La synergie actuelle entre la crise alimentaire et la crise financière a déclenché un nouvel « accaparement des terres » au niveau mondial. D’un côté, des gouvernements préoccupés par l’insécurité alimentaire qui recourent à des importations pour nourrir leurs populations s'emparent de vastes territoires agricoles à l’étranger pour assurer leur propre production alimentaire offshore. De l’autre, des sociétés agro-alimentaires et des investisseurs privés, affamés de profits dans un contexte d’aggravation de la crise financière, voient dans les investissements dans des terres agricoles à l’étranger une source de revenus importante et nouvelle. De ce fait, des terres agricoles fertiles sont de plus en plus privatisées et concentrées. Si elle devait rester incontrôlée, cette main basse sur les terres à l’échelle planétaire pourrait sonner le glas des petites exploitations agricoles et des moyens de subsistance ruraux dans bien des régions du monde.
Introduction
L’accaparement des terres existe depuis des siècles. Il suffit de penser à la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb et à l’expulsion brutale des communautés indigènes qui en a découlé, ou aux colons blancs qui se sont emparés des territoires occupés par les Maoris en Nouvelle Zélande ou les Zoulous en Afrique du Sud. C’est un processus violent qui reste tout à fait d’actualité, par exemple en Chine ou au Pérou.
Il n’y a guère de jour sans que la presse se fasse l’écho de luttes pour la terre, lorsque des compagnies minières comme Barrick Gold envahissent les hauts plateaux d’Amérique du Sud ou lorsque des sociétés agro-alimentaires comme Dole ou San Miguel spolient des agriculteurs philippins de leurs droits fonciers. Dans de nombreux pays, des investisseurs privés acquièrent d’immenses surfaces destinées à être gérées comme des parcs naturels ou des zones de conservation. Et où que l’on regarde, on découvre que la nouvelle industrie des biocarburants, promue comme réponse au changement climatique, semble se fonder sur l'expulsion des populations de leurs terres.
Pourtant, en ce moment, il se passe quelque chose de plus particulier. La synergie des deux grandes crises mondiales qui se sont déclenchées au cours des 15 derniers mois (la crise alimentaire mondiale et plus largement la crise financière dont la crise alimentaire a fait partie - 1) ont donné naissance à une tendance préoccupante consistant à acheter des terres pour externaliser la production alimentaire. Il existe deux stratégies parallèles qui animent deux types d’accapareurs de terres. Pourtant, si leur point de départ est peut-être différent, leurs voies finissent par converger.
La première voie est celle de la sécurité alimentaire. Un certain nombre de pays qui dépendent des importations alimentaires et sont préoccupés des tensions sur les marchés, alors qu’ils ont des liquidités à placer, cherchent à externaliser leur production alimentaire nationale en prenant le contrôle d’exploitations agricoles dans d’autres pays. Ils l’envisagent comme une stratégie innovante à long terme pour assurer l’alimentation de leurs populations à bon marché, avec une sécurité bien supérieure à ce qu'elle était auparavant. L’Arabie saoudite, le Japon, la Chine, l’Inde, la Corée, la Libye et l’Égypte sont à placer dans cette catégorie.
Des responsables de haut niveau de beaucoup de ces pays se sont engagés depuis mars 2008 dans une sorte de chasse au trésor diplomatique, à la recherche de terres agricoles fertiles dans des pays comme l’Ouganda, le Brésil, le Cambodge, le Soudan et le Pakistan. Compte tenu de la crise qui se poursuit actuellement au Darfour, où le Programme alimentaire mondial essaie de nourrir 5,6 millions de réfugiés, il peut sembler fou que des gouvernements étrangers achètent des terres agricoles au Soudan pour exporter des denrées alimentaires à l’intention de leurs propres citoyens. On pourrait dire la même chose du Cambodge où 100 000 familles, soit un demi-million de personnes, ont actuellement une alimentation insuffisante. (2) Et pourtant, c’est ce qui se passe aujourd’hui.
Convaincus que les opportunités agricoles sont limitées et qu’on ne peut se fier au marché, les gouvernements « de l’insécurité alimentaire » achètent en ce moment des terres ailleurs pour produire leur propre alimentation. À l’autre extrémité, les gouvernements courtisés pour qu’ils accordent l’utilisation des terres agricoles de leurs pays accueillent généralement favorablement ces offres d’investissements étrangers d’un nouveau type.
La seconde voie est celle des retombées financières. Étant donné la débâcle financière actuelle, toutes sortes d’acteurs des secteurs de la finance et de l’agro-alimentaire (des sociétés d'investissement qui gèrent les retraites des salariés, des fonds de capital investissement à la recherche d’une rotation rapide de l’argent, des fonds spéculatifs qui ont abandonné des marchés dérivés maintenant complètement effondrés, des négociants de céréales à la recherche de nouvelles stratégies de croissance) se tournent vers le foncier, à la fois pour la production alimentaire et celle des biocarburants, pour s’assurer de nouvelles sources de profit. Le foncier n’est pas, en lui-même, un investissement classique pour beaucoup de ces entreprises transnationales. En fait, la terre représente un tel risque de conflit politique que de nombreux pays ne permettent même pas à des étrangers de la posséder. Et la terre ne prend pas de la valeur du jour au lendemain, comme la viande de porc ou l’or.
