Le G8, l’Afrique et le Nepad : Evaluation critique
Les Africains continuent de rester les non-nantis en bas de la pyramide mondiale. Même si « leurs » dirigeants baignent dans l’abondance de richesses et de privilèges. Il est raisonnable de conclure, selon Henning Melber, que jusqu’à présent, ni le NEPAD ni son appui de la part du G8 et d’autres qui prétendent en être préoccupés, n’est parvenu à donner une contribution susceptible de causer le changement.
Depuis le début de ce siècle, le G8 a commencé à cultiver des relations intimes spéciales avec les représentants d’une « nouvelle Afrique » en réponse à leur courtisanerie.
Ce n’est pas par hasard que la Chancelière Allemande Angela Merkel a annoncé que l’épanouissement accru de cette liaison en « partenariats de réformes » figurerait officiellement parmi les priorités à l’ordre du jour du prochain sommet à Heiligendamm sur la mer Baltique.
Cependant, ceci ne signifie pas nécessairement que ça va se passer réellement. Nous avons déjà vu de cas où l’accent sur l’Afrique annoncé au départ a été rendu invisible par d’autres dossiers à Kananaskis, où les événements au Moyen-Orient ont remplacé l’Afrique comme une priorité, et à Gleneagles après les attaques de bombes à Londres; et les représentants africains se voyant obligés de paraître invisibles.
Cette fois-ci, il semble que le changement climatique va de nouveau pousser l’Afrique hors de vue- même si ses gens pourraient être parmi les plus grandes victimes des effets de la pollution non-contrôlée de l’environnement ; rabaissant ses dirigeants et les poussant à l’ombre.
Mais malgré cela, les chefs d’Etats africains favorisés semblent se sentir en quelque sorte à l’aise en jouissant de petits profits marginaux résultant du fait de s’asseoir à table pour partager le déjeuner avec les puissants. Après tout, depuis Gênes, le déjeuner a été le minimum qu’ils aient reçu de chaque sommet du G8. Même quand cela, en plus de la photo de groupe, était parfois la seule reconnaissance accordée.
Merkel s’est servie de son discours au Forum Economique à Davos pour déclarer que pendant les présidences allemandes du G8 et de l’UE, l’accent serait mis sur comment l’Afrique pourrait être mieux intégrée dans l’économie mondiale.
Son représentant personnel au G8, Bernd Pfaffenbach, a confirmé lors d’une débat sur l’Afrique au même lieu de ski des Alpes suisses, que le camp de l’été à la mer Baltique à Heiligendamm chercherait à encourager un partenariat entre le G8 et les dirigeants africains.
Ces intentions déclarées du programme par les hôtes de cette année ne devraient pas paraître comme soulageantes. Elles devraient plutôt sonner comme des cloches d’avertissement. Les deux priorités de l’intégration accrue dans l’économie mondiale et du partenariat plus rapproché avec les dirigeants africains dans l’interaction prévue méritent la question qui est en train d’être soulevée : où résident les intérêts des gens du continent?
Après tout, ni la mondialisation depuis l’époque de la vente des esclaves, ni la collaboration des dirigeants africains avec les puissants d’ailleurs, quelle que soit leur persuasion politique et idéologique, n’a fourni d’intérêts significatifs et durables aux majorités sur le continent qui luttent chaque jour pour la survie.
L’intégration accrue des sociétés et des économies africaines dans le marché mondial, un processus qui depuis la colonisation était de toute façon beaucoup plus avancé que dans la plupart des autres régions du monde, suggère, au contraire, même une exploitation plus systématique des ressources naturelles du continent, et l’élargissement intensif aux marchés locaux.
Sous les programmes actuels de la « mondialisation » promus et réglementés par l’OMC, l’accès pour que le capital extérieur fournisse des biens et les services publics privatisés, de même que le contrôle de la soi-disant propriété intellectuelle, en rajoute davantage à la réduction de l’autonomie de l’Etat et des capacités locales d’agir dans l’intérêt des gens.
La privatisation ne remplit pas bien certaines des principales tâches d’un Etat qui fonctionne: à savoir la livraison des services de base dans l’intérêt public, notamment celui des pauvres; et pour protéger les plus faibles – non pas que les gens en Afrique n’ont jamais vu ni eu l’expérience d’une grande part de ceci.
Depuis 2001, le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (Nepad) est devenu la marque déposée africaine pour le genre de collaboration que le G8 et les autres pays OECD favorisent et soutiennent.
En perspective en tant que plan depuis la fin des années 1990, le Nepad a émergé comme un résultat d’une constellation fondamentalement nouvelle sur le continent. Après l’Afrique du Sud – depuis le milieu des années 1990, et le Nigeria –depuis la fin des années 1990, les deux puissances économiques régionales, avaient laissé derrière leur statut paria. Alors que l’apartheid, dans l’un des cas, et les dictatures militaires, dans l’autre cas, limitaient les sphères opérationnelles des régimes africains auparavant, les nouveaux gouvernements représentaient des récits de succès politiquement acceptables – si pas toujours loués – comme quoi la démocratisation marche.
