Enfin des bonnes nouvelles d’Haïti ?
La méconnaissance et le mépris que Martelly et l’UE affichent de concert envers les analyses et les revendications des mouvements sociaux et d’organisations haïtiens représentent l’envers d’une confiance sans borne au marché.
Le mercredi 25 février 2014, le président haïtien, Michel Martelly clôturait sa visite européenne en Belgique ; l’occasion pour lui de recevoir le titre d’« Hôte d’honneur de la province de Namur » et de rencontrer le président du Conseil de l’Union européenne, Herman Van Rompuy. Aux médias et aux hommes politiques avec qui Martelly s’est entretenu, le message était le même : quatre ans après le séisme qui a ravagé Haïti, « le pays se redresse progressivement, se remet debout ». En témoigneraient la réduction de l’inflation et l’augmentation de la croissance, le renforcement des institutions (certes encore fragiles), les 1,4 million d’enfants qui vont à l’école grâce au Programme de scolarisation universel gratuit et obligatoire (Psugo), et le nombre de personnes vivant dans les camps, qui serait passé de 1,5 million à 147.000 aujourd’hui. De son côté, l’Union européenne (Ue) n’était pas en reste, félicitant « le gouvernement [haïtien] et son président pour avoir réussi à surmonter avec l’aide de l’Union européenne et de la communauté internationale, les urgences humanitaires les plus pressantes ».
Le souci compréhensible d’arracher Haïti à son image misérabiliste, de valoriser l’aide européenne, et de donner – enfin ! – des bonnes nouvelles de ce petit pays des Caraïbes doit-il tout justifier – y compris la méconnaissance ou la falsification de la réalité quotidienne des Haïtiens ? Les avancées mises en avant sont ainsi problématiques. Le nombre de personnes vivant sous les tentes ? Il a certes considérablement diminué. Mais les conditions de vie dans les camps se sont dégradées, suite au départ de la plupart des Ong internationales, et la très grande majorité des personnes qui en sont sorties n’ont pas trouvé de logement décent et sont allées gonfler les bidonvilles de la capitale. Le programme de scolarisation universel gratuit ? Son financement est opaque, son fonctionnement entaché de fraudes, et ses résultats sujets à caution.
De manière générale, une récente étude d’impacts socio-économiques, menée par des institutions haïtiennes et françaises avec l’appui de la Banque mondiale, affirmait que le peuple haïtien était encore plus vulnérable à d’autres chocs et qu’on était donc encore loin de la « reconstruction durable » promise [1]. On est encore plus loin de l’autosatisfaction des présidents d’Haïti et du Conseil européen…
Mais les déclarations de Martelly et de Van Rompuy sont également révélatrices par ce qu’elles taisent. Pas un mot en effet sur la situation des Droits humains, alors que celle-ci est très préoccupante et que les organisations haïtiennes tirent la sonnette d’alarme. Ainsi, à l’occasion de la visite de Martelly en France, des organismes de droits humains internationaux et haïtiens ont adressé une lettre au président français, François Hollande, le mercredi 19 février 2014. Dans ce document, intitulé « La reconstruction d’Haïti doit être basée sur la démocratie et les droits humains », les signataires soulignaient « un contexte inquiétant, d’accroissement d’actes de violence et d’intimidation à l’encontre de militants de la société civile qui appellent à la protection des droits humains en Haïti » [2]. Or, il semble que ce contexte se soit encore aggravé avec le double assassinat, le 8 février 2014, en plein jour et dans le centre de la capitale, du coordonnateur de la Plate-forme des organisations haïtiennes des droits humains (Pohdh) et de son épouse.
Auprès de la presse belge et sans que les journalistes se prennent la peine de vérifier, le président haïtien s’est vanté que Haïti avait été classé 49ème, juste derrière les États-Unis, dans le classement mondial 2013 de la liberté de la presse. En réalité, Haïti se trouve placé derrière Samoa (les États-Unis sont 32ème et la Belgique 21ème) et le président omet le commentaire du rapport à son égard : « La situation reste dans l’ensemble inchangée malgré l’attitude, parfois agressive, du président Michel Martelly, dont s’estiment victimes certains journalistes » [3] . Enfin, rien non plus lors de la rencontre entre Martelly et de Van Rompuy, sur l’épidémie de choléra, introduite involontairement par les troupes de l’ONU, sans que celle-ci reconnaisse sa responsabilité, sans que l’État haïtien lui demande des comptes et sans que l’Ue n’intervienne.
