Le deuxième tour de l’élection présidentielle française aura lieu le 6 mai prochain et opposera le candidat de la Droite, Nicolas Sarkozy, à la candidate de la Gauche, Ségolène Royal. Momar Dieng s’interroge sur quelle place le (la) prochain(e) président(e) de la République française sera en mesure de réserver à l’Afrique en matière de coopération ? Pour lui, la question est aujourd’hui extrêmement préoccupante tant les déceptions liées aux finalités pratiques de l’engagement de la France sur le continent sont massives et souvent incompréhensibles.
Entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, les deux candidats qui se disputeront l’Elysée le 6 mai prochain, les Africains sont dans l’attente même s’ils manifestent généralement une préférence assez nette pour la socialiste. D’un autre côté, une bonne frange des intellectuels du continent et de la diaspora s’est depuis longtemps arc-boutée à l’idée que, quel que soit le pouvoir (de gauche ou de droite) en place, il existe déjà à Paris une ligne directrice formatée de longue date qui tient lieu de politique étrangère en direction de l’Afrique. C’est la fameuse Françafrique.
En tous les cas, une constante demeure qui est devenue un débat dans l’espace politique français : il est temps de donner une orientation nouvelle, un contenu nouveau à la coopération entre la France et l’Afrique d’une manière générale. Les politiques le disent et le redisent, confortés en cela par les experts, des plus libéraux aux plus conservateurs, mais également par les africanistes du courant altermondialiste : il y a nécessité urgente de réformer les termes des accords généraux de fait ou de droit qui encadrent depuis si longtemps les relations entre Paris et ses anciennes colonies.
Mais une question redoutable se pose : ces politiques ont-ils la volonté et, surtout, les moyens d’y parvenir ? La réponse ne paraît pas évidente tant la coopération entre la France et l’Afrique repose sur une bâtisse de rigidités élevées sur la durée. Qu’il s’appelle Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, une certitude s’impose : il n’y aura pas de révolution dans les rapports franco-africains à partir du 7 mai, lendemain du second tour de la présidentielle. Ces rapports reposent davantage sur un «système» que sur la volonté particulière d’un homme investi des plus hautes charges de la République française.
En cela, la marge de manœuvre du (ou de la) futur(e) locataire du palais de l’Elysée reste d’une étroitesse fondamentale. De l’ancien ministre de l’Intérieur, on ne retient de l’esquisse de ses rapports avec le continent africain que de grandes généralités, d’ailleurs moult fois ressassées par ses prédécesseurs potentiels à l’Elysée. Mais conscient de l’image négative et désastreuse que la Françafrique renvoie à l’Afrique, le président et candidat de l’UMP (Union pour une majorité populaire, parti majoritaire de droite à l’Assemblée nationale française), s’est taillé des habits de réformiste. «Il nous faut les (la France et l’Afrique) débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandats que celui qu’ils s’inventent.
Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés, notamment avec nos partenaires africains et arabes.» L’allusion à la Françafrique est nette même si M. Sarkozy en évite l’énonciation, il n’est pas sûr que le volontarisme dont il fait preuve dans le langage aille plus loin que l’expression d’une préoccupation simplement théorique. C’est dans la pratique et en situation que l’on pourra déterminer les «véritables changements» de cap annoncés par l’ancien ministre de l’Intérieur.
Car des changements, il en a promis, notamment dans le type de relations entre chefs d’Etat. «Les relations entre des Etats modernes ne doivent pas seulement dépendre de la qualité des relations personnelles entre chefs d’Etat, mais d’un dialogue franc et objectif, d’une confrontation des exigences respectives, du respect des engagements pris et de la construction d’une communauté d’intérêts à long terme.» Il est loisible de penser que les relations très particulières que Jacques Chirac a développées avec des figures supposées notoires de la Françafrique, comme Omar Bongo Ondimba ou Denis Sassou Nguesso, sont dans le viseur de M. Sarkozy qui, lui-même, a tissé des rapports personnalisés avec ces dirigeants africains.
C’est sans doute un tel paradoxe qui incite Ségolène Royal à dire tout haut que «Nicolas Sarkozy (s’inscrit) dans les mêmes réseaux que le président Jacques Chirac» et n’est donc pas de nature «à rassurer nos concitoyens qui souhaitent que (la France) demeure fidèle à ses valeurs de solidarité internationale, de promotion de la démocratie et de consolidation de l’Etat de droit.» Selon la candidate socialiste, «depuis bientôt cinq ans, la droite française est en effet à l’origine de désordres sans précédent sur le continent africain».
S’en prenant plus précisément à l’actuel locataire de l’Elysée, Madame Royal ne prend pas de gants. «La conception de la présidence de la République de Jacques Chirac y est pour beaucoup. En privilégiant systématiquement les amitiés personnelles au détriment de l’intérêt général, la pratique présidentielle a terni l’image de notre pays, qui se trouve associé dans l’esprit des Africaines et des Africains aux régimes les plus contestables du continent». Et en attendant de pouvoir «porter en Afrique un message de démocratie, de solidarité, de paix et de défense des droits de la personne humaine», Ségolène Royal prend le temps de fustiger cette constante qui fait des Africains «les premières victimes de la ‘Françafrique’ » car, souligne-t-elle, «la multiplication des interventions militaires improvisées au profit de régimes réputés amis au Tchad ou en Centrafrique, nous détourne des objectifs de développement qui devraient être prioritaires.»
Si Nicolas Sarkozy se déclare favorable à ce que l’armée française «reste au service de la sécurité de l’Afrique, mais sous mandat de l’Onu et de l’Union africaine», il n’en pose pas moins la réorientation de l’aide publique au développement (Apd) en la soustrayant aux régimes coupables de mauvaise gouvernance et prédateurs. Mais en face, l’engagement de Ségolène Royal pour le continent paraît plus articulé, plus visionnaire, autour notamment des préoccupations de base des populations africaines. Elle parle de paludisme, de sida, de pauvreté, d’espérance de vie qui régresse, des déséquilibres de la croissance urbaine, mais aussi d’émergence démocratique sous le contrôle de l’Union Européenne, d’éducation, de développement durable, de transparence, etc., le tout sous l’emprise du principe de co-développement dont les Ong et la coopération décentralisée seraient les bras exécuteurs.
Madame Royal se veut juste : «il n’est pas acceptable que certaines entreprises, dont certaines ont leur siège en France, procèdent à un véritable pillage (des) ressources en privant les Africains des plus values qui permettraient le décollage économique (de l’Afrique). Il est encore plus préoccupant de constater que le pillage de ces ressources, en appauvrissant les populations, force certains à l’émigration vers l’Europe… »
L’émigration clandestine, c’est justement l’autre grande fracture du couple Sarkozy-Royal à propos de la politique africaine de la France. Sans concessions, Nicolas Sarkozy a fait de l’émigration choisie le thème favori de sa politique intérieure. S’il est peu aimé sur le continent – ses visites mouvementées au Mali et au Bénin l’année dernière en attestent – il essaie de n’en faire pas trop cas, s’en tenant à une ligne de rejet systématique du phénomène migratoire, le plus souvent sans aucune considération de facteurs sociologiques et humanitaires pouvant justifier la souplesse.
C’est avec lui que les Charters ont repris du service, par l’expulsion de centaines de personnes vers leur pays d’origine sur le continent. En 2006, plus de vingt mille clandestins ont été forcés de quitter la France, souvent dans des conditions humainement dégradantes et indignes. Comme si l’un des objectifs de cette répression quasi aveugle était de montrer aux Français qu’il sait prendre des décisions et qu’il sait les appliquer.
Même si elle rejette l’émigration clandestine – quel homme politique sérieux l’admettrait d’ailleurs ? – Ségolène Royal diverge fondamentalement de son concurrent par la méthode de traitement qu’elle entend apporter à cette question. Moins brutale – du moins en théorie – plus diplomate et plus regardante sans doute sur le côté humanitaire, elle ne devrait pas s’éloigner des principes déjà dégagés par le Parti socialiste français, en dépit de l’extrême fermeté dont Jean-Pierre Chevènement et Daniel Vaillant – deux anciens prédécesseurs socialistes de Sarkozy au ministère de l’Intérieur – ont fait preuve. Ces principes sont : tolérance et fermeté, humanité sans laxisme…Car après tout, il y a bien une forte tendance des populations françaises qui n’accepte plus cette pagaille bien africaine qui dérange et bouscule un pays si ordonné, si rangé…
En 2005, les investisseurs français ont déployé 50 millions d’Euros (environ 32 milliards de francs Cfa) au Sénégal, ce qui a représenté 24% dans la formation du Produit intérieur brut (PIB) sénégalais. Il est encore trop tôt de savoir ce que sera l’impact de la nouvelle agressivité chinoise sur le continent en général, au Sénégal en particulier sur les entreprises françaises qui y prospèrent. Mais ce qui paraît incontournable – et les deux candidats à l’Elysée le sentent bien – c’est qu’il va falloir réorienter et redimensionner l’activité économique française sur le continent.
La Françafrique et ses méthodes violentes de fonctionnement ne sont plus tolérables en Afrique parce qu’il y a une nouvelle conscience africaniste qui dit une chose simple : qu’on arrête de piller nos économies, que nos richesses nous servent ici d’abord. En promettant de privilégier l’Asie comme continent de la nouvelle croissance pour l’économie française, Nicolas Sarkozy préparerait déjà l’immigration française vers de nouveaux Far West. Quant à la Françafrique, il y a de fortes chances que son système continue de faire la pluie et le beau temps dans bien des Etats africains.
* Momar Dieng est Journaliste au quotidien sénégalais, Le Quotidien. Il est un observateur averti de l’actualité politique sénégalaise et internationale. Il peut être joint à [email][email protected] ou [email][email protected]
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