Considéré comme les pays meneurs stratégiques dans la région pour l’Occident, ces deux économies totalisent les quelque deux tiers du PIB de tous les pays de la soi-disant Afrique sub-saharienne. Laissant de côté les économies basées sur les ressources, qui, à travers le pétrole, les minerais stratégiquement pertinents et d’autres biens naturels, tels que les diamants, stimulent le désir de faire des transactions avec les responsables et les oligarchies locaux, ce sont les partenaires potentiels les plus attirants pour le monde extérieur.
Les chefs d’Etats sud-africain et nigérian Thabo Mbeki et Olusegun Obasanjo étaient les deux principaux architectes du Nepad, avec l’autocrate sénégalais Abdoulaye Wade, et le soutien de l’Egypte et de l’Algérie. De fait, tous les trois dirigeants africains de ce triumvirat ont raté seulement un des six sommets du G8 depuis Gênes 2001.
Mais aux yeux de beaucoup d’observateurs critiques, y compris au sein de l’Afrique, le Nepad symbolise essentiellement les nouveaux vêtements de l’empereur. Il revient à la reformulation de la même vieille histoire d’ensemble de conditions, seulement cette fois-ci sous la propriété africaine
.
Perçu comme une politique d’orientation néo-libérale imposée à partir d’en haut, on le met en cause et on le teste à partir d’en bas comme une approche technocrate des élites. Ou autrement comme une version locale du consensus de Washington.
D’après cette vision, les défaillances et les déséquilibres structurels sont légitimés, mais pas mis en cause. Il reflète une coalition entre ceux sur le continent et à l’étranger qui profitent des économies de marché orienté vers l’exportation, sous un régime commercial, qui est avant tout orienté vers l’extérieur.
Ceci pourrait s’ajouter aux avantages relatifs d’une petite élite locale et des plus grands parmi les acteurs subalternes sur le continent. En particulier en élargissant le capital sud-africain, qui est en train de réussir à pénétrer beaucoup d’autres économies africaines. Mais il offre peu ou n’offre rien du tout aux hommes du commun. Ils restent encore une fois exclus des affaires. Ils sont chômeurs et ils continuent de vivre dans la pauvreté extrême.
Alors que certains des critiques plutôt acerbes marmottent des théories douteuses de complot, ce qui pourrait être injuste, ou du moins pas conformes aux intentions réelles de certains des nouveaux dirigeants africains, il est difficile de rejeter en bloc de telles analyses.
Le manque de matière significatif offre peu d’aisance du soutien du G8 pour le Nepad, qui serait obligé de faire correspondre les déclarations presque euphoriques depuis que les dirigeants africains ont toqué à leurs portes à Gênes.
Au milieu du désordre italien, les chefs d’Etats du G8 ont affecté des « sherpas » individuels pour qu’ils se regroupent et préparent un Plan d’Action Afrique. Son adoption une année plus tard, à la mi 2002, dans les montagnes canadiennes à Kananaskis, fut célébrée comme une percée majeure. Bien qu’elle fut (dis-)qualifiée par les critiques modérés tel que le directeur d’alors chargé de la justice et de la paix à la Conférence des Evêques Catholiques Sud-Africains d’ « air chaud » ou de « cacahuètes recyclées ».
Contrairement à de telles conclusions qui poussent à la réflexion, le président sud-africain est rentré triomphalement avec le message comme quoi Kananaskis a marqué un moment décisif dans la naissance d’un système plus juste et plus équilibré de relations internationales. Dans le contexte historique, Kananaskis représentait pour lui la fin de l’ère coloniale et néo-coloniale. Classer ce genre d’interprétation osée comme « un raisonnement de rêve » semblerait le moins que l’on puisse dire.
Sur base de ces soi-disant récits de succès auto-proclamés, les dirigeants africains se sont servis de la transformation de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en Union Africaine (UA) directement après Kananaskis à leur sommet à Durban pour intégrer le Nepad comme un nouveau programme économique de l’organe continental.
Ils l’ont ainsi élevé à un statut officiel pour tous. Par la suite, en septembre 2002, l’Assemblée Générale des Nations Unies remercia le Nepad en lui donnant le titre de cadre général de coopération internationale avec l’Afrique, permettant de la sorte à Thabo Mbeki de déclarer, sans qu’on puisse le contredire, que le Nepad avait émergé comme le point de repère politico-économique dans l’interaction de l’Afrique avec le monde extérieur.
Même les résultats qui donnent à penser du sommet dans l’Evian français en 2003 et l’humble déjeuner offert au sommet américain en Georgie en 2004 ont servi comme plus de légitimité pour le Nepad-troika africaine. Malgré que Wade devenait de moins en moins enthousiaste, et dans l’entretemps ouvertement critique.
Leur patience fut moins récompensée par l’effort personnel de Tony Blair, qui utilisa la présidence du Royaume –Uni pour initier sa Commission pour l’Afrique. Son rapport, qui figura à l’ordre du jour du sommet de Gleneagles en 2005, prétendait présenter, à travers le soutien financier accru et l’annulation de la dette, un apport décisif dans le développement de l’Afrique. En effet, une portion considérable des dettes déjà payées ont lors été annulées pour les pays les plus pauvres parmi les pauvres.
L’élan moral qui est dû, en partie, non seulement au flair personnel de Tony Blair, mais aussi au document de la Commission Afrique, sous-titré « Notre Intérêt Commun », ne devrait cependant pas désorienter.
En effet, les prémisses fondamentales des recommandations reposent sur la supposition que ce sont les Africains eux-mêmes qui doivent porter la responsabilité d’être si pauvres, et qui ont besoin-avec l’assistance extérieure- d’arriver à agir ensemble.
Les réformes proposées ne citent ni ne blâment les inégalités structurelles qui en découlent en tant que résultat des processus historiques, au cours desquels le colonialisme et l’impérialisme européens se sont répandus jusqu’aux fonds fins de l’Afrique avec des conséquences dévastatrices et durables pour les sociétés là-bas. Elles ne mettent pas non plus en cause la base fondamentale du système mondial existant pour le moment et ses effets néfastes sur les économies africaines et les Africains.
Même si la Commission –avec toutes les réserves nécessaires- était considérée comme un progrès majeur pour au moins une sphère publique plus vaste, et aussi au moyen de la culture des vedettes qui conduit à des performances spectaculaires « fais du bien » (qui en général excluaient les artistes africains en leur refusant une part équitable dans la publicité) ; le sommet du G8 à St Petersburg en 2006 qui s’ensuivit n’a même pas prétendu faire le suivi de ceci de manière sérieuse.
Pour la première fois depuis Okinawa en 2002, seuls trois chefs d’Etats africains avaient décroché le privilège de jouer un rôle d’appui. A part le fait d’être un certain type d’aspect exotique cosmétique, le sommet n’avait absolument rien à offrir.
Selon le gouvernement allemand, les choses devraient être différentes au début de juin à Heiligendamm. Comme le suggèrent les exercices d’évaluation des progrès vers la réalisation des Objectifs de Développement du Millénaire, beaucoup laisse désirer quand il s’agit de la mise en œuvre des cibles définies.
Les Africains continuent de rester les non-nantis en bas de la pyramide mondiale. Même si « leurs » dirigeants – notamment dans les cas comme celui de l’oligarchie du pétrole angolais ou de despotes individuels tel que Mugabe- baignent dans l’abondance de richesses et de privilèges. Il est raisonnable de conclure que jusqu’à présent, ni le Nepad ni son appui de la part du G8 et des autres qui prétendent en être préoccupés, n’est parvenu à donner une contribution susceptible de causer le changement.
Il faudrait cependant reconnaître, en même temps, et ce malgré de telles réserves, qu’une part juste de responsabilité collective et de volonté d’intervenir dans les affaires des Etats membres a fondamentalement changé le programme politique de l’Union Africaine et ses principes directeurs.
Alors que jusqu’à présent ceci a eu peu d’impact en termes de changements nécessaires dans les impasses structurelles socio-économiques, et n’a pas réussi à produire des résultats décisifs quelconques dans plusieurs cas-pas moins au Zimbabwe, aussi politiquement, ça n’affecte pas les facteurs socio-économiques y relatifs tels que la sécurité, la participation politique, la transparence et la responsabilité.
Alors que beaucoup laisse à désirer, on ne devrait pas ignorer les changements fondamentaux, qui en termes d’abandon du saint principe actuel de non-intervention était un résultat direct de la transformation de l’OUA en l’UA.
Le Mécanisme Africain de Revue par les Pairs (MARP) en tant que partie intégrante volontaire, du Nepad, pourrait être là plus en tant que symbole qu’autre chose. Mais le fait de figurer au programme marque un nouveau chapitre dans la politique africaine. A une époque où les révolutions ne sont même pas à l’horizon à quelque distance, ceci semble toujours une vue trop pragmatique, bien que probablement réaliste.
Ironiquement, avec les nouvelles tendances multipolaires, et les pays BRIC (le Brésil, la Russie, l’Inde et en particulier la Chine) à travers leurs partenaires bilatéraux qui cherchent avec agressivité à explorer et à exploiter le continent africain avec peu de préoccupation ou sans du tout se préoccuper de la « bonne gouvernance »-quelle que soit la signification de ceci, les gains des économies africaines, selon leurs mesures en termes d’équilibres commerciaux et la croissance du PIB, sont remarquables.
Bien entendu, ceci ne veut pas dire que les économies africaines et les populations locales vont automatiquement en bénéficier. Il reste à ce niveau une question ouverte de savoir s’ils pourraient avoir une part modeste de la nouvelle bousculade pour les ressources africaines et comment cela pourrait se passer. Mais il est peu probable que le sommet du G8 à Heiligendamm va rendre plus proche la solution à ce défi.
*Henning Melber était directeur de la Branche Namibienne de la Recherche en Politique Economique- The Namibian Economic Research Unit (NEPRU) à Windhoek, Namibie, de 1992 à 2000. Il était directeur de la Recherche à l’Institut Nordique Afrique9The Nordic Africa Institute), Uppsala, Suède, 2000-2006. Il est actuellement directeur exécutif de la Fondation « Dag Hammarskjold ».
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Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News n° 303. Voir :