Alors que les médiateurs nationaux et internationaux (Nations Unies, Union Africaine, SADC, Coopération Française, etc.) continuent leurs efforts en vue de la résolution de la crise à Madagascar, certains officiers généraux des forces armées ont laissé entendre : "Si la recherche d'une solution au conflit entre les deux protagonistes échoue, nous prendrons nos responsabilités en tant que dernier rempart de la République et de l'unité nationale" (« L’Express de Madagascar »). Quelles que soien...lire la suite
Alors que les médiateurs nationaux et internationaux (Nations Unies, Union Africaine, SADC, Coopération Française, etc.) continuent leurs efforts en vue de la résolution de la crise à Madagascar, certains officiers généraux des forces armées ont laissé entendre : "Si la recherche d'une solution au conflit entre les deux protagonistes échoue, nous prendrons nos responsabilités en tant que dernier rempart de la République et de l'unité nationale" (« L’Express de Madagascar »). Quelles que soient les motivations de l’Armée, cet avertissement souligne la nécessité de prendre du recul par rapport à l’actualité immédiate, et de se rendre à l’évidence que la recherche de solutions alternatives et durables doit aller au-delà d’une analyse conjoncturelle, pour prendre en compte les causes structurelles qui sous-tendent la crise actuelle.
Depuis plusieurs semaines, Madagascar est confronté à une grave crise politique dont l’issue reste incertaine. L’attention des médias et des milieux diplomatiques reste focalisée sur la confrontation ouverte entre Marc Ravalomanana, le président élu, et Andry Rajoelina, le jeune maire destitué de la capitale, qui s’est autoproclamé « responsable suprême» du pays. Cette confrontation a mené à un déchaînement de violence qui a entraîné la destruction de nombreux outils de production et de nombreux biens, notamment des magasins appartenant à la société MAGRO de Marc Ravalomanana. En outre, la répression sanglante de la marche des partisans d’Andry Rajoelina sur le palais présidentiel dans la journée du 7 février 2009 a causé la perte de nombreuses vies humaines.
Parmi les causes structurelles se trouve la question des inégalités et des injustices sociales. Malgré un taux de croissance qui s’est maintenu à près de 6% en 2007, 70% de la population malgache vivent avec moins d’un dollar par jour, et plus de 59% souffrent de malnutrition chronique (ADB 2007), ce qui indique clairement l’exclusion croissante de la grande majorité de la population des bénéfices de cette croissance. Alors que les zones rurales étaient les plus touchées par la pauvreté auparavant, le phénomène a augmenté en milieu urbain, passant de 43.9% en 2001 à 52 % en 2005 (FMI 2007).
De surcroît, l’empressement du gouvernement de Marc Ravalomanana à suivre les prescriptions néo-libérales a mené à la marchandisation des services sociaux de base, les mettant ainsi hors de portée de la grande masse de ceux qui en ont le plus besoin. Le mécontentement populaire envers le régime en place est dû, pour une large part, à cette dégradation continue des conditions de vie, dans un contexte économique marqué par la hausse des prix du pétrole et des produits de base, et à la baisse de l’activité dans les zones franches d’exportation, importantes pourvoyeuses d’emplois, à la fin de l’Accord Multifibres.
La déception et la frustration à l’égard du pouvoir présidentiel ont été exacerbées par ses dérives dictatoriales - qui ont été dénoncées non seulement par ses opposants politiques mais aussi par des organisations de la société civile et des intellectuels -, et les graves erreurs qu’il a commises en matière de gouvernance économique. L’achat de l’avion présidentiel « Force One » pour 60 millions de dollars, et la location pour un bail de 99 ans de plus de la moitié des terres arables du pays à la compagnie Daewoo, sont les exemples les plus cités par les divers commentateurs. Cependant, le gel d’une aide de trente cinq millions de dollars par la Banque Mondiale et le FMI semble indiquer l’existence d’un problème récurrent, que l’Ambassadeur des Etats-Unis à Madagascar a résumé ainsi : « Le moment est propice pour écouter ce que dit la population... Il faut réagir avec une meilleure gouvernance... Le choix des magasins brûlés était un message assez fort, il ne faut pas mélanger affaires privées et affaires d'Etat. » (RFI, 06/02/09)
Compte tenu de l’affaiblissement des partis politiques d’opposition, et du verrouillage des mécanismes institutionnels par le pouvoir, on peut penser qu’Andry Rajoelina a pu canaliser le mécontentement populaire et s’affirmer comme étant le porte-parole de l’opposition au régime en place. Les divers commentateurs ont aussi relevé la similitude entre son propre parcours et celui de son adversaire : tous deux ont réussi dans les affaires ; ont été maires et ont investi le pouvoir en s’appuyant sur un mouvement populaire. Dans un pays où la jeunesse constitue la majorité de la population, mais où l’ordre social continue dans une large mesure à maintenir la subordination des cadets sociaux, notamment les jeunes et les femmes, Andry Rajoelina symbolise l’espoir d’une ascension sociale et la réussite pour beaucoup de jeunes, tout comme l’actuel président au moment de son arrivée au pouvoir.
