L’indépendance du Sud Soudan peut-elles inspirer les Camerounais anglophones ?

Un cinquante-quatrième Etat africain est né le 9 juillet dernier, avec l’indépendance du Sud Soudan. Pour la deuxième fois, après l’Erythrée, le principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation a été bousculé. Pour Patrice Nganang, cela pousse à poser le cas du Cameroun anglophone.

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Le 9 juillet est né la république du Sud Soudan. Un nouvel Etat africain est cause de célébration. Allons-nous être content au Cameroun ? Paul Biya se précipitera-t-il pour reconnaître cette nouvelle République comme le fit l’Afrique du sud, et même la Lybie ? Les anglophones du Cameroun devraient regarder eux l’indépendance du Sud Soudan avec intérêt, car pour ceux qui ont mon âge elle représente la concaténation de trois choses essentielles qui font que notre temps soit particulier et donc prélude sans doute à ce futur que chacun de nous veut comprendre, et d’une certaine manière réaliser à peu de couts.

La première est que les Etats ne sont jamais éternels. La seconde est que finalement le principe sacro-saint des frontières héritées de la colonisation devient ce qu’il a toujours été : un des derniers vestiges politiques du colonialisme qu’il nous faut liquider. La troisième est que tant qu’ils lui opposeront la sourde oreille, nos Etats se fracasseront sur la question du respect des droits humains, et surtout sur celui du droit des minorités. C’est simple, tout Etat qui piétine les droits humains ouvre la porte de son histoire à cette violence citoyenne dont la sécession est une forme. Le respect de nos droits est notre seul espoir.

Notre génération a cette particularité, et c’est sans doute cela qui la distingue de celle de nos parents, que nous avons grandi avec la fin des nations. De l’ancienne Union soviétique à l’ancienne Allemagne de l’Est, de la Somalie au Soudan, nous avons aussi vu des Etats disparaître. Nous avons vu des pays respectés jadis soudain devenir du papier. Les causes de ces disparitions sont diverses, mais en Afrique, plusieurs fois, elles sont liées à la violence centralisatrice d’un Etat qui s’imagine que seule la violence de frontières héritées de la colonisation dont chacun veut se séparer, peut maintenir ensemble des êtres humains qui exigent le respect de leurs droits.

A ce centralisme à outrance s’ajoute une conception du président comme omniprésent dans la vie de communautés pourtant distinctes à plusieurs égards : chez nous l’œil du président ce sont les gouverneurs, les préfets et sous-préfets. A cette violence d’en haut est opposé ici et là autant la fronde, la dissidence de citoyens, que plusieurs fois des rebellions militaires qui d’une manière ou d’une autre sont le visage d’un ras le bol citoyen effectif. Il lui est imposé donc cette sagesse qui, nous avait dit Ernest Renan dans sa définition devenue classique de la nation, fait de celle-ci un plébiscite permanent.

Les Constitutions du Cameroun, et les politiques qui l’ont mise en application, ne nous ont pas aidé pour nous protéger contre les frustrations violentes de peuples à la voix bâillonnée. Car autant d’une part les textes qui nous régissent nous imposent un Etat jacobin, autant nous sommes tenaillés entre l’héritage français qui nous a livré une forme pyramidale de l’Etat et la multiplicité de peuples de notre nation. Mais d’autre part, la phobie maniaque du modèle fédéral nigérian (‘fédéral’ est chez nous une injure) qui faisait encore trembler nos constitutionnalistes lors de la Tripartite, survit au Cameroun comme un faire-peur. Le fédéralisme équivaut à la fin de la République du Cameroun, nous dit la vulgate au pouvoir, à la guerre. La République fédérale du Cameroun qui était pourtant notre passé est devenue notre véritable épouvantail. C’est comme si ni les Etats-Unis ni l’Allemagne ne pouvaient nous enseigner ce que c’est qu’une République fédérale et les libertés que l’on en tire, surtout pour ce qui concerne la reconnaissance du caractère particulier des régions.

