La Côte d’Ivoire s’achemine vers des processus cruciaux pour le retour à une paix durable : désarmement, identification, élections, etc. Pour Emmanuel Y. Boussou, il est grand temps que les élites politiques ivoiriennes arrêtent de pointer un doigt accusateur vers les « autres » et de s’adonner à une sincère autocritique. L’intérêt de la Côte d’Ivoire, estime t-il, doit être hissé au-dessus des préoccupations partisanes d’individus souvent en rupture de ban avec le vrai peuple pour qui ils pr...lire la suite
La Côte d’Ivoire s’achemine vers des processus cruciaux pour le retour à une paix durable : désarmement, identification, élections, etc. Pour Emmanuel Y. Boussou, il est grand temps que les élites politiques ivoiriennes arrêtent de pointer un doigt accusateur vers les « autres » et de s’adonner à une sincère autocritique. L’intérêt de la Côte d’Ivoire, estime t-il, doit être hissé au-dessus des préoccupations partisanes d’individus souvent en rupture de ban avec le vrai peuple pour qui ils prétendent agir. Emmanuel Y. Boussou dresse dans cet article les conditions pour la tenue d’un processus électoral consensuel, le règlement de la question de la citoyenneté et, en définitive, pour réussir une véritable reconciliation nationale.
La crise que connaît la Côte d’Ivoire depuis plus de trois ans et demi s’est exprimée, certes, sur le terrain militaire au début. Elle a été, ensuite, marquée d’échauffourées sporadiques entre les forces loyalistes au régime d’Abidjan et le mouvement rebelle.
Cependant, ce qu’il est permis d’observer dans ce pays depuis septembre 2002 n’est pas, à notre avis, un conflit militaire classique ou une guerre civile. Il ne s’agit pas, non plus, d’une lutte de libération nationale engagée par le pouvoir ivoirien contre l’ancienne puissance coloniale.
Compte tenu de sa forte charge émotionnelle, l’argument de la lutte de libération est très séduisant et a valeur d’exutoire. Mais, s’il est vrai que la crise ivoirienne constitue un enjeu de géostratégie ou d’intérêts économiques pour l’ancienne métropole, on ne saurait faire du rôle de la France la trame principale de ce conflit.
Eu égard à son histoire, à ses atouts économiques et à sa dimension dans l’espace francophone ouest-africain, la Côte d’Ivoire et la crise sociopolitique qu’elle vit appellent une intervention française, qui, dans ce cas précis, a été souhaitée, suscitée, voire requise par le régime ivoirien.
De fait, ne voir que la présence de la France dans ce conflit ou situer la crise dans la seule perspective de rapports antagonistes entre l’ancienne puissance coloniale et le pouvoir politique ivoirien c’est vouloir soustraire les Ivoiriens de leur responsabilité dans la gestion de leur pays. Envisager la Côte d’Ivoire comme une nation indépendante et souveraine suppose que les problèmes auxquels elle est confrontée s’apprécient, sans complexe, dans leur portée endogène.
De plus, les enjeux au cœur du conflit actuel, à savoir le pouvoir politique, sa gestion et son renversement par la voie des armes, se sont déjà exprimées à travers une crise de même nature en décembre 1999, avec un parti politique et un leadership autres que ceux d’aujourd’hui, sans que l’on parle d’une entreprise de recolonisation de la Côte d’Ivoire par la France. La différence porte sur le fait que le coup d’Etat de 1999 a réussi, alors que celui de 2002 a échoué et s’est transformé en une rébellion.
Comme explication première de la crise, l’argument tiré des antagonismes internes opposant des acteurs ivoiriens (formations politiques traditionnelles et groupes armés) pour la prise, l’exercice et la conservation du pouvoir politique nous semble beaucoup plus plausible.
A notre avis, il se défend plus amplement que celui prenant pour objet des centres extérieurs qui téléguideraient des politiques ivoiriens en vue du contrôle des ressources du pays ou armeraient d’anciens soldats pour lancer une action militaire dont la réussite n’est guère garantie à l’avance. Si une telle assertion est soutenue dans des cercles politiques ivoiriens et relayée par des réseaux d’intellectuels africains, elle se construit plus sur des appréhensions que sur des faits.
Il est vrai que chaque chapelle politique ivoirienne entretient des relations suivies avec des membres de la classe politique et des industriels français. Mais cela ne nous autorise pas à percevoir une collusion française automatique avec certaines forces en présence dans le jeu politique ivoirien au détriment du régime d’Abidjan.
Il faudrait noter que si dans la plupart des pays africains l’armée s’introduit de force dans la politique, en Côte d’Ivoire, ce sont des forces politiques qui, d’une manière ou d’une autre, ont propulsé des groupes armés dans l’arène politique.
Par-dessus tout, il nous semble bon d’éviter d’exonérer les acteurs politiques ivoiriens de leur responsabilité dans l’origine et la gestion de la crise pour ne voir qu’une main extérieure dans ce qui constitue, en dernière instance, une lutte pour le pouvoir politique.
La crise ivoirienne s’est manifestée à travers un coup d’Etat qui a échoué et qui s’est ensuite mué en une occupation d’une partie du territoire national. Ceci traduit la dimension essentielle du conflit, qui porte sur le pouvoir politique et tourne autour de sa prise de force ou de droit, sa gestion et sa conservation par tous les moyens, y compris l’usage de la violence.
Cependant, la solution militaire ayant fait la preuve de ses limites, l’organisation d’élections ouvertes, équitables et transparentes se donne comme l’une des issues les plus appropriées de la résolution de la crise. La tenue d’élections suppose, en principe, l’acceptation d’une compétition à la loyale à la suite de laquelle il y aura un vainqueur et un vaincu.
Une élection présidentielle, est-il besoin de le noter, est une échéance, qui débouche sur un mandat confié à un homme ou une femme limité dans le temps. Elle n’est pas un processus, mais un événement. Elle ne fige pas la vie nationale. Elle porte sur un cycle qui se renouvelle au bout de cinq ans. On peut perdre une élection présidentielle à une échéance donnée et la remporter à l’occasion d’une autre.
Les protagonistes de la crise ivoirienne, les partis politiques principalement, donnent l’impression de ne s’accorder que sur la tenue d’élections qu’ils seront assurés de remporter. S’il est légitime que des forces politiques envisagent la victoire à l’issue d’un scrutin comme un objectif ultime, leur propension à exclure, voire nier, toute éventualité d’échec ne peut que disposer leurs partisans au radicalisme politique et à la violence. Aucun parti politique ne s’avoue vaincu au départ d’une compétition électorale, mais la victoire ne peut s’obtenir à tous les prix !
Au départ d’un processus électoral, l’idée de la victoire implique également celle de l’échec. Pouvoir gagner autant qu’échouer constitue l’énigme, mais aussi l’essence d’une élection. Sans échec, il n’y a pas de réussite, parce qu’il n’y a simplement pas de compétition. En outre, on ne peut se soumettre à une épreuve lorsque, à l’avance, on en est proclamé vainqueur !
Une telle compétition est une farce et ne garantit, sur le plan politique, aucune légitimité. En revanche, elle constitue la voie tout tracée pour l’installation d’un pouvoir dictatorial qui, tôt ou tard, suscitera la répulsion de la population, se maintiendra dans la terreur ou donnera lieu à une contestation violente.
L’intention de certains cercles politiques de remporter à tout prix le scrutin présidentiel prochain est l’une des explications de blocages réels ou potentiels de la transition. De plus, elle constitue un inhibiteur principal de la réconciliation. Elle justifie les surenchères et chantages qu’il nous a été donné d’observer de la part des protagonistes principaux depuis la signature des accords de Linas-Marcoussis.
Elle porte, aujourd’hui, sur les enjeux de l’identification et du désarmement, de leur concomitance souhaitée ou rejetée et de questions connexes de nationalité et de citoyenneté. Sur certains de ces points, principalement l’identification, la nationalité et la réconciliation, nous voudrions offrir quelques pistes de réflexion.
1. Identification et constitution du collège électoral
L’opération d’identification devrait, en principe, être un exercice de recensement général de la population à l’issue duquel l’autorité publique obtiendra des indicateurs sur les différentes configurations démographiques du pays. En outre, il devrait permettre à chaque habitant de la Côte d’Ivoire d’obtenir des pièces d’identité. Comme telle, l’identification est un exercice technique dont l’utilité pratique se démontre dans divers domaines de gestion de la vie nationale.
L’identification semble, cependant, poser problème dans l’interprétation que font certains milieux politiques de sa dimension relative à la constitution du collège électoral. Ceci parce que la Côte d’Ivoire est un pays dont près de 26% de la population est, selon les chiffres officiels, constitué de non nationaux.
Comme toute nation accueillant une forte proportion d’immigrés, les questions d’identité, de nationalité et de citoyenneté s’y posent avec acuité et sont d’une extrême délicatesse. Par ailleurs, des revendications identitaires, de déni de nationalité ou de citoyenneté suscitent des débats passionnés dans ce pays depuis des années. Qu’une propagande sur ces questions sensibles serve de fonds de commerce politique et braque les esprits ne relève que d’un truisme !
Dans un tel décor, il n’est pas surprenant que des échos de soupçons de manipulation de l’opération d’identification dans la perspective de l’échéance électorale proviennent de différents états-majors politiques. Les uns suspectent un processus qui pourrait accroître, outre mesure, le collège électoral pour favoriser un camp, lorsque les autres pensent qu’une grande partie de nationaux proches de leur parti en seraient exclus à leur détriment et au bénéfice de leurs adversaires politiques.
A notre avis, la ligne médiane ici devrait être celle qui prendrait pour point de départ les recensements précédents et singulièrement ceux ayant donné lieu à la constitution des collèges électoraux de 1990, 1995 et 2000. Après quoi, on opérera les ajustements démographiques naturels qui sont : l’expurgation de cas de décès, de changements de nationalité, d’individus frappés d’incapacités ; les rajouts de cas de personnes ayant atteint la majorité, de naturalisés remplissant les obligations de stage, etc.
Si des citoyens estiment qu’ils ont été indûment retirés des fichiers électoraux, ils devraient soumettre des requêtes qui feront l’objet de la plus grande attention de la part des autorités compétentes en vue de procéder aux corrections requises.
Cette approche est fondée sur l’évolution naturelle du collège électoral ivoirien, elle-même liée aux contours de la population générale du pays. Elle part également du principe que la liste électorale n’a pas fondamentalement été contestée depuis 1990. De plus, le mouvement régulier du collège électoral ivoirien, même en y incluant les personnes âgées entre 18 ans et 21 ans en 1990 et 1995, peut être apprécié aisément depuis 1990, année électorale pendant laquelle seuls les nationaux ivoiriens ont été autorisés à voter.
Il est possible de dresser mathématiquement, statistiquement et démographiquement les grandes configurations du collège électoral ivoirien aujourd’hui, puisque les banques de données sur la population ivoirienne utilisées les années précédentes sont disponibles à Abidjan.
En se fondant sur la progression normale de la population ivoirienne, on peut opérer des projections en vue d’avoir une idée plus ou moins exacte des chiffres généraux de la population en âge de voter. Il existe un taux de croissance de cette population, tout comme on peut tracer une courbe de la progression du collège électoral ivoirien.
Toute opération d’identification qui aboutirait à l’exclusion arbitraire de citoyens ivoiriens de la liste électorale sera un facteur potentiel de troubles sociopolitiques. De même, un collège électoral ivoirien hors de proportions naturelles ne donnerait lieu qu’à des élections contestées, dans le meilleur de cas.
Cela équivaudrait à la reconduction de la logique d’instabilité chronique dans laquelle le pays est installé depuis quelques années. Un tel scénario condamnerait la Côte d’Ivoire à demeurer dans ce que nous appelons pudiquement une situation de ni paix ni guerre qui est, en réalité, un processus de destruction socio-économique et de déconstruction nationale.
2. Séparer la question de la nationalité des enjeux électoraux
La question de l’attribution de la nationalité ivoirienne aux ressortissants de pays africains vivant en Côte d’Ivoire depuis des lustres et qui désirent s’intégrer pleinement et honnêtement à la communauté nationale ivoirienne devrait s’entreprendre dans un esprit de fraternité, de générosité et d’ouverture. Linas-Marcoussis n’était certainement pas le cadre approprié pour réfléchir sainement et sereinement sur cette question cruciale en quelques jours.
Les difficultés d’application des propositions sur la nationalité découlant de ce conclave procèdent, à notre avis, d’une chose : il se profile des enjeux politiques et électoraux derrière l’idée d’appliquer le Code de nationalité d’avant 1972 et/ou de revenir aux dispositions transitoires de l’Administration coloniale à l’Etat indépendant ivoirien relatives au choix de la nationalité ivoirienne par des non Ivoiriens nés en Côte d’Ivoire ou y vivant avant 1960.
La question de nationalité étant de nature sensible, la lier à des enjeux ou impératifs politiques et électoraux ne fait que la compliquer davantage, ce qui en rajoute aux suspicions, ressentiments et récriminations. En dernier lieu, toute solution prise avec des arrière-pensées politiques sur un sujet de cette nature consisterait à jeter de l’huile sur le feu.
Débarrassée de ses oripeaux électoraux, la question de nationalité telle qu’esquissée par Linas-Marcoussis pourrait être envisagée utilement et trouver une voie de solution à travers une procédure spéciale et diligente de naturalisation adossée aux dispositions de stage prévues par le Code de la nationalité.
Le mieux serait de différer une telle procédure de la période électorale qui est elle-même potentiellement sujette à des tensions et convulsions multiples. Elle pourrait être engagée dans une période de sérénité immédiatement après les élections présidentielles de sorte que les nouveaux naturalisés puissent prendre part aux scrutins qui seront organisées cinq ans après leur naturalisation.
Mais, au-delà des prescriptions de Linass-Marcoussis se pose la question de la naturalisation de tous les ressortissants de pays africains vivant en Côte d’Ivoire et qui désirent jouir de la nationalité ivoirienne. La Côte d’Ivoire et ses dirigeants ne peuvent continuer de se voiler la face sur ce problème d’une extrême gravité. La nécessité d’une action politique courageuse tendant à engager une procédure de grande envergure de naturalisation, avec des modalités pratiques souples, simplifiées et accessibles, devient un défi auquel ils devraient faire face.
Il faut partir du prédicat que la plupart des ressortissants de pays voisins vivant en Côte d’Ivoire depuis des années et leurs enfants ne retourneront plus dans leurs pays d’origine. Les propositions de gestion post-crise doivent accorder la priorité à cette question qui recouvrerait ainsi son caractère purement administratif pour cesser de polluer le terrain politique. Dans le cadre de la transition, les sillons de cette action pourraient être tracés.
Le mouvement migratoire ayant marqué les configurations démographiques et sociologiques de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui a une histoire. Il a son origine dans la mise en valeur, dans les années 1930, de la colonie de Côte d’Ivoire avec l’introduction des cultures de café et de cacao. Il a connu son paroxysme pendant les années du miracle ivoirien (1965-1980) et s’est ralenti à partir de la fin des années 1980.
Que la Côte d’Ivoire soit différente des autres pays ouest-africains dans ses traits démographiques marqués par la migration est un fait sociologique qui s’explique aisément et doit être assumé pleinement ! Il est vrai que rien aujourd’hui ne permet d’affirmer que cette nation continuera d’attirer, de manière significative, des ressortissants d’autres pays de la sous-région.
Par ailleurs, un processus irréversible d’urbanisation de la société ivoirienne amorcé depuis quelques années a donné lieu à une Côte d’Ivoire plurielle dans la symbiose de ses fondements humains, sociologiques et culturels et conduit à l’émergence d’un nouvel espace de partage, d’ouverture et d’intégration.
Prenant son appui sur les apports de socles humains de ce terroir, il ne manque pas moins de se nourrir de la contribution de peuples issus de l’immigration. Ceci constitue une richesse qui doit pouvoir éclore, s’exprimer et s’épandre à la faveur des chances que l’Etat de Côte d’Ivoire saurait offrir avec élan, générosité et ouverture.
Envisager la problématique de l’immigration et ses incidences démographiques sous l’angle de la naturalisation au niveau le plus élevé de l’Etat n’est pas seulement une approche qui tienne compte de l’héritage socioculturel ivoirien ; c’est un devoir moral, autant qu’un impératif de gestion politique. C’est également l’un des moyens les plus indiqués pour soustraire cette question délicate des contingences politiques et enjeux électoraux.
3. De la réconciliation
Une question anodine nous vient à l’esprit lorsque nous pensons aux dommages causés par cette crise à la communauté nationale ivoirienne : comment un peuple si affable, symbiose d’autant d’expressions du génie humain, doté d’un humour formidable comme la marque de sa foi en la vie, a pu se laisser ronger par le virus de la haine, sur des questions de gestion politique, qui relèvent, en principe, de préoccupations d’une élite dont il est généralement coupé ?
La réponse immédiate est qu’aucun équilibre n’est permanent et que dans le processus de construction nationale des Etats légués par la colonisation, le plus petit incident peut donner lieu à d’inextricables convulsions.
En écoutant des Ivoiriens ressasser les atrocités commises au début de ce conflit sur des populations civiles et en prêtant l’oreille à leurs ressentiments et récriminations vis-à-vis de ceux qui prônent le dialogue avec les rebelles, on se rend compte de l’ampleur de la crise et de la profondeur des douleurs qui en résultent.
Il se dégage également un constat : la propension de certains milieux politiques ivoiriens à trouver nécessairement les responsables de nos malheurs en leurs adversaires ou hors des frontières ivoiriennes. Ceci laisse apparaître une autre dimension de ce conflit : notre incapacité de reconnaître nos propres responsabilités dans la destruction de notre pays !
De tout cela nous faisons la déduction suivante : si la crise porte essentiellement sur le pouvoir politique, les cheminements qu’elle a empruntés pour s’exprimer, les torts dont ses auteurs se sont déclarés redresseurs, les dommages qui ont été causés à la cohésion nationale et les états d’âme qu’elle a générés sont énormes, complexes et multidimensionnels.
A notre avis, la gestion de la crise et de l’après-crise devrait comporter un volet sur le désarment mental et le reconditionnement psychologique des Ivoiriens.
En effet, de quel que côté qu’on se place, on arrive au constat que le drame ivoirien n’est pas seulement physique et visible : un traumatisme énorme est vécu par la population ivoirienne dans toute sa composante. Dans sa majorité, la société ivoirienne est meurtrie, autant qu’elle est fragmentée et instrumentalisée aux fins de luttes politiques dans lesquelles elle n’est pas nécessairement partie prenante.
Cette crise a détruit ce qui constitue la base de la convivialité ivoirienne, c’est-à-dire la confiance. La confiance comme fondement du vivre ensemble ; la confiance entre les acteurs principaux de la classe politique à propos d’un minimum acceptable pour l’animation d’une vie politique régulière ; la confiance entre les différentes communautés humaines du pays dans ce qu’elles nourrissent comme attentes, aspirations, voire convictions, par rapport au devenir de la nation et aux chances d’épanouissement qu’elle leur offrirait.
A notre avis, plutôt que de clamer que la Côte d’Ivoire est debout, les acteurs politiques principaux du pays devraient s’engager dans une introspection beaucoup plus profonde, pour apprécier l’état de déliquescence dans lequel se trouve la nation ivoirienne. Ceci pourrait constituer le premier pas vers la réconciliation.
Aussi longtemps que les leaders seront peu enclins à reconnaître leur responsabilité dans la crise et ses conséquences sur les fissurations du tissu social ivoirien, les populations, qui se reconnaissent en eux, seraient incapables d’aller à la réconciliation des cœurs et des esprits ! La logique de l’action des leaders politiques est naturellement celle de la contention faite de dénégations, contradictions et polémiques.
Mais, le jeu politique régulier n’est possible que dans un environnement social apaisé. Ici, il est plutôt question de chercher à reconstruire ce qui a été détruit, œuvrer à renouer les fils du dialogue rompu, contribuer à retrouver la foi en nous-mêmes, la confiance entre nous, dans l’humilité. Les leaders politiques devraient éviter de se laisser aller à des déclarations qui sont de nature à susciter des controverses ou à inciter leurs partisans à des positions radicales.
Par ailleurs, il faudrait convenir qu’aucun leader politique n’a fait amende honorable, en s’engageant, depuis le déclenchement de cette crise, dans un acte sincère de contrition ; aucun camp des protagonistes principaux n’a trouvé nécessaire de se remettre en cause et demander formellement pardon aux Ivoiriens et leur promettre que plus jamais il n’entreprendrait directement ou indirectement d’actions de nature à porter atteinte au peuple de Côte d’Ivoire dans les valeurs qui le fondent ou dans son intégrité. Aucun camp n’a lancé d’appel solennel à ses partisans les invitant à embrasser résolument le parti de la réconciliation.
Quant à un élan d’ouverture, de tolérance et d’altruisme vis-à-vis de ses adversaires, aucun parti ne semble l’inclure dans ses choix politiques actuels. Cependant, cet acte d’exorcisme collectif, d’humilité et de dépassement de soi devrait être suscité par les grandes formations politiques, ainsi que les responsables de la rébellion, de manière résolue, honnête et sincère, pour conjurer la haine et recréer les conditions de la convivialité ivoirienne.
La réconciliation entre Ivoiriens s’entreprend avec le principe de reconstruction d’une société ivoirienne inclusive, cohésive et démocratique. Elle part d’un impératif : que la Côte d’Ivoire soit placée au-dessus des partis politiques et des ambitions de leurs leaders !
Si nous situons la Côte d’Ivoire au-dessus de tout, la question de la formation politique ou du leader qui la dirigera à l’issue des élections prochaines serait secondaire, voire négligeable. En effet, pour que nous envisagions la problématique de la désignation de l’équipe dirigeante à laquelle sera confiée la destinée de ce pays à l’issue des consultations électorales prochaines, il faudrait qu’il existe d’abord dans son entièreté et qu’il constitue un espace sociopolitique apaisé.
New York, le 30 mai 2006.
*Emmanuel Y. Boussou est le pseudonyme d'un Ivoirien en service dans une organisation internationale. Sociologue de formation, il fait publier des articles sur la situation politique de la Côte d'Ivoire en sa qualité de citoyen de ce pays.
*Voir aussi nos précédentes publications sur le même sujet, en français :
-http://www.pambazuka.org/fr/category/features/33766
-http://www.pambazuka.org/fr/category/features/34347
et en anglais :
-http://www.pambazuka.org/en/category/comment/33854
-http://www.pambazuka.org/en/category/features/33766
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