Pour obtenir un bénéfice, les investisseurs doivent améliorer les capacités de production des terres, et même quelquefois se salir les mains en assurant réellement le fonctionnement d’une exploitation agricole. Mais la conjonction des crises alimentaire et financière a transformé les terres agricoles en un nouvel actif stratégique. Dans de nombreux endroits du monde, les prix alimentaires sont élevés et les prix des terres sont faibles. Et la plupart des « solutions » à la crise alimentaire proposent d'extraire plus de nourriture des terres dont nous disposons. On peut donc clairement gagner de l’argent en prenant le contrôle des meilleurs sols, proches des ressources en eau, aussi rapidement que possible.
Ces deux voies se rejoignent parce que, dans les deux cas, c’est le secteur privé qui aura le contrôle. Dans la dynamique de la sécurité alimentaire, ce sont les gouvernements qui dirigent les opérations au travers d’un programme de politiques publiques. Dans la dynamique des profits financiers, ce ne sont que les investisseurs qui font leurs affaires comme d’habitude. Mais il ne faut pas se laisser abuser. Même si ce sont des responsables publics qui négocient et concluent les transactions pour les contrats d’accaparement des terres pour cause de « sécurité alimentaire », on prévoit explicitement que c’est le secteur privé qui prendra le relais et sera chargé de la mise en œuvre.
Aussi, quelle que soit la voie envisagée, elles se dirigent toutes deux dans la même direction : des sociétés privées étrangères qui obtiennent de nouvelles formes de contrôle sur des terres agricoles pour produire une alimentation non pas pour les populations locales mais pour d’autres. Qui a dit que le colonialisme appartenait au passé ?
Ceux qui recherchent la sécurité alimentaire
La plupart des gens ont entendu parler de l’accaparement des terres par rapport à la sécurité alimentaire, les journaux ayant rapporté que l’Arabie saoudite et la Chine sont en train d’acheter des terres agricoles dans le monde entier, que ce soit en Somalie ou au Kazakhstan. Mais beaucoup d’autres pays sont impliqués. Une analyse plus fine révèle une liste impressionnante des accapareurs de terres motivés par la sécurité alimentaire : la Chine, l’Inde, le Japon, la Malaisie et la Corée du Sud en Asie ; l’Égypte et la Libye en Afrique ; et le Bahreïn, la Jordanie, le Koweït, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Moyen-Orient.
(…) La situation de chacun de ces pays est bien sûr très différente. La Chine dispose d’une remarquable autosuffisance alimentaire. Toutefois, sa population est immense, ses terres agricoles disparaissent avec le développement industriel, ses ressources en eau sont soumises à une pression considérable et le Parti communiste doit penser à l’avenir à longue échéance. Avec 40 % des agriculteurs du monde mais seulement 9 % des terres agricoles au niveau mondial, il n’est pas surprenant que la sécurité alimentaire occupe une place importante dans l’agenda politique du gouvernement chinois. Et avec des réserves de devises étrangères de 1 800 milliards de dollars US, la Chine a suffisamment d’argent sous la main pour investir dans sa propre sécurité alimentaire à l’étranger.
Comme beaucoup de dirigeants et de militants agricoles le savent en Asie du Sud-Est, Pékin a commencé à externaliser progressivement une partie de sa production alimentaire bien avant que la crise alimentaire n’éclate en 2007. Grâce à la nouvelle diplomatie géopolitique de la Chine et à la stratégie agressive d’investissement à l’étranger du gouvernement, quelque 30 accords de coopération agricole ont été conclus au cours de ces dernières années pour offrir aux entreprises chinoises un accès aux terres agricoles des « pays amis » en échange de technologies, de formation et de fonds de développement d’infrastructures chinois. Cela ne se passe pas seulement en Asie mais également dans toute l’Afrique (3), à travers toute une série de projets très divers et complexes.
Du Kazakhstan au Queensland, et du Mozambique aux Philippines, un processus continu et bien connu est en cours, avec des entreprises chinoises qui louent ou achètent des terres, créent de grandes exploitations agricoles, font venir des agriculteurs, des chercheurs et des agents de vulgarisation, et vont jusqu’à faire le travail de culture. La plus grande partie de l’activité agricole de la Chine à l’étranger est consacrée à la culture du riz, du soja et du maïs, ainsi qu’à des cultures énergétiques comme la canne à sucre, le manioc ou le sorgho. (4)
Le riz produit à l’étranger est toujours du riz hybride, cultivé à partir de semences chinoises importées, et des agriculteurs et des chercheurs chinois enseignent avec enthousiasme aux Africains et à d’autres à cultiver le riz « à la chinoise ». Toutefois, les travailleurs agricoles locaux, engagés pour travailler dans les exploitations agricoles chinoises, en Afrique par exemple, ne savent souvent pas si le riz sert à nourrir leur propre peuple ou les Chinois. Étant donné le côté secret de beaucoup des accords fonciers, la plupart des gens supposent que le riz sert à nourrir les Chinois, et un ressentiment profond s’installe. (5)
Fondamentalement, la stratégie chinoise d’accaparement des terres est une approche de prudence : le gouvernement répartit les risques et optimise ses options pour assurer l’approvisionnement alimentaire du pays à long terme. En réalité, la pression que font peser sur la Chine ses propres pertes de terres agricoles et de ressources en eau est si importante que « la Chine n'a pas d'autre choix » que d'aller à l'étranger, estime un expert de l'Académie chinoise des sciences agronomiques. (6)
De fait, l’alimentation commence à occuper une place de plus en plus importante, avec l’énergie et les matières premières minérales, dans la stratégie chinoise globale d’investissement à l’extérieur. Au premier semestre 2008, le ministère de l’Agriculture a été jusqu’à proposer une politique du gouvernement central sur l’externalisation de la production alimentaire. Le projet n’est pas public, (7) mais il indique certainement à quel point, et pendant combien de temps, le gouvernement prévoit de soutenir financièrement de tels accords.
Pendant ce temps, de nombreux éléments sont apparus qui indiquent que le secteur privé devrait jouer un rôle de plus en plus important. Après des discussions en juillet, la mesure politique a été mise en veilleuse, pour le moment du moins. « C’est trop tôt », a expliqué un représentant du ministère. « Il nous faut attendre et voir comment ces investissements évoluent. » (8)
Les États du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis) sont confrontés à une réalité complètement différente. En tant que nations qui se sont construites dans le désert, elles ne disposent que de peu de terres et de ressources en eau pour la culture ou l’élevage. Mais elles possèdent d’énormes quantités de pétrole et d’argent, ce qui leur donne un moyen de pression puissant pour obtenir leur alimentation auprès de pays étrangers.
La crise alimentaire actuelle a constitué un choc exceptionnellement sévère pour les États du Golfe. Comme ils dépendent de l’étranger pour leurs ressources alimentaires (notamment de l’Europe) et que leurs devises sont liées au dollar américain (à l’exception du Koweït, mais seulement depuis l’année dernière), la simultanéité de la hausse des prix alimentaires sur le marché mondial et de la chute du dollar américain s’est traduite par une lourde importation « d’inflation supplémentaire ».
La facture de leurs importations alimentaires est montée en flèche au cours des cinq dernières années, passant de 8 à 20 milliards de dollars. Et comme leurs populations sont largement constituées de travailleurs immigrés peu payés (9) qui construisent leurs villes et fournissent la main-d’œuvre à leurs hôpitaux, les dynasties politiques du Golfe doivent absolument fournir des denrées alimentaires à des prix raisonnables. Après tout, ils sont assis sur une bombe sociale à retardement, tout en espérant rester riches dans les 20 ans qui viennent en donnant en location de l'immobilier de prestige.
Lorsque la crise alimentaire a explosé, et que les livraisons de riz asiatiques ont été interrompues, les dirigeants du Golfe ont fait de rapides calculs et sont parvenus à des conclusions sans appel. Les Saoudiens ont décidé que, étant donné les pénuries d’eau imminentes, il serait judicieux d'arrêter d’ici 2016 de produire du blé, qui constitue la base de leur alimentation, et de le cultiver ailleurs et de le transporter, pourvu que la totalité du processus soit clairement sous leur contrôle.
Les Émirats arabes unis, dont 80 % de la population est composée de travailleurs immigrés asiatiques qui consomment pour la plupart du riz, ont été pris de panique. Sous l’égide du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ils se sont regroupés avec Bahreïn et les autres pays du Golfe pour élaborer une stratégie collective d’externalisation de leur production alimentaire. Leur idée est de conclure des accords, particulièrement dans les pays frères islamiques, auxquels ils fourniront des capitaux et des contrats pétroliers en échange de garanties pour que leurs grandes entreprises puissent avoir accès à des terres agricoles et réexporter la production chez eux. Les États les plus visés sont, de loin, le Soudan et le Pakistan, suivis par un certain nombre de pays en Asie du Sud-Est (Birmanie, Cambodge, Indonésie, Laos, Philippines, Thaïlande et Vietnam), la Turquie, le Kazakhstan, l’Ouganda, l’Ukraine, la Géorgie, le Brésil… et la liste n’est pas close.
Il ne faut pas sous-estimer l'importance de la démarche des États du Golfe. Entre mars et août 2008, des pays du CCG isolément, ou des consortiums industriels, ont conclu des baux pour des millions d’hectares de terres agricoles, et les récoltes devraient démarrer dès 2009. Les dirigeants du CCG prévoient d'importantes réunions en octobre 2008 et en janvier 2009 au cours desquelles ils vont finaliser la politique officielle sur cette question.
Bien que les composantes visibles de la stratégie du Golfe ne soient pas critiquables en elles-mêmes (voir Encadré 1), des agences mondiales comme l'Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont jugé nécessaire de s’y intéresser et de s’impliquer directement dans la gestion des relations publiques autour de cette question. « Je ne vois pas d’inconvénient à ce que les Arabes fassent cet investissement », s’est exclamé Jacques Diouf, directeur de la FAO, mais la terre, dit-il, est « une patate chaude politique ». Il a envoyé plusieurs membres du personnel de la FAO qui sont actuellement en poste dans le Golfe pour éviter que des « scandales intempestifs » ne résultent des manœuvres des États du Golfe. (10)
Même si la Chine et les États du Golfe sont les acteurs les plus importants, d’autres s’emploient activement à trouver des terres agricoles à l’étranger, avec une nouvelle impulsion depuis cette année. Le Japon et la Corée du Sud, par exemple, sont deux pays riches dont les gouvernements ont fait le choix de compter sur les importations plutôt que sur leur autosuffisance pour nourrir leurs populations. Tous deux obtiennent environ 60 % de leur alimentation de l’étranger (dans le cas de la Corée, le chiffre dépasse 90 % si l'on exclut le riz).