Ce serait cependant une erreur de penser que la population de la capitale est divisée entre les partisans d’Andry Rajoelina et de Marc Ravalomanana, quelles que soient les démonstrations de force des deux parties. Ainsi, malgré les appels à la grève d’Andry Rajoelina, dans les entreprises des zones franches qui emploient une proportion très importante des travailleurs non qualifiés - ou du « prolétariat urbain », selon l’expression de l’historien Jean Fremigacci - les employés des zones franches défendent eux-mêmes leurs usines et demandent à poursuivre le travail, en dépit des menaces et des pressions exercées par les partisans de la grève. La plupart le font parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre leur salaire, si maigre soit-il, et non parce qu’ils soutiennent le président élu.
Dans une perspective historique, l’affrontement entre ces deux hommes ne constitue qu’un épisode d’une crise chronique qui dure depuis plusieurs décennies, et que les régimes politiques qui se sont succédés au pouvoir - qu’ils soient ‘révolutionnaires socialistes’ ou d’obédience néo-libérale - n’ont pas réussi à enrayer, ni même cherché à comprendre. Pour la quatrième fois dans l’histoire contemporaine du pays, un soulèvement populaire contre le régime au pouvoir a eu lieu à Antananarivo. Des crises similaires se sont produites en 1972, 1991 et 2002 et, d’après certains universitaires, « il faut noter que ces « révoltes » sont cycliques : en moyenne tous les 10 ans, mais apparemment la capacité d’endurance tend à se réduire actuellement à 7 ans. A chaque fois, ces mouvements de contestation sont réprimés par le pouvoir en place arguant de sa légalité tirée des urnes. » 2
Le fait que les événements ont eu lieu à Antananarivo, c’est-à-dire à l’épicentre du système politique, n’est pas innocent. Au-delà du fait que l’effet d’entraînement du soulèvement populaire sur les autres régions reste encore à voir – mis à part les pillages et des manifestations isolées -, la concentration de la crise dans la capitale révèle une fois de plus la fracture entre l’épicentre et la périphérie du système politique. Cette fracture, qui est restée ouverte depuis l’avènement de la Première République, devait être résorbée par le processus de décentralisation qui a été entamé sous les régimes successifs, et qu’il importe de rendre effectif aujourd’hui.
La fracture qui traverse le champ politique, entre les cercles du pouvoir réservés aux élites, qui monopolisent le discours et l’action politique, et ceux qui en sont exclus, pose la question de la nature des contre-pouvoirs à Madagascar. Il conviendrait notamment d’effectuer une analyse critique du rôle des Eglises et de la société civile dans cette crise, ainsi que de leur capacité à apporter des solutions alternatives et à impulser un changement véritablement démocratique.
La crise traversée par Madagascar offre une opportunité historique de redresser les injustices et de redonner tout leur sens aux notions de démocratie, de citoyenneté et de droits humains dans le pays. Les organisations de femmes l’ont bien compris, et ont pris des initiatives dans ce sens, en réclamant la tenue des Etats Généraux de la société Malagasy et d’un référendum constitutionnel, ainsi que la participation égale des femmes et des hommes à tous les processus politiques3 Ce sont des signes d’espoir, qui indiquent que les femmes sont déterminées à agir en vue de la résolution de la crise, et à ne pas se contenter d’une démocratie négociée. Et qui sait, à l’instar du Rwanda dans la période qui a suivi le génocide, le nombre de femmes dans les instances de prise de décision politique pourrait dépasser toutes les espérances.
NOTES
(1) L’accord multifibres permettait aux grands producteurs africains de textile d’exporter un certain quota de leur production vers les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest
(2) Voir les Déclarations du Centre d’Observation et de Promotion du Genre, et du VMLF
(3) Déclaration du 18 Février 2009 du Collège des Enseignants Chercheurs de la Faculté de Droit, d’Economie de Gestion et de Sociologie.
* Zo Randriamaro est une sociologue malgache, activiste sur les questions relatives au genre et aux Droits humains.
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