Rd Congo : Les trois plaies de Kinshasa
A Kihshasa les nuits sont noires fautes d’électricité et les journées sont longues à espérer voir de l’eau qui ne coule point. La mauvaise gestion et la faillite de ces deux secteurs sociaux essentiels, ajoutées à l’insécurité, ont fini de tuer une ville où les plus pauvres souffrent le plus.
Qui pouvait croire que cette ancienne colonie belge qui attirait tant de curieux surtout pour sa célébrissime luminosité en pleine Afrique noire, serait relayée au second plan jusqu’à être la risée de toutes, en un temps record ? Pendant qu’hier les Mbokards -entendez par-là ceux qui vivent dans l’intérieur du pays-, s’usaient les pieds pour atteindre Léo, coûte que coûte, aujourd’hui la chose n’est plus envisageable. Et cela, Les Kinois le savent pertinemment bien, leur « Kin-la Belle » d’autrefois a fini par porter des poux et s’est muée en une véritable poubelle.
Un trou noir, juste un trou noir ! Hélas, il ne s’agit nullement d’une métaphore pour ne pas parler d’une étoile éteinte dans l’espace mais plutôt d’une ville. Moins encore d’une ville déserte mais en voie de surpeuplement.
« Tout est noir, tout est dans le noir ! » C’est ainsi qu’un groupe d’architectes décrivent Kinshasa, capitale de la Rd Congo, du haut de l’Immeuble V.V Center, aux environs de la place Victoire, le soir tombé : «D’ici, j’ai l’impression que ma tête est recouverte d’une cagoule noire, c’est à peine que je me dis que mes yeux sont très ouverts et que je contemple ma ville natale», nous confie tout tristement le plus jeune d’entre eux. Si les principales artères sont éclairées par les phares de véhicules encore en circulation, les rares ménages, au prix de leur plus grand sacrifice, font fonctionner des groupes électrogènes, entrainant par la même occasion un tintamarre dans tout le voisinage.
Déjà, la ville s’était caractérisée par la vétusté de câbles chargés de distribuer l’énergie électrique, causant plusieurs cas de pertes en vies humaines, surtout en saison pluvieuse. Pour limiter ses dégâts et,- non pour y mettre fin définitivement en remplaçant ces câbles-, la Snel s’est mise à interrompre la fourniture, à chaque fois qu’il pleut. Là encore, on était loin d’être sorti de l’auberge. Car ensuite arrivèrent les longues séries de coupures du courant électrique à longueur de journées. La trouvaille des Kinois consistait à s’assurer trois à quatre parfois même cinq lignes pouvant garantir le relais en cas de coupures. Le plus important était, comme on le dit chez nous, « tolala molili té », entendez par-là, ne pas passer la nuit dans le noir. Quelle ingéniosité ! Quelle anarchie !
Enfin vint le fameux délestage : Il s’agissait de repartir la distribution du courant électrique par quartier, par commune, par jour. Plus d’une fois, cette crise en desserte électrique a été à la base de conflits inter-quartiers. Les plus astucieux parvenaient à « acheter » leur délestage moyennant quelques billets de banque : telle était devenue la règle des plus forts.
En dépit de tous ces antécédents évoqués, la dernière en date est la baisse du niveau d’eau du fleuve. Voilà plus de trois mois que tout Kinshasa -par la même occasion ses environs - est dans le noir. D’après l’Adg Daniel Yengo de la Snel : « La rude saison sèche a considérablement baissé le niveau d’eau, handicapant de ce fait, les turbines de la centrale d’Inga qui ne sont plus en mesure de fournir la quantité suffisante d’électricité pour tous». Et, à la question de savoir comment la ligne d’en-face (Congo Brazza) est alimentée malgré cette situation, il répond : «Pourquoi ne pas servir un client avec de quoi faire fonctionner une cabine (d’un client) qui paie… Si jamais, nous interrompons sa ligne…nous aurons à peine de quoi faire tourner une ou deux cabines chez nous...»
