Madagacar : La société civile relance l’élaboration d’une charte pour le développement durable dans le cadre des investissements privés

L’Etat malgache ne doit pas se précipiter dans la promotion des investissements et la reprise de la délivrance de permis dans les secteurs minier et pétrolier, en l’absence d’un cadre institutionnel et légal plus approprié et protégeant davantage les intérêts de la nation malgache, notamment à travers un Code minier adéquat et la reprise de fonction du Bureau de cadastre minier de Madagascar

Depuis le mois de mars 2014, le Centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement – Océan Indien (Craad-Oi), en partenariat avec des organisations de la société civile, a mené une campagne de sensibilisation, de formation et de plaidoyer sur le thème « Droits humains, foncier et investissements », afin d’alerter les décideurs et tous les citoyens malagasy sur l’urgente nécessité de prendre en compte l’expérience vécue des communautés déjà affectées par des projets d’investissements agricoles et miniers à Madagascar, qui révèle la gravité des conséquences de ces projets sur leurs droits humains

Dans le cadre de cette campagne, un atelier de concertation de la société civile a été organisé les 18 et 19 mai 2015 à Antananarivo par le Craad-Oi, en partenariat avec le Haut-commissariat des Nations unies aux Droits de l’homme et le Collectif pour la Défense des terres malgaches – Tany. Le but de l’atelier était l’élaboration par les participants d’un projet de Charte tripartite définissant les responsabilités et les obligations respectives de l’Etat, des investisseurs et de la société civile, y compris les communautés concernées par les projets d’investissement, afin d’assurer le respect des droits humains et le développement durable dans le cadre des investissements privés à Madagascar. Pendant cet atelier, les participants ont soulevé plusieurs questions cruciales sur la gouvernance du secteur minier et la régulation des investissements.

Les participants ont souligné que l’Etat ne doit pas se précipiter dans la promotion des investissements et la reprise de la délivrance de permis dans les secteurs minier et pétrolier, en l’absence d’un cadre institutionnel et légal plus approprié et protégeant davantage les intérêts de la nation malgache, notamment à travers un Code minier adéquat et la reprise de fonction du Bureau de cadastre minier de madagascar (Bcmm). A cet égard, la première question qu’ils ont soulevée a trait à l’inclusion du Code minier et du Code pétrolier dans le cadre de l’Initiative à Résultats Rapides (Irr), avec l’objectif de les présenter pour adoption par l’Assemblée nationale pendant la session parlementaire du mois de juin 2015.

Il est évident qu’un tel processus accéléré ne donne pas suffisamment de temps pour une consultation adéquate avec toutes les parties prenantes, ce qui devrait pourtant faire partie intégrante du processus d’élaboration de textes de loi majeurs comme le Code minier et le Code pétrolier. Les participants ont souligné que l’Etat ne doit pas se précipiter ainsi sans avoir effectué le maximum de consultations possible jusqu’auprès des communautés de base concernées.

La seconde question soulevée par les participants à l’atelier concerne la révision du Code minier, dont le processus en lui-même se distingue par de graves lacunes :

- le déficit d’information et de participation de la société civile : compte tenu du manque de communication de la part des responsables sur le processus de révision du Code minier, et du fait que seulement quatre (4) organisations de la société civile sont impliquées dans ce processus, force est de constater la nature purement symbolique de la participation de la société civile à la révision du Code minier, qui concerne pourtant le patrimoine commun de tous les citoyens Malagasy ;

- le caractère informel du Comité conceptuel chargé du processus de révision du Code minier au détriment du Comité national des mines (Cnm), seul organe paritaire prévu à cet effet par l’actuel Code minier : alors que le travail de ce Comité conceptuel qui a été mis en place d’une manière improvisée implique la prise de mesures d’une importance vitale aussi bien pour le secteur minier que pour l’économie nationale, il n’y a pas eu d’arrêté ni d’autre mesure prise par le Gouvernement pour officialiser son mandat et lui donner la légitimité requise pour l’exercer.

Ces deux particularités contestables du processus actuel ne font que renforcer l’aspect purement symbolique de l’inclusivité et de l’effectivité de la révision du Code minier.

Les participants à l’atelier ont aussi exprimé leurs préoccupations au sujet du contenu de L'Avant-projet de Loi portant Code minier produit par le ministère des Mines, et publié par ses soins auprès d'autres ministères, sans en informer les organisations de la société civile qui ne font pas partie du Comité conceptuel. Cet Avant-projet de Loi portant Code minier comporte plusieurs articles qui ont été critiqués par les représentants de la société civile et du Syndicat des petites mines au sein du Comité conceptuel comme étant contraires aux intérêts de la nation Malagasy, et en particulier à ceux des opérateurs miniers nationaux.

En particulier, il importe de réitérer et de porter à la connaissance du grand public que les participants à l’atelier se joignent aux représentants de la société civile et du Syndicat des petites mines au sein du Comité conceptuel pour dénoncer avec la plus grande vigueur l’impact potentiellement désastreux de l’Article 1-1, 3ème alinéa qui dispose que «nul titulaire de permis minier ne peut s'installer ou procéder à quelconque opération d'extraction ( dans le cadre de l'activité de recherche ou de l'activité d'exploitation ) sur un site inclus dans son périmètre minier sans être propriétaire foncier du site… ».

Cette disposition qui est tout à fait contraire aux principes de la réforme foncière en cours de consolidation est inacceptable, et ouvre la porte à la dépossession et à la spoliation des droits fonciers des petits paysans pauvres et de la majorité des citoyens malgaches qui ne disposent pas de titre ou certificat fonciers pour diverses raisons, ainsi qu’à la légalisation de l’accaparement de terres par ceux qui en ont les moyens, et à l’achat de terres par des étrangers.

En outre, l’atelier a aussi abordé la question de l’économie souterraine qui draine la plus grande partie des ressources minières nationales au détriment de l’économie et du développement du pays. Ainsi, d'après un expert de la Banque mondiale, Madagascar perd environ 500 millions de dollars par an depuis des années à cause des trafics d'or et de pierres précieuses : en 2013-14 par exemple, un pays arabe a accueilli de l'or et des pierres précieuses sortis frauduleusement de notre pays pour environ 225 millions dollars.

Face à l’absence de mesures drastiques visant à éradiquer cette économie souterraine, les participants à l’atelier sont en droit de se poser des questions sur l’existence d’une volonté politique réelle pour résoudre ce problème, et sur les liens entre les acteurs de cette économie souterraine et les tenants du pouvoir.

La gravité de toutes ces questions justifie l’urgence :

- de la mise en place d’une plate-forme de concertation permanente et inclusive entre la société civile, l’Etat et les investisseurs dès la période actuelle de révision du Code minier ;

- et de l’élaboration de la Charte tripartite susmentionnée, qui pourra constituer le fondement d’un cadre de régulation adéquat des investissements comportant des mécanismes effectifs de redevabilité envers tous les citoyens Malagasy.

Antananarivo, 28 mai 2015

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** Centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement – Océan Indien

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