Plaidoyer pour des états généraux de l’agriculture et de l’alimentation

L’Afrique de l’Ouest dispose d’assez de ressources pour développer une agriculture tournée vers la souveraineté. Ce qui manque aux Etats, note Maurice Oudet, c’est une politique globale et franche tournée dans ce sens. Ce qui le pousse à soutenir l’idée d’organiser les Etats généraux de l’Agriculture et de l’alimentation au Burkina Faso.

En novembre 2008, le Conseil économique et social (CES) a lancé un appel en faveur de l’organisation des états-généraux de l’agriculture. La Confédération Paysanne du Faso (CPF) ne cesse de réclamer une politique d’orientation agricole. Pourtant, il ne se passe rien. Bientôt, nous aurons une élection présidentielle au Burkina Faso. Pourquoi ne pas en profiter pour interpeller les candidats et leur demander de s’engager à organiser, dans l’année qui suivra ces élections, « les Etats généraux de l’agriculture et de l’alimentation »?

Oui, je propose « des Etats généraux de l’agriculture et de l’alimentation », et pas seulement de l’agriculture. Et cela pour plusieurs raisons. Principalement, parce que le lien entre l’agriculture et l’alimentation est essentiel. En ce sens, plusieurs Etats modernes ont des « ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation » (Allemagne, Québec). Mais aussi parce qu’avec l’avènement des agro carburants, et la place envahissante du jatropha dans notre pays et dans ceux de la Communauté Economique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il est temps de lancer un débat national (voire régional) sur les objectifs prioritaires de notre agriculture.

Voulons-nous assurer notre sécurité alimentaire ou remplir le réservoir des véhicules 4x4 des plus riches de notre population, ou encore transformer les paysans burkinabè en ouvriers agricoles pour les sociétés industrialisées du Nord ?

Ce n’est pas tout. On peut comprendre la Confédération Paysanne qui réclame une loi d’orientation agricole. Mais ce faisant, les paysans du Burkina risquent de se retrouver seuls face aux politiques, qui vivent en ville, et qui ont toujours eu pour politique, un seul objectif : « nourrir la ville aux moindre coûts » (et maintenir des bas salaires pour les ouvriers et les employés) même si pour cela il faut laisser tous les déchets de la planète nous envahir. Même si en laissant le double concentré de tomate chinois (de marques italiennes) inonder les rayons de nos boutiques d’alimentation, et nous condamner à ne jamais transformer nous-mêmes nos tomates et à fermer nos usines.

Des « Etats généraux de l’agriculture et de l’alimentation » pourraient rapprocher les populations urbaines et rurales. Il serait possible de lancer un grand débat national sur notre alimentation. Qui n’est pas intéressé par ce qu’il mange ? Qui est sûr que les citadins préfèrent les produits importés ? Qui ne souhaite pas une véritable solidarité entre les villes et les campagnes ? Qui ne désire pas voir naître une véritable industrie de transformation alimentaire au Burkina et dans toute l’Afrique de l’Ouest ?

Cela est tout à fait possible. L’Afrique de l’Ouest a tout ce qu’il faut pour devenir une grande région agricole (des terres, du soleil et de l’eau !) et donc pour se nourrir elle-même et offrir au monde ses spécialités.

Seulement, pour que cela soit possible il faut, comme l’ont fait et le font encore les grandes puissances économiques (comme l’Union Européenne ou les Etats-Unis) se protéger par des taxes à l’importation. « L’effet spectaculaire de la protection exercée sur une production agricole ressort bien si on établit une comparaison entre le Kenya et l’UEMOA : le droit de douane sur la poudre de lait est passé dans le premier de 25 % en 1999 à 35 % en 2002 et à 60 % depuis 2004, alors qu’il est resté à 5 % dans le second. Le Kenya est un exportateur net croissant de produits laitiers, avec une consommation intérieure de 112 litres par personne ; à l’inverse, les importations en équivalent lait représentent 64 % de la production de lait de l’Afrique de l’Ouest, et la consommation par personne n’y atteint que trente-cinq litres.

Ces faits militent en faveur d’une réorganisation de toutes les politiques agricoles, au niveau national, sur le principe de la souveraineté alimentaire : il appartiendrait à chaque pays (ou groupe de pays) de définir sa politique agricole et alimentaire comme il l’entend, dès lors qu’il ne cause pas de tort au reste du monde en utilisant le dumping — et on doit englober dans cette pratique les aides internes indirectes comme les subventions attribuées pour l’alimentation du bétail. » (Jacques Berthelot, Le Monde Diplomatique, novembre 2009 )

Les Burkinabè n’ont pas oublié Thomas Sankara quand il disait : « Consommons ce que nous produisons, produisons ce que nous consommons ! » C’est bien ce que disaient déjà les anciens : « Bi-yam n daada a ma samsa » (1)

NOTES
(1) Merci aux lecteurs qui connaîtraient des proverbes similaires (notamment en jula) de nous les transmettre.

* Maurice Oudet est Président du SEDELAN (Burkina Faso)

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org