UNE STRATEGIE COMMUNE
Si le Martelly et l’Ue s’accordent largement sur ce bilan positif, c’est surtout qu’ils partagent une même vision du développement. Le slogan du président haïtien, « Haïti ouverte aux affaires », est soutenu et financé par l’Ue. La stratégie est de faire du marché le levier principal, sinon unique, du développement. Le parc industriel de Caracol, inauguré en grandes pompes, le 22 octobre 2012, en constitue le projet phare. Financé dans le cadre de la Reconstruction, il abrite la multinationale sud-coréenne de textiles Sae-A. L’objectif est de créer 65 000 emplois à terme. Qu’importe qu’à ce jour, moins de 2.000 emplois de mauvaise qualité et mal payés aient été créés, que les droits syndicaux ne soient pas respectés, que le projet se fasse au détriment du potentiel agricole du pays et s’inscrive à la suite d’autres tentatives ayant échouées... les rêves néolibéraux sont têtus [4].
Cette politique commune explique que le regard de l’Ue et du gouvernement haïtien soit fixé sur la croissance et les indicateurs macro-économiques au détriment de la situation des droits humains et sociaux. De même, « la consolidation des structures démocratiques et étatiques », évoquée par Van Rompuy, se réduit à assurer les prochaines élections et un cadre légal suffisamment stable pour pouvoir continuer à faire des affaires. Le renforcement des institutions ne passe donc pas par un développement de politiques publiques et sociales, alors même que les dépenses publiques dans l’Éducation et la Santé à Haïti étaient inférieures aux moyennes régionales et que les dépenses en Santé, contrairement à la tendance générale dans la région, avaient même baissées depuis 1997. Et le Fmi de remarquer ingénument que « cependant, une grande part des soins de santé est assurées par les donateurs internationaux et les ONG, principalement depuis le tremblement de terre » [5]. La méconnaissance et le mépris que Martelly et l’Ue affichent de concert envers les analyses et revendications des mouvements sociaux, Ong et organisations haïtiens représentent l’envers d’une confiance sans borne au marché, sensé dégager le pays du double « assistentialisme » de L’État et de l’aide internationale.
VAN ROMPUY ATTENDU A HAÏTI
Au terme de sa rencontre, Van Rompuy a confirmé l’engagement de l’Ue aux côtés du gouvernement haïtien, annonçant par ailleurs son souhait de visiter Haïti en juillet prochain. Martelly, enthousiaste, lui a dit qu’il était attendu. Il le sera également par la société civile haïtienne et ses relais en Europe, notamment la plate-forme européenne, Coordination Europe-Haïti. Des comptes lui seront alors sûrement demandés sur l’aide européenne – son manque de transparence et de cohérence par rapport aux politiques économiques, autrement plus puissantes, imposées par l’UE –, et sur cette privatisation de la Reconstruction, qui cherche sa légitimité au sein du marché plutôt qu’auprès des Haïtiens et Haïtiennes.
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NOTES
[1] Camille Saint-Macary (IRD-DIAL), Constance Torelli (Insee), Impacts socio-économiques du séisme, http://bit.ly/1iZYCIl
[2] Fidh - Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, Rndhh - Réseau national de défense des droits de l’Homme, CEDH - Centre œcuménique des droits humains, Ldh - Ligue des droits de l’Homme, « La reconstruction d’Haïti doit être basée sur la démocratie et les droits humains », mercredi 19 février, http://bit.ly/1s8yMEm
[3] Reporters sans frontières, Classement mondial 2013 de la liberté de la presse, page 10, http://fr.rsf.org/IMG/pdf/classement_2013_fr_bd.pdf
[4] Au sujet du parc Caracol, lire Haïti briefing, n°75, décembre 2013, http://bit.ly/1msZX9E, ainsi que Concertation pour Haïti (CPH), Haïti 2013. Analyse et perspective de l’aide, décembre 2013, http://bit.ly/1hqtHjW
[5] Fonds monétaire international, Rapport Haïti n°13/91, 21 février 2013, http://bit.ly/1ig8usD