Malainin Lakhal : Coup de projecteur sur un militant sahraoui
Malainin Lakhal a pris la dangereuse route de l’évasion par le Berm marocain. C’était il y a 11 ans. Sa présente contribution fournit des informations sur ce dangereux chemin que tant de Sahraouis sont contraints de suivre, lorsque leur vie devient gravement menacée par les forces de sécurité marocaines.
Je me considère comme un combattant pour la liberté avec un laptop. Je suis un militant, un rêveur, un poète et un journaliste dans les camps de réfugiés sahraouis. J’ai organisé avec quelques amis la Sahrawi Journalists and Writers Union (L’union des écrivains et des journalistes sahraouis) afin de dire au monde l’histoire de la résistance et de la survie du peuple sahraoui (des médias incluent le service de presse SPS RASD et la nouvelle télévision locale financée et assistée par une ONG espagnole du nom de RASd TV) Mais les Marocains m’ont désigné comme "fauteur de troubles". Je suis né et j’ai grandi dans la ville occupée de El Aaiun. J’avais quatre ans lors de l’invasion marocaine.
En l’an 2000, j’ai été contraint de fuir le Sahara Occidental occupé par les Marocains parce que le régime me pourchassait en raison de mes activités de résistance et de militant pour les droits humains. J’ai fait une traversée très dangereuse du Berm (route non carrossable.ndlt) pour parvenir à la sécurité des camp de réfugiés, à travers les murs de sables minés que les Marocains ont construit pour diviser mon pays. S’ils m’avaient attrapé, j’aurais été emprisonné et battu sinon torturé. J’aurais aussi pu disparaître pour toujours.
Ils en avaient après moi parce que j’étais actif au sein de mouvements estudiantins sahraouis dans des universités marocaines. J’avais étudié la langue et la littérature anglaises à l’université Ibn Zuhr à Agadir. Ils m’avaient arrêté plus de trois fois et j’ai goûté à leurs méthodes de tortures et essuyé leur haine. En 1999, j’ai contribué à l’organisation du plus grand soulèvement populaire du Sahara Occidental et pendant plus de trois mois nous avons pu " libérer" notre ville du contrôle marocain. Nous avions fait des sit-in et des manifestations quotidiennes. Mais il y a eu beaucoup de violence de la part des militaires marocains et des services secrets.
Pendant un peu plus d’une année j’ai travaillé clandestinement. Puis ma famille et mes amis m’ont dit qu’il était l’heure de partir. En arrivant au camp de réfugiés j’ai commencé par travailler comme enseignant, puis comme traducteur et enfin j’ai trouvé une occasion, en 2003, de rejoindre le service de presse sahraoui afin de lancer la page anglaise du SPS. Dès lors j’ai continué de me concentrer sur mon travail de journalistes et mon militantisme afin d’aider les gens à l’intérieur des territoires à se faire entendre et à faire connaître leur histoire au vaste monde
Cette histoire a commencé en 1975 lorsque l’invasion marocaine a commencé. Ils voulaient nos côtes atlantiques, nos terres et nos ressources. Leurs guerres rendaient évidentes qu’ils voulaient exterminer le peuple sahraoui. Ceci a été clairement exprimé par le roi du Maroc lors de son discours au cours duquel il a annoncé la "Marche Verte". Mais Dieu merci ! le Front du Polisario et le peuple sahraoui étaient organisés dès avant l’invasion.
Notre mouvement de libération a été constitué en 1973, ce qui nous a permis de résister à l’invasion marocaine. Le Maroc a désigné cette invasion du nom de la "Marche Verte". Y participaient des citoyens marocains ordinaires, trompés par la propagande ou contraints de participer le 6 novembre 1975
Mais six jours avant la marche, les tanks des militaires marocains éradiquaient déjà toute résistance. Les bombes au phosphore, les avions de combat, les soldats et les services secrets ont fait le sale boulot pour préparer le terrain. L’administration espagnole n’a pas résisté. Elle a signé ce qui a été dénommé l’Accord Tripartite avec le Maroc et la Mauritanie qui ont partagé le pays entre eux. Les Marocains ont commencé à envoyer des colons - des Marocains ordinaires récompensés, pour s’installer sur nos terres afin d’en changer la démographie.
Lorsque nos femmes et nos enfants ont fui vers l’est, en direction de l’Algérie, ils ont établi le premier camp de réfugiés. Une année plus tard, en 1976, nous avons proclamé notre nation, un Etat en exil, la République arabe démocratique sahraouie. Nous sommes le seul Etat au monde constitué seulement de camps de réfugiés. Notre population est partagée en deux : une moitié vit dans des camps de réfugiés et l’autre vit dans les territoires occupés par le Maroc qui nous élimine et nie tous nos droits humains.
A ce jour, le gouvernement du Maroc a refusé toutes les solutions pacifiques au conflit. Selon le droit international et toutes les résolutions des Nations Unies, un référendum devrait apporter la solution au problème. Tout ce que nous, peuple sahraoui voulons, c’est l’exercice de notre droit fondamental à l’autodétermination à laquelle nous aurions dû accéder lorsque l’administration coloniale espagnole a commencé à plier bagage. D’autres colonies ont eu ce droit de décider. Sauf nous. A ce jour, le Maroc continue de refuser de collaborer avec les Nations Unies grâce au soutien inconditionnel de la France et des Etats-Unis. C’est à cause de ces deux puissances et aussi de l’Espagne que le Maroc a réussi à se soustraire au droit international. Cette dynamique peut être observée dans le documentaire d’investigation Democracy Now! dans lequel on peut voir d’immenses manifestations de la société civile espagnole dont le célèbre acteur Javier Bardem.
Le peuple sahraoui n’a pas d’animosité à l’égard du peuple marocain. Nous le voyons comme un peuple opprimé qui vit sous la férule d’une monarchie absolue, qui dépense des milliards de dollars pour son budget militaire afin de voler notre terre, plutôt que de dépenser cet argent pour son propre peuple et des infrastructures. La question du conflit du Sahara Occidental concerne le roi lui-même. Nous savons que le peuple marocain lui-même, en particulier les colons dans les territoires occupés, ne sont pas responsables de l’occupation. Ils sont instrumentalisés afin de changer la démographie de façon substantielle. Donc nous n’avons pas de querelle avec le peuple marocain et les colons marocains. Le Front du Polisario l’a clairement fait savoir à la tribune des Nations Unies lors de discussions pour la paix.
Mais le Maroc veut nous faire taire, il veut que nous partions, que nous abandonnions nos terres. Il veut nous effacer de la géographie du désert. Nous, nous ne faisons que manifester pour avoir le droit de vote et le droit de choisir notre destinée. Nous voulons que le Maroc cesse de violer nos droits humains et nos droits territoriaux. Nos organisations des Droits de l’Homme font état de plus de 500 disparus, de 151 prisonniers de guerre dont les autorités marocaines n’ont pas donné de nouvelles, de 20 000 victimes d’arrestations arbitraires et des milliers de victimes de tortures. Ceux-là ne sont que les cas documentés par les organisations des droits de l’Homme. Il y en a de nombreux autres qui ne sont pas documentés. Mais maintenant nous avons un réseau de défenseurs des droits humains et d’étudiants universitaires qui risquent leur vie afin de passer les informations à des organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch.
Nous avons toujours été en guerre contre le colonialisme marocain. La seule différence c’est que nous avons maintenant des armes nouvelles : des manifestions, des sit-in, le monde. Les prisonniers politiques et les militants donnent leur sang et leur corps en sacrifice pour la liberté. Et ils ont besoin d’aide. Ils ont besoin qu’on les protège, qu’on les soutienne et que le monde entende leur histoire. La jeunesse doit savoir plus sur notre histoire, nos traditions, nos valeurs et notre culture parce que c’est là une autre arme dans notre combat. Le régime marocain s’est donné beaucoup de mal et a investi des millions afin de détruire la culture sahraouie, son identité et ses valeurs.
Voterons-nous pour l’indépendance ou pour l’intégration au Maroc ? Peut-être que la réponse est l’intégration ? Mais le fait est que la moitié de la population endure résolument les dures conditions prévalant dans les camps de réfugiés et l’autre moitié, dans les territoires occupés par le Maroc, risque leur vie avec des séjours réguliers en prison marocaine, la menace de la torture. Ceci parle plutôt en faveur d’une indépendance pleine et entière. C’est ce que le Maroc redoute tellement. C’est la raison pour laquelle le Maroc embrouille tellement les discussions pour la paix.
Nous voulons juste le droit de vote. Et alors, finalement, nous connaîtrons la réponse à la question du Sahara Occidental. Nous devons tout le temps lutter pour nos droits parce que des gens comme moi ne sont pas seulement des journalistes, mais aussi des militants des Droits de l’Homme et des combattants pour la liberté. Nous luttons pour le respect de nos droits humains, pour le droit à l’autodétermination, à la démocratie, la liberté d’expression, pour le droit à une vie de sécurité, à l’indépendance et pour ces droits dont tous les humains doivent pouvoir jouir et doivent défendre. Et vous devez savoir que si nous les perdons aujourd’hui parce que nous sommes faibles et parce vous ne vous en êtes pas souciés, vous les perdrez demain parce que notre cas aura créé un précédent.
* Malainin Lakhal est le secrétaire général de l’Union des écrivains et journalistes sahraouis basé dans le camp de réfugiés sahraoui près de Tindouf en Algérie. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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