Sénégal : Enjeux majeurs pour le XXIème siècle

Du projet constitutionnel au chantier des vallées fossiles

En dehors des urgences du court terme, qui renvoient au panier de la ménagère et au coût de la vie, le Sénégal, sorti en juillet 2012 d’élections législatives confirmant les présidentielles de mars, fera face, à court terme, à un nouveau tournant décisif. En effet, outre les épreuves géostratégiques et de sécurité sur ses frontières avec la Mauritanie et le Mali, nous sommes en face d’enjeux économiques d’une décennie décisive et d’incertitudes.

Contrairement à ce que suggère le Premier ministre sénégalais Abdou Mbaye, dans son discours de politique générale, qui, dans la foulée et l’esprit du programme assez classique que déroulait le chef de l’Etat durant sa campagne électorale, dresse, non pas un diagnostic mais un état des lieux, certes instructif et précieux, il ne s’agit pas seulement de promettre 600 000 emplois à une jeunesse inquiète et un mieux-être à des familles sinistrées. Pour gérer mieux que Wade et rompre avec ses pratiques erratiques, il est impossible de ne pas établir en urgence, le bilan relatif à la manière dont l’économie nationale porteuse de croissance de mutations structurelles et de plein emploi, a été mal gérée pendant plus d’une décennie.

Il le faut pour marquer les ruptures nécessaires, inventer une économie industrielle et post industrielle incontournable à l’échelle de l’Ouest africain tout en s’attaquant aux urgences que confrontent les populations. Cela suppose que l’on identifie et opère les options stratégiques, d’ordre institutionnel, économique, géopolitique et régional qui s’imposent. Ces choix mobilisaient jusqu’en 2000 contre la politique d’Abdou Diouf, voire celle de Senghor, en vue d’une alternance alternative. On sait ce que Wade a fait de ces attentes. La référence appuyée du Premier ministre Abdou Mbaye, lors de son discours programme du 10 septembre 2012, à l’endroit des réflexions et recommandations fécondes, issues des Assises nationales, même si, pour certains, la qualité du rapport final n’est pas à la hauteur des attentes, a retenu l’attention. Cependant, cette simple référence ne saurait ni suffire, ni rassurer.

En dehors des urgences du court terme, qui renvoient au panier de la ménagère et au coût de la vie, le Sénégal, sorti en juillet 2012 d’élections législatives confirmant les présidentielles de mars, fera face, à court terme, à un nouveau tournant décisif. En effet, outre les épreuves géostratégiques et de sécurité sur ses frontières avec la Mauritanie et le Mali, nous sommes en face d’enjeux économiques d’une décennie décisive et d’incertitudes.

L’histoire continuée d’un demi-siècle, incite sur ce plan, à mettre en observation le nouveau régime. Il le faut, face au programme de gestion d’un gouvernement confronté au legs de Wade et qui cherche ses marques. Il le faut également face à l’avenir immédiat d’une population sortie exsangue d’une décennie d’extravagances, de folies et de mégalomanie. Wade, et on y reviendra, car c’est sa marque, aura fait passer l’endettement public contracté sous Senghor et Diouf et largement effacé après 2000, à 1023 milliards en 2006 et à 2704 milliards en 2011 ; soit à 41 % du PIB avec un déficit budgétaire de 455 milliards, soit 6,7 % du Pib.

En 1950 le Sénégal était plus industrialisé que la Corée devenue, par la suite, un « Dragon » avec une des économies des plus compétitives de la Planète. Le Sénégal, resté en l’état quand il n’a pas régressé, verra en 2030 sa population, déjà mise en crise face au sous emploi, passer à plus de 20 millions d’habitants. C’est par rapport à ces données et à la logique de la Méga économie établie ou émergente de compétitivité mondiale, qu’il faut penser, même en urgence, l’avenir sénégalais. On gardera à l’esprit que cet avenir est indissociable d’une problématique ouest africaine. Ils sont liés, en cette fin du cycle initié par Senghor et son « Pari de l’An 2000 », que clôture après la période dite d’ajustement structurel d'Abdou Diouf, la gestion dispendieuse de Maître Wade.

