Sénégal : Quelles options pour les candidats potentiels face à la nouvelle donne électorale
L’élection présidentielle de février 2012 au Sénégal se profile dans une atmosphère de tension entre le pouvoir et l’opposition. Une situation de crise renforcée par un flou institutionnel et une manipulation constante de la Constitution. Dernière mesure qui suscite une levée de boucliers : la décision prise par le président Abdoulaye Wade d’instaurer un ticket président-vice président, pour les élections à venir. Pour Moubarack Lô, «une telle architecture ne participe guère à ce dont le Sénégal a besoin aujourd’hui pour accélérer sa marche vers l’émergence». En attendant, elle impose une réorientation des schémas politiques.
La réforme du schéma présidentiel (Ndlr : avec un ticket président-vice président) initiée par Abdoulaye Wade, si elle arrive à son terme, aura pour effet de rebattre entièrement les cartes de la prochaine élection présidentielle. En l’engageant, huit mois avant février 2012, le président Wade semble jouer contre la montre, pour ne pas empiéter sur le délai de six mois fixé par la Cedeao comme limite pour changer les règles électorales avant la tenue du scrutin.
Une révision constitutionnelle de cette ampleur, parce qu’elle change profondément le mode de succession à la tête de l’Etat, ne devrait pouvoir être menée que par referendum. Même si le peuple, en votant pour un ticket, donne en quelque sorte une certaine légitimité au vice-président. Mais il ne pourrait s’agir que de légitimité empruntée car, y compris aux Etats-Unis, référence en la matière, la personnalité du vice-président ne compte que modérément dans le choix de l’électeur qui est principalement déterminé par l’adhésion au candidat-président.
Il s’y ajoute qu’en instituant un vice-président, désormais puissant, parce que potentiel futur président, et en gardant le poste de Premier ministre dans l’architecture gouvernementale, la réforme engendrerait un monstre institutionnel quasi-inexistant dans le monde. Elle propulserait également au sommet de l’Etat un trio explosif qui devra convaincre de sa capacité à fonctionner de manière eurythmique. Et, en vérité, une telle architecture ne participe guère à ce dont le Sénégal a besoin aujourd’hui pour accélérer sa marche vers l’émergence. Tel n’est sans doute pas le souci premier du président Wade, dont la principale préoccupation est, aujourd’hui, de sauver son régime d’une défaite très probable aux prochaines élections.
De fait, comme l’ont déjà indiqué plusieurs analystes, en modifiant la donne, le camp du président Wade augmente quelque peu ses chances de sortir victorieux de l’échéance électorale, mais, en cas de second tour, il ne bénéficierait presque en rien de la réforme, en comparaison de la situation d’avant-réforme ; son colistier jouant un rôle comparable à celui d’un simple allié d’entre deux tours. Comme le redoute Moustapha Niasse (Ndlr : un des leaders de l’opposition), le vrai objectif d’Abdoulaye Wade pourrait donc être de cumuler l’introduction du ticket avec la suppression du second tour. C’est le choix optimal qu’il a peut-être déjà à l’esprit et qui serait mis en œuvre grâce à un amendement, en catimini, porté par un député ou un sénateur lors du vote de la loi constitutionnelle au Parlement. Si le peuple ne s’y oppose pas, cette réforme devrait passer sans difficulté, en raison du fait majoritaire au Parlement.
L’opposition gagnerait à anticiper tout cela et à adopter une stratégie de riposte. D’ores et déjà, elle va, sans doute, rejeter la réforme instituant le ticket, à travers des communiqués et d’éventuelles manifestations de rue, mais l’on peut penser qu’elle ne pourra pas l’empêcher s’il ne lui est associée une modification du type de scrutin, le peuple considérant dans ce cas la question de prime abord purement technique. L’analyse qui suit, ne prend donc en compte que le cas où la ‘réforme dite du ticket’ entre en vigueur.
LES ACTEURS
Plusieurs acteurs auront à revoir leur stratégie électorale :
- Abdoulaye Wade et ses alliés ;
- les libéraux qui sont entrés en conflit ouvert ou feutré avec Wade ;
- l’opposition regroupée dans le Benno Siggil Senegal (ensemble pour relever le Sénégal) ;
- les candidats indépendants qui se sont déclarés.
LES CRITERES DE DECISION
Le type de scrutin (un seul ou deux tours de scrutin) constitue le facteur le plus décisif dans la détermination de leur choix stratégique, à l’exception du candidat Wade qui va presque uniquement se focaliser sur le choix du colistier, étant entendu qu’il détient par-devers lui les règles du jeu électoral. Les solutions optimales des candidats potentiels sont présentées ci-après.
Pour les membres du Benno, partisans des Assises nationales, l’option du ticket ne va pas les dévier de leur stratégie de présentation d’un candidat unique, en lui associant, si nécessaire, un colistier, et ce quel que soit le type de scrutin choisi. Leur vrai défi consisterait à convaincre les autres candidats potentiels de l’opposition et de la société civile à constituer un front commun derrière le candidat du Benno en cas de passage à un scrutin à un seul tour. Le ticket ne consisterait qu’un éphémère système, qui serait réformé dans le cadre du referendum prévu dans la période de transition.
Pour les candidats indépendants également, il ne devrait pas y avoir de changement majeur, sauf pour ceux d’entre eux qui se sentent plutôt proches de l’opposition et qui accepteraient de renoncer à se présenter si le type de scrutin arrivait à être modifié.
Pour Abdoulaye Wade, le colistier doit lui permettre de corriger deux handicaps, celui de l’âge et celui du mécontentement des couches sociales en zone urbaine comme rurale. Il serait donc enclin à choisir un colistier jeune et populaire à la fois. Il le choisirait sans doute parmi les politiques, notamment chez ses ex-partenaires qui l’ont quitté, Idrissa Seck et Macky Sall en tête. Son association avec son fils Karim Wade étant presque impossible à envisager, pour des raisons de nature différente.
L’option d’un ticket Abdoulaye Wade - Idrissa Seck fait partie des pronostics classiques des analystes. Il faut y ajouter désormais une option Abdoulaye Wade - Macky Sall. Les relations heurtées entre la famille Wade et Seck pourraient rendre improbable leur présence commune sur un ticket. En revanche, Wade pourrait sérieusement considérer l’option d’un ticket avec Macky Sall, eu égard au travail de terrain effectué depuis deux ans par ce dernier et au fait qu’il conserve une réelle sympathie parmi les membres du Pds, y compris chez les parlementaires et élus locaux. Le tout est de savoir si Macky Sall sera dans les dispositions de se retrouver avec Wade, après être entré en bisbilles avec lui. Le fait qu’il ait déclaré dans un passé récent qu’il ne cheminerait plus avec Wade, ne garantit nullement qu’il ne pourrait pas revenir sur sa parole. Sa décision sera plutôt guidée par des facteurs purement stratégiques.
En fait, Macky Sall a démarré sa campagne électorale avant tout le monde, en parcourant plus de kilomètres que n’importe quel autre candidat potentiel. Porté par des sondages et des échos favorables, au Sénégal comme à l’étranger, il avait très certainement pris la décision d’aller seul aux élections, en envisageant des retrouvailles avec le Benno au second tour. La réforme concernant le ticket modifie quelque peu ses options. On peut même penser que c’est l’acteur politique majeur, dont la stratégie électorale sera la plus affectée par la réforme de Wade, surtout si le mode de scrutin est modifié pour introduire une élection à un tour. Dans un tel cas, il lui faudra choisir entre s’aligner avec le Benno ou avec Wade, ou opter pour une troisième voie assez risquée pour un scrutin à un seul tour. Si le type de scrutin demeure à deux tours, Macky Sall opterait sans doute pour sa propre candidature avec l’espoir de représenter l’opposition dans l’étape finale et de bénéficier d’un rassemblement des forces politiques et sociales opposées au maintien de Wade au pouvoir.
Dans tout cela, il y a une constante, valable pour toutes les franges de la classe politique. Par principe, le colistier doit apporter au candidat une réelle complémentarité, plutôt que de copier ses forces ou ses faiblesses. Il doit permettre de capter un électorat que celui-ci aurait peut-être du mal à attirer.
* Moubarack Lô est économiste, responsable d'un mouvement de la société civile sénégalaise