Namibie : des ressources bradées pour des miettes

Deux décennies après l’indépendance de leur pays, les Namibiens vivent dans une des sociétés les plus inéquitables au monde. L’homme de la rue est victime d’une élite rapace qui se préoccupe de ses seuls intérêts, trop heureuse de coopérer avec des multinationales étrangères qui exploitent les ressources naturelles du pays, pour leurs profits mutuels. Jugeant les Public Private Partnership (PPPs) qui, selon les dirigeants, est le nouveau moyen pour une répartition des bénéfices entre tous, Henning Melber remarque que ces stratégies permettent plutôt aux capitaux privés de générer des profits à partir de propriétés publics au détriment de la population en général.

Deux décennies après l’indépendance de la Namibie, trop peu de changements socio-économiques ont affecté la vie de la plupart des Namibiens. Leur société reste stigmatisée comme étant une des plus inégales au monde en terme de répartition des revenus. En revanche, une nouvelle espèce s’est ‘’engraissée’’, qui prospère malgré le tableau peu reluisant d’une économie dépourvue de moyen de transport adéquat. (1) Cette situation, résumée dans l’introduction du Guide to the Namibian Economy 2009, indique ’’ que nous devons faire beaucoup mieux à l’avenir si nous voulons fournir un emploi et un revenu pour tous plutôt que seulement pour quelques uns’’. (2)

Certains croient à l’évangile du marché libre (un environnement principalement déréglementé pour les transactions des capitaux privés, avec un minimum d’interférence de l’Etat) et estiment que c’est le chemin optimum du développement, à la condition que celui-ci offre des possibilités nouvelles de participation aux membres de la majorité de la population qui avait été colonisée (ce qui va à l’encontre de la logique, l’intervention dans ce cas est en effet requise). D’autres mettent en garde contre cette approche de laisser faire qui est, à leurs yeux, le plus sûr moyen d’aboutir au désastre et de créer des problèmes additionnels.

Même les économistes de la tendance dominante, employés par des institutions financières privées- qui donc font profil bas- expriment des réserves par rapport à la politique économique actuelle. Pour citer un ouvrage de référence récent , disons que ’’les efforts du gouvernement de promouvoir les entreprises des Noirs namibiens ont lieu dans l’opacité, le manque de cohérence, en l’absence d’un cadre qui oblige à rendre des compte, au bon vouloir des dirigeants et dans le secret.. En conséquence de quoi, quelques chanceux, proches du pouvoir, en ont grandement bénéficié, souvent au détriment du contribuable et du consommateur’’

Tirer profit des ressources naturelles

En novembre 2009, après presque 20 ans d’indépendance, les électeurs vont, pour la cinquième fois, décider de la composition de l’Assemblée Nationale et élire le chef de l’Etat pour la législature de 2010-2015. Dans les deux cas, nul n’est besoin d’être prophète pour prédire que le mouvement de libération du South West Africa People’s Organisation (SWAPO) remportera les élections, en dépit de l’émergence d’un nouveau parti d’opposition dont les membres ont été recruté principalement parmi ceux de la SWAPO et dont la lutte pour le pouvoir a échoué. Son candidat et titulaire actuel du poste, Hifikepunye Pohamba, deviendra à nouveau président pour une deuxième législature, profitant d’une majorité substantielle des votes. Compte tenu de l’hégémonie de la SWAPO, il est difficile d’expliquer pourquoi les dirigeants politiques semblent nier le fait que la période n’est pas très favorable à la situation socio-économique du pays.

L’effondrement financier global et la récession économique ont en effet affecté, également, les économies africaines de pays ayant des ressources. Après des profits exceptionnels, mais éphémères, provenant des ressources minières dont le cours sur les marchés mondiaux était élevé (en particulier les diamants et le cuivre), la Namibie est entrée dans une phase de déclin économique suite à l’effondrement des marchés. Le pays cherche à compenser cette situation en augmentant la vente d’autres ressources (avec, par exemple, l’accélération de la prospection et du minage de ses immenses réserves d’uranium) comme si des substitutions aussi douteuses pouvaient fournir plus qu’un répit temporaire pour une économie à court de reconstruction sociale et économique durable.

Le Namibia Wildlife Resort Company (NWR), entreprise financée par l’Etat, comme tant d’autres institutions paraétatiques, est établie pour le bien public. Ceci comprend davantage que la recherche de gains économiques, bien que la viabilité économique devrait être une partie intégrale de ses obligations. Malheureusement, la viabilité économique n’a pas été un de ses points forts et des compagnies comme Trans Namib et Air Namibia, dans le secteur du transport, doivent être chroniquement renflouées, à grand renfort de subsides, provenant de l’argent du contribuable. Pour compenser des pertes antérieures - dues à une gestion défectueuses et des pratiques commerciales désastreuses - le NWR est entré dans des transactions avec des compagnies du secteur privé afin de développer, commercialiser et utiliser les ressources naturelles (paysages, flore et faune sauvage), pour attirer une clientèle internationale prête à payer le prix fort afin de voir les beautés du pays. Ceci inclut les principales réserves d’eau pour Windhoek (barrage von Bach).

La saga du barrage von Bach, portée à l’attention du public par un journaliste d’investigation, est un des derniers exemples illustrant la manière dnt les biens publics de la Namibie - supposés être sous la sauvegarde de l’intérêt commun et pour le bénéfice de tous - sont transformés en espèces sonnantes et trébuchantes pour le privilège de quelques uns. L’euphémisme ‘’ namibisation’’, avec la Black Economic Empowerment (BEE - le pouvoir économique aux Noirs) et l’Affirmative Action (AA) ont servi d’écran de fumée pour des kleptocrates parasites de l’élite post coloniale. Cette élite collective usurpe le pouvoir politique et distribue l’accès aux richesses du domaine public du pays à quelques « camarades commerciaux », clamant que ceux-ci ont droit à ces bénéfices pour avoir constitué précédemment le « groupe désavantagé ».

Ces acronymes sont une mascarade qui cache une stratégie de cooptation basée sur la classe sociale, au détriment d’une structure socio-économique sans connotations raciale, existant depuis avant l’indépendance. En dépit de la rhétorique populiste et anti-impérialiste des nouveaux dirigeants, ceux-ci perpétuent l’exploitation de l’homme de la rue et l’excluent des richesses du pays. Moeletsi Mbeki a vertement critiqué cette tendance de l’intérieur de l’antre de la bête. Dans son essai, il déplore l’absence de ce qu’on pourrait nommer patriotisme, de la part de ceux qui, après l’Apartheid, ont exercé le pouvoir. Leur stratégie, qui vise l’accumulation de richesses pour eux-mêmes, est basée sur un capitalisme improductif de sycophantes qui contribue à la perpétuation du status quo (néo) colonial. Vendre des ressources nationales pour des miettes. (5)

Remarquez que les privilégiés vivent très bien avec ces miettes, aussi, en Namibie. Un coup d’œil sur les quartiers résidentiels les plus sélects de Windhoek, comme Swakopmund, Walvis Bay et d’autres encore (en particulier plus au nord), ainsi que les voitures dans les rues et autres symboles de statut des nouveaux riches, suggère qu’ils ne sont pas prêts à avoir recours aux services sociaux. Ceci, en contraste flagrant avec la majorité des gens à qui l’on refuse même le SMIG. Mais ces symboles de richesses accumulées sont des signes de mode de vie voluptueux complètement improductifs, plutôt que d’investissements dans des secteurs de l’économie qui créeraient de l’emploi pour les autres.

Les PPP comme biens publics

Comme le montre les échanges acerbes, suite aux dernières révélations au sujet du barrage de von Bach, les autorités semblent vouloir maintenant brader les derniers trésors familiaux. (6) ‘’L’aristocratie de la lutte’’ (7) profite des dernières ressources naturelles et stratégiques de la Namibie. Ceci démontre que ceux qui ont été les libérateurs sont devenus les vendeurs. ‘’ A luta continua’’ (la lutte continue) le slogan des temps de la lutte, après presque deux décennies de souveraineté, s’est transformé en ‘’looting continues’’ (le pillage continue) (8).

Suite à ces révélations, Iyaloo ya Nangolo a proposé un «cheval de Troie» dithyrambique et idéologique dans différents journaux locaux. (9). Etant l’un des bénéficiaires de la transaction du barrage de von Bach, il n’est guère surprenant qu’il chante la louange du Public Private Partnership (PPP) He suggests that the PPPs would be not adequately respected as an engine for economic growth and the benefits they offer by means of subsequent trickle-down effects in terms of general welfare. Il suggère que le PPP ne pourrait être respecté comme le moteur de croissance économique et des effets qui en découleraient en direction des plus pauvres, pour un bien-être économique global, selon la théorie du ‘’trickle down’’. Il est utile de se souvenir (comme ya Nangolo lui-même le fait), que la promotion des PPPs doit son origine aux projets néolibéraux des multinationales américaines.

Les PPPs ont commencé à apparaître dans la fin des années 1970, emboîtant le pas au Thatchérisme et à l’administration Reagan, ainsi qu’aux institutions financières internationales (dans des pays comme le Chili sous Pinochet). Dernièrement, les PPPs ont aussi été le credo des gouvernements démocratiques en banqueroute politique.

Etant l’un des deux directeurs de la compagnie BEE Tungeni Africa Investments, ya Nangolo s’efforce de légitimer ses intérêts commerciaux. Selon lui, le ‘’PPP est motivé par la nécessité de trouver une voie rapide et durable de développement, tout en assurant des services et en engageant la lutte contre la pauvreté, l’ignorance et autres maux de société.’’ Toutefois, il omet de préciser comment et de quelles façons l’affaire du barrage de von Bach va bénéficier aux services et à la lutte contre la pauvreté. Est-ce que Tungeni Africa Investments va donner un abri aux sans abri et permettre à ceux qui vivent dans des taudis de trouver un habitat décent à des prix raisonnables et abordables ? Les sites de construction vont-ils offrir, sur le long terme, un nombre significatif d’emplois aux travailleurs namibiens au salaire minimum, plutôt que de donner les contrats aux compagnies de construction chinoises, notoires pour leurs offres à bas coût parce qu’elles ne respectent pas les lois du travail du pays ?

Les défenseurs des PPPs en général, et ceux du projet du barrage von Bach en particulier, suggèrent que les PPP ‘’sont une stratégie de réforme dont l’objectif est de fournir des services de haute qualité qui stimulent les innovations et l’efficacité du secteur privé au sein de la société’’. Il ne précise pas quels services de haute qualité le projet du barrage von Bach va fournir, ni à l’intention de qui. Mais plus à propos, il déclare que le PPP a été développé afin d’atténuer le risque des programmes de développements pour le secteur privé. Ceci est en effet un argument de taille pour les investisseurs potentiels puisqu’il diminue le risque au détriment des agents étatiques. Mais qui gagne ?

Le projet du barrage von Bach, comme des entreprises au potentiel similaire, en collaboration avec le NWR, a pour objectif de stimuler la croissance du tourisme. Mais, même les plus grands succès dans le monde du tourisme ne font pas la preuve qu’une industrie du tourisme réussie bénéficie à la majorité de la population locale et qu’elle contribue à la croissance et à la durabilité des structures économiques. Le tourisme est une des activités lucratives les plus vulnérables, hautement dépendantes de facteurs extérieurs et ses bénéficiaires principaux ne sont pas ceux qui souvent ont des emplois temporaires ou saisonniers. Plutôt, ils sont les premiers à souffrir des reculs de l’industrie.

Ce qui rend le sujet du barrage von Bach sensible tient au fait que c’est le réservoir d’eau principal de la capitale de la Namibie. Qui possède et contrôle ce bien public fondamental si l’utilisation de son territoire est loué à des compagnies privées pour des générations ? Dans quelle mesure cet investisseur privé s’est-il engagé à protéger ce bien public le plus précieux dont la population dépend, même si nombreux sont ceux qui n’ont pas les moyens de payer le coût, en augmentation constante, du ravitaillement en eau ? Le dernier budget de la municipalité de Windhoek, scandaleusement vicié, se soucie des pauvres comme d’une guigne. Pour preuve, l’élimination de toutes les rubriques budgétaires qui doivent servir à améliorer les infrastructures et les services en faveur de la population du ghetto, en raison d’une période économique difficile, tout en maintenant les dépenses qui profitent aux plus riches et aux employés de la municipalité, n’offre aucun réconfort à ses citoyens ordinaires. Ceci, en relation avec les plans émergeants du barrage von Bach, donne sûrement assez de raisons à ceux qui s’inquiètent du potentiel des scénarii futurs des PPPs.

Les intérêts publics versus les intérêts particuliers.

