Promotion de l’agriculture familiale : les femmes africaines en campagne
«Nous sommes la solution : célébrons l’agriculture familiale». C’est la dénomination d’une campagne panafricaine de trois ans que des organisations et plateformes paysannes d’Afrique ont initiée. Des associations de femmes rurales ont donné le la. Le 7 février dernier, elles ont lancé leur campagne en l’inscrivant dans cette dynamique globale.
Douze associations de femmes rurales africaines ont lancé, le 7 février 2011, une campagne de trois ans visant à promouvoir l’agriculture familiale, élément fondamental dans la quête d’une souveraineté alimentaire. Le lancement a eu lieu dans le cadre de la Foire internationale des ressources animales (FIARA), qu’organise chaque année le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA). Une FIARA qui constituait cette année un des événements du Forum social mondial organisé du 6 au 11 février à Dakar.
Dénommée « Nous sommes la solution : Célébrons l’agriculture familiale africaine», la campagne démarre au niveau de cinq pays de la sous-région ouest-africaine : Sénégal, Mali, Guinée, Burkina et Ghana. Douze réseaux d’associations de femmes rurales établies dans ces pays sont appelés à coordonner les activités de mobilisation et de campagne (voir la liste ci-dessous) qui vont impliquer les associations de femmes à la base comme éléments d’impulsion et comme actrices.
La campagne est appelée à s’étendre progressivement à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et à d’autres régions du continent. Elle fait partie d’une campagne panafricaine globale du même nom, que le ROPPA, d’autres plateformes paysannes d’Afrique et des ONG partenaires ont décidé de lancer depuis juillet 2009, à l’issue d’une réunion tenue à Bamako. La démarche a été appuyée par l’Institut de Recherche et de Promotion des Alternatives en Développement, Food First et Fahamu.
A l’occasion de cette réunion de Bamako, les associations de femmes rurales présentes ont exprimé le besoin de mener, en parallèle et en corrélation, une campagne qui leur serait propre. Pour elles, il s’agit de la meilleure manière d’avoir voix au chapitre et de faire ressortir leurs points de vue, leurs besoins et leurs attentes en matière d’agriculture familiale. Au regard du rôle et de la place que les femmes occupent dans la production et la transformation des productions agricoles, base de l’alimentation familiale, elles entendent ainsi s’approprier cette campagne au mieux de leurs intérêts qui sont avant tout ceux de la famille et de la communauté.
La campagne «Nous sommes la solution : Célébrons l’agriculture familiale africaine» qui vise les objectifs suivants :
- Promouvoir les bonnes pratiques et les connaissances portées à travers les générations en Afrique (agro-écologie, préservation des semences), et qui ont permis d’assurer la souveraineté alimentaire sur le continent ;
- Influer sur les décideurs pour promouvoir une meilleure gouvernance ;
- Valoriser la production de l’agriculture familiale
Par rapport à ces orientations, la campagne des femmes se donne les objectifs généraux suivants :
- Doter des organisations de femmes rurales ainsi que leurs leaders de capacités organisationnelles ;
- Informer, sensibiliser et renforcer les voix des femmes rurales pour les engager dans les processus de prise de décision concernant la campagne globale aux niveaux africain, régional et local
- Organiser, mobiliser et soutenir un réseau panafricain d’échanges d’informations et de plaidoyer
En termes d’objectifs spécifiques, la campagne des femmes vise à :
- Renforcer 12 associations de femmes rurales et termes d’organisation et de capacitation de leurs leaders ;
- Faciliter l’implication de 75 femmes rurales dans des activités de plaidoyer et de diffusion d’informations dans les médias, les engageant ainsi dans les processus de prise de décision pour la campagne globale aux niveaux africain, régional et local ;
- Mobiliser et soutenir un réseau de 1000 organisations actrices pour des échanges d’information, des partenariats et des activités de plaidoyer.
Au final, la campagne devra permettre aux associations de femmes rurales, entre autres, d’améliorer leurs aptitudes, de promouvoir et de partager les connaissances agricoles traditionnelles, assurant ainsi la préservation et la promotion de cet héritage comme alternative aux méthodes vulgarisées par la Révolution verte. Car il est aujourd’hui attesté que les exploitations familiales qui assurent en grande partie la nourriture des populations en Afrique. Au Sénégal, par exemple, l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), a établi que «le panier de la ménagère sénégalaise est à 61% approvisionné directement ou indirectement par les exploitations familiales d’agriculteurs, d’éleveurs, de pêcheurs et de forestiers» (2010).
Cette campagne que vont mener les associations de femmes rurales est soutenue et facilitée par Fahamu. Elle se présente comme un élément essentiel dans la quête de plus de justice sociale en Afrique, au regard des crises multiformes (financières, alimentaires) qui impactent le continent et dont le monde rural souffre le plus, alors qu’il constitue quelque 70% des populations. Depuis les années 1980, l’agriculture africaine connaît des crises cycliques qui ont entraîné une constante décroissance de sa production. Une situation qui se traduit par une aggravation de la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la détérioration des conditions sanitaires, etc. Au-delà des changements climatiques et des effets de la sécheresse, ces difficultés résultent surtout de stratégies et de politiques agricoles inappropriés de la part des Etats.
Les femmes sont au cœur d’un système de production qui périclite et en subissent le plus fortement les contrecoups. En Afrique subsaharienne, les femmes sont responsables à 70% de la production alimentaire, à 100% de la transformation, à 50% du petit élevage et à 60 % de la vente sur le marché (1). Malgré tout, elles ont un accès limité aux technologies appropriées, à la formation, au crédit, aux fertilisants, à la terre et aux autres facteurs de production.
