Cameroun : Lettre d’Afrique au futur président français
A la veille du second tour de la présidentielle française, François Hollande et Nicolas Sarkozy se faisaient interpeller sur la nécessité d’un nouveau cadre relationnel avec l’Afrique. En somme la fin de la Françafrique et de ses tares. Les Français ayant décidé, c’est sur la table de chevet de Hollande que le chapelet d’interpellations et de recommandations a été déposé.
Monsieur le futur président,
Dans quelques jours, les électeurs français vous auront élu comme leur nouveau président. Indistinct encore parmi ces candidats qui bataillent, vous aurez bien vite la signature du pouvoir. Il est tout aussi certain que vous aurez devant vous une question qui ne se pose plus avec autant d’acuité dans les palais d’anciennes puissances coloniales africaines. Cette question, la voici : quelle doit être la politique africaine à adopter ? Une question bien française, s’il en est encore. Une question qui est d’autant plus brulante aujourd’hui. Avec l’effondrement du Mali, l’espace démocratique en Afrique d’expression française s’est réduit à trois pays en réalité : le Benin, le Niger et le Sénégal. Un bien maigre palmarès que vous voulez, nous avons lu, encourager. C’est sans doute le signe que vous souhaitiez émettre lors de vos entretiens au sujet de l’Afrique.
LE TRIANGLE DE L’INFAMIE
Pourtant, tout est question de perspective. Votre erreur, Monsieur le président, serait, pour ce qui concerne l’Afrique, d’être aveuglé par le cache-sexe que sont ces trois pays démocratiques, car l’espace francophone est devenu le temple de la tyrannie en Afrique. Ce serait une erreur fondamentale de jugement parce que l’Afrique bouge, change, évolue, se démocratise, s’enrichit, certes. Comparées à celles des pays d’expression anglaise, arabe ou portugaise, les populations d’Afrique d’expression française n’ont jamais été aussi rançonnées et prises en otage par des tyrans qu’aujourd’hui. Quand comparés aux pays non-francophones, les pays dits francophones n’ont jamais été aussi pauvres qu’aujourd’hui. Et finalement, du génocide sur les Tutsi rwandais en 1994 à celui qui eut lieu en République démocratique du Congo et à la guerre récente en Côte d’Ivoire, ces pays n’ont jamais été autant plombés par des conflits armés et dévastés par la violence d’Etats devenus assassins.
Jamais, depuis les indépendances africaines, la langue française n’a autant été synonyme de tyrannie, de pauvreté, et de violence pour les Africains. Ces trois éléments sont liés comme une malédiction, car ils constituent le véritable triangle de l’infamie qui devrait être votre préoccupation première pour ce qui concerne l’Afrique : ils devraient définir votre politique africaine donc. Faire de la politique c’est prévoir, nous dit-on, bref c’est anticiper sur le futur par la manufacture patiente et raisonnée aujourd’hui, de la réalité de demain.
VOIR MOURIR LA FRANÇAFRIQUE
Le meilleur politique c’est un général de la paix. Pourtant quelle paix peut être cultivée quand les pays d’expression française réunissent aujourd’hui en Afrique un grand nombre de dictatures ? Avec le Cameroun, où par un coup d’Etat constitutionnel, le 9 octobre 2011, Paul Biya, après trente ans passés au pouvoir, a imposé au peuple un mandat de sept ans, mandat plus long que le vôtre, l’espace francophone est ainsi en tête de liste en terme de durée au pouvoir en Afrique. Avec le Togo, le Gabon que vous célébrez, et la RDC, il nous offre, en plus, des dynasties en pleines Républiques !
De pays où la limite du nombre de mandats à la présidence aura été gommée, la plupart sont d’expression française : le Gabon, le Togo, l’Algérie, le Burkina Faso, le Tchad, le Cameroun, le Sénégal. Votre politique serait empoisonnée, si elle croyait que telle ignominie durerait encore plus longtemps quand dans le voisinage, la Zambie, le Ghana, l’Afrique du sud, le Nigeria, le Mozambique se démocratisent systématiquement !
C’est que les pays africains d’expression française sont aussi les plus pauvres du continent ! Comment croire que par un coup de malchance impériale, durant le dépeçage de l’Afrique en 1884, la France seule se soit retrouvée avec les pays les plus damnés de la terre ? Un regard rapide sur la classification des pays du monde basée sur le bien-être des populations vous montrerait qu’en bas de l’échelle, c’est le français qui est leur langue commune d’expression : Tchad, Mali, RDC, Cameroun, RCA, etc. La culture est cette valeur symbolique qui, longtemps, a été miroitée par la politique française en Afrique, et reprise par les premières générations de politiciens africains depuis Léopold Sédar Senghor.