Ya Nangolo suggère que la perception des PPPs comme moyen de privatisation est une erreur de compréhension et une source de bataille médiatique. L’argumentaire couvre le fait qu’il s’agit d’une façon de délocaliser qui permet au capital privé de générer des profits à long terme, avec des propriétés publics, cependant que le citoyen ordinaire- le contribuable, les utilisateurs des services ‘’publics’’ ou dépendant de quelque façon que ce soit de services commercialisés pour leur vie de tous les jours- doivent payer l’addition. Tout compte fait, les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres, cependant que l’Etat et son administration, ainsi que les responsables politiques, ont failli à leur devoir de protéger et d’agir dans l’intérêt de tous les membres de la société (en particulier les plus faibles). Ce qui est décrit comme une lutte médiatique souligne en fait la dimension des intérêts de castes.

Le 2ème rapport du Millenium Development Goals, qui vient de paraître et dépeint le monde plutôt en rose, ne peut s’empêcher de résumer ‘’ qu’il y a un fragment de la société qui est extrêmement riche selon les standards internationaux ‘’ et que les 10% les plus riches des ménages consomment 20 fois plus que les 10% les plus pauvres. (10). Un document de fond paru en 2007, examinant les tendances du développement humain et de la pauvreté, compilé par un économiste du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) du bureau de Windhoek, montre que ‘’ contrairement à la vision à l’horizon de 2030, le développement humain en Namibie semble avoir entamé un long déclin’’ et que ‘’ les régions administrative ayant les plus grands besoins ne sont pas prioritaires dans les budgets de développement’’.(11) Nul n’est besoin d’être grand clerc pour savoir - d’un point de vue socio-économique et régional – où se situent les bénéficiaires du barrage de von Bach.

Moeletsi Mbeki (lui-même un bénéficiaire des nouvelles opportunités commerciales disponibles pour les soi-disant ‘’ anciennement défavorisés’’) termine ses considérations avec les ‘’ architectes de la pauvreté’’, concluant que les élites africaines sont, à quelques exceptions près, une classe de rentier. Elles s’approprient la richesse en faisant main basse sur les ressources nationales qu’ils revendent à d’autres et ‘’ ils n’ont pas le sentiment de posséder leur pays et ne sont pas intéressés par son développement. Il considère le pays d’abord comme une vache à lait qui leur permet de vivre une vie d’extravagances… dans une tentative d’imitation du mode de vie des colonialistes, dans une absence de sentiment de possession qui laisse place au pillage des ressources, à la corruption, à la fuite des capitaux tout en faisant fi du peuple et de son bien-être. Enfin il n’hésite pas à user de la force brute pour faire taire les voix des protestataires’’. (12). Regrettablement, il n’y a rien de bien positif à ajouter sur le chapitre de la Namibie.

* Henning Melber est le directeur exécutif de la fondation Dag Hammarskjöld à Uppsala en Suède. Melber avait rejoint la SWAPO en 1974

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NOTES

[1] Voir les différentes contributions de Henning Melber (ed.), Transitions in Namibia. Which changes for whom? Uppsala: The Nordic Africa Institute 2006.
[2] Robin Sherbourne, Guide to the Namibian Economy 2009. Windhoek: Institute for Public Policy Research 2009.
[3] Ibid., p. 359.
[4] Voir les différents rapports de John Grobler dans le quotidien local The Namibian during June 2009.
[5] Moeletsi Mbeki, Architects of Poverty. Why African Capitalism Needs Changing. Johannesburg: Picador Africa 2009.
[6] Alexactus T. Kaure, Selling The Family Silver. NWR Joins The Pack. The Namibian, Windhoek, 26 June 2009.
[7] Let’s Start Asking The Right Questions. Ibid.
[8] Je dois cette brillante interprétation, facile à retenir à Firoze Manji qui l’avait énoncée dans un débat critique sur les limites de la libération en Afrique australe lors d’un séminaire à Windhoek, il y a deux ans.
[9] Iyaloo ya Nangolo, Misconstructing of PPP to privatisation a source of media ‘wrangle’. The Namibian, Windhoek, 25 June 2009 and New Era, Windhoek, 26 June 2009. Toutes les citations suivantes sont extraites de ce texte.
[10] Republic of Namibia, 2nd Millennium Development Goals Report Namibia 2008. Windhoek: National Planning Commission 2008 (launched June 2009), p. XIV.
[11] Sebastian Levine, Trends in Human Development and Human Poverty in Namibia. Background paper to the Namibia Human Development Report. Windhoek: UNDP Namibia, October 2007, summary page.
[12] Moeletsi Mbeki, op. cit., p. 174.