La campagne «Nous sommes la solution : Célébrons l’agriculture familiale africaine» est une réponse endogène à cette situation, portée par le mouvement paysan à travers le continent. Les 24 organisations qui l’ont conçue à Bamako, en juillet 2009, entendent s’appuyer sur les expériences endogènes africaines pour répondre de manière efficace aux crises alimentaires et montrer qu’il existe des approches plus pertinentes que les politiques agricoles industrielles inspirées par l’économie de marché, qu’AGRA et les institutions de la Révolution verte promeuvent.
Orientations et veille sur la campagne
La campagne menée par les associations de femmes rurales, se fera sous la supervision d’un Comité de pilotage stratégique. En prélude au lancement de la campagne, un groupe de réflexion s’est réuni les 28 et 29 janvier pour se pencher sur sa mission, sa composition et les profils de ses membres.
Les points discutés durant cette réunion ont porté sur :
Sa mission :
- Orienter et donner une vision stratégique
- Superviser, piloter sur la durée de la campagne
- Identifier les alliances possibles
- Gérer les relations politiques avec les acteurs stratégiques extérieurs (bailleurs, gouvernement)
- Administrer et contrôler l’exécution du projet et des ressources
- Participer à la bâtir l’image et la visibilité de la campagne.
Sa composition :
- Représentative par rapport à la zone d’intervention (5 pays où démarrent la campagne)
- Des femmes et hommes avec prépondérance des femmes
- Différente du comité de coordination et d’opérationalisation
- Représentative d’autres régions du continent
Le profils des membres :
- Maîtrise du sujet et des enjeux théoriques, politique et de terrain
- Reconnaissance politique (estime) de la part des organisations de femmes
- Capacité à faire avancer la réflexion stratégique
- Capacité d’interaction, de diplomatie et de négociation avec les acteurs stratégiques
Cette réunion de réflexion sur le comité de pilotage de la campagne des associations de femmes rurales a regroupé :
- Mme Salimata Wade : Réseau d'appui à la citoyenneté des Femmes Rurales d'Afrique de l'Ouest et du Tchad
- Mme Fatou Batta : Fédération nationale des organisations paysanne du Burkina
- Bernard Yangmaadome Guri : Compas Africa - network for Endogenous Development - research institutes
- Mme Agnes Mary Beecham
- Bakari Niary : Réseau pour la Biodiversité en Afrique – ABN
- Mme Djakagbé Kaba : Association Guinéenne pour l'Allègement des Charges Féminines
- M. Mamadou Goita : Institut pour l’Alimentation et le Développement durable en Afrique
- Mme Assétou Founé Samaké : Institut pour l’Alimentation et le Développement durable en Afrique
- Mme Fatou Guèye Cissé : Comité Régional de Solidarité des Femmes pour la Paix en Casamance/Usoforal
- Mme Diouf Mariane Diaffé Ndiaye : Femmes Enfance et Environnement (FEE)
- M. Souleymane Bassoum : Agrecol Afrique
- Mme Aissa Doumara Ngatansou : Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux filles – Cameroun
- Mme Anne Maina : Réseau pour la Biodiversité en Afrique – ABN
- Mme Abdoulaye Fati Soumaila : Rayouwan-Mata - Organisation pour la Promotion et l'Epanouissement de la Femme Nigerienne
- Oumar Seck Ndiaye : Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires, section Afrique (AMARC)
Coordination et d’Opérationnalisation de la Campagne : un atelier sur le leadership pour démarrer
Pour coordonner la campagne, douze associations de femmes rurales ont été identifiées dans les cinq pays concernés. Ce groupe a été constitué sur la base du noyau d’organisations qui, depuis la réunion de Bamako en 2009, se trouve impliqué dans le processus. Il a été élargi pour intégrer d’autres associations issues des réseaux œuvrant pour les intérêts des femmes paysannes à la base, ayant légitimité, influence, capacité de mobilisation et leadership, qui sont basées dans une structure qui permette la logistique de coordination et sont disponibles pour le temps de coordination que requiert la campagne sur les trois ans
En prélude au lancement de la campagne qui a eu lieu le 7 février, un atelier de Formation de Formatrices au Leadership Féminin a été organisée à l’endroit de responsables de ces douze associations. La session, animée par Women’s Learning Partnership for rights, Development and Peace [WLP], s’est tenue du 31 janvier au 3 février 2011. Durant ces quatre jours de formation au Leadership Féminin, les discussions ont tourné autour de trois axes :
- Comment découvrir et développer ses capacités individuelles en matière de leadership,
- Les éléments d’un bonne communication,
- Comment développer et élaborer des campagnes de plaidoyer et de sensibilisation autour d’une cause.
Cet atelier organisé en prélude à la campagne avait pour objectif de former des formatrices pour la mise en œuvre de la campagne. Pour Rebecca Akua Sabri, directrice du Tanchara Women Farmers Association du Ghana, «les ateliers ont occasionné une prise de conscience réelle quand au besoin de préserver l’agriculture familiale et à l’importance du rôle de la femme rurale dans sa valorisation».
Les associations appelées à coordonner la campagne au niveau des cinq pays sont :
Burkina :
- Réseau d'appui à la citoyenneté des Femmes Rurales d'Afrique de l'Ouest et du Tchad
- Fédération nationale des organisations paysanne du Burkina
Ghana
- Tanchara Women Farmers Association
- Abokobi Farmers Association
Guinée
- Association Guinéenne pour l'Allègement des Charges Féminines
- Fonds commun pour les projets de base
Mali
- Association des Organisations professionnelles paysannes
- Association malienne pour la sécurité et la souveraineté alimentaire
Sénégal
- Syndicat National des Agriculteurs, Eleveurs et Pêcheurs
- Groupe d’initiatives pour le progrès social
- Association des jeunes agriculteurs de la Casamance
* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l'édition française de Pambazuka News
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