Obasanjo reconnaîtrait-il la paix s’il la voyait ?

L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo était un choix de mauvais goût comme médiateur dans la crise électorale sénégalaise, et les concernés n’ont pas perdu du temps pour le faire dégager.

C’est en effet une plaisanterie cruelle et écoeurante de la part de l’Union africaine et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) que d’avoir envoyé Olesegun Obasanjo au Sénégal pour servir de médiateur entre, d’une part, le président Wade, candidat persistant à une réélection pour la troisième fois en dépit de la Constitution dont les dispositions ne permettent que deux mandats, et, d’autre part, la constellation de partis d’opposition qui ne veulent pas de cette extension.

La proposition d’Obasanjo, le soi-disant compromis de "juste encore deux ans à la présidence et il démissionne", qui aurait dû résoudre la crise, a été rejetée vigoureusement par l’opposition et l’électorat en général, l’un des plus raffinés d’Afrique, qui, ironie de l’histoire, a travaillé d’arrache pied en faveur de Wade en 2000 qui se présentait contre le candidat Abdou Diouf, préféré par la France. Cette victoire avait été remportée de manière spectaculaire, sous la bannière exaltante, progressiste et bien-aimée du jour "amoul problème"

Dans un forum public à Dakar, il y une quinzaine de jours, alors qu’Obasanjo s’efforçait de faire passer son offre tordue, l’électorat sénégalais a, une fois de plus, marqué de son sceau indélébile le cours de l’histoire sur sa terre en hurlant à l’imposteur visiblement perturbé : "Obasanjo vas-t-en ! Quitte notre pays ! Nous n’accepterons jamais cela !" Et ils n’ont pas accepté "cela" et ils ont contraint l’intrus à quitter la ville et obligé Wade à un deuxième tour de scrutin, contre Macky Sall, confrontation qui va clairement donner du fil à retordre à Wade.

Quel "porteur de paix" ?

L’Union africaine et la CEDEAO ont peut-être suivi les suggestions des Nations Unies en effectuant ce choix bizarre. En 2008, Ban Ki Moon, le secrétaire général des Nations Unies n’a rien trouvé d’anormal à la nomination d’Obasanjo comme messager de la paix en République démocratique du Congo. Ceci en dépit du fait qu’Obasanjo a truqué les urnes lors des trois dernières élections présidentielles au Nigeria (y compris et particulièrement celle d’avril 2007 dont le nom de code donné par Obasanjo était "Do or die" [faire ou mourir] et qui, à la veille du scrutin, a importé une quantité d’armement suffisant pour équiper une petite armée susceptible d’effectuer un coup d’Etat "électoral" vicieux : 40 000 AK47 avec 20 millions de cartouches 7.62x39mm, 30 000 fusils K2 avec 10 millions de cartouches 5.5 x45, 10 000 Beretta avec 4 millions de cartouches 0.9mm), mais aussi en dépit du fait qu’Obasanjo a désespérément tenté de prolonger son second mandat comme chef de gouvernement avant les élections d’avril 2007 (un précédent qui n’a sans doute pas échappé à Wade), en encore dépit d’un bilan accablant dans le domaine des Droits de l’Homme, une corruption effrénée au cours des 11 ans où il a été chef d’Etat et, plus grave encore, en dépit du rôle notoire joué par les militaires du Nigeria dans la guerre génocide menée contre le peuple igbo dans les années ‘60’.

Obasanjo commandait, dans le sud de l’Igboland, une brigade scélérate qui a tué des dizaines de milliers d’Igbo durant cette période. Obasanjo ne manifeste aucun remord quant à son rôle primordial dans la perpétration de ce crime haineux contre l’humanité. Au contraire, il se vante de son implication et il rappelle au monde, dans ses mémoires de l’époque "My command" (London et Ibadan : Heinemann Educational Books 1981), comment il a ordonné de tirer sur un DC-7, clairement marqué du sigle du Comité International de la Croix Rouge qui se dirigeait vers les Igbos dont le pays était assiégé et bombardé par les génocidaires. Les trois membres de l’équipage sont morts à la suite de ce crime.

Le vrai débat ici réside dans le fait que les Nations Unies et le monde sont tout prêts à "recevoir"et à "fraterniser" avec des personnages comme Olusegun Obasanjo, en dépit de leur passé, chose impensable s’il s’était agi d’Européens, d’Arabes ou d’Asiatiques. Ou si leur mission méprisable, au lieu de viser les Igbos dans l’Igboland, entre 1966 et 1970, avait eu pour cible plutôt des Européens ou des Asiatiques ou des Arabes. Ban Ki Moon nommerait-il un commandant génocidaire serbe comme messager de la paix pour l’envoyer en Tchétchénie par exemple ? Ou un commandant génocidaire cambodgien pour l’envoyer aux Philippines. Comment peut-on réellement espérer qu’Olusegun Obasanjo saura reconnaître la paix si elle croise son chemin ?

Dans la même veine, en 2007, Andrew Young, un Afro-américain qui a été ambassadeur des Etats-Unis auprès des Nations Unies, avait proposé Obasanjo comme candidat au Nobel de la paix. Il faut dire que Young a par la suite accumulé une immense fortune personnelle grâce à des intérêts financiers au Nigeria et à la protection d’Obasanjo lors de son premier mandat de chef de gouvernement. On ne peut oublier qu’au moment où Young marchait à travers les Etats-Unis avec le vénérable Martin Luther King et exigeait et défendait la reconnaissance des droits humains des Afro-américains, les improbables futurs amis et associés d’affaire de Young s’adonnaient à une orgie de bombardements incendiaires sur les villes et villages à l’Est de l’Atlantique.

Le mépris Wilsonien de la vie et du bien-être des Africains (du Premier ministre Harold Wilson et son infâme propos : "… accepterions un demi million de Biafrais morts si c’est le prix à payer" pour détruire la résistance des Igbos au génocide - propos tenu au fort du génocide des Igbos), qui a sans doute conduit à "l’acceptabilité" et à la"fraternisation" dont ont bénéficié des Africains comme Obasanjo, sans le moindre esprit critique. Mais cette tendance vient de recevoir un coup d’arrêt grâce à l’électorat sénégalais de ces terres du Bâ, du Birago, de Diagne, d’Alioune Diop, de Cheikh Anta Diop, de David Diop, de Kane, de Ndiaye, de Sembène, de Senghor, de Socé. Il ne sera plus possible de revenir au statu quo ante.

En expulsant Obasanjo du Sénégal, le public sénégalais a envoyé un signal au reste de l’Afrique : les Africains doivent cesser de récompenser ceux qui ont volé des Africains, qui ont tué des Africains et détruit des fortunes africaines mais ont profité immensément de la "couverture protectrice"fournie par des forces hégémoniques extérieures enragées (avec la complicité des forces locales complaisantes) qui n’ont pas abandonné l’idée de contrôler les Africains et la terre africaine à perpétuité. Pour ces forces, les gens comme Obasanjo de l’Afrique poursuivent des intérêts qui coïncident et renforcent leurs intérêts au détriment de l’Afrique.

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* Herbert Ekwe-Ekwe est un intellectuel indépendant qui étudie les systèmes étatiques inclusifs et les droits des peuples les constituant. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger


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