de ces grandes exploitations, dans les deux pays, commencent à se lancer dans la production bio certifiée destinée à l’exportation. La plupart de ces entreprises gèrent un système double de production conventionnelle et bio. Toutefois, la majorité des pratiquants de l’agriculture durable demeurent les petits producteurs, dont certains sont organisés en groupements de producteurs voués à l’exportation.
Le secteur agricole ougandais est majoritairement basé sur la petite production et d’importants progrès sont faits pour transformer la faible utilisation d’intrants chimiques dans l’agriculture en un avantage commercial pour les produits bio. Contrairement aux pays comme le Kenya, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe où l’utilisation des produits agrochimiques et des semences hybrides est devenue la norme, les semences conservés par les producteurs et les méthodes naturelles d’agriculture sont encore prédominantes en Ouganda. Les mêmes conditions prévalent en Tanzanie, sauf que ce pays n’a pas les mêmes avantages que l’Ouganda. Dans l’ensemble, l’agriculture en Afrique de l’Est est fortement influencée par l’existence de deux saisons pluvieuses dans l’année, comparativement à l’Afrique Australe qui ne dispose que d’une seule saison des pluies de plus en plus imprévisible.
Dans les deux sous régions, les initiatives d’agriculture durable sont fortement dépendantes des bailleurs de fonds étrangers. Cela soulève la question de la durabilité à long terme des efforts souvent faibles et sous financés, en particulier face aux ressources beaucoup plus importantes dont dispose le système de production «opposé». Les gouvernements manifestent de plus en plus leur compréhension et leur appui en faveur de l’agriculture durable, mais cet appui se traduit rarement en soutien financier réel.
Les pays d’Afrique de l’Est ont récemment adopté des normes bio communes pour pouvoir mieux accéder aux marchés de l’exportation et peser d’un «poids» plus important dans les fora internationaux. Mais il reste à voir quel sera l’impact de ces normes dans le développement de la production et du marché bio dans la région. Lorsqu’il s’agit d’exportations, seules les réglementations des marchés cibles sont importantes. Aussi sera-t-il intéressant, pour la région comme pour les autres régions, d’étudier ces initiatives pour voir quels sont les effets de ce ces nouvelles normes régionales dans ces exportations.
L’économie sophistiquée de l’Afrique du Sud est la seule qui dispose marché local de produits bio, certes restreint, mais en pleine croissance, bien que l’agriculture conventionnelle, grande consommatrice d’intrants, est encore la rège dans ce pays. Même parmi les petits producteurs. Une grande partie des produits bio est souvent destinée à l’exportation vers l’Union Européenne et les Etats-Unis, mais l’Afrique du Sud est un cas unique en Afrique, car elle est la seule capable de soutenir un marché bio viable.
Le gouvernement sud-africain encourage la production de cultures génétiquement modifiées, mais un certain nombre, toujours croissant, d’acteurs privés adopte l’agriculture bio à cause des multiples menaces sur la santé et l’environnement liées à la forte utilisation des produis agrochimiques, de l’augmentation continue des prix des intrants et de la résistance des ravageurs, de même que la baisse des rendements et le désir d’accéder au marché lucratif des produits bio exportés. L’Afrique du Sud est le seul pays de la région où l’agriculture est plus domaine du secteur privé, plus tourné vers la recherche de profits que du type à but non lucratif prôné par les ONG.
De nombreuses initiatives d’agriculture durable sont virtuellement présentes dans tous les pays d’Afrique de l’Est et Australe, mais celles qui se situent en dehors des pays cités sont généralement encore plus petites, même si elles découlent toujours des mêmes raisons. Ainsi, le besoin de développer l’agriculture durable est grandissant et il existe des exemples de réussite encourageants dans plusieurs pays, il est également vrai qu’il y a encore de nombreux obstacles qui s’opposent à sa généralisation.
* Chido Makunike est un consultant en agriculture originaire du Zimbabwe
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