VENTRE AFFAME N’A POINT D’OREILLE
De quelle culture peut-on parler à un être qui a faim ? Car, c’est évident : un système politique qui écrase la classe moyenne sous le poids de la bureaucratie, qui est centralisé à outrance au point de légiférer à Paris les choses les plus importantes pour tout Etat —monnaie, armée—, répète les mêmes tares du système soviétique où le diktat de Moscou faisait loi. Tel système est plantation de la misère. Tel système ne peut que répéter l’erreur du sud esclavagiste des Etats-Unis, parce qu’il condamne les classes productrices à la fainéantise en faisant de l’Etat la seule matrice du bien être.
Nous savons que l’effondrement du royaume esclavagiste est inscrit dans la paupérisation de l’esclave. Mais nous savons aussi, Monsieur le futur président de France, que le royaume esclavagiste français en Afrique se maintient grâce à des milliers de soldats français stationnés ici et là sur le continent : au Sénégal, au Tchad, au Gabon, en Côte d’Ivoire. Nous savons que n’était ce soutien militaire, les tyrans, ces commandeurs qui maintiennent des peuples en servitude, seraient déjà balayés par les populations : et cela, le cas de la Côte d’Ivoire et du Mali, ces deux pays où les contrats militaires avec la France n’avaient pas été fermes, nous le montre.
Une Afrique francophone militarisée par la France ne peut pas être démocratique. C’est parce qu’il se sait protégé par le parapluie militaire français qu’un Paul Biya peut impunément exécuter ses concitoyens comme il l’a fait en février 2008 ; c’est parce qu’il se sait à l’abri derrière un triangle militaire français qui va du Tchad au Gabon et au Congo, qu’il peut se passer impunément du vote de ses concitoyens, tripatouiller la Constitution du Cameroun à sa guise, écrire un Code électoral qui fait une moquerie des 70% de Camerounais. C’est parce qu’il sait que Paris interviendra militairement pour le soutenir qu’il passe plus de la moitié de l’année dans un hôtel en Suisse aux frais d’une population camerounaise jamais autant paupérisée.
UN NOUVEAU DISCOURS DE LA BAULE
Il est temps pour la France de s’accommoder d’une Afrique démocratique. L’Africain libre n’a aucune raison de haïr la France. Bien au contraire, c’est quand la France soutient les tyrans qu’elle devient haïssable ! François Mitterrand, a pu, avec un peu de volonté, donner une impulsion significative au mouvement démocratique en Afrique en 1990, en retirant au-dessus de la tête de quelques tyrans le parapluie qui leur faisait transformer l’Afrique en un jardin sanglant. De même, au Caire, après avoir pris le pouvoir, le président américain Barack Obama a secoué les palmiers de la tyrannie qui pendant des décennies étranglait le monde arabe : Hosni Moubarak, l’ex-président égyptien devant qui il tint son discours du Caire, est actuellement en prison, lui qui, il y a deux ans, se disait pharaon et préparait son fils à la succession.
Monsieur le futur président de France, nous vous savons heureux des succès de la démocratie : l’heure en Afrique francophone n’est pas à la célébration, mais à la destruction systématique de la tyrannie et à la fabrication d’un futur de liberté effective. Nous vous savons attentif aux élans de démocratie et aux droits humains quand ils se manifestent : nul autre espace que celui qui partage le français avec vous n’est autant assoiffé de démocratie qu’aujourd’hui.
De vous, nous attendons donc plus que de l’indignation devant les tyrannies qui étranglent le Cameroun et les autres pays francophones. De vous, nous attendons un retrait du soutient trop évident que Paris a toujours accordé à certains dictateurs africains. De vous, nous attendons un retrait militaire en Afrique. Mais, de vous, nous attendons également des gestes forts ainsi qu’un soutien concret à la société civile africaine torpillée par des années de dictature et de corruption. Les tyrans d’Afrique francophone seront anéantis s’il leur manquait la couverture rassurante du président de France.
Nous attendons de vous plus que le refus de les recevoir à l’Elysée ou de leur rendre visite. Monsieur le futur président de France, soyez plus que le Mitterrand de La Baule ; soyez plus que l’Obama du Caire : soyez un ami de la démocratie en Afrique.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
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** Patrice Nganang, écrivain est écrivain camerounais : Source : JournalduCameroun.com
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