La séquence d’un demi siècle dont on hérite, après trois présidences aux fortunes diverses, doit être prise en compte pour l’enseignement qu’on peut en tirer. Il peut être utile à la coalition multi-partisane et majoritaire actuelle, appelée à gouverner au sein d’un parlement acquis sinon au rajeunissement, du moins à la parité. Le bref rappel historique auquel elle se prête, peut prévenir les errements d’une alternance manquée après celle de 2000. La seule relève paritaire ou générationnelle proclamée ne saurait suffire comme programme en lieu et place de la prise en charge des dossiers majeurs identifiés souvent depuis des décennies et qui nourrissent la substance de cette réflexion.

L. S. Senghor, sous tutelle de la Françafrique gaullienne, avait initié ce cycle. Il a géré un État relativement en équilibre. Il a hérité d’un pouvoir alors nourri, au plan économique, par un appareil industriel certes périphérique, mais consistant à marché régional, stimulé par une spéculation arachidière alors prospère et une démographie gérable. Cette économie agro-industrielle, pastorale et arachidière de l’huile, du tourteau, et du savon, a représenté, avec son secteur du textile et ses phosphates, 55 % des exportations de l’ensemble des territoires de l’AOF dans les années 1950. Elle assurait, soulignait à l’époque Abdoulaye Wade, dans un excellent article paru en 1956 dans le journal Afrique Nouvelle, le financement d’un budget délesté, à partir des années 1960, des charges fédérales et largement excédentaire. Il le restera deux décennies durant, grâce à son tissu industriel. Il le restera, malgré le choc pétrolier des années 1970, jusqu’à la fin difficile des mandats du « poète président » des paysans, au profit desquels il arracha après guerre, aux monopoles huiliers, le « Barigo junne » (ce quintal à cinq mille francs) qui fit date.

L’Etat socialiste créa ainsi durant ce scenario qui aura survécu au Duo Senghor et Dia, un portefeuille d’entreprises publiques et stratégiques, assez cohérent, même s’il s’avéra mal géré. Il allait du domaine des secteurs productifs, agro-industriels et miniers, à ceux de la banque commerciale et de développement.

Abdou Diouf hérita du cycle une crise structurelle. Il a géré pendant deux décennies, outre la contestation politique vigoureuse stimulée par l’instauration du pluralisme intégral, les alliances opportunes qu’il noua avec ses oppositions. Il le fit avec des ministres de qualité, singulièrement aux Finances, dans un contexte de pénurie et une politique drastique imposée d’ajustement structurel. Le tout avec, il est vrai, la complicité bienveillante des partenaires stratégiques internationaux. Cette séquence laissera, à son issue, de l’aveu d’Abdoulaye Wade, son successeur, une trésorerie excédentaire de 200 milliards en 2000, une promesse de réduction qui devait pratiquement effacer la dette estimée à l’époque après un demi-siècle de gestion à environ 2000 milliards. Elle sera réduite, à partir de 2001, à un montant inferieur à 30 % du budget annuel actuel.

Mis sous pression par la Banque mondiale et le FMI, Abdou Diouf aura pour le moins sauvé, du legs senghorien et diaïste, quelques fleurons stratégiques qu’il n’osa pas privatiser. C’est le cas de la Sonacos, fruit comme la SODEFITEX, de l’économie et de l’épargne paysanne. Il manqua toutefois de mutualiser au profit des producteurs ce secteur stratégique avec ses autres segments de l’agro-industrie. Il légua, dans le domaine des mines et de la chimie, les Industries chimiques du Sénégal comme fleuron. Il n’aura toutefois pas pu résister à l’intérêt des monopoles français gestionnaires, avec Bolloré, du port de Dakar outil stratégique et commercial des plus compétitifs sur l’Atlantique. Sa politique de l’eau débouchait, avec la SDE, sur une hypothèque à terme dénoncée à l’époque et dont on anticipait, en 1998 déjà, le coût et les impasses pour 2012-2013. Il céda du lest à France Telecom qui posait, avec la complicité des syndicalistes du secteur, il y a une décennie, son OPA sur la Sonatel. Celle-ci était alors porteuse, avec le secteur des télécommunications, d’une économie prospère, à l’instar de la Compagnie sucrière sénégalaise de Jean-Claude Mimran bénéficiaire d’un dumping de plus d’un demi-siècle sur l’industrie du sucre et des sous-produits de la canne.

