Des élections du 25 février 2007, il y a trois indications au moins qui peuvent structurer la réflexion pour lire et comprendre « ce qui s’est passé » : ce que nous savons, ce que nous croyons savoir, ce que nous ne savons pas et que nous aimerions savoir.
1. Ce que nous savons : 4 Constats
Constat 1. Election inédite, élection de tous les records : voilà ce quiapparaît immédiatement. Inédite, parce que la présidentielle du 25 février est la première après une alternance démocratique au Sénégal. L’opposition casse durablement l’hégémonie cinquantenaire du Parti socialiste (Union progressiste sénégalaise jusqu’en 1976). Election de tous les records, avec trois faits majeurs : passage du nombre d’inscrits de 2 millions environ à près de 5 millions ; augmentation du taux de participation, d’une moyenne de 60 à 75% tandis que le nombre moyen de candidats passe de 5 à 15 et, pour la première fois, une élection présidentielle enregistre cinq candidats indépendants.
Enfin, ce que nous connaissons, c’est que le candidat sortant, en l’occurrence Me Abdoulaye Wade, sort largement vainqueur avec près de 56% tandis que son suivant immédiat, Idrissa Seck, se retrouve loin avec 14%, suivi du candidat du Parti socialiste (13%) et du progressiste Moustapha Niasse (5%). Le reste des candidats recueille de 4% (Robert Sagna) à moins d’1% et entre ces deux extrêmes on enregistre les candidats au 2% (Abdoulaye Bathily et Landing Savané). De ce classement, on peut dégager des typologies tout à fait classiques au regard de l’histoire et de la configuration de la scène politique sénégalaise.
Le « pôle libéral », constitué par Wade et Seck (malgré les divergences sérieuses) fait 70% des voix. Le « pôle socialiste » (Tanor, Niasse et Robert Sagna) se retrouve avec 22%. Le « pôle de gauche » (Bathily et Landing) réunissent 4% des voix tandis que le « pôle des indépendants » (cinq) totalisent 2% environ et le reste des candidats (« pôle du divers ») se partage 2%.
Constat 2. Toutes les projections d’un second « tour inévitable » ont été infirmées par les résultats. Se fondant sur l’histoire électorale du pays avec comme dates repères la présidentielle de 2000, les législatives de 2001 et les locales de 2002, sur le fond de crise socio-économique, sur le malaise éthique avec les nombreuses affaires politico-financières, sur les profondes contradictions au sein du Parti démocratique sénégalais, sur le profil des principaux candidats de l’opposition, nombre d’observateurs et d’analystes avaient conclu à l’inéluctabilité d’un second tour qui mettrait le candidat sortant dans une très difficile posture. Toutefois, de là à vouer aux gémonies ces derniers, il y a un pas qu’en démocratie il ne faut pas franchir. Après tout, de lourdes tendances apparentes fondaient largement une telle hypothèse.
Constat 3. Hormis Nioro et Thiès, tous les bastions de l’opposition basculent (Ziguinchor, Kaolack, Mbour, Bakel, etc) tandis que le candidat sortant bénéficie d’un raz-de-marée partout ailleurs avec des pics de plus de 8% comme dans le département de Mbacké.
Constat 4. Il convient de noter le seuil de contestation très faible des résultats, dû sans doute à l’effet de surprise et à l’absence de preuves suffisantes d’une « fraude électorale » à vaste échelle. De façon unanime, la Commission électorale nationale autonome et les observateurs indépendants ont immédiatement reconnu le déroulement « globalement transparent » des élections tandis que les médias, comme s’ils s’étaient passé le mot, ont barré dès le lundi 26 février leur Une avec l’écrasante victoire du candidat sortant non sans quelques relents d’étonnement cependant.
Tel sont les faits que nous savons, à la lisière entre les données et les appréciations de divers acteurs.
Mais pourquoi ces résultats ? En d’autres termes, qu’est-ce qui explique que les projections d’un second tour et une éventuelle défaite de Wade aient été faussées ? Quelles sont les raisons de ce que la presse, en grande partie, a appelé « plébiscite ? »
Là-dessus, les hypothèses sont nombreuses. Elles font forcément référence à ce que nous croyons savoir.
2. Ce que nous croyons savoir : 8 Hypothèses
Une élection n’a jamais lieu avant d’avoir eu lieu. Les résultats, même en régime de sondages autorisés, ne sont jamais connus d’avance sinon en termes de grandes tendances. Une élection met en jeu des « consommateurs » avec leurs attentes, leurs motivations, leurs inquiétudes, leurs préférences qui ne sont jamais figées, mais fragiles et mouvantes. Les lignes bougent trop vite, surtout dans un contexte de fin des « grandes familles politico-idéologiques ».
En l’absence d’études fiables, qui répondent à nos nombreuses interrogations dans un souci, avant tout, de comprendre ce qui s’est passé le 25 février, et globalement ce qui se passe dans notre pays en termes de formes de conscience et de comportement électoral, nous propose un ensemble d’hypothèses avant d’en venir à ce que nous aimerions savoir. En tout état de cause, quelque chose de profond est en train de changer, et dans le rapport des citoyens sénégalais à la politique et dans leur rapport avec les appareils politiques et dans leur manière d’aborder les compétitions électorales. A défaut de le comprendre, on ira de surprise en surprise, avec de fortes tendances obscures et obscurantistes d’explication de ce qui se passe par l’irrationnel. Oui, il faut comprendre.
Hypothèse 1. Une élection est une course de fond.
Et comme toute épreuve de ce genre, le temps de la préparation est l’étape la plus décisive. Dès 2000, Wade s’est mis dans la perspective d’un second mandat. Démantèlement du Ps avec les vagues de transhumants (Tanor l’a proclamé et expérimenté à propos du Pds et de l’opposition en général, surtout entre 1997 et 2000), construction de réseaux et de relais (souci de tout nouveau régime), opérations de charme (déclinaisons de toutes sortes de projets), offensive diplomatique (soutenue par son efficace Ministère des affaires étrangères, Wade est partout dans le monde).
Pendant une année, les principales forces politiques sont associées au gouvernement. Le nouveau Président bénéficie, sur la scène politique, du côté des citoyens comme du paysage médiatique, d’une période de grâce enviable. Le Ps s’applique un concept vite assimilé à de la torpeur, mais dans tous les cas apaisant pour tout régime : « opposition républicaine ». Sortie du gouvernement, l’Afp éprouve des difficultés à s’opposer vraiment à son ex-allié. Peur d’être qualifié de revanchard ? Manque d’expérience oppositionnelle ? Voire.
Djibo Kâ, rallié à Diouf entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2000, est plutôt préoccupé par la gestion de sa défaite historique et politique, mais aussi par la survie de son parti qui a subi beaucoup de défections suite à son appel à voter Diouf. Les centrales syndicales autonomes, plutôt favorables à l’alternance, accordent au nouveau pouvoir un répit. Wade surfe. Il est dans le nuage. Il a le temps, avec le méthodique Idrissa Seck, son Directeur de Cabinet et numéro 2 incontestable du Pds, de poser tous les jalons des futures compétitions électorales. Identification des bastions des adversaires et des porteurs de voix, village par village, ville par ville, département par département, région par région, catégorie sociale par catégorie sociale, confrérie par confrérie.
Détenant le pouvoir d’Etat, et donc ayant dépassé les « soucis financiers », le Président et son sherpa peuvent quadriller le pays et donner accès aux ressources à tous ceux qui, par leur influence, peuvent faire basculer les plus inexpugnables bastions. Au sein même de l’appareil qu’est le Pds, l’intensification des luttes de tendances constitue une stratégie paradoxale d’éviter les déperditions, chaque tendance se battant pour mériter la confiance du leader. Pendant ce temps, avec le renvoi du gouvernement du Pit d’abord, de la Ld ensuite, Wade finit de compromettre toute cohésion et toute efficacité de ce qui, avant l’élection présidentielle de 2000, constituait le redoutable pôle de gauche (Ld, Aj, Pit, principalement).
Personne ne semble l’avoir compris immédiatement du côté des adversaires : l’hégémonie libérale était en marche avec des séances d’entraînement qui s’intensifiaient de diverses manières au fur et à mesure que l’échéance de 2007 approchait. Avant tout, Wade et son parti gagnent largement les législatives de 2001 et les locales de 2002. Tandis que le Pds, par ses querelles internes et l’épisode Idrissa Seck dominent la scène médiatico-politique, chaque clan cherchant à imposer un leadership local, l’opposition reste dans les stratégies unitaires, oubliant que la seule unité en haut est loin de créer l’efficacité en bas.
Hormis Ousmane Tanor Dieng, rares sont les leaders politiques qui ont fréquenté régulièrement l’intérieur du pays. Rassuré par le travail qu’effectuent ses relais du Pds et autres à la base, Wade s’attaque aux menaces à l’intérieur de son parti : un danger pouvait venir de Idrissa Seck qui, selon plusieurs sources, n’aurait pas hésité, par des opérations efficaces d’isolement du « Vieux » et d’hégémonie au sein de toutes les instances du Parti (du Comité Directeur aux Fédérations départementales), à renvoyer le Secrétaire général à la retraite pour être le candidat du pôle libéral et de plusieurs autres partis satellisés dans le cadre de la Cap 21. Le boulevard lui était d’autant plus ouvert qu’il détenait le trésor de guerre que sont les fonds politiques mais en même temps il était incontestablement au cœur de l’Etat et du Parti, sans doute plus que Ousmane Tanor Dieng au temps du pouvoir socialiste.
Hypothèse 2. Wade est, après le Ps, le seul leader politique à avoir un véritable appareil électoral.
Dès 1974, avec la création du Pds, il a opté pour la prise du pouvoir par les urnes. Le programme du Parti, ses méthodes, ses mots d’ordre, ses modes d’organisation, son leadership, ses stratégies et ses tactiques obéissaient avant tout à cette option que les extrêmes gauches raillaient sous l’infamante accusation de légalisme et d’électoralisme. Avec un régime senghorien hégémonique et de fer, le dirigeant de la seule opposition légale (avant le Pai de Majmouth Diop et le Mrs de Boubacar Guèye), Wade joue sur le registre de la ruse pour un seuil maximal d’efficacité.
Déclaré parti de « contribution », le Pds évolue dans une stratégie de harcèlement du pouvoir, de concession et de compromis, pour rassurer les caciques de l’Ups-Ps tout en utilisant les dispositions de la Constitution et ses vides pour élargir son espace de déploiement et de développement. Ayant connu le Ps et l’enjeu des bases électorales, Wade ne s’y trompe pas, qui se pose en défenseur des paysans, parcourt le pays, procède à des recrutements de masse là où les organisations clandestines, soucieuses de protéger leur appareil, filtraient et cherchaient à construire des avant-garde qui, en inculquant la conscience politique à la masse, préparent l’assaut final autrement que par les urnes.
Elles obéissaient ainsi à la tendance politique dominante dans le monde depuis les deux premières décennies du 20e siècle avec la victorieuse révolution d’Octobre en Russie : la violence est génératrice de la société nouvelle. Tendance largement portée par la révolution chinoise, les foyers révolutionnaires (focos) en Amérique Latine, les luttes de libération nationale et l’essor des extrêmes gauches en Europe et en Amérique du Nord. A ce propos d’ailleurs, la grande thèse maoïste était que « la tendance générale dans le monde est à la révolution ».
Prenant le contre-pied d’une telle option, Wade s’inscrit donc dans la perspective électoraliste. Quatre après la création de son parti, il se lance dans les élections présidentielles et législatives d’avril 1978 contre Senghor et l’Ups-Ps. Une machine électorale est née. Le Pds et son leader acquièrent une haute visibilité et profitent de la tribune de l’Assemblée nationale (seule opposition parlementaire avec la légitimité constitutionnelle qui sied) et accentuent la pression sur le pouvoir avec de nombreuses propositions de textes de loi pour élargir les droits de l’opposition légale, notamment le Pds.
Depuis, il n’a jamais manqué à un rendez-vous électoral (cinq présidentielles jusqu’en 2000, autant de législatives et de locales). Aucun de ses adversaires en 2007 ne peut se prévaloir d’une telle expérience électorale d’autant plus qu’à la quête interne de l’efficacité, Wade et le Pds n’ont jamais hésité de regarder du côté de l’expérience de leur adversaire qu’était le Ps et dans les méthodes et dans la mobilisation de l’appareil et de certains déterminants dans le comportement électoral : les relais porteurs de voix à la base, l’argent, l’organisation et la mobilisation optimale des forces du Parti dans les moments décisifs.
Une élection ne se gagne pas sans un certain seuil de capital expérience critique. La gauche traditionnelle (Ld, Aj et Pit), du fait de ses options initiales en matière de stratégie de conquête du pouvoir, n’a jamais vraiment constitué une force électorale. Autant son influence sociale est significative, autant son score électoral est groupusculaire. Autant elle a une force de frappe efficace pour mobiliser les syndicats dans des luttes décisives et mettre en branle, jusqu’à une certaine période (88 notamment), les jeunesses scolaires et estudiantines, autant elle éprouve de sérieuses difficultés à traduire une telle capacité politique en performance lorsqu’il s’agit des urnes.
En effet, le passage des options révolutionnaires à l’option électoraliste (à partir de 1981) s’est effectué, du côté de la gauche traditionnelle, sans ne subissent des mutations nécessaires les méthodes d’organisation, le discours, la question des moyens, les modes de liaison avec les populations, les procédures de prise de décision, la nature du leadership et les stratégies d’alliance. Autant le schéma classique de prise du pouvoir reposait sur des principes fortement identitaires parce que inspirés par une idéologie forte et alors apparemment en marche (le marxisme), autant la politique en temps électoral est une « dynamique », c’est-à-dire un mouvement beaucoup plus complexe où c’est le nombre d’électeurs qui prime sur la qualité de l’avant-garde : le leader du parti et le citoyen lambda ont exactement la même valeur devant les urnes.
En d’autres termes, le processus électoral est autrement plus complexe que la linéarité de l’assaut insurrectionnel qui est une forte concentration des forces en un temps hautement tendu qui dénoue de façon violente une crise politique définie comme le moment où les gouvernants ne peuvent plus gouverner et les gouvernés ne veulent plus être gouvernés. Une telle schématisation (formalisation) est loin de correspondre au temps électoral dont la caractéristique propre est de faire bouger les lignes indépendamment de plus en plus de l’identité idéologique.
Alors que dans la logique révolutionnaire, les gens en général et les classes laborieuses en particulier n’avaient rien à perdre et s’identifiaient collectivement, aujourd’hui les citoyens électeurs cherchent à tout gagner et s’identifient de plus en plus individuellement en termes d’intérêt particulier et immédiat. C’est toute la différence entre l’option révolutionnaire qui a historiquement vécu et l’option électoraliste qui est devenue largement partagée. On peut ainsi dire que les mutations socio-politiques ont peu inspiré les mutations dans les « manières de faire » de la gauche traditionnelle.
Quid des autres adversaires de Wade ? Niasse entreprenait sa deuxième expérience électorale propre avec un Parti qui n’est vieux que de 8 ans. Tanor vient de sortir de l’épreuve de mars 2000 avec un appareil qu’il ne contrôle pas entièrement au regard de la défection de Robert Sagna (4% des suffrages) et il fait plutôt son baptême de feu électoral. Idrissa Seck ne pouvait espérer constituer une sérieuse menace pour Wade qu’à condition d’aller jusqu’au bout de sa logique de confrontation et en se dotant d’un appareil efficace qui se construit dans la durée. Justement, une élection supposant un tel appareil, il était illusoire de croire en une performance des candidatures indépendantes.
Hypothèse 3. L’absence de bipolarisation a favorisé le candidat sortant.
Depuis 2000, la cartographie politique est demeurée identique : Wade face à une multiplicité d’adversaires. En sept ans, il ne s’est pas produit une bipolarisation significative apte à structurer de fortes lignes de démarcation. Or, l’histoire politique du Sénégal, notamment en matière d’élection, a toujours été animée par des couples bipolaires : Blaise/ Ngalandou Diouf, Senghor/Lamine, Senghor/Dia (durant le bref épisode de 62), Wade/Senghor, Diouf/Wade. Ce sont ces productions politiques qui ont durablement marqué notre scène politique et rendu claires et nettes les alternances : Senghor bat Lamine, Wade bat Diouf après cinq batailles présidentielles. Qui a entendu le couple Naisse/Wade ? Wade/Tanor ? Bathily/Wade ?
Les électeurs se sont d’abord identifiés, dans de longues périodes, à des couples, au regard des résultats des élections depuis 1978 au moins. La seule tentative plus ou moins prolongée de bipolarisation est venue, paradoxalement du camp libéral (Gorgui/Ngorsi, Wade/Idy) populairement structuré autour du critère puissance (pouvoir et ressources) rendu par le fameux « Mo ko yor ». En d’autres termes, qui de Wade et Idy détient la puissance du pouvoir et de l’avoir ?
Etrange destin du politique lorsque nous descendons dans les méandres de l’histoire alcôves politiques ! De deux choses l’une. Ou Idrissa Seck a bien assimilé la leçon politique qui veut que les numéros deux ont eu souvent peu de baraka. L’histoire du Pds a été une suite de meurtre politique des seconds ou des prétendants à une telle posture : Serigne Diop, Fara Ndiaye, Ousmane Ngom. Il aurait sans doute alors compris que la politique est le lieu des risques et des paris, et qu’avec le « Vieux », surtout dans les conditions d’exercice du pouvoir, seul le rapport de force peut positionner celui qui l’entreprend dans une posture d’avenir. Où l’épreuve de force, en sus de sa volonté d’être le candidat du camp libéral en 2007, pour créer la bipolarisation après capitalisation de l’histoire des couples bipolaires dans notre tradition électorale.
Dans tous les cas, il n’en a ni eu le temps ni les moyens en termes d’appareil et de ralliement autour de sa candidature, comme il l’avait souhaité, de l’opposition. Wade s’est présenté donc avec un seuil très élevé de cohésion, de cohérence et d’homogénéité. Il fait face à une opposition atomisée, peu expérimentée électoralement en tant qu’appareil et candidatures, et, facteur nettement aggravant, une pluralité de candidatures indépendantes dont certaines ont été fortement soupçonnées de semer la diversion. Le candidat sortant a sans doute compris que toute bipolarisation, voire toute apparence de bipolarisation, pouvait être politiquement et électoralement coûteuse. Il l’aura évité jusqu’au bout. Après, on ne donne pas à l’adversaire les moyens de nous abattre.
Dans la première semaine de la campagne, Moustapha Niasse a semblé incarner l’autre pôle du couple, suite aux sorties du Directeur de campagne de Wade confirmées par ce dernier, et la réplique de Moustapaha Niasse. Ensuite, c’était autour de Tanor, ensuite de Idrissa Seck dans la dernière semaine de la campagne. En politique, surtout en temps électoral, les signes, les apparences, les symboles et les images jouent beaucoup parce que, au fond, ils sont autrement plus décisifs que la réalité brute.
Hypothèse 4. Une élection est une question de projet et non de réalité uniquement (bilan côté candidat sortant, entreprise « dénonciatoire » du côté des adversaires).
Nombreuses expériences électorales l’attestent amplement. Lionel Jospin, au bilan élogieux lors de la cohabitation ave Chirac (97-2002), aurait sans aucun doute été le Président le mieux élu de la Ve République. Plusieurs analystes ont indiqué que son échec est, en partie, du au fait qu’il a beaucoup regardé dans le rétroviseur, valorisant le passé et se souciant peu de l’avenir. Or, une élection est une question d’avenir et non de passé. De même, George Bush n’aurait jamais été réélu si cela ne tenait qu’à son bilan : au plan économique et social, les Etats-Unis ont connu plutôt des moments désastreux. Regardez ailleurs, parce que les électeurs sont dans le temps de l’attente et dans les méandres nostalgiques du souvenir. Ils espèrent le projet qui porte leur rêve et non le discours qui supporte leur misère.
Durant une bonne partie de la campagne, les adversaires de Wade ont plus parlé du bilan de ce dernier que des projets qu’ils proposent aux électeurs (plusieurs groupes de jeunes à Dakar et à l’intérieur du pays nous l’ont dit, une semaine après l’élection présidentielle). L’angle « dénonciatoire » qu’ils sont adopté a frôlé le nihilisme au moment où Dakar était en chantier (quelle que soit par ailleurs l’appréciation que les uns et les autres peuvent en avoir) et où beaucoup de zones dans le pays ont enregistré des réalisations dans plusieurs domaines. L’emphase sur les affaires politico-financières, d’un point de la morale, n’a pas eu d’impact, nombre d’électeurs ayant intériorisé que de « toutes les façons, ceux qui sont au pouvoir ne peuvent que s’enrichir », et, dans une posture fataliste consommée, s’occupent plutôt de leur vécu quotidien. Chirac aurait-il été relu en 2002 si les électeurs français ne se souciaient que de l’orthodoxie et de l’éthique dans la gestion des affaires publiques ?
Il n’est pas question d’accepter un seul instant le rapport d’accaparement ou de dilapidation que nos gouvernants ont souvent avec les biens de tous. Mais la réalité outrepasse, comme toujours, les formalisations et les principes surtout dans le domaine politique qui n’est ni morale ni logique, mais hélas trop souvent dans le registre de la dynamique, de la ruse et du froid calcul. Pendant ce temps des grandes envolées sur « l’échec de Wade », « l’éthique de la gestion » et la trop forte cristallisation autour d’un « second tour inévitable », le candidat sortant brandissait ses « réalisations » et surtout ses promesses. Il faisait rêver les électeurs avec sa « centrale atomique », « ses usines », ses « aéroports », ses « quais de pêche », ses « infrastructures », ses trains » qui vont désenclaver des régions, ses « mesures pour le monde rural », etc .
Une élection n’est un moment de réalisme. Elle se déroule sous le mode de la volonté et de la promesse. Les électeurs ne votent en général que peu en souvenir du passé. Leur élan au moment décisif, face à l’urne, est plutôt porté et motivé par le souvenir anticipé de ce qui leur est promis. Le réalisme des candidats de l’opposition ne pouvait alors que coûter cher d’autant plus que la logique « dénonciatoire » a été poussée au point de conduire certains candidats à commettre de sérieuses erreurs dans le discours. Je n’en veux que quelques exemples de maladresse en temps électoral où certaines questions sont ultra sensibles. Question 1 : la présence des Chinois. Ce sont des centaines de jeunes revendeurs à la sauvette, des milliers de personnes à Dakar et à l’intérieur du pays qui trouvent « leur compte » avec les Chinois.
Les articles qu’ils proposent, certes de très mauvaise qualité, sont d’un coût modique permettant aux jeunes revendeurs de se faire des marges intéressantes et aux familles modestes de s’approvisionner à l’occasion de l’ouverture des classes et des diverses fêtes, mais aussi en fonction des besoins quotidiens, à moindre frais. L’Unacois et d’autres bonnes volontés représentatives du nationalisme économique, qui subissent une concurrence sauvage des Chinois, n’ont jamais bénéficié du soutien de ces centaines de jeunes revendeurs encore moins des consommateurs. Un candidat, invité dans le cadre des rencontres patronales lors de la campagne, a été à mon avis très peu inspiré en étant trop nuancé face à la question des Chinois.
De quoi conforter les patrons et s’aliéner sans doute des milliers de voix du côté des « consommateurs » et des « petits revendeurs ». D’autres candidats traiteront les accords avec l’Espagne de façon plutôt peu diplomatique en indiquant clairement qu’ils allaient remettre en cause ces accords. Or, pour plusieurs centaines de jeunes et leurs familles, au-delà des informations sur les 13 milliards que l’Espagne aurait mis à la disposition du Sénégal, il y a l’enjeu capital des « visas disponibles » : l’espérance est la chose au monde la mieux partagée dans une situation de désastre social. Du coup, la remise en cause des accords avec l’Espagne est perçue, auprès des jeunes et de leurs familles comme une remise en cause des « visas mis à disposition ».
Enfin, comment ne pas relever l’ambiguïté du discours sur les chantiers ? Un entrepreneur m’a personnellement dit avoir tiqué lorsqu’un candidat s’est proposé, une fois élu, de procéder à l’audit de tous les chantiers. Excellente proposition dans le climat surréaliste de la bonne gouvernance ! Mais au Sénégal, depuis 2000, audit rime avec DIC et prison. Et on venait de clore à peine l’épisode de l’entrepreneur Btp Bara Tall dont les employés ont frôlé le chômage technique. Comment dès lors ne pas inquiéter tous ces entrepreneurs, sous-traitants, leurs fournisseurs, leurs employés et leurs familles ? Je ne défends nullement qu’il ne faille, en politique et singulièrement en temps électoral, mettre les cartes sur la table, voire être tranché. Mais seulement lorsqu’il le faut, où et quand il le faut. Une campagne électorale est comme un ring : on n’y affiche pas publiquement toutes ses cartes pour battre l’adversaire. C’est toujours après le combat que se livre le secret des moyens utilisés. Après tout, la politique n’a jamais été un boulevard transparent. Elle est un chemin par excellence escarpé, avec des recoins, ses points de croisements, ses bifurcations, ses clartés et ses ombres. Surtout lorsque, au finish, on doit conforter les électeurs acquis et rallier les indécis. En politique, la nuance autant que la fermeté sont des vertus, pourvu qu’elles s’adaptent à des situations qui, en temps électoral, voient leur sensibilité accrue.
Hypothèse 5. Le « trou noir des 3 millions » et des « 15% ».
Un fichier qui passe de deux millions à environ cinq millions ! Un taux de participation qui passe d’une moyenne de 60 à 75% ! Peu d’observateurs et d’analystes ont prêté une attention sérieuse à ces performances. Car, le tout est de savoir comment se sont distribuées les 15% supplémentaires du taux de participation. On peut croire que non seulement les relais du Pds ont été pour beaucoup dans l’inscription de ces « jamais inscrits jamais votants », mais également, grâce aux moyens et aux attraits du pouvoir, les orientés et encadrés jusqu’au jour du vote.
Dans la chronique que j’animais pour le site web Nettali.com, reprise par le quotidien Le Populaire, j’ai publié un petit papier intitulé Les invisibles. J’y faisais état de celles et de ceux qui n’ont pas d’adresse sociale. Mes cousines séreer pileuses aux alentours du stade Iba Mar Diop, les jeunes éclopés des banlieues profondes, mon jeune parent du Fouta qui nous cire les chaussures, le petit revendeur à la sauvette, le jeune apprenti chauffeur ou mécano ou plombier ou menuisier ou tailleur ou maçon le petit délinquant spécialiste compétent des petits larcins, le candidat à l’émigration clandestine, la bonne qui songe au maintien de son maigre salaire et qui est peu portée au changement, l’émigré qui acquiert la nationalité et qui reste dans cloisonné dans sa communauté d’origine, en somme des gens que l’on rencontre tous les jours sans vraiment les voir. Parce qu’ils ne sont pas dans l’espace moderne de visibilité que sont les médias, parce qu’ils ne sont pas dans les partis, parce qu’ils sont pas dans les syndicats, parce qu’ils ne sont pas dans la controverse publique.
Et si l’on sait que les invisibles se soucient peu des « outils d’identification nationale », tels la carte d’identité ou le passeport (n’ayant aucun espoir de voyager hors du territoire national), il n’est pas étonnant, avec la possibilité ouverte et la gratuité des cartes (d’identité et d’électeur) numérisées, accompagnée de l’encadrement des relais libéraux, qu’une bonne partie des 3 millions d’inscrits supplémentaires et les 15% de votants supplémentaires soient issues de cette partie oubliée de nos acteurs politiques. J’ai été très frappé, lors d’une visite en infra-banlieue, de voir partout, dans les baraques les plus douteuses, visiblement habitées par la misère et le manque, apposées partout des posters du candidat sortant. Je prolonge cette hypothèse pour penser que le débat autour de l’âge du Président, qui le disqualifierait selon plusieurs candidats ou leurs relais, a sans doute eu un effet sur l’électorat du troisième âge.
Selon plusieurs observateurs, à Dakar comme à l’intérieur du pays, les personnes du 3e âge ont massivement voté. Bénéficiant désormais de la gratuité des soins de santé, peu portés au risque et au mouvement, leur identification à Wade ne s’en trouve que plus naturelle. Une des affiches de campagne du candidat sortant, dans le port comme dans le regard et les couleurs renvoient au calme et la sagesse du 3e âge, mais aussi à l’expérience, à l’assurance et à l’élégance de celui qui atteint cet âge merveilleux dans la vie. Ce qui est perçu comme un handicap peut se transformer en atout, dans un contexte de scrutin présidentiel au suffrage universel direct, de surcroît qui met en jeu la rencontre entre et des électeurs qui ont exactement le même poids, au-delà de l’âge, du sexe, de l’origine sociale et du niveau d’instruction.
Hypothèse 6. Les jeunes qui ont porté Wade au pouvoir en 2000 n’ont pas sans doute pensé juste de le renvoyer ainsi dans l’opposition après un seul mandat.
Ceux qui n’ont connu que lui comme Président (ils avaient entre 12 et 14 ans) en 2000, et ils ont été nombreux dans les bureaux de vote, n’ont sans doute pas été saturés par leur premier Président de la République. L’expérimentation n’est pas le monopole des laborantins. Dans le champ politique, surtout en temps électoral, les motivations sont souvent insondables. Travaillant beaucoup avec le mouvement hip hop depuis des années, en termes de conseil et de relecture de texte, je peux témoigner de la sympathie que plusieurs de mes jeunes amis rappeurs ou fan’s du mouvement hip hop, dont les textes sont iconoclastes, ont exprimé pour le Président sortant.
Il me semble également possible que les jeunes, comme plusieurs autres électeurs, ont demandé au « Vieux » de terminer ses chantiers, l’inquiétude étant qu’une alternance pouvait remettre en cause ce qui est entamé. A défaut d’une proposition forte, nourrie des attentes des citoyens, ouverte radicalement sur l’avenir, portée par un candidat bénéficiant d’un leadership incontestable et identifié comme principal challenger du candidat sortant et donc capable de lui imposer un ballottage à défait de le battre, les électeurs ont choisi nettement la continuité.
Hypothèse 7. La connaissance et la maîtrise du fichier électoral.
Le temps des grands récits idéologiques passé, le temps des blocs identitaires en voie d’effritement, l’électeur se retrouve seul avec ses inquiétudes et ses attentes, ses modèles propres de consommation de la chose politique et ses habitudes. Il est, depuis au moins plus d’une décennie, le gestionnaire de ses propres choix, disposant de moyens considérables de s’impliquer par sa parole dans l’espace public grâce au formidable essor des relais médiatiques et la culture de l’interactivité. L’électeur acquiert de plus en plus une autonomie par rapport au groupe, prend conscience du poids de sa carte d’électeur, se construit une opinion propre et discerne ses propres intérêts.
Il y une sorte d’atomisation de la société, termes non pas seulement de groupes d’intérêts constitués, aussi et de plus en plus d’individus avec diverses formes de conscience. Le ndigueul, l’injonction des chefferies traditionnelles, le contrôle administratif du commandement territorial sur le vote des citoyens, l’hégémonie du chef de famille, toutes ces configurations semblent de plus en plus faire leur temps. Le discours électoral ne peut plus ne pas tenir de cette mutation. Il ne peut plus s’adresser à des entités figées. Il sera de plus en plus soumis à aller vers chaque électeur, à prendre en compte des parcelles disséminées et trop diversifiées d’attentes.
En art du discours, ont dit qu’il y a trois parties : l’orateur, le discours lui-même et l’auditoire. Une règle majeure en la matière est de connaître cet auditoire afin que le discours puisse avoir prise sur la réalité, la réalité des attentes, la réalité des formes de conscience, la réalité des comportements. Voilà pourquoi l’étude pointue du fichier électoral pour identifier le profil des électeurs) ainsi que les sondages (pour avoir une visibilité sur les tendances, les intentions de vote et éventuellement sur les motivations, deviennent des voies obligées pour qui veut articuler un discours capable de faire basculer le cours de l’histoire. L’affaire Thierno Ousmane Sy, si affaire il y a vraiment, est révélatrice de cette tendance.
Dès lors que le fichier est accessible à tous grâce au Net, entre autres, il est loisible à chacun de s’en servir comme outil de travail, comme paramètre dans la stratégie électorale, notamment en termes de connaissance et de maîtrise du profil des électeurs, d’identification des relais porteurs de voix, de profilage des différentes zones (potentiel d’électeurs, tendances, forces et faiblesses du candidat, risques et opportunités, attentes des populations, etc). Une élection est aujourd’hui une question de marketing : aucun candidat ne peut plus se vendre sans connaître les consommateurs, de la même qu’un produit, quelle qu’en soit la qualité et le prix, ne peut se positionner sur le marché sans au préalable une connaissance fine des attentes du consommateurs, de ses préférences, de ses goûts, de son imaginaire, etc.
C’est la connaissance critique de toutes ces variables qui permet de vendre le produit (ou le candidat) sous un certain angle, selon une facette hautement identitaire qui prend en compte l’acheteur virtuel, ou l’acheteur réel ou encore l’acheteur réel virtuel. Il s’agit ainsi là d’un enjeu d’autant plus capital que la « culture » est de plus en plus éclatée, diversifiée, en perpétuelle mutation, en incessant renouvellement et en permanente recomposition. Les couleurs et les goûts changent très vite, nous sommes tous pris dans le vertige de l’instantané et du virtuel. Avec de nouvelles langues, de nouveaux codes, de nouveaux habitus.
Avec l’individualisation des projections, des désirs et attentes. Nous n’avons plus, en réalité la culture de nos pères, encore moins nos enfants (génération du net et du sms, d’ici et de l’ailleurs, de l’imaginaire et du rêve, du proche et du lointain, de l’interactivité et de la vitesse). Désormais, aucun candidat ne peut plus ignorer ce bouleversement social et culturel né, entre autres, du formidable essor technologique dans le domaine de l’information, du son, de l’image et des immenses possibilités d’accès offertes aux citoyens. Chaque clic est une nouvelle découverte qui crée de nouvelles attentes. Chaque nouvelle tendance relayée par les médias fait naître de nouvelles ambitions.
Le seuil de contrôlabilité et d’orientation des comportements, ici en matière électorale, dépend du seuil de connaissance des électeurs-consommateurs. Au regard des « révélations » de la presse sur les « confidences » de Thierno Ousmane Sy, le candidat sortant avait bien de l’avance de ce côté. Dans l’époque du mode électoral comme mécanisme de prise ou de conservation du pouvoir, la politique n’est plus question de volonté et de subjectivité. Elle exige, même si elle art, une bonne dose de professionnalisme, c’est-à-dire de calcul et de méthode.
Hypothèse 8. La communication politique est de plus en plus au cœur des élections.
Dans l’histoire, les forces armées ont les premières à comprendre l’enjeu de la communication qui est un paramètre décisif dans toute stratégie militaire. Les entreprises suivront au fur et à mesure que l’offre de produits se diversifie. La sphère politique s’en rend surtout avec la péremption des modes classiques de la politique fondés sur la logique classe contre classe. Conforter et fidéliser les électeurs acquis, séduire et rallier les indécis, faire douter les adversaires : le cœur des batailles électorales est là. Encore faut-il, au même titre que les stratégies marketing dans le registre commercial, développer une masse critique de connaissance du profil, des attentes, des habitudes et des comportements des électeurs pour espérer faire bouger les lignes et se positionner efficacement.
Les élections ont leur loi tout comme le marché : l’offre et la demande dans un processus sans fin d’ajustement de l’offre à la demande. Loi d’airain ! Mais dès lors que l’offre est formulée, qu’elle prend effectivement en compte une demande bien identifiée, il faut être en position de « vendre le produit ». Communiquer : tel est le défi. L’élection de février 2005 n’a pas échappé à la règle. Mais autant nous avons enregistré beaucoup de candidatures, autant nous avons assisté à peu de communication, et souvent à de piètres positions de communication. D’abord le visuel.
Tous les candidats, sauf Abdoulaye Wade et Idrissa Seck se sont limités à des affiches de format A4 et A3, apposées un peu partout sans approche stratégique, mêlées le plus souvent à ces sauvages affiches d’artistes musiciens qui viennent de sortir un tube. Les photos sont statiques, avec une colorimétrie des plus douteuses, des arrière-fonds sans âme et des slogans trop « intellectuels ». Les affiches de Wade, de toutes sortes de dimension, y compris le 12 et le 18 m2 n’ont pas seulement été partout visibles (75% des panneaux publicitaires). Elles ont frappé par le professionnalisme dans la conception et la présentation technique, la simplicité des slogans et la diversité des accroches et des déclinaisons (variées et concrètes).
L’image était rencontrée partout, à moins que soit elle-même qui est allée partout rencontrer les électeurs et les non électeurs. « Posture présidentielle », « symbole du troisième âge », « homme d’action » et une campagne d’affichage qui a fait plutôt parler des chiffres illustrées par des images qui ne peuvent laisser indifférentes. A Dakar et partout dans le pays. C’est la meilleure campagne de Wade du point de la communication. Sa présence physique se trouve ainsi être prolongée et maintenue par une présence visuelle qui, à son tour, est rendue plus significative par la présence physique.
L’image gagne la mémoire, elle s’incruste finalement dans les tréfonds de l’imaginaire et se donne une visibilité maximale jusque dans l’isoloir. Ce processus facilite le choix de l’électeur. La couverture de la campagne par la télévision révélera également ce « déficit » de communication. Tout se passe comme les candidats, dans leur majorité, n’avaient pas de conseillers attitrés. Plans flous et posture aux antipodes de la culture télévisuelle, monologues linéaires et souvent trop raides, phrases longues et mal articulées donneront une très mauvaise perception de plusieurs candidats.
On peut même avoir le meilleur discours, si déclinaison n’est pas faite dans les règles de l’art, il perd sa puissance. La télévision, média politique par excellence en temps électoral, est un redoutable instrument. Elle a sa culture, ses codes, ses exigences. Un candidat est une star dont le rapport à la télévision révèle forcément le talent ou l’incompétence. Morale : la communication est à la fois un métier et un investissement. On ne peut plus prétendre à un poste électif si on ne la considère pas comme un paramètre décisif de la stratégie globale. A défait de la prendre au sérieux, on amène les autres à nous prendre très peu au sérieux. La communication nécessite cependant des moyens. Hélas, la plupart des candidats avaient des budgets de campagne plutôt modiques !
3. Ce que nous ne savons pas et que nous aimerions savoir : 3 Questions
Question 1. L’opposition a accusé le candidat sortant et son ministre de l’Intérieur d’avoir utilisé l’Etat et les moyens de l’Etat pour « frauder ».
En l’état actuel de nos informations, il n’y a pas encore des éléments probants pour étayer une telle thèse. Sont mis en cause le fichier qui serait « trafiqué », la non distribution d’un lot important de cartes, la poursuite du vote au-delà de l’heure prescrite dans certaines localités, la Cena qui n’aurait pas joué véritablement son rôle…. Personnellement, je ne dispose pas d’informations précises et fiables pour entrer dans ce débat. Je remarque simplement que les médias, la société civile, les observateurs et la Cena n’ont jusqu’ici pas formulé des réserves sérieuses sur le déroulement global du processus électoral.
Question 2. Quel est le rôle exact de l’argent dans le comportement des électeurs ?
Là également, en dehors d’études fiables, il est difficile de se prononcer. Personne ne peut nier cependant la présence de l’argent comme moyen d’orientation d’un vote, mais son poids réel reste à déterminer.
Question 3. Le profil des électeurs, leurs motivations, leurs préférences et leurs votes demeurent également encore dans une zone d’ombres. Hors, on atténuera très fortement les seuils de contestation lorsque de véritables études seront une tradition, lorsque les sondages et leur publication seront autorisés, lorsque les spécialistes des sciences et pratiques sociales prêteront davantage attention au phénomène électoral, mais aussi lorsque les acteurs (partis politiques, journalistes, société civile, organes de supervision et de contrôle, etc) joueront leur véritable rôle et se départiront des approches strictement partisanes et souvent trop peu professionnelles.
Il est quand même étonnant que les Sénégalais restent encore dans l’ignorance la plus totale des différents facteurs explicatifs de leur vote. Qui a voté pour qui ? Pourquoi ? Dans quelle zone ? Quelle tranche d’âge ? Quel sexe ? Autant de questions qui jurent d’avec les explications fantaisistes, courtes et obscurantistes. Car, il s’agit avant de nous connaître nous-mêmes pour pouvoir maîtriser nos passions et nos pulsions.
* El Hadj Kassé est un journaliste, philosophe et écrivain Sénégalais. Il est l’ex-Directeur Général du Quotidien National Le Soleil. El Hadj kassé est un fin analyste de l’actualité sociale et politique sénégalaise. Il est l’auteur de plusieurs publications.
P.-S: Ce texte est une sorte de prélude à un livre collectif rédigé en collaboration avec les journalistes Sénégalais Mamoudou Wane et Barka Bâ.
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