Sénégal : errements et difficultés d'une succession monarchique au pouvoir

Il y a eu Faure Eyadema au Gabon, Aly Bongo au Gabon, il pourrait y avoir Karim Wade au Sénégal. Mais ce processus de dévolution dynastique du pouvoir, dont les éléments se mettent en place depuis plusieurs années, coince du côté de Dakar. Après plusieurs manœuvres et tentatives de coups de force au niveau du l’Etat et du parti au pouvoir que dirige son père, le «fils Wade» vient de présenter une nouvelle approche. Son père l’appuie et comme le souligne Dame Babou, «Abdoulaye Wade recule mais ne renonce jamais».

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Depuis que le plan d’installation de Karim Wade à la mairie de Dakar a échoué en mars 2009, après le choc de la défaite et la colère qui s’en est suivie, le président Wade est revenu à son plan initial pour installer son fils sur le fauteuil présidentiel. La mairie de Dakar avec un budget annuel de près 40 milliards, allait donner à Karim Wade non seulement une plateforme très visible pour l’aider à « démontrer » ses capacités managériales, mais aussi, lui donner le moyen de tisser une clientèle politique dans le terreau électoral le plus fertile du pays qui est la capitale.

L’assaut sur Dakar n’était pas une initiative du patron du Pds. C’était plutôt le plan des jeunes impatients, dirigés par un certain Hassan Bâ, qui, lui-même, l’a publiquement avoué le lendemain de la débâcle des élections locales de mars 2009. Ces jeunes pensaient non seulement que le président était à son dernier mandat, mais aussi et surtout que la politique pouvait se faire à partir des combinaisons basées sur le nombre de « Une » des journaux qui parleraient d’eux.

Abdoulaye Wade, en vieux routier de la politique, ne s’était résolu à soutenir cette Opa (offre publique d’achat) sur Dakar que parce que la pression combinée de sa famille, de Karim Wade, de son entourage et des exigences de l’horloge politique et biologique ont eu raison de lui. Après l’échec de la prise de la mairie, le chef est revenu à son plan de départ. Ce plan était constitué d’un puzzle, composé de plusieurs pièces complémentaires :

L’élément de base consistait à fabriquer un bilan de réalisations pour le futur candidat, une manière de lui donner une avance sur tous les concurrents éventuels. C’est ce qui explique la décision de lui confier les milliards de l’Agence nationale de l’OCI, avec le sommet (organisé en 2009) qui devait servir d’escalier à Karim Wade, finit par révéler un novice en matière de gestion et L’Anoci a finit en « Contes et Mécomptes ». (1)

Le deuxième élément du puzzle était mené concomitamment avec le premier : il s‘agissait d’éliminer tous les concurrents potentiels du successeur désigné par le père. Idrissa Seck (ancien Premier ministre et numéro 2 du Pds jusqu’en 2004, Ndlr), en premier, pensait comme beaucoup de Sénégalais, que le président Wade n’aurait ni le désir ni les moyens physiques de se présenter à un second mandat après ses sept ans de présidence. Il a été aidé par « le père » à se faire des ennemis à gauche et à droite, avant d’être soumis à une épreuve physique, politique et morale d’une férocité extraordinaire. Mais Seck semble avoir, comme un chat, neuf vies. Même affaibli, mais ayant pu maintenir sa tête hors de l’eau, il reste toujours un obstacle au désir du président à passer le fauteuil à son fils.

Un autre membre de l’équipe, Macky Sall (ex-Premier ministre, successeur d’Idrissa Seck en 2004, Ndlr), surprend les Wade par une ambition et une combativité insoupçonnées. C’était un nouvel obstacle non prévu. Et la survie politique de Macky, au-delà de toutes ses espérances, finira par convaincre plus d’un, que même un lion devient vieux, quand il est trop âgé.

Après avoir poussé dehors les adversaires déclarés de Karim Wade, il fallait faire des autres récalcitrants et les hésitants, des soumis. C’est ainsi qu’Adjibou Soumaré (Premier ministre, successeur de Macky Sall en 2007), qui ne fait pas partie « des lycaons aux dents longues» est positionné pour l’entourer d’une équipe gouvernementale avec une forte dose de «Concrétistes» (les proches de Karim Wade, Ndlr). Comme pour dire que désormais la seule voie aux délices du pouvoir c’est de se faire adouber par le prince. Là encore, l’errance de ministres amateurs a fait réfléchir et on finit par renvoyer un grand nombre d’entre eux.

Comme il n’est pas possible d’enlever de la tête du président Wade que « les réalisations pharaoniques », qui frappent l’imaginaire, sont la meilleure voie pour accéder au pouvoir, il crée un ministère titanesque qui n’a d’égal que les domaines et le volume d’argent qu’il englobe. En plus, on exige des autres membres du gouvernement de se limiter à négocier les autres projets et laisser le prince signer les accords devant les caméras. Même quand le ministre de l’Habitat décroche un programme de logements sociaux, c’est Karim Wade qui signe l’accord.