Quel sens élevé du nationalisme ! Quel haut degré de responsabilité ! On sait sous-entendre à la fin de ses propos la sous-question : A quoi ça sert de donner aux Congolais, les derniers avantages de leur propre centrale électrique ? A quoi ça sert de prévoir ces situations lorsque tout le monde sait que diriger, c’est surtout prévoir ? Des propos qui n’ont pas laissé sans réaction des acteurs politiques sur terrain. La plus virulente est celle de l’Honorable Kin-kie Mulumba, député national, qui a fustigé la gestion de l’Adg. Nous le citons : «Nous ne sommes pas loin de l’époque de l’homme des casernes qui vivait totalement sous la dépendance de la nature… Comment expliquer que les ménages sachent prévoir de petits groupes électrogènes en cas de coupure mais pas la société nationale d’électricité ?... Mais il faut rappeler qu’il y a bien longtemps que l’homme ne vit plus de la cueillette ou de la chasse.» Pas étonnant qu’il ait été révoqué deux jours après ses déclarations… Mais pour quel remède proposé, s’interroge-t-on ?
Plus d’un estime que ce scénario risquerait de réveiller un autre vieux démon: la Régideso qui, c’est un secret de Polichinelle, arrive à peine à desservir en eau potable la ville de Kinshasa. Il ne se passe pas deux semaines sans que toute la ville assiste impuissante à une pénurie d’eau. Il faut les voir, ces pauvres et braves femmes, toutes catégories confondues, qui avec deux bidons en mains, qui avec un bassin sur la tête et un enfant au dos, parcourir sans boussole les avenues de la capitale dans l’espoir de trouver une oasis. Pas étonnant qu’on assiste à des apparitions des épidémies telles que le choléra qui continue à faire de victimes innocentes en pleine capitale. L’ironie dans tout ça est qu’à la fin de chaque mois, la facture est déposée -nous allions dire jetée - dans les parcelles de concitoyens avec un ultimatum de 72 heures pour le paiement.
Quant à la polémique autour de la privatisation de ces sociétés publiques, les observateurs avertis soutiennent à l’unanimité, que c’est la seule solution qui permettrait de retirer cette société de mains de ses prédateurs publics qui l’ont complètement extirpé de tout…, même de son eau.
Le problème demeure le même du début à la fin. Et ce, quel que soit l’angle à partir duquel on le traite : la Snel et la Régideso, ont démissionné de leur principale mission sociale, il y a bien longtemps. Qui ne sait pas que le manque du courant rend le panier de la ménagère plus léger qu’auparavant, au détriment de nombreux de ventres affamés qui attendent : les frais de Makala couvrent toutes les dépenses journalières. Ajouté à cela, le manque à gagner qu’occasionnent ces coupures, pour les quelques rares sociétés de la place. Faut-il encore parler de la fonction sociale de la télévision en famille ? De son rôle unificateur de la cellule de base de la société ?
Pas étonnant de voir ces enfants qui, ne sachant que faire de leur temps par faute de distraction saine, se transformer aux sus et vus de tous, en Kuluneur après avoir fumé du cannabis le long de la rivière Kalamu, phénomène rendu célèbre par l’obscurité caractérielle de Kinshasa. A ce jour, qui peut se prétendre n’avoir pas été touché soit directement ou indirectement par ces nouveaux faiseurs de lois de rue que nous appelons affectueusement Maîtres ou Pomba ? Si ce n’est vous, c’est donc votre frère. Si vous n’en avez pas, c’est certainement quelqu’un des vôtres. C’est le cas de le dire, l’insécurité de citoyens ainsi que de leurs biens se porte à merveille à Kinshasa. Certains quartiers ont fini par signer leur reddition auprès de leurs maîtres, en leur garantissant le total respect de leur seigneurie.
Et jour après jour, de cas d’agressions par ces jeunes désœuvrés s’accumulent. Tenez par exemple, à Kingabua - un quartier réputé trouble -, pendant qu’une famille pleurait un de leurs qui venait de la quitter, deux groupes opposés de kuluneurs ont fait irruption, armés de machettes les plus aiguisées et se sont disputés le corps du disparu. La pauvre famille a dû payer cash « en espèce, bien entendu » pour récupérer la dépouille mortelle déjà en décomposition entre les mains de ces intraitables. Et ce sous la barbe de policiers commis à un poste de police, placé sur l’avenue d’après. On se croirait au Moyen-âge.
L’histoire nous enseigne que l’Atlantide avait disparu suite à son haut niveau de culture. Le raisonnement a-fortiori pourrait suggérer que suite à notre faible niveau de vie, Kinshasa soit appelé à s’éteindre à l’instar d’une étoile. Tel un trou noir dans l’espace. Heureusement qu’en Rd Congo, le ridicule ne tue jamais. Tout le monde voit, tout le monde sait et personne ne fait rien.
* Serge Onyumbe Wedi est un journaliste indépendant basé à Kinshasa
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