Début 2008, le gouvernement coréen a annoncé qu’il élaborait un plan national pour faciliter les acquisitions de terres à l’étranger pour la production, le secteur privé étant adoubé pour jouer le rôle principal. D’ailleurs, des entreprises agro-alimentaires coréennes sont déjà en train d’acheter des terres en Mongolie et en Russie orientale pour produire des denrées alimentaires à réexporter dans leur pays. Le gouvernement, pendant ce temps, étudie lui-même différentes options au Soudan, en Argentine et en Asie du Sud-Est.
Le Japon, en revanche, semble s'appuyer entièrement sur le secteur privé pour organiser les importations de produits alimentaires (voir ci-dessous) tandis que le gouvernement jongle avec les grandes lignes politiques à travers ses accords de libre-échange, ses traités d’investissements bilatéraux et ses pactes de coopération pour le développement. Il ne s’agit pas d’un rôle passif. Les gouvernements japonais successifs ont résisté à toutes les pressions visant à restructurer l’agriculture japonaise, où règnent les exploitations familiales et où les grandes entreprises n’ont pas le droit de posséder des terres. Maintenant que les firmes japonaises achètent des terres agricoles dans des pays comme la Chine et le Brésil, la pression pourrait devenir plus forte.
L’Inde a aussi été contaminée par le virus de l’accaparement des terres. Vue des salles des conseils d’administration des entreprises et des bureaux gouvernementaux de New Delhi ou Pune, l’agriculture indienne est en pleine pagaille. Le pays a de gros problèmes liés aux coûts de production (leur préoccupation principale), à la baisse de la fertilité des sols et à l'approvisionnement en eau à long terme, pour n'en citer que quelques-uns. En outre, les luttes pour l'accès à la terre sont devenues incroyablement compliquées, particulièrement à cause de la résistance sociale généralisée aux Zones économiques spéciales (Special Economic Zones).
Dynamisés par la crise alimentaire, et ne voulant probablement pas être en reste, un certain nombre de patrons d’entreprises agro-alimentaires ainsi que la State Trading Corporation (STC), une entreprise publique, voient maintenant la nécessité de produire à l’étranger une partie de l’alimentation du pays. Ils choisissent plus particulièrement les oléagineux, les légumineuses et le coton pour une production extérieure, tandis qu’ils estiment qu’il est moins cher de continuer à produire le blé et le riz à l’intérieur du pays. (11)
La nouvelle stratégie a déjà fait son chemin en Birmanie, qui fournit un quart des 4 millions de tonnes de lentilles que l’Inde importe chaque année pour compléter sa production nationale de 15 millions de tonnes. Plutôt que de continuer à les acheter à la Birmanie, les négociants et les transformateurs indiens veulent maintenant entrer dans le pays et cultiver les lentilles sur place eux-mêmes. Cela leur revient moins cher et ils obtiennent un contrôle plus important sur l’ensemble du processus.
Avec le soutien du gouvernement, les entreprises indiennes obtiennent des baux sur des terrains agricoles birmans pour pratiquer cette culture exclusivement destinée à une exportation en Inde. Le gouvernement indien fournit à la junte militaire birmane de nouveaux fonds spéciaux pour une modernisation de leurs infrastructures portuaires et exerce une pression insistante pour la conclusion d'un accord bilatéral de libre échange et d'investissement taillé sur mesure pour aplanir les difficultés politiques entre les deux États.
Mais cela ne s’arrête pas là. Les PDG indiens acquièrent également des plantations de palmier à huile en Indonésie et s’envolent maintenant pour l’Uruguay, le Paraguay et le Brésil pour trouver des terres et cultiver des légumineuses et du soja à exporter en Inde. Pendant ce temps, la banque centrale du pays, la Reserve Bank of India, essaie rapidement de changer la législation indienne de façon à pouvoir accorder à des entreprises privées indiennes, ainsi qu'à la STC, les prêts dont elles ont besoin pour acquérir des terres agricoles à l'étranger. Une telle possibilité n’a jamais été envisagée auparavant, et les règles sont donc inexistantes sur ce point.
« Les Philippines pourraient être confrontées à une pénurie de riz, mais elles pourraient renforcer les stocks des EAU pour certains produits alimentaires comme les bananes, les ananas, le blé, les légumes et d’autres articles agricoles, et des produits de volaille. » (Gil Herico, attaché agricole pour le Moyen-Orient, gouvernement des Philippines - 12)
Cela peut faire penser à un gigantesque jeu de Monopoly, avec des diplomates et des investisseurs qui passent d’un pays à l’autre, à la recherche de nouvelles terres agricoles bien à eux. Mais, à la vérité, les gouvernements africains et asiatiques qui ont été approchés pour leurs terres agricoles acceptent volontiers les propositions. Après tout, pour eux cela signifie de l’argent frais qui arrive de l’étranger pour construire des infrastructures rurales, moderniser des installations d’entreposage et de transport, réunir des exploitations agricoles et industrialiser des activités.
Ces accords comportent également des promesses de quantités de programmes de recherche et d’amélioration génétique. En fait, le slogan « investir dans l’agriculture » est tellement devenu le cri de ralliement de pratiquement toutes les autorités et experts chargés de résoudre la crise alimentaire mondiale que cette explosion de l'accaparement des terres, peut-être involontaire, s’inscrit bien dans ce contexte. Il doit être parfaitement clair, néanmoins, que derrière les discours vantant les accords gagnant-gagnant, le véritable but de ces contrats n’est pas un développement agricole et encore moins un développement rural, mais seulement un développement agro-industriel. C’est probablement seulement lorsque ce point est compris qu’il est possible de saisir le sens des contradictions sous-jacentes à cette dynamique d’accaparement des terres.
Il y a quelques mois, le premier ministre du Cambodge, M. Hun Sen, a annoncé publiquement la location de rizières cambodgiennes au bénéfice du Qatar et du Koweït, de façon à ce qu’ils puissent produire leur propre riz. Bien que la superficie concernée n’ait pas été précisée, celle-ci doit être assez importante, puisque le gouvernement obtient pratiquement 600 millions de dollars US en échange. Dans le même temps, pourtant, le Programme alimentaire mondial a dû commencer à acheminer une aide alimentaire d’une valeur de 35 millions de dollars pour soulager la famine qui sévit dans la campagne cambodgienne.
Les Philippines accueillent depuis mars 2008 de nombreuses délégations venant d'Arabie Saoudite, des EAU et du Bahreïn qui veulent acquérir des terres pour leurs propres besoins alimentaires, alors pourtant qu'une partie de la population philippine ne mange plus à sa faim : la situation en a choqué plus d'un. Comme pour étouffer toute controverse dans l’œuf, la présidente Gloria Macapagal Arroyo a réussi à faire passer la signature de l’accord sur l'accaparement des terres avec les EAU (où de nombreux Philippins travaillent pour soutenir l’économie des Philippines) dans le cadre de la nouvelle politique industrielle halal de son gouvernement. De cette façon, le projet des EAU semble faire partie intégrante d’un programme financé par le gouvernement pour construire une nouvelle industrie nationale au lieu de présenter son vrai visage : le détournement de terres agricoles fertiles et probablement très convoitées au profit de riches étrangers.
Les différents capitaux envoyés en Birmanie en échange de l’usage exclusif de certaines de ses terres agricoles sont encore plus problématiques. Comme la Birmanie est membre de la communauté économique régionale de l’ASEAN, et que l’ASEAN elle-même signe actuellement des accords de libre-échange avec des économies riches comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne, des mouvements sociaux de la région sont de plus en plus préoccupés d’un tel soutien camouflé au régime militaire répressif birman. Les accords d’accaparement des terres présentent précisément les mêmes caractéristiques.
En Ouganda, un énorme tollé public a récemment accueilli l’annonce par Reuters de discussions entre le gouvernement et le ministre égyptien de l'agriculture, précisant que la location porte sur plus de 840 000 ha de terres agricoles de l'Ouganda (2,2 % de la surface totale de l’Ouganda !) à des entreprises égyptiennes pour la production de blé et de maïs destinés au Caire. Bien que les responsables gouvernementaux aient démenti l’accord, le parlement ougandais a convoqué une session extraordinaire pour enquêter sur cette question.
Malheureusement, pour beaucoup de ces accaparements de terres destinés à une production alimentaire à l’étranger, il est difficile de se procurer des renseignements précis (nombre d’hectares, sommes impliquées, finalités précises, conditions associées). Les gouvernements craignent sans aucun doute que des réactions politiques hostiles se manifestent si le public en vient à savoir ce qui se passe.
Un nouveau pôle d’attraction pour les investisseurs privés
Si les gouvernements développent peut-être des stratégies axées sur la sécurité alimentaire, le secteur privé a un objectif très différent : faire de l’argent. La synergie qui s’est développée entre la crise alimentaire et la crise financière plus générale a transformé le contrôle des terres en un nouveau pôle d’attraction pour les investisseurs privés. Nous ne parlons pas des activités internationales classiques du secteur agro-alimentaire, dans lesquelles Cargill pourrait investir dans une usine de broyage de fèves de soja au Mato Grosso brésilien. Il est ici question d’un intérêt nouveau pour le contrôle des terres agricoles elles-mêmes. Il existe deux acteurs principaux dans ce contexte : l’industrie alimentaire et, surtout, le secteur financier.
« La meilleure couverture contre la récession pour les 10 à 15 ans qui viennent est un investissement dans les terres agricoles » ( Reza Vishkai, responsable des alternatives à Insight Investment, juillet 2008 - 13)
Dans les milieux de l’industrie alimentaire, les sociétés de commercialisation et de transformation japonaises et arabes sont peut-être celles qui sont actuellement le plus impliquées dans des acquisitions d’exploitations agricoles à l’étranger. Pour les entreprises japonaises, cette stratégie est ancrée dans leur croissance interne (voir Encadré 2). Pour ce qui est des entreprises du Moyen-Orient, elles surfent sur les opportunités offertes par leurs gouvernements qui ouvrent des portes au nom du paradigme de la sécurité alimentaire.
Le secteur financier, actuellement en difficulté, est celui qui se taille la part du lion. Pour beaucoup des gens au pouvoir, la crise alimentaire mondiale met à nu un problème global : de quelque côté qu’on se tourne, le changement climatique, la destruction des sols, la perte des ressources en eau et la stagnation des rendements des monocultures sont autant d'immenses menaces qui pèsent sur les ressources alimentaires futures de notre planète. Ceci se traduit par des prévisions de marchés tendus, de prix élevés et de pressions pour obtenir plus des terres agricoles.
Dans le même temps, le secteur financier, qui a parié des sommes folles sur l'argent de la dette et a perdu, cherche maintenant des zones protégées. Tous ces facteurs font des terres agricoles un nouveau terrain de jeu formidable pour faire des profits. Il faut bien produire de la nourriture, les prix vont rester élevés, des terres bon marché sont disponibles, l’investissement sera rentable : voilà la formule.
Le résultat ? Pendant toute l’année 2008, une armée de sociétés d’investissement, de fonds de capital-investissement, de fonds spéculatifs et d’autres du même type se sont emparés de terres agricoles dans le monde entier, avec l’aide précieuse d’agences comme la Banque mondiale, sa Société financière internationale ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, qui toutes préparent la voie à ces investissements et « persuadent » les gouvernements de changer les lois foncières pour permettre la réussite de ce processus (voir Encadré 3). De ce fait, les prix des terres commencent à monter, ce qui incite à agir encore plus vite.
« L’astuce ici est de ne pas se contenter de moissonner des récoltes mais de moissonner de l'argent. »? (Mikhail Orlov, fondateur de Black Earth Farming et ancien directeur Capital-investissement chez Carlyle et Invesco, septembre 2008 - 14)
La ruée du secteur privé sur les acquisitions de terres agricoles cette année a été vertigineuse. La Deutsche Bank et Goldman Sachs, par exemple, sont en train de prendre le contrôle du secteur chinois de l’élevage. À un moment où tous les regards se tournaient nerveusement vers Wall Street fin septembre 2008, ces deux sociétés mettaient de côté leur argent dans certaines des plus grandes porcheries, exploitations de volailles et usines de transformation de viande chinoises, et même dans des terres agricoles.
La société new-yorkaise BlackRock Inc., l’un des plus grands gestionnaires de portefeuilles du monde avec presque 1 500 milliards de dollars US dans ses comptes, vient de mettre sur pied un énorme fonds spéculatif agricole de 200 millions de dollars, dont 30 millions seront utilisés pour acheter des terres agricoles dans le monde entier.
Morgan Stanley, qui s’est glissé récemment dans la file d’attente pour obtenir son renflouement par le Département américain au Trésor, a récemment acheté 40 000 ha de terres agricoles en Ukraine. Cet achat fait pâle figure en comparaison des 300 000 ha de terres ukrainiennes dont Renaissance Capital, une société d'investissement russe, a acquis les droits de propriété, mais tout de même…
En fait, dans la très fertile région qui s'étend de l'Ukraine jusqu'au sud de la Russie, la concurrence est rude. Black Earth Farming, un groupe d’investissement suédois, a pris le contrôle de 331 000 ha de terres agricoles dans la région des Terres Noires russes. Alpcot-Agro, une autre société suédoise d’investissement, a acquis les droits sur 128 000 ha dans cette même région. Landkom, un groupe d’investissement britannique, a acheté 100 000 ha de terres agricoles en Ukraine et s’engage à porter ce chiffre à 350 000 ha d’ici 2011. Toutes ces acquisitions foncières vont servir à produire des céréales, des huiles et de la viande pour rassasier le marché mondial… c’est-à-dire ceux qui peuvent payer.
La rapidité et le moment où intervient cette nouvelle tendance des investissements sont étonnants. Tout comme la liste des pays ciblés : Malawi, Sénégal, Nigeria, Ukraine, Russie, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Brésil, Paraguay, et même Australie. Ils ont tous été identifiés comme des pays qui offrent des terrains fertiles, une relative disponibilité de l’eau et un certain potentiel de croissance de la productivité agricole. L’horizon de placement dont parlent les investisseurs est, en moyenne, de 10 ans (étant bien entendu qu’ils doivent assurer la productivité des terres et construire des infrastructures de commercialisation, et ne pas rester sans rien faire) avec des taux de rendement annuels prévus de 10 à 40 % en Europe et qui pourraient atteindre 400 % en Afrique.
Là encore, ce qui est nouveau et particulier ici c'est que ces groupes financiers acquièrent la propriété effective des terres et que toutes ces évolutions sont intervenues en l’espace de quelques mois seulement, au moment où les marchés financiers commençaient à s’effondrer. Ce qu’elles signifient véritablement pour l'avenir de l’agriculture dans ces pays est une vaste inconnue.
Qu’est ce que tout cela signifie ?
Ce boom de l'accaparement des terres montre au moins une chose : que les gouvernements ont perdu la foi dans le marché. Cette foi a déjà été ébranlée par la crise alimentaire mondiale, quand des pays ont brusquement été plongés dans une situation de pénurie artificielle induite par la spéculation plutôt que par la loi de l’offre et de la demande. Les États du Golfe, entre autres accapareurs de terres, sont tout à fait lucides sur leurs intentions de (a) garantir la sécurité de leur approvisionnement alimentaire par une propriété ou un contrôle direct de terres agricoles à l’étranger, et (b) d’exclure autant que possible les négociants et les autres intermédiaires pour réduire de 20 à 25 % la facture de leurs importations de denrées alimentaires.
D’ailleurs, ils ont dû se rendre dans des capitales comme Islamabad et Bangkok et demander à ces gouvernements de lever leurs interdictions sur les exportations de riz, seulement pour leurs fermes. Tout ceci traduit de façon éclatante un mépris profond pour l’ouverture des marchés et le libre échange tant vantés par les conseillers occidentaux au cours des quatre dernières décennies.
Un autre problème fondamental est que les travailleurs, les agriculteurs et les communautés locales vont inévitablement perdre l’accès aux terres pour une production locale de produits alimentaires. C'est le fondement même sur lequel doit reposer la souveraineté alimentaire qui est tout simplement bradé.
Les gouvernements, les investisseurs et les agences de développement qui sont impliqués dans ces projets feront valoir que des emplois seront créés et qu’il restera une partie des denrées alimentaires dans le pays de production. Mais cela ne remplace pas les terres et la possibilité pour les populations de travailler et d'utiliser les terres pour subvenir à leurs besoins. En fait, ce qui devrait être évident, c’est que le problème réel lié au phénomène actuel d’accaparement des terres ne tient pas seulement à la question de donner à des étrangers le contrôle sur des terres agricoles nationales. C’est la restructuration. Parce que ces terres, actuellement des petites exploitations ou des forêts, selon les cas, se transformeront en grandes propriétés agricoles reliées à de grands marchés lointains. Les agriculteurs ne redeviendront plus jamais de vrais fermiers, avec ou sans travail. Ce sera probablement la conséquence la plus importante.
Un troisième message qu’il est important de dégager découle du fait que les investissements dans l’agriculture sont bons et que ce qu’il est convenu d’appeler la dynamique Sud-Sud qui préside à ces accords agricoles à l'étranger est bonne. Nous avons effectivement besoin d'investir plus dans l'agriculture. La solidarité Sud-Sud et la construction d’une économie coopérative, hors d’atteinte de l’impérialisme (de l'Occident ou du Sud), peuvent être une bonne manière de le faire.
Mais quelle agriculture ? Et quelles types d’économies ? Qui va contrôler ces investissements et qui va en bénéficier ? Il existe un risque tout à fait réel de voir non seulement les denrées alimentaires mais aussi les profits générés par ces activités agricoles à l’étranger détournés vers d’autres pays, vers d’autres consommateurs qui peuvent payer, ou simplement vers des élites étrangères. Ces activités ne vont pas nécessairement réduire le moins du monde la crise alimentaire. Pas plus qu’elles ne vont nécessairement apporter du « développement » aux communautés locales. Et nous ne devons pas oublier que beaucoup de ces investissements agricoles à l’étranger seront facilités par des traités d'investissements bilatéraux et des accords de libre-échange plus globaux, ce qui rendra plus difficile encore la résolution des futurs problèmes.
Même si l’idéologie dans laquelle les pays du Golfe enveloppent leurs projets est un peu plus humaine que l’idéologie du capitalisme chinois (et que ces investissements sont imprégnés de visées idéologiques et géopolitiques), c’est de la poudre aux yeux. Après tout, à travers ces transactions, les États du Golfe soutiennent le régime de Khartoum, tout comme l'Inde soutient la dictature militaire birmane. Pékin apporte sa propre main-d'œuvre et ses propres technologies lorsqu’il vient cultiver à l’étranger, en remplaçant la biodiversité d’origine et en court-circuitant les syndicats locaux. Aussi, en dépit de la nécessité d’avoir des investissements et une politique Sud-Sud, la question de savoir à qui cela va réellement bénéficier est à la fois redoutable et sans réponse.
Et en ce qui concerne la réforme foncière ? Il est difficile d’imaginer comment, en donnant des terres agricoles en concession à d’autres pays ou à des investisseurs privés pour qu’ils puissent produire des denrées alimentaires qui seront expédiées à d’autres populations, cela pourrait faire autre chose que nous emmener dans la direction opposée et infliger un coup aux luttes de nombreux mouvements en faveur d’une véritable réforme agraire et des droits des populations autochtones. C’est particulièrement vrai dans la mesure où beaucoup des pays ciblés sont eux-mêmes des importateurs nets de denrées alimentaires qui connaissent des conflits fonciers extrêmement graves.
Au Pakistan, des mouvements d’agriculteurs alertent déjà l’opinion sur le sort d'environ 25 000 villages qui seront amenés à être déplacés en cas d'approbation de la proposition des Qataris qui vise à externaliser une partie de leur production alimentaire dans la province du Penjab. (16)
En Égypte, des petits agriculteurs du district de Qena se sont battus becs et ongles pour récupérer 1 600 ha qui ont récemment été accordés à Kobebussan, un conglomérat agro-industriel japonais, pour produire des denrées alimentaires à destination du Japon. (17)
En Indonésie, des militants s’attendent à ce que le domaine de riziculture prévu pour les Saoudiens dans le district de Merauke, où 1,6 million d’hectares seront transmis à un consortium de 15 entreprises pour produire du riz à destination de Riyad, passe outre le droit de veto des populations papoues locales sur le projet. (18) Étant donné la ténacité de l’impulsion donnée par la Banque mondiale et d’autres pour rendre beaucoup plus facile le contrôle des terres agricoles et assouvir l’appétit des investisseurs étrangers, en guise de solution biaisée à la crise alimentaire, ceci pourrait s'achever par un conflit explosif.
Un autre gros problème qui ne peut être ignoré est que ces transactions vont contribuer à renforcer encore une agriculture tournée vers l’exportation. Une telle orientation est tout simplement inadaptée à la plupart des pays ciblés. Si la crise alimentaire de 2007-2008 a éprouvé si durement autant de gens, particulièrement en Asie et en Afrique, c’est que des efforts importants ont été déployés au cours des récentes décennies pour produire des denrées alimentaires pour les marchés extérieurs plutôt que pour les marchés intérieurs. Tout le monde ne peut pas se permettre d’acheter son alimentation sur le marché mondial, tout particulièrement parce que les salaires et les revenus réels de la plupart des gens n’ont pas progressé au cours des dernières années. Dans la mesure où la plupart de ces acquisitions de terres visent à mettre en place de grandes exploitations agricoles industrielles (que ce soit au Laos, au Pakistan ou au Nigeria) pour produire des denrées alimentaires pour l’exportation, elles aggravent le problème.
Il est vrai que certaines des transactions réservent une partie de l’alimentation produite pour les communautés locales de la zone ou le marché national. Certaines prévoient même des programmes sociaux comme la construction d'hôpitaux ou d'écoles. Elles favorisent néanmoins un modèle industriel de l’agriculture qui a engendré pauvreté et destruction de l’environnement, et a exacerbé la perte de biodiversité, la pollution par les produits chimiques agricoles et une contamination des cultures par des organismes génétiquement modifiés. Si une simple observation ne suffisait pas, toute une série de statistiques témoigneraient du fossé croissant entre les riches et les pauvres, les bien nourris et les affamés, qui résulte de cette situation.
Finalement, la question la plus évidente de toutes est celle-ci: qu’est-ce qui se passe à long terme quand vous accordez le contrôle des terres agricoles de votre pays à des pays et des investisseurs étrangers ?
NOTES
1 Voir GRAIN, « Making a killing from hunger » (« Crise alimentaire : le commerce de la faim »), Against the grain, avril 2008,
2 « World No-Food Day: CEDAC said that around 100,000 families in Cambodia lack sufficient food », The Mirror, Phnom Penh, 18 octobre 2008. http://allafrica.com/stories/200804230844.html
4 La Chine est le pays d’origine de la fève de soja et elle en est le plus consommateur mondial, mais aujourd’hui le pays importe 60 % de ses besoins. Pour ce qui est du maïs, la Chine sera bientôt importatrice nette. Ces deux cultures sont essentielles à la filière viande et à la filière laitière actuellement en expansion en Chine.
5 Voir « Oryza hybrida », le blog de GRAIN sur le riz hybride, pour trouver de nombreux témoignages de la mainmise de la Chine sur le riz hybride à l’étranger : (vidéo et texte, français seulement).
6 Cité par Li Ping, « Hopes and strains in China’s overseas farming plan », Economic Observer, Pékin, 3 juillet 2008.
9 En 2007, les étrangers représentaient 63 % de la population globale des États du Golfe. Dans les EAU, ils représentent plus de 82 %. Ces chiffres devraient encore nettement augmenter dans les années qui viennent dans la mesure où de nombreux travailleurs immigrés arrivent, fuyant le chômage et les difficultés dans leurs pays.
10 Margaret Coker, « UN food chief warns on buying farms », Wall Street Journal, 10 septembre 2008.
13 Cité dans AgCapita Newsletter, AgCapita Partners, Calgary, 25 juillet 2008.
15 Herbert Boh, Coordinateur de la Communication, Banque mondiale, interviewé par Howard Lesser, Voice of America, le 14 octobre 2008.
16 « Pakistan eyeing corporate farming amid rising wheat crisis », Kuwait News Agency, 11 octobre 2008. http://www.lchr-eg.org/112/08-36.htm
18 “Merauke mega-project raises food fears”, Down to Earth, n° 78, Londres, août 2008. http://dte.gn.apc.org/78dpad.htm
* Ce texte est un extrait du briefing publié par GRAIN en octobre 2008. est une organisation non gouvernementale internationale (ONG) dont le but est de promouvoir la gestion et l'utilisation durables de la biodiversité agricole fondées sur le contrôle exercé par les populations sur les ressources génétiques et les connaissances locales.
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