L’Etat libéral de Wade, qui ferme le cycle, conduit, à ses débuts, par la coalition qui le fit roi, hérita, en plus de ce portefeuille, d’un certain nombre de projets. Ceux-ci étaient relatifs au réseau routier urbain et régional. Ils concernaient également des secteurs non moins porteurs dans le domaine aéroportuaire, maritime ou télé communicationnel.

Abdoulaye Wade, analyste de l’économie coloniale et théoricien de « l’effet de percussion » qui, tout en les fréquentant, n’était ni un Majmout Diop nationaliste fougueux, ni un David Diop ou un Moustapha Wade, plumes heureuses s’il en fut, encore moins un Cheikh Anta Diop, savant exemplaire, aura été un échec. En accédant au pouvoir, il aurait confié aux siens, et c’est significatif, qu’il en était « fini de ses soucis matériels et financiers ». Wade aura, de son aveu, considéré le Sénégal convalescent dont il héritait de Diouf en 2000 comme sa vache à lait. Il prit donc soin, pour avoir les coudées franches, de se délester une fois élu, de ceux qui firent de lui, selon ses propres termes, « un monarque désormais à l’abri du besoin ».

Réputé fasciné par la propriété foncière, il aura bradé, sans état d’âme, et d’ailleurs sans qu’aucun leader politique, de quelque bord qu’il soit, ne s’en indigne, non seulement le foncier urbain et rural, mais cette économie arachidière pierre d’attente dont relevait directement ou indirectement 70 % de la population. Il condamnait d’autorité une spéculation agraire, dont le secteur des oléagineux, et son appareil industriel, constituaient les rares et fragiles supports, loin devant les secteurs du coton, de la pêche ou ceux d’un élevage intensif encore embryonnaire.

On ne peut oublier ou ignorer que Maitre Wade mit la main sur un portefeuille de projets bancables à partir de 2000, dont l’autoroute Dakar-Thiès constituait l’un des fleurons à côté des aménagements portuaires de la zone Dakar-Bargny-Cayar, avec l’aéroport non pas de Ndiass mais de Mbour. Ce legs du régime de Diouf concerne aussi bien le projet du Mémorial des Almadies célébrant non pas une famille, mais dédié aux sociétés précolombiennes fondatrices et financé par les Diaspora post colombiennes. Le Musée des Civilisations était dans le même « pipeline », pour parler comme les économistes. Il y avait surtout, à la veille des années 2000, durant la décennie des gouvernements de coalition, dont sont comptables la quasi-totalité de la classe politique avec le PS, le Pds, le Pit et And Jef sur le tard, le Projet de Revitalisation des Vallées Fossiles (PRVF) qui avait le mérite d’exister et de porter, même s’il faut les justifier, des ambitions légitimes. Il était conçu en complémentarité ou en balance avec le PDRG sur la Rive gauche, le projet du Canal du Cayor et le Programme intérimaire mis en première ligne face à la crise de l’eau à Dakar et banlieue.

La gestion économique calamiteuse de Wade qui aura, de propos délibéré, mis ce projet qui lui faisait ombrage, dans les oubliettes, aura été synonyme pour le moins d’un énorme gâchis au vu de ce qu’il laisse et dont on le crédite sur le terrain. Il faudra en faire l’audit, non seulement financier, mais économique, même si ce n’est que pour les leçons que l’on peut et doit en tirer à l’avenir en cette période de relève.

Wade et sa coalition auront ainsi hérité en 2000, non seulement du portefeuille de projets majeurs incontournables qui engageaient l’avenir sénégalais et ouest-africain, mais d’une économie relativement assainie. Celle-ci bénéficiait d’une évolution des finances dopées en particulier par l’essor du secteur du bâtiment et de l’immobilier, celui des transferts visibles des Sénégalais de l’extérieur estimés à 700 milliards par an, voire ceux occultes du blanