Un Gabon en ruines, à la démocratie dévastée
La visite du président gabonais, Ali Bongo Odimba, aux Etats Unis, du 6 au 9 juin a suscité une levée de boucliers au sein de la société civile gabonaise. Au président Barak Obama, ses membres ont adressé une lettre d’interpellation pour lui faire le point sur un pays à la démocratie dévastée, à la gouvernance ruineuse. Mais aussi pour lui rappeler le sens de son discours d’Accra, qui doit fonder ses rapports avec les dirigeants africains.
Excellence Monsieur le président
C’est au nom des valeurs démocratiques cardinales qui fondent les Etats-Unis d’Amérique que la Société Civile gabonaise vient, au moment ou vous vous apprêtez à recevoir M. Ali Bongo Odimba, président de la République gabonaise, qui préside aux destinées du Conseil de Sécurité des Nations Unies, vous exposer la situation catastrophique de gouvernance et de la démocratie au Gabon. Indépendant depuis 1960, le Gabon souffre de deux pathologies principales qui affectent tous les segments de la société.
1 - La mal gouvernance démocratique
La caractéristique principale de cette pathologie réside dans le refus de toute alternance démocratique à travers la confiscation du pouvoir par des moyens frauduleux, des élections truquées, les résultats des consultations électorales sont connus d’avance, la liste électorale domiciliée au ministère de l’Intérieur subit systématiquement une manipulation et des trafics en tout genre dans le but de maintenir un système corrompu et honnis par la population. Les résultats sortis des urnes sont ainsi inversés au profit du Parti Démocratique Gabonais, parti-Etat, au pouvoir depuis 44 ans, un des derniers vestiges du monolithisme politique en Afrique, responsable de faillite et de la ruine généralisées du pays.
Oui, Monsieur le président, le Gabon est en ruine, la démocratie est dévastée.
Les institutions dans leur ensemble n’ont aucune crédibilité parce qu’elles sont idéologiquement et politiquement inféodées au Parti Démocratique Gabonais. Leur seule et unique vocation est la survie du régime. La dernière révision constitutionnelle décidée de façon unilatérale par le PDG, dans le but exclusif de renforcer le pouvoir illimité et de créer une présidence à vie à M. Ali Bongo, est la parfaite illustration du marasme démocratique au Gabon.
De même, la Cour Constitutionnelle constitue l’un des verrous d’une véritable marche du Gabon vers l’Etat de droit et la démocratie. Cette institution dirigée par la belle mère d’Ali Bongo et composée d’anciens caciques du parti au pouvoir, bloque résolument la démocratie. Elle refuse avec obstination la mise en place des mécanismes légaux permettant l’organisation d’élections fiables, transparentes et démocratiques dans le pays, avec l’implication directe des organisations de la société civile gabonaise dans toutes les phases électorales (préélectoral, électoral et post-électoral). La Cour Constitutionnelle vient de s’opposer systématiquement à l’introduction de la biométrie dans le système électoral alors que tous les acteurs politiques et la société civile ont unanimement fait le choix providentiel de la biométrie.
Nous faisons le constat amer que les actions, les méthodes et les pratiques du gouvernement gabonais sont contraires aux normes et standards internationaux en matière de démocratie.
Des journalistes sont emprisonnés et menacés de mort pour la simple raison qu’ils dénoncent la corruption et les agissements blâmables et anti démocratiques des gens appartenant au gouvernement ou à la famille présidentielle. Le journaliste Désiré Ename, Directeur de Publication de l’hebdomadaire « Echos du Nord », a été enlevé et séquestré par la police judiciaire, instrumentalisée par un parent du président, Frederik Bongo. Grace à la mobilisation rapide de la société civile, Désiré Ename a été libéré.
Chaque jour, la liberté syndicale est menacée. Des syndicalistes qui défendaient leurs droits ont été emprisonnés. Certains syndicalistes, membres de la CONASYCED, ont vu leurs salaires suspendus depuis plusieurs mois pour avoir réclamé le respect des engagements pris par le gouvernement.
Les journaux très critiques à l’endroit du pouvoir en place sont suspendus ou détruits par les agents au service du pouvoir. Les deux chaines de télévision publiques procèdent à une manipulation éhontée de l’opinion.
Les expressions démocratiques comme les marches pacifiques sont interdites ou réprimées brutalement par des forces de sécurité qui se comportent avec les populations civiles comme des forces d’occupation et de répression.
Les partis de l’opposition sont marginalisés, leurs activités subissent de nombreuses tracasseries. Plusieurs membres et sympathisants d’un parti de l’opposition dissout ont été radiés des effectifs de la fonction publique ou poursuivis en justice.
Comme pouvez le constater, le Gabon n’est pas un pays démocratique, son pouvoir politique est dictatorial parce que basé sur la fraude et la répression des forces démocratiques, comme mécanismes de pérennisation d’un pouvoir politique aux antipodes des valeurs démocratiques sur lesquelles les Etats-Unis sont fondés. C’est en effet la même famille qui confisque le pouvoir et les dividendes et détourne les deniers publics au seul profit de leur petite caste de baronie.
2 - La corruption de l’élite au pouvoir qui s’enrichit indéfiniment et l’extrême pauvreté de la population sans cesse croissante
Depuis l’arrivée aux affaires de M. Ali Bongo Odimba, de nombreuses décisions destinées à améliorer la gestion de l’Etat ont été annoncées, mais la concrétisation de ces initiatives se fait toujours attendre. Les observateurs avertis parlent d’effets d’annonces…
Pendant ce temps, la corruption, liée notamment à l’attribution des marchés publics et à la gestion des revenus des industries extractives, touche tous les segments de l’administration gabonaise. L’exemple le plus significatif en 2011 concerne les marchés de la Can 2012 de football : les sociétés SOCOBA et ENTRACO appartenant à la famille présidentielle disposent du plus grand nombre de contrats. Tout comme les revenus du pétrole gabonais qui sont entre les mains de la famille présidentielle ou des personnes apparentées à cette galaxie.
Dans le même registre de détournement, les fêtes tournantes, un véritable gouffre financier qui a engloutit plus de 500 milliards de francs CFA, ont permis aux différents barons et doyens politiques de se servir sans vergogne dans les caisses de l’Etat en tout impunité. Tout dernièrement, le président s’est même offert aux frais du contribuable gabonais, un somptueux immeuble à 100 millions d’euros à Paris, pendant que les enfants gabonais souffrent d’une éducation médiocre et des inégalités sociales en constante progression.
Par ailleurs, les audits diligentés par la Cour des Comptes témoignent de l’ampleur des détournements et des crimes économiques attachés au programme des fêtes tournantes au Gabon. Au plan institutionnel, la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite manque d’efficacité, d’indépendance et de moyens d’action à la hauteur de ses ambitions faute de volonté politique. Pendant que les barrons du régime vident les caisses de l’Etat, la pauvreté progresse à pas de géant. Le pays manque de tout.
L’Initiative de Transparence des Industries Extractives (EITI) connait un coup d’arrêt et le gouvernement ne semble plus accorder de l’importance à cette noble initiative dont le dernier rapport de conciliation remonte à 2006.
Monsieur le Président, comme vous le voyez, le Gabon est en ruine, le Gabon est fortement affecté et victime de ces deux pathologies à savoir la mauvaise gouvernance démocratique fondée un système électorale frauduleux et la corruption du régime. Le Gabon a été classé parmi les pays où l’indice de corruption est le plus élevé en Afrique.
Face à cette situation, la société civile dénonce avec la dernière énergie cette volonté d’organiser les prochaines législatives dans les conditions frauduleuses et anti-démocratiques actuelles. Elle recommande pour cela d’une part, le retour de l’élection à deux tours pour toutes les élections et, d’autre part, la limitation des mandats présidentiels, législatifs et des corps constitués de l’Etat.
Fort de ce qui précède, considérant votre discours historique prononcé à Accra en faveur de l’Afrique où vous avez dit : « Les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas ».
« Il ne s’agit pas seulement d’organiser des élections il faut voir ce qui se passe entre les scrutins. La répression revêt de nombreuses formes et trop de pays, même ceux qui tiennent des élections, sont en proie à des problèmes qui condamnent leur peuple à la pauvreté ».
« Personne ne veut vivre dans une société où la règle de droit cède la place à la loi du plus fort et à la corruption. Ce n’est pas de la démocratie, c’est de la tyrannie, même si de temps en temps on y sème une élection ça et là, et il est temps que ce style de gouvernement disparaisse ». Vous aviez ajouté « qu’un pays n’est fort démocratiquement que par la stabilité de ses institutions démocratiques et non des hommes politiques ».
Votre discours d’Accra résonne dans nos oreilles et rencontre un écho favorable auprès des Gabonais qui aspirent à vivre dans un pays libéré de la tyrannie et de la corruption. Un pays ou les citoyens pourront exprimer leur opinion en toute liberté, un pays qui verra l’avènement d’institutions fiables et démocratiques. Aujourd’hui les gabonais sont prisonniers d’un système prédateur et corrompu au paroxysme qui vole toutes les ressources de l’Etat en milliards de dollar.
Monsieur le Président, un tel système ne doit plus prospérer. Vous devez, au nom de la démocratie et de la liberté, le dire à M. Ali Bongo Odimba, lui exprimer tout votre opposition à la militarisation du Gabon, à l’installation du règne de la terreur où les forces de 2ème et 3ème catégories sont déployés chaque jour dans les rues, comme dans un pays en état de siège !
Dans cette perspective, nous vous prions de bien vouloir adresser un message clair à M. Ali Bongo Odimba, concernant la démocratie et les libertés et ce dernier doit s’engager à :
- Organiser des élections démocratiques impartiales, avec l’implication de la société civile et sous la supervision de la communauté internationale afin de garantir une transition démocratique pacifique souhaitée par toute la population gabonaise ;
- Adopter les reformes institutionnelles proposées par la société civile visant le renforcement de la démocratie à partir des normes de gouvernance répondant aux standards internationaux propres aux systèmes démocratiques :
Fait Libreville, le 8 juin 2011
* Pour la Société Civile Gabonaise:
- Marc Ona Essangui, Président de Brainforest, Prix Goldman Environnement 2009 : (241) 07294140 : [email][email protected]
- Georges Mpaga, Président du Conseil d’Administration du Réseau des Organisations Libres de la Société Civile pour la Bonne Gouvernance au Gabon (ROLBG) : (241) 07519932 : [email][email protected]
- Alain Moupopa, Président d’Afrique Horizons ONG des Droits de l’Homme : (241) 07751503
- Dieudonné Minlama Mintogo, Président de l’Observatoire National de la Démocratie : (241) 07948719 : [email][email protected]
- Joël célestin Mamboundou, Président de l’ONG Gouvernance Démocratie et Santé Environnementales (GODESE) et Coordonnateur du Réseau TAI : (241) 07943034
* Helmi Sharawy est le vice-président de l’Arab African Research Center, au Caire - Contact : [email][email protected], [email][email protected] Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger