Madagascar : Réconciliation et pouvoir
Les manœuvres que dénoncent certains hommes politiques sont celles-là même qu’ils ont eux-mêmes utilisées contre les autres, et toujours en lien avec la conquête ou la perte du pouvoir. Pour la population, le spectacle en est devenu lassant, voire révoltant, comme un mauvais film qui ne cesse de repasser à l’écran.
« Réconciliation » : quelle est l’exacte définition de ce mot, brandi par tous mais, comme c’est souvent le cas à Madagascar, compris différemment par chacun ? Le corollaire, qui est la question de savoir qui réconcilier avec qui, a déjà été maintes fois abordé, y compris par le Sefafi (1) : les anciens présidents entre eux ? Les politiciens entre eux ? Les politiciens avec le peuple ? Le peuple avec lui-même ? Dans ce contexte, la réconciliation ne consiste-t-elle pas à résoudre les problèmes liés à la conquête (et, inversement, à la perte) du pouvoir ?
Si c’est le cas, la réconciliation doit se faire à tous les niveaux de la classe politique et des militants des divers partis ou mouvances. Le citoyen sans engagement militant, par contre, n’est pas concerné à ce niveau, ce qui ne l’empêche pas d’avoir son avis sur la question. Par contre, il est interpelé par les véritables enjeux de la réconciliation.
SOMMET DES « EX »
Les doléances et griefs qui alimentent les animosités politiques (que le simple citoyen ne fait que subir) concernent essentiellement les détenteurs du pouvoir, présidents élus ou non-élus et leurs partisans irréductibles. Il semble donc logique qu’une rencontre soit organisée entre eux, sous réserve d’en définir clairement l’objectif. Lequel d’entre eux, en effet, pourrait prétendre n’avoir pas été alternativement provocateur et provoqué, embastilleur et emprisonné, expulseur et exilé, instigateur de procès et condamné ?
Les manœuvres que dénoncent certains sont celles-là même qu’ils ont eux-mêmes utilisées contre les autres, et toujours en lien avec la conquête ou la perte du pouvoir. Pour la population, le spectacle en est devenu lassant, voire révoltant, comme un mauvais film qui ne cesse de repasser à l’écran. Que ces « ex », à la fois manipulateurs et manipulés, se réunissent donc : ils se comprendront parfaitement, connaissant les raisons qui ont motivé les actions des uns et des autres pour en avoir été à la fois instigateurs et victimes. Ils pourront se pardonner les violences faites aux uns et aux autres, puisqu’ils y ont chacun contribué. Ils pourront rire des exigences de la conquête du pouvoir, comme du maintien au pouvoir. Ils pourront se noter, comparer les tactiques, les motivations, les victoires et les défaites, les traversées du désert. Ils pourront s’embrasser et se dire : « Oui, je t’ai fait ça pour garder le pouvoir et t’empêcher de le prendre, ou pour te le reprendre… C’était plus fort que moi, qui peut comprendre cela mieux que toi ? »
Mais au-delà, à quoi pourrait servir un tel sommet ? Les risques ne sont pas négligeables, car ce sont tous des mégalomanes qui s’en empareront pour flatter leur ego et en tirer un intérêt personnel, à commencer par son impact médiatique. Cette réunion se fera-t-elle à huit clos ou en public - à l’instar des audiences vérité et réconciliation sud-africaines ? S’agira-t-il d’avouer, de faire un mea culpa, de demander le pardon des victimes ? Les responsables reconnaitront-ils les crimes de sang de 1971, 1972, 1975, 1991, 2002 et 2009, et accepteront-ils comme gage de réconciliation de se retirer de la vie politique ?
Cette réunion se limitera-t-elle à un spectacle politique ou pourrons-nous en attendre des engagements susceptibles d’humaniser la conquête du pouvoir et la conduite des affaires de l’Etat ? Or la plupart de ces « ex » occupent le devant de la scène depuis des décennies et ont largement dépassé l’âge normal de la retraite. Il serait normal qu’on leur demande désormais de ne plus songer qu’à se mettre au service de l’intérêt national en sages et en « ray aman-dreny » désintéressés. En toute hypothèse, il faut impérativement limiter la portée de ce sommet, car la vraie réconciliation ne concerne pas seulement cette clique d’anciens dirigeants. Il s’agit plutôt de construire un système dans lequel la conquête ou la perte du pouvoir soit plus sereine, et l’exercice du pouvoir plus inclusif. Beaucoup a déjà été fait pour y parvenir, mais la résistance aux réformes vient des élus eux-mêmes.
FAVORISER L’ALTERNANCE DEMOCRATIQUE ET UN MEILLEUR PARTAGE DU POUVOIR
Maintes tentatives de réformes ont voulu améliorer les conditions d’accès et de sortie du pouvoir, ainsi que les modalités de son partage. Le Sefafi a toujours été de ceux-là (2). Ces efforts n’ont pas été concluants, le moment est venu de proposer quelques nouvelles avancées.
STATUT DES ANCIENS PRESIDENTS : Pour inciter les teneurs du pouvoir à le quitter, la loi 2013-001 accorde un statut spécial aux anciens présidents. Elle se focalise malheureusement sur les seuls privilèges qui leur sont accordés, sans exiger la moindre contrepartie. Le sommet des « ex » est l’occasion de revoir cette loi de manière constructive, en y incluant des dispositions qui garantissent leur retrait définitif de la vie politique, faute de quoi la retraite dorée et les autres privilèges leur seraient retirés. Ils jouissent tous des avantages considérables, à vrai dire exorbitants, que leur vaut ce statut. Qu’ils s’y tiennent, et ne cherchent pas à mettre leur confortable retraite au service de nouvelles ambitions politiques.
Le peuple les a assez vus et a trop souffert de leurs errements, qu’ils laissent la place aux plus jeunes. Pour la plupart, cela reviendra à se renier eux-mêmes, mais cela leur évitera de se faire jeter dehors une fois de plus par les citoyens excédés. Un tel retrait contribuera à former une culture de l’alternance démocratique, base de l’État de droit et de la stabilité politique. Et puis, il n’est pas interdit de rêver !
PROCESSUS ELECTORAL - Les élections de fin de Transition de 2013 ont mis en œuvre des réformes destinées à réduire les avantages des tenants de pouvoir en matière électorale, ainsi que les contestations postélectorales. Ainsi fut créé un organe indépendant d’organisation des élections ; ainsi vit le jour le bulletin unique ; ainsi furent votées les lois sur les partis politiques et le statut de l’opposition. Les résultats en sont mitigés, mais cela ne doit pas dispenser de s’atteler à une amélioration et à une application plus profonde de ces réformes. Il ne s’agit pas tant, ici, de voter une nouvelle loi ou de créer une nouvelle institution, que d’animer les unes et les autres de manière efficace, de les dé-politiser et de les utiliser au service de l’alternance.
DECENTRALISATION - La majeure partie de la population se sent délaissée par les tenants du pouvoir qui ne songent qu’à renforcer la centralisation. Un développement équilibré des régions s’avère indispensable pour conforter l’unité nationale. Et la réconciliation nationale ne pourra pas faire l’économie d’une décentralisation conférant à la fois le pouvoir et les ressources nécessaires à sa mise en œuvre (3)
LES CLIVAGES QUI NOUS DIVISENT : De nouvelles réformes devraient être envisagées pour surmonter les divisions que les politiciens exploitent à des fins politiciennes. Il s’agit des sujets qui fâchent ou qui inquiètent, tels les clivages ethniques, régionaux ou de castes, les oppositions croissantes entre riches et pauvres, les conflits entre traditionalistes et modernistes, entre ruraux et urbains, entre jeunes et anciens, etc. Tout cela implique ouverture et dialogue, discipline et bonne foi. Jusqu’à pouvoir se dire, pour citer Martin Luther King : « Mon avenir dépend de ton avenir ».
Toutes ces questions trop souvent occultées conditionnent pourtant le vivre-ensemble indispensable à l’unité nationale. C’est de ces questions que devrait traiter la réconciliation attendue, plutôt que de broutilles politiques aussi vaines que passagères. Or le principal ennemi de cette réconciliation est la classe politique, alors qu’elle pourrait, et devrait, y contribuer en priorité. Entamer la réconciliation veut dire débattre de ces sujets de fond, qui bloquent ou handicapent le développement d’une société harmonieuse. Et l’amélioration des problèmes de niveau de vie, d’éducation, de santé, de sécurité et de décentralisation en sera l’application concrète ; elle prouvera que les politiciens sont soucieux de réconcilier le pays, et non pas de manipuler les masses à des fins personnelles. Sur ces questions, la société civile se doit d’interpeler les dirigeants, de manière non-partisane, fût-ce au risque de se faire accuser de sabotage, de dénigrement ou d’opposition. Car la société civile, autant que la classe politique, est un acteur essentiel de la vie nationale.
NOTES
1) « Après les élections, mise en place des institutions et la réconciliation », 11 Février 2014
2) Chacun trouvera la preuve ou le témoignage des efforts et des propositions fait par le Sefafi, dans le volume à paraitre sous peu et qui reproduit la totalité de ses communiqués : Sefafi, L’Observatoire de la vie publique à Madagascar. D’une crise à l’autre (2001–2013), L’Harmattan – Foi & Justice
3) « La mise en œuvre de la décentralisation effective, par l’octroi de la plus large autonomie aux collectivités décentralisées tant au niveau des compétences que des moyens financiers » (Constitution, Préambule).
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** La Sefafi est l’Observatoire de la vie publique à Madagascar.
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