Terrorisme islamiste au Sahel et manœuvres militaires
Les récentes activités d’Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) ont fait de l’Afrique de l’Ouest un espace d’insécurité. Une insécurité de dimension et de type nouveau. Dix ans après qu’on a tourné la page des conflits civils au Liberia et en Sierra Leone, alors que la rébellion du MFDC en Casamance, dans le sud du Sénégal, s’essouffle, au moment où la Côte d’Ivoire et la Guinée s’appuient sur des processus électoraux pour sortir d’une tourmente politico-militaire, le Sahel se charge donc à nouveau de nuages.
L’escalade des combats et prises d’otages perpétrées par Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) dessine une nouvelle ligne de feu en Afrique de l’Ouest. Elle va de la Mauritanie au Niger, en passant par le Mali. Et on devine, avec la fragilité des Etats voisins, tous en proie à des germes déstabilisateurs, que les possibilités de connexion ne manquent pas pour dessiner un champ conflictuel plus large encore. En passant par le Nigeria où sévit la rébellion du MEND, incluant le Tchad et le Soudan qui se trouvent dans une instabilité chronique, on aboutit facilement vers la Somalie et la Corne de l’Afrique où Al Qaeda s’est incrusté en profondeur.
Les événements qui soulèvent ces inquiétudes ont connu une brusque accélération au cours de ces derniers mois. La chronologie est aussi rapide que brutale :
- Le 22 juillet, la France intervient militairement en Mauritanie pour libérer un de ses ressortissants pris en otage par AQMI. L’opération échoue et ce dernier en paye le prix pour sa vie.
- Le 15 septembre, des combats se déroulent sur le sol malien entre AQMI et des militaires mauritaniens qui exercent un droit de poursuite (le Mali l’autorise à ses voisins). La France reconnaît leur avoir apporté un appui technique face aux combattants islamistes.
- Le 16 septembre, sept employés de multinationale AREVA, qui exploite l’uranium dans le nord du Niger, sont enlevés dans les installations sociales de l’usine. Les otages sont cinq Français, un Togolais et un Malgache.
Auparavant, les prémices voire les salves annonciatrices n’avaient pas manqué.
L’espace désertique sahélien demeure pour l’instant le champ clos de ces affrontements. Dans les pays voisins, ils suscitent peu d’inquiétude chez les populations. Elles en perçoivent de loin les échos, mais ne mesurent pas encore les possibilités de débordement. Or les enjeux militaires sont d’une autre dimension.
La France, qui a entamé un mouvement de retrait de ses bases militaires dont la conception, l’opérationnalité et l’efficience semblent dépassées par les nouvelles normes de sécurité et de défense, se réinstalle en se réadaptant. Ses unités d’élite encadrent et combattent désormais sur le sol africain face à AQMI. Au regard de ce que fut le Vietnam pour les Etats-Unis et ce qu’est l’Afghanistan aujourd’hui pour Washington et ses alliés, on entrevoit les logiques d’escalade et d’intervention accrue qui se dessinent.
Dans un article paru dans le journal burkinabé Le pays (Voir : Armée française : La base tant rêvée au Burkina), Pascal Kaboré détaille les premiers pas du renforcement militaire de la France au Burkina, base arrière idéale pour combattre AQMI dans le Sahel. Et c’est pour constater : «En 1960, le gouvernement de Maurice Yaméogo avait donné trente jours aux troupes françaises pour évacuer Bobo-Dioulasso où elles avaient entrepris d’installer une base militaire. Cinquante ans après, elles s’offrent enfin la base dont elles ont tant rêvé.» Avec la logistique et l’intendance high tech de la nouvelle guerre des temps modernes, celle contre le terrorisme islamiste.
Dans cet espace sahélien, la France n’est pas seule à se pré-positionner. Depuis début 2007, les Etats-Unis cherchent à installer leur 4e commandement militaire régional, AFRICOM, sur le continent. Tous les pays africains approchés leur ont refusé l’installation d’une base, de peur de devenir une cible contre les intérêts américains. Cela n’a cependant pas empêché les Etats-Unis de s’impliquer de plus en plus sur le plan militaire en Afrique de l’Ouest. Les activités de formation et les manœuvres militaires encadrées se multiplient, - notamment au Mali, un pays qui se présente comme le premier tampon - pour contenir l’évolution d’AQMI vers l’Ouest du Sahel et les rivages de l’Atlantique.
Au regard de l’escalade dans les activités du mouvement islamiste, AFRICOM pourrait trouver un espace favorable à son implantation. Au Sénégal la menace semble encore lointaine, mais on sait quelle est aux portes (voir AQMI est aux portes du Sénégal). Au Burkina, on s’inquiète fort (voir « Sarkozy en guerre contre AQMI ! Le Burkina aussi ? »). Au niveau de l’ONU, on est carrément alarmiste.
Dans une déclaration faite le 29 septembre à Dakar, en marge d’une réunion des représentants des missions onusiennes de paix dans les pays d’Afrique de l’Ouest, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies dans la région a étalé des craintes réelles. Selon Saïd Djinnit, «la menace, à travers ses manifestations, notamment les prises d'otages, a été croissante et les risques de propagation de la menace au sud sont réels (à cause) de la pauvreté environnante et des problèmes de gouvernance qui sont assez généralisés».
Aujourd’hui, l’idée d’une grande conférence sur le terrorisme et ses risques de propagation en Afrique de l’Ouest se précise. Il avait été question de la tenir l’année dernière à Bamako, mais la rencontre avait été annulée. Aujourd’hui, tous les éléments de contexte semblent réunis pour la précipiter. Les 14 et 15 octobre, les pays de la zone sahélo-saharienne vont se retrouver dans la capitale malienne pour une conférence sur la question, avec la participation de la France. Cette réunion vient compléter celle des chefs d’Etat-major des armées qui s’était tenue le 26 septembre à Tamanrasset, en Algérie. Elle va discuter d’une éventuelle implication du Maroc, de la Libye et du Tchad.
Il est donc clair que la zone saharo-sahélienne est entrée dans l’ère des grandes stratégies militaires mondiales.
* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News
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