Le troisième élément, qui était l’étape stratégique, consistait en un hold up du Pds. On croyait y arriver avec l’élimination d’Idrissa Seck et après avoir poussé Macky Sall vers la sortie. On croyait avoir balisé la voie à un congrès du Pds où la Génération du concret (mouvement dirigé par Karim Wade, Ndlr) vient et impose sa « majorité ». Mais entre temps les nouveaux experts autour du successeur « désigné » avaient eu à faire peur aux caciques du parti que sont les anciens compagnons du fondateur, Abdoulaye Wade, soutenus par les transhumants (éléments qui ont rejoint le Pds après son accession au pouvoir) qui ne sont pas très à l’aise avec l’équipe de Karim Wade.

Conséquence, le parti se cabre sous la pression des «Pds de lait» et les nouveaux souteneurs de la Cap 21 (une alliance de partis qui soutiennent Abdoulaye Wade) et d’autres qui ne sont attirés que par les lambris dorés du pouvoir quel que soit celui qui en a le contrôle. Tout ce beau monde a une peur bleue de cette «Dream team» destiné à accompagner le prince, le jour ou il entrerait triomphalement au palais.

La résistance commence à agacer et on essaie la méthode forte. Farba Senghor (une des personnes influentes au sein du PDS), est imposé pour préparer le passage du témoin entre Wade fils et Wade père à la tête du parti. Mais avant cela, il fallait supprimer les dangers qui menacent le processus de succession dynastique, en déclarant que la contestation n’est plus permise. D’où la « candidature » d’Abdoulaye Wade annoncée de Washington (en septembre 2009), pour la présidentielle de 2012. Cette candidature aura surpris tous les autres prétendants, en attendant d’y voir plus clair et de préserver l’héritage pas encore assuré.

Le choix de Farba Senghor visait deux objectifs majeurs : identifier tous ceux qui donneront les gages que leur seule ambition est de rester à leur position de pouvoir et emmener les autres à lever l’ancre. Parmi les éléments que l’on cherchait à humilier pour les pousser à claquer la porte, on peut citer Idrissa Seck qui continue de roder dans les parages, Aminata Tall, Abdou Fall, Pape Diop, et même Modou Diagne Fada. Mais ce que cette manœuvre n’avait pas pris en compte est le fait que tout ce monde est convaincu que le temps joue contre Karim Wade et qu’il est possible de mener une guérilla politique qui fera peur à Abdoulaye Wade à mesure que l’échéance de 2012 s’approche.

Deux événements récents confirment que le camp des Wade commence à s’impatienter. Se rendant compte, de plus en plus, que les renouvellements des instances du PDS risquent de ne jamais se réaliser à temps pour lui permettre la prise de contrôle du parti, la Génération du concret (GC) commence à vouloir défier publiquement le patron du Pds, Abdoulaye Wade lui-même. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, dans un communiqué rendu publique, la GC menaçait d’organiser ses propres assises pour se compter au cas ou les renouvellements du Pds seraient bloqués. Le deuxième événement est cette mise en demeure attribuée au secrétaire général du PDS, adressée à des responsables qui n’auraient pas reversé l’argent de la vente des cartes. Presque tous ceux qui ont été cités par la presse dans ce groupe « d’indélicats » sont des responsables non encore domestiqués par Karim Wade et sa Génération du concret.

Abdoulaye Wade, Karim Wade, Idrissa Seck, et tous les «PDS originels continuent de penser que la seule voie à la victoire en 2012 passe par le contrôle de l’appareil du Parti. C’est cette conviction qui pousse Idrissa Seck à vouloir rester dans les parages et être prêt à agir en cas de précipitation des événements. Karim Wade et son mouvement sont pressés de s’emparer du parti. De même que les Modou Diagne Fada, Aminata Tall, Lamine Bâ et autres qui ont accepté d’avaler toutes couleuvres pour rester dans la périphérie.

Pendant que le projet de succession se débat avec toutes ces difficultés internes du camp politique de Wade, la situation sociale se dégrade avec les problèmes insolubles de la Senelec (la société d’électricité, incapable de satisfaire les besoins en énergie et causant des délestages qui conduisent à des mouvement de révolte populaire), les inondations qui arrivent à grands pas et qui seront une bombe si l’on n’y prend garde, une opposition requinquée, un PDS démobilisé, des alliés qui s’entredéchirent pour de l’argent et des querelles de leadership, etc.

Wade et son fils sont obligés de desserrer l’étau. C’est d’abord le fils qui, durant ces derniers jours, souffle (par l’intermédiaire de qui ?) à un nouveau site Internet que « le pays ne s’hérite pas, il se mérite », avant d’organiser tout un tintamarre sur une soit disante interview accordée à une maison de production audiovisuelle qu’on tente de présenter comme une télévision américaine. Mais pourquoi tout ce brouhaha ? Karim Wade n’avait il pas déjà dit la même chose à Amath Dansoko, un leader de l’opposition, depuis longtemps ? Se rendant compte que cette déclaration de la part de Karim n’a pas produit l’effet désiré, Abdoulaye Wade est venu à la rescousse en reprenant la même déclaration, en plus raffinée bien sûr, sur les ondes d’Europe 1, une radio française.

Tout cela laisse croire que le projet de dévolution du pouvoir de père en fils bute sur de sérieuses difficultés et il a besoin de manœuvrer pour traverser la zone de turbulence avant de revenir au galop ; comme ce fut le cas après la bourrasque du 22 mars 2009. Mais pour qui connaît Abdoulaye Wade, ce blocage n’est que temporaire. Wade recule mais ne renonce jamais. C’est sa nature !

* Dame Babou anime le site portail yolele.com

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