Seule la République française a toujours raison chez nous, et de la Constitution française de la cinquième République dont une copie nous sert de document de base, nous n’avons au fait repris que les défauts, surtout le déni de droit aux communautés et aux régions, ce qui fait que pour notre pays aux deux cents langues, aux deux langues officielles, aux trois religions majoritaires, celle-ci devient plus qu’une camisole de force : elle devient un étouffoir des particularismes.

Longtemps le dogme du sacro-saint des frontières héritées de la colonisation qui est ironiquement au début de l’Union africaine, nous a servi de fuite en avant. Pourtant l’histoire n’est pas une imposition infinie et une justification de la violence d’Etat par l’idéologie, car alors elle serait de l’incantation et donc une véritable imposture. Au contraire, elle est la transformation lente, mais parfois tumultueuse aussi, de précédents légaux en jurisprudence effective. C’est ici donc que la naissance de la République du Sud Soudan dans les traces de l’Erythrée, une tache d’huile pour le vêtement du panafricanisme idéologique qui nourrit encore nos intellectuels, sera de plus en plus une peinture colorante.

Il fallait qu’ici deux symboles de l’unité africaine soient fracassés : d’abord celui de l’Ethiopie qui en cédant jadis à la demande indépendantiste érythréenne avait rendu sa position symbolique de plus vieil Etat africain insoutenable dorénavant. Et puis aujourd’hui celui du Soudan, après l’Egypte le premier Etat africain indépendant (le 1er janvier 1956), qui ainsi nous permet de rectifier la position frauduleuse que le panafricanisme a toujours donné au Ghana de Nkrumah d’avoir ouvert le bal de notre séparation effective du colonialisme.

Le contentieux historique que la République du Sud Soudan permet de mettre une fois de plus sur la table de l’histoire africaine est bien celui du respect des minorités. La question des minorités chez nous se perd très vite dans les débats tribaux que la vision jacobine de notre République taxe de tribalisme. Elle se perd quand on rappelle au tout venant que le droit des minorités signifie la protection de populations autochtones, tout comme lorsque l’on cite la chaine des calamités qui étranglent chaque province de notre pays pour disqualifier le déni de droit des habitants des deux provinces anglophones.

Pourtant le respect des minorités est bien au fondement de la conception de la démocratie qui décidera de notre futur, car il vient d’une demande suis generis et donc inaliénable. C’est qu’autant il se révèle de plus en plus que la définition de la démocratie comme loi de la majorité nous a ouvert sur des enfers nombreux, et les génocides au Rwanda et au Darfour en sont deux, autant il devient de plus en plus salutaire pour notre futur de lui adjoindre le principe fondamental du respect des minorités. C’est ce principe que l’indépendance de la République du Sud Soudan, nous oblige dorénavant à prendre encore plus au sérieux. C’est ce principe qui devient jurisprudence en Afrique et qui donc plus que l’idéologie panafricaniste dessine notre futur.

Au Cameroun, ne sont-ce pas les anglophones qui le plus vivement l’ont manifesté dans la cour de notre République, eux dans la province de qui se sont exprimées autant les voix qui en 1990 ont fabriqué le multipartisme chez nous, avec la création du SDF, que celles qui ont le 30 décembre 1999 déclaré précipitamment l’indépendance du Southern Cameroon ? C’est que, et ce n’est pas un hasard, c’est bien dans les provinces anglophones, dans l’Ambazonie donc, que les revendications sociales et les turbulences corporatistes qui secouent notre pays sporadiquement, pour notre salut commun, se sont, ces dernières vingt années, le plus évidemment transformées en revendications politiques, et pas autour du tombeau d’Um Nyobé ni encore dans le fief d’Ahidjo.

Les anglophones sont de caractère frondeur, on pourrait dire, selon une lecture culturaliste ; on croirait que ce sont des ‘tchouk head’, comme on dit à Bamenda ; que faux. Il suffit de voir les dénis de droit qui sont leur quotidien, et qui emplissent les dossiers d’Amnesty international, ainsi que de l’Agence des Nations unies pour les refugiés, pour comprendre leur rage. La précipitation du pouvoir de Yaoundé devant quelques troubles sociaux ayant lieu dans cette zone, par opposé à cette violence de gangs meurtriers qui secoue par exemple Douala, montre bien que celui-ci soupçonne que notre futur sera sans doute décidé de l’autre côté du Mungo.

Que cinq ministres, Marafa Hamidou Yaya, Jean Baptiste Béléoken, Bernard Messengue Avom, Jean Baptiste Bokam, Martin Mbarga Nguélé, se retrouvent soudain ce 27 juin 2011 au chevet de deux communautés anglophones en conflit foncier, alors que même les forces de l’ordre tardent à se présenter à Bilonguè ou deux gangs s’entretuent, montre l’attention craintive de Biya devant la rage anglophone.

Pourtant ne nous y trompons pas, comme me disait encore un ami anglophone : francophones et anglophones sont comme deux amis assis dans des trains différents et qui se voient passer. Cependant, me rappelait-il encore dans un débat sur l’apartheid littéraire qui sévit chez nous, c’est dans les romans écrits par des anglophones que l’on trouve une nation camerounaise bilingue, quand chez les auteurs francophones les personnages anglophones n’existent pas. Comment le contredire ? La réaction des grandes ambitions à cette critique à l’exclusion des anglophones aura été autant d’user de la violence, en faisant de la zone anglophone la plus militarisée du Cameroun, que de la carotte, en passant par l’éducation.

Au sommet de ces deux stratégies cependant se trouve l’humiliation continue de la minorité anglophone. Ainsi, selon le « Journal du Cameroun », dans un article de 2009 de Sandrine Gaingne, dans les programmes de lecture de la section anglophone, on retrouve des textes comme « L’enfant de la révolte muette « de Camille Nkoa Atenga pour le programme des Lower et Upper 6 classes, et « Ils ont mangé mon fils » de Jacques Fame Ndongo pour les Form 3. Comme si la meilleure manière de fonder un vivre ensemble dans la nation camerounaise, était d’imposer aux enfants anglophones la lecture des livres du chargé de la communication du RDPC, tout comme du général qui, il y a quelques années, menait une campagne militaire dans leurs cours.

L’un des échecs les plus cuisants des grandes ambitions c’est la question anglophone. C’est évident aujourd’hui : le modèle de l’‘Etat unifié’ est un synonyme de dictature jacobine. L’investissement militaire en zone anglophone plus que partout ailleurs au Cameroun en est la preuve. La politique d’‘intégration nationale’ aura été en fait la tribalisation des anglophones qui, on l’a oublié, ont rejoint la République du Cameroun en 1961 en tant qu’Etat souverain – chose sans précédent en Afrique ! Dire qu’au besoin de sa survie, ce régime les transforma en ‘anglo-bami’ ! C’est que Biya aura fait la question anglophone reculer de vingt ans, de là ou Ahidjo l’avait laissée. A son départ, notre pays ne saurait échapper à une révision de l’organisation de son territoire, révision qu’il avait initiée d’ailleurs lui-même à son arrivée au pouvoir quand il créa de la province du Nord défunte, trois provinces comme on sait. Cette fois il faudra retourner vers la fédération : élire les gouverneurs serait le premier pas.

S’il n’y a pas plus sourd que qui refuse d’entendre, peut-être plus que la déclaration d’indépendance du Southern Cameroon en1999, qui valut de nombreuses arrestations aux Camerounais anglophones, c’est sans doute lorsque Biya signera lui-même la reconnaissance par le Cameroun de l’indépendance de la République du Sud Soudan que tous – mais les francophones surtout – nous nous réveillerons enfin à l’évidence que la République fédérale est le modèle que notre futur commun permet à notre nation si diverse. Il n’y a aucune honte à retourner sur ses pas quand on s’est trompé de chemin, car après tout, l’histoire camerounaise est notre futur.

* Patrice Nganang est un écrivain camerounais de qualité

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