Mobilisation contre les Ogm et résistance face à l’industrie semencière : Les enjeux d’une bataille
Au Sénégal, et en , des lois se préparent pour faciliter l’introduction des semences Ogm mais l’apparition de la nouvelle donne demande de changer de cap.
Le règlement sous régional de l’Afrique de l’Ouest sur les Ogm, visant à créer des conditions juridiques nécessaires pour faciliter l’introduction des semences Ogm produites par les firmes semencières, avance à grands pas, dans le plus grand silence. Parallèlement, au Sénégal, la révision de la loi existant sur les Ogm, dite la loi de biosécurité, est entamée pour la rendre conforme au règlement sous régionale en préparation.
Les semences Ogm, ou transgéniques, ou semences génétiquement modifié, sont des semences de nouveau type, développées et vendues par les firmes multinationales ; ces semences sont obtenues en utilisant les méthodes de manipulations génétiques mal maitrisées qui font intervenir le transfert de gènes entre les espèces très différentes qui ne se croisent pas normalement dans la nature. La majorité de la population n’est pas au courent ni de l’évolution des lois sur les Ogm, ni de l’existence de la loi nationale sénégalaise autorisant les Ogm, adoptée en 2009. Pourtant, l’introduction des semences Ogm risque d’affecter largement la vie des populations, des producteurs et des consommateurs, et surtout des paysans qui sont en même temps, les producteurs et les consommateurs.
Processus d’élaboration et d’adoption du règlement sous régionale
Le processus d’adoption du règlement sous régionale de l’Afrique de l’ouest est entré dans une phase décisive le 5 février 2015, à Ouagadougou, par l’adoption par les ministres concernés de l’Uemoa du rapport des experts sur l’avant-projet de règlement pourtant sur la prévention des risques biotechnologiques en Afrique de l’Ouest. L’adoption est passée au Sénégal dans un grand silence médiatique, sans débat public. L’avant-projet de règlement sous régionale a des dispositifs qui facilitent l’introduction des semences Ogm. Le processus d’élaboration d’une Règlementation sur les Ogm dans l’espace Uemoa/Cedeao/ Cilss, partie essentielle du Projet régional de biosécurité, soutenu par la Banque mondiale, a commencé il y a plus de 10 ans et avance à un rythme soutenu :
- 2002, Banjul : 37ème session du Conseil des ministres du Cilss - point de départ des réflexions sur la problématique des Ogm,
- 2004, Ouagadougou : conférence ministérielle sur « la maîtrise des sciences et technologies en vue d’accroître la productivité agricole en Afrique,
- 2005, Bamako : Conférence ministérielle aboutissant à l’élaboration du plan d’actions de la Cedeao pour le développement de la biotechnologie avec l’objectif de développer les applications de la biotechnologie afin d’améliorer la productivité agricole.
- 2006, Bissau : Adoption des conventions régionales sur les semences et la biosécurité.
- 2008, Bamako: Rencontre Cilss/Cedeao conduisant à l’élaboration, par une équipe d’experts, du premier draft du règlement de biosécurité des pays d’Afrique de l’Ouest.
- 2010 : ateliers de validation simultanés dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest du texte de l’avant projets de règlement de biosécurité des pays d’Afrique de l’Ouest.
A Dakar, l’atelier de validation tenu le 29 novembre – 1er décembre 2010 à la direction des parcs nationaux, a coïncidé avec un grand événement national, le forum du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr), sur le thème : «Comment les exploitations familiales peuvent-elles nourrir le Sénégal ?». Ainsi l’atelier de validation est passé presque inaperçue. Les faibles échos de la presse sénégalaise sur l’atelier de validation de Dakar n’ont même pas utilisé le terme « Ogm ».
Principe de l’équivalence en substance, base du futur règlement sous régional
Le règlement sous régional sur les Ogm est basé sur le principe de l’équivalence en substance qui postule qu'il n'y a pas de différence entre les cultures Ogm et cultures non-Ogm. Ce principe a été inventé par les experts proches de la firme multinationale Monsanto, dans le but de faciliter la légalisation des Ogm par la législation américaine, pour contourner l’exigence de faire des longs et couteux tests toxicologiques demandés par la législation américaine pour des produits nouveaux, et pour éviter l'étiquetage des produits Ogm. Il faut remonter le cours de l’histoire pour voir comment les produits alimentaires Ogm ou à base d’Ogm, ont été autorisés pour la première fois dans le monde.
Les Ogm agricoles ont été autorisés pour la première fois dans le monde en Amérique par une procédure apparentée au forcing politique. En effet, la décision d’autoriser les Ogm était une décision purement politique qui était prise malgré l’avis défavorable de la plupart des experts de l’agence américaine chargée de l’autorisation des nouveaux produits alimentaire, la Food and Drug Administration (Fda). Si les lois étaient respectées, les Ogm ne devaient pas être dans les champs.
La Fda est la principale agence américaine de régulation qui autorise les nouveaux produits alimentaires. A l’époque, les biotechnologies étaient considérées comme la nouvelle révolution industrielle, capable d’assurer la domination économique américaine. Monsanto s’est assuré de soutien de l’administration Reagan et Bush, favorables à la réduction de l’intervention de l’Etat dans les affaires économiques, pour éviter de ralentir les applications des Ogm par une législation contraignante. George Bush, notamment, cherchait à "réduire le fardeau réglementaire qui pèse sur l'économie".
Le 29 mai 1992, la Fda a donné son autorisation pour les Ogm, décision contestée par les scientifiques de l’institution elle-même. La division de la chimie et de la technologie alimentaire de la Fda a présenté le 1er novembre 1991 un mémorandum qui souligne les effets indésirables que pourrait vraisemblablement engendré par la technique de manipulation génétique comme :
- un niveau anormalement élevé de substances toxiques connues,
- l’apparition des nouvelles substances toxiques,
- une capacité accrue d’accumuler des substances provenant de l’environnement, comme les pesticides ou les métaux lourds,
- une altération imprévisible des aliments.
L’application du principe de l’équivalence en substance, base de la législation américaine, a de nombreuses répercussions sur le commerce, notamment l’absence d’étiquetage spécifique pour les produits alimentaires vendus en Amérique contenant des Ogm.
La loi nationale sénégalaise sur les Ogm est basée sur le principe de précaution
La loi nationale sénégalaise sur les Ogm, dite la loi de biosécurité n° 2009-27, est basée sur le principe de précaution, ceci en conformité avec le Protocole de Carthagena sur la biosécurité. Ce Protocole, adopté en 2000 et entré en vigueur en 2003, est la pièce maîtresse de l’architecture juridique internationale en matière d’Ogm. Défini dans le cadre de la Convention de l'Onu sur la diversité biologique (Cdb) pour encadrer la circulation des Ogm, il a comme objectif la protection de la diversité biologique des risques potentiels portés par les Ogm. Il fixe les normes minimales pour la réglementation du transport, de la manipulation et de l’utilisation sans danger des Ogm.
Le principe de précaution est né de la remise en question des certitudes scientifiques face à la crise environnementale observée depuis les années 1970. Notamment il vient du constat que les connaissances scientifiques sont souvent insuffisantes pour évaluer les risques associés aux Ogm.
Le Protocole de Cartagena demande que l’utilisation des nouvelles technologies doit être basée sur le principe de précaution. Le principe de précaution exige que lorsqu’il existe une menace de réduction importante ou de perte de la diversité biologique, l’absence de certitudes scientifiques absolues ne devrait pas être utilisée comme prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures permettant d’éviter une telle menace, ou d’en atténuer les effets.
Voici quelques extraits du texte de projet de règlement sous régional de biosécurité (1).
Chapitre 1 : Définitions, objet, champ d’application
Article 4 : Enoncé des principes
4.2. Reconnaissance des normes internationales
Afin de permettre la libre circulation dans l’Union des Ogm et produits dérivés et d’en favoriser le commerce international et régional dans des conditions sanitaires satisfaisantes, les Etats membres :
a. fondent leurs mesures de protection sanitaires et environnementales sur les normes, directives et autres recommandations internationales notamment celles du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, du Codex Alimentarius, de l’Omc (Accords Sps et Otc), de la Cipv, de l’Oie ;
4.3. Reconnaissance mutuelle.
a. Les Etats membres mettent en œuvre le principe de la reconnaissance mutuelle comme moyen souple et progressif de mise en œuvre des modalités relatives de la libre circulation des Ogm et produits dérivés dans l’Union. Ce principe ne crée pas d’obstacles à la circulation des Ogm et produits dérivés.
C. Un Etat membre ne peut déroger au principe de la libre circulation des produits et services que dans les conditions prévues à l’article 79 du Traité de l’Uemoa.
4.4. Equivalence et principe du traitement national
a. Chaque Etat membre accepte sur son territoire tout Ogm et produit dérivé qui répond à une règle technique ou à une procédure d’évaluation de la conformité, adoptée par un autre Etat membre et considérée comme équivalente à la sienne, lorsque l’Etat exportateur, en collaboration avec l’Etat importateur prouve à ce dernier que cet Ogm ou produit dérivé est légalement fabriqué ou commercialisé sur son territoire et que cet Ogm ou produit dérivé est conforme aux principes directeurs du présent Règlement.
C. Les Etats membres, en cas de divergences, engagent des discussions au sein de la Commission de l’Uemoa dans le but d’éviter l’obstacle à cette libre circulation, et de permettre aux Etats membres de préparer et d’adopter des critères communs visant à l’harmonisation par l’équivalence de la réglementation technique ou des procédures d’évaluation de la conformité de l’Ogm ou du produit dérivé concerné.
4.5. Libre circulation des produits et d’équivalence.
a. Les Ogm et produits dérivés circulent librement sur le territoire de l’Union dès lors qu’ils sont conformes aux normes de protection et d’acceptation de risques convenus par les Etats membres en application des dispositions pertinentes du présent Règlement.
Cette contradiction était soulignée par la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (2) (Copagen), qui a déclaré que « le principe de la libre circulation des Ogm" est en flagrante contradiction avec l’esprit des dispositions pertinentes du Protocole de Cartagena et de la Convention sur la diversité biologique ».
Une autre critique émane de l’atelier régional des organisations de la société civile de 2011, où les participants ont posé la question sur les véritables intentions des institutions qui ont proposé l’avant projet de règlement et ont critiqué le principe de la libre circulation des Ogm. Ils ont remarqué notamment qu’ils « ont souvent eu l’impression que l’avant projet de règlement était plus focalisé sur la libre circulation des Ogm que sur la biosécurité». Ils ont souligné également que « les Ogm ne sont pas des marchandises comme les autres, et méritent donc un traitement spécifique.
Le principe de l’équivalence en substance, ainsi que le principe de la libre circulation des Ogm, est en contradiction avec le principe de précaution, base de la loi nationale sénégalaise de biosécurité. L'Afrique de l’Ouest est le centre d’origine d'un grand nombre de cultures alimentaires importantes : mil, sorgho, niébé, voandzou, fonio, etc. Ces espèces africaines sont encore mal connues par la recherche. De ce fait le centre d’origine africaine n’est pas suffisamment bien défendu. L'introduction des Ogm, et surtout leur libre circulation, pourrait gravement compromettre la biodiversité africaine, pour l'agriculture familiale et la souveraineté alimentaire.
Au Sénégal, le point focal du Protocole de Cartagena, situé à la direction des parcs nationaux, dirige toutes les activités liées aux Ogm. Comment est-il possible que son point focal, qui doit défendre le principe de précaution, s’accommode avec le principe de l’équivalence en substance et le principe de la libre circulation des Ogm, incompatibles avec le principe de précaution?
La révision de la loi nationale sur les Ogm
La loi nationale 2009 est jugée par les promoteurs des semences Ogm trop restrictive vis-à-vis de l’introduction des Ogm. Il s’agit notamment de recommandations de l’atelier de sensibilisation et d'information "Biosécurité et Biotechnologies modernes en Afrique et dans le Monde" (Dakar, 2-3 septembre 2015), qui a souligné la nécessité « de la révision de la loi sur la biosécurité, (pour la mettre) en conformité avec à la réglementation de l’Uemoa, encore à l'étude ». (3)
Ousseynou Kassé, directeur exécutif de l’Autorité national de biosécurité (Anb), lors de l’atelier de sensibilisation des membres de l’Anb et du Cnb sur le cadre national de biosécurité, Dakar (10 -11 novembre 2015), a déclaré : «Nous avons signé le protocole avec le laboratoire de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop et d’ici décembre nous aurons une loi révisée et nous allons inviter toutes les partie prenantes pour apporter leur input avant qu’elle ne soit votée à l’Assemblée.» (4). Pourquoi cette précipitation ? Quelle est la nécessité de changer une loi existante pour la mettre en conformité avec une loi qui n’existe pas encore ? Pourquoi néglige-t-on des lois modèles élaborées par l’Organisation de l’unité africaine au lieu d’en faire la base de la règlementation?
L’Union Africaine a adopté en 1998, deux lois modèles, qui doivent servir de base à toutes les législations nationales. La première loi modèle africaine, intitulée “Protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs, et règles d’accès aux ressources biologiques”, approuvée en juin 1998 a été entérinée en 2001 par les chefs d’Etat de l’Oua. Cette loi modèle affirme que :
- les droits des communautés sur les ressources génétiques, connaissances et pratiques, sont collectifs et inaliénables,
- la brevetabilité du vivant est interdite et
- tout droit sur l’obtention végétale sera conditionné aux droits des agriculteurs
- elle pose la reconnaissance des droits des paysans comme préalable à tout droit des obtenteurs.
La deuxième loi modèle africaine, intitulée “loi modèle sur la sécurité en biotechnologie”, approuvée en 2002, est basée sur le Protocole de Carthagène. Cette loi modèle est beaucoup plus rigoureuse en matière de prévention, contrôle, et évaluation et gestion des risques que la loi nationale 2009, notamment elle considère que l’autorisation pour l’introduction des Ogm peut être accordée si leur introduction est profitable aux populations et au développement durable.
Extraits de la loi modèle sur la sécurité en biotechnologie.
9. L’Autorité compétente ne pourra délivrer une autorisation que si elle considère et détermine que l’importation, l’utilisation confinée, la dissémination ou la mise sur le marché de l’organisme génétiquement modifié ou d'un produit dérivé d'organisme génétiquement modifié :
a. profite au pays sans causer de risque important pour la santé humaine, la diversité biologique ou l’environnement ;
b. participe au développement durable ;
c. ne nuit pas à l’environnement socio-économique ;
d. répond aux valeurs éthiques et aux préoccupations des communautés et ne menace pas les connaissances et technologies des communautés.
Nouvelle donne : une masse d’évidence de l’échec des semences Ogm.
Le processus de l’évolution des lois sous régionale et nationale sur les Ogm entre dans une phase où la situation change et il apparait une masse d’évidence de l’échec des semences Ogm. La thèse principale du Projet régional de biosécurité de l’Uemoa/Cedeao, postulant que l’utilisation des semences Ogm permet d’améliorer la productivité agricole, a reçu récemment une abondance des contre preuves. C’est une nouvelle donne qui demande de changer de cap.
Le journal Jeune Afrique a publié en mai 2016 un dossier critique sur les Ogm, qualifiant notamment l’expérience du coton génétiquement modifié, le coton Bt, au Burkina Faso, de fiasco burkinabè et il parle de la méfiance des États africains envers Monsanto suite à ce fiasco. Il cite le Mémorandum sur la production et la commercialisation du coton génétiquement modifié au Burkina Faso (mai 2015), produit par quatre principales sociétés cotonnières du pays :
- « la qualité du coton Bt, conçu pour être résistant aux insectes ravageurs du coton, n’est pas bonne.
- il se vend moins bien et moins cher sur le marché international,
- son rendement est décevant »
« Le Burkina renonce au coton génétiquement modifié qu’il juge peu rentable : les champs sont envahis de chenilles, la production chute, les paysans, endettés, abandonnent la culture », écrit le journal.
Des signaux d’alarme retentissent concernant la menace de l'agriculture africaine par l'expansion du secteur semencier privé en Afrique de l’Ouest
Voici quelques documents récents à ce sujet.
1). Le communiqué de presse du Centre africain pour la biodiversité (Cab), du 7 juillet 2015, basé sur le rapport «Afrique de l'Ouest : les industries semencières et des Ogm convoitent les marchés lucratifs des semences de niébé », donne l’alerte sur l’intérêt de l'industrie semencière pour niébé Ogm. (5) Le rapport démontre l'expansion de l'industrie semencière privée en Afrique de l'Ouest, en ce qui concerne la production et la commercialisation des semences du niébé, et particulièrement du niébé Bt, démarche soutenue par l’Usaid, l'Agence des États-Unis pour le Développement International, et la Nasan, la Nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition.
Cette expansion de l'industrie semencière s’accompagne de :
- la création de grands marchés régionaux justifiant les investissements du secteur privé, et
- l’harmonisation des lois semencières, puisque «l’investissement du secteur privé dans les marchés de semences régionaux repose sur des variétés figurant sur des listes régionales, ce qui les rend immédiatement acceptables au niveau national, sans aucune nécessité de tests. C'est dans ce contexte que l'on doit interpréter la poussée pour une harmonisation des lois semencières aux niveaux régionaux.»
Selon le Cab, l'expansion de l'industrie semencière constitue un danger d'exclusion des petits exploitants du système de production et de distribution des semences. Leur rôle sera réduit de celui de producteurs des semences des variétés locales à celui de simples acheteurs de semences certifiées venant d’ailleurs, coûteuses et mal adaptées.
Le niébé génétiquement modifié est manipulé pour recevoir le "gène Bt" provenant de la bactérie Bacillus thuringiensis (abrégé en Bt) qui produit naturellement une substance agissant comme insecticide naturel. Cette substance toxique est sécrétée au sein de tous les tissus de la plante durant toute sa durée de vie. Les taux de substance sécrétée changent toutefois en fonction du tissu végétal analysé (feuille, graine, etc.) ainsi que du stade de développement de la plante. Cette manipulation est conçue pour protéger la plante du niébé contre la Maruca, la foreuse des gousses du niébé.
Selon le rapport du Cab, le niébé Bt résistant à la foreuse des gousses n’est pas résistant à d’autres ravageurs du niébé, ainsi cette approche ne règle pas tous les problèmes de parasitisme du niébé. Le rapport « exprime les inquiétudes concernant les risques sanitaires du niébé Bt qui a été développé en utilisant le gène Bt, le même gène contenu dans le maïs Ogm de Monsanto, Mon810 pour lequel «les risques sanitaires ont été clairement établis et sont très inquiétants.» Le rapport avertit également que le gène Bt risque de passer des variétés Ogm aux variétés conventionnelles (non Ogm) du niébé, ainsi que dans les espèces sauvages, ce qui aura des impacts écologiques irréversibles et encore inconnus.
Le gouvernement du Sénégal, par la voix de Dogo Seck, secrétaire général du ministère de l'Agriculture et de l'équipement rural, s’est prononcé récemment favorable au niébé Bt. (6) Quel intérêt présente l’introduction du niébé Bt résistant à la foreuse des gousses, ravageur mineur du niébé au Sénégal ? D’après les recherches de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra), les trois principaux groupes d'insectes qui constituent des contraintes à la culture et au stockage du niébé au Sénégal, sont l’Amsacta moloneyi, les thrips et la bruche du niébé.
Les plantes du niébé Bt secrètent durant toute leur vie une substance toxique insecticide. Pourtant il s’agit qu’une plante vivrière et fourragère ! Jusqu’à présent, les cultures Ogm dans le monde étaient les cultures industrielles ou destinées à l’alimentation animale. L’introduction du niébé Bt conduira à la consommation par humains des graines contenant de l’insecticide et à l’utilisation des fanes toxiques pour nourrir le bétail. L'expérimentation et vulgarisations sur le terrain du niébé Bt se feront bientôt au Sénégal et dans d’autres pays africains. (7)
L’Afrique de l'Ouest est le centre d’origine du niébé, il doit être protégé de la contamination par les Ogm. L’introduction du niébé Ogm présente un grand danger pour la biodiversité et la souveraineté alimentaire africaine.
2) L’Acb, a adressé le 4 décembre 2015 un nouveau communiqué de presse basé sur un rapport publié sur «L'expansion du secteur semencier commercial en Afrique subsaharienne : principaux acteurs, questions clés et tendances». (8)
Le rapport constate que le secteur semencier de l’Afrique, dominé jusqu’à présent par les semences produites par les petits exploitants, entre dans une nouvelle phase caractérisée par d'expansion du secteur privé semencier.
Les sociétés semencières cherchent à occuper et verrouiller le secteur semencier en Afrique subsaharienne pour interdire le commerce de variétés locales. Ces sociétés semencières sont les grandes sociétés multinationales : Monsanto, DuPont, Pioneer, Syngenta et Vilmorin, les grandes sociétés européennes et asiatiques, et les sociétés semencières locales africaines.
Beaucoup de sociétés semencières ont reçu l'appui financier et technique de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) et de la Nasan.
L'Afrique de l’Ouest présente un grand intérêt pour les différentes sociétés semencières, sociétés bénéficiant un important fond d'investissement. L'industrie semencière exerce une pression pour favoriser les nouvelles politiques et les changements réglementaires pour appuyer cette vague d'expansion du secteur privé semencier, notamment, en faveur de l'harmonisation régionale des lois semencière en Afrique.
Le Parlement européen s’oppose au colonialisme agricole en Afrique.
Le Parlement européen, dans un rapport adopté le 7 juin 2016 à une vaste majorité, a critiqué le programme de la Nouvelle alliance Nasan. (9) Le rapport, introduit par le parti écologiste, souligne : « Nous avons déjà fait cette erreur de l’agriculture intensive en Europe, nous ne devrions pas la reproduire en Afrique, car ce modèle détruit l’agriculture familiale et réduit la biodiversité ».
Lancée en 2012 par les pays du G8, la Nasan a comme objectif la réduction de la pauvreté en dynamisant les investissements dans le secteur agricole de 10 pays africains, tels que le Bénin, le Sénégal, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, etc. Le programme Feed the Future est la principale structure utilisée par les Etats Unis d’Amérique pour contribuer à la Nasan. En contrepartie des investissements, ce partenariat pousse les pays africains partenaires à mettre en place des réformes politiques sur l’accès au foncier, l’utilisation de semences certifiées (hybrides, Ogm), et la fiscalité pour faciliter les investissements privés dans le secteur agricole. Ces réformes favorisent les grands groupes au détriment des petits agriculteurs.
«Les petits exploitants produisent […] grâce à des techniques beaucoup plus durables et respectueuses du climat que les grandes entreprises agricoles. La Nasan fait exactement le contraire, en facilitant la mainmise des grandes entreprises agricoles sur les systèmes alimentaires dans divers pays africains. Les eurodéputés appellent à un arrêt du soutien aux Ogm dans le cadre du partenariat public-privé.
Le Parlement lance un avertissement concernant la privatisation des semences. « En Afrique, près de 90 % des agriculteurs vivent de leurs semences (vente, échange, etc.). Un système qui leur permet de conserver «une certaine indépendance vis-à-vis du secteur semencier commercial…Mais le secteur privé, qui finance une partie de la Nasan, demande à ce que les pays changent leur législation. Cela obligerait les paysans à renoncer à l’échange et à la vente libre de leur semence ».
La nouvelle donne : le Traité international Tirpaa demande l’application des droits des agriculteurs.
Le Traité International sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa), appelé aussi Traité sur les semences, adopté par les états membres de la Fao en 2001, a comme objectif la préservation de la biodiversité des semences agricoles « pour une agriculture durable et pour la sécurité alimentaire ».
La biodiversité, ou Ressources phytogénétiques, est la base de l’agriculture : la biodiversité est à l’origine de toutes les cultures, et de l’immense diversité au sein de chaque espèce de culture. Les variétés locales (traditionnelles ou paysannes) constituent le fondement de la biodiversité agricole. La semence qui est le premier maillon de la chaîne alimentaire devenue un grand enjeu économique et politique.
La Fao, par le biais de Tirpaa, a reconnu, dans son Article 9, la contribution passée, présente et future des agriculteurs à la conservation, à l'amélioration et à la diffusion des ressources phytogénétiques et a affirmé qu'ils doivent être récompensés pour cette contribution. (10)
Il reconnaît les droits des agriculteurs qui incluent :
- le droit à la protection des connaissances traditionnelles,
- le droit de conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences ;
- le droit de participer à la prise de décisions concernant l’utilisation des ressources phytogénétiques et
- le droit au partage des avantages.
Le Traité International Tirpaa reconnaît les droits des agriculteurs à vendre leurs semences, le droit qui n’est pas reconnu par la législation sénégalaise. D’après la Loi n° 94.81, relative à la production et la commercialisation des semences au Sénégal, il est interdit aux agriculteurs de vendre leurs semences, sous peine d’amande. Selon le principe de l’hiérarchie des normes, l’instrument juridique international doit primer sur le communautaire et national. Il faut réviser la loi nationale sur les semences, notamment compte tenu des récents développements du Tirpaa.
Le Tirpaa, dans sa résolution 8/2013, demande aux états signataires du traité d’appliquer les Droits des agriculteurs, notamment par l’élaboration des Plans d’action pour l’application de l’article 9 du Tirpaa sur les Droits des agriculteurs (11). Cette résolution prévoit d’autres mesures, notamment elle « invite toutes les Parties contractantes, qui ne l’ont pas encore fait, à réexaminer et, si nécessaire, à ajuster les mesures nationales ayant une incidence sur la concrétisation des Droits des agriculteurs énoncés à l’Article 9 du Traité international, afin de protéger et de promouvoir les Droits des agriculteurs »
Au Sénégal, les semences certifiées, d’après le ministère de l’Agriculture, constituent 12% de toutes les semences utilisées, donc, les 88% proviennent des stocks personnels des paysans constitués essentiellement par les semences locales, patrimoine des communautés paysannes, garantie de la survie de leurs enfants. Pour le Cncr, la solution au problème de manque de semences au Sénégal réside dans l’autoproduction de semences (12).
Compte tenu du déficit céréalier astronomique au Sénégal, en moyen de 50%, au moment où les pays voisins sont autosuffisants où presque, et compte tenu de la prédominance écrasante des semences paysannes, quel est l’intérêt pour les africains d’adopter des lois favorisant les firmes privées semencières ?
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** Ce texte est du Comité ouest africain des semences paysannes (Coasp), a été créé en 2011, à l'issue de la 3éme Foire des semences paysannes de Djimini, au Sénégal. Voir le journal de la 3éme Foire sous-régionale ouest-africaine des semences paysannes, 2011.
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NOTES
1). Avant-projet de règlement sur la prévention des risques biotechnologiques en Afrique de l’Ouest.
2). La Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain, créée en 2004, est un réseau de 9 coalitions nationales de l’Afrique de l’Ouest, ayant pour mission d’œuvrer pour la sauvegarde du patrimoine génétique africain, notamment par la promotion des semences paysannes et la lutte contre les Ogm.
3). Introduction des Ogm et biotechnologies modernes en Afrique, Diallo, Sud Quotidien, 4/9/2015.
4). Biotechnologie moderne : Une loi dans le circuit, Dakaractu 11 novembre 2015
5). Les industries semencières et des Ogm convoitent les marchés lucratifs des semences de niébé. Centre africain pour la biodiversité, 2015
6). Ansts : les Ogm sont peut-être présents au Sénégal, Journal Bic, 2016
7). Cadre de gestion environnementale et sociale pour la biosécurité, Décembre 2010, page 13.
8). L'expansion du secteur semencier commercial en Afrique subsaharienne : Principaux acteurs, questions clés et tendances, rapport de l’Acb, décembre 2015
9). Parlement européen s’oppose au colonialisme agricole en Afrique, C. Barbière, EurActiv.fr, 8 juin 2016.
10). www.planttreaty.org
11). Résolution 8/2013 du Tirpaa, Traité International sur les Ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.
12) Comment les exploitations familiales peuvent-elles nourrir le Sénégal ? Forum du Cncr, 2010, p. 26 - Résolution 8/2013, septembre 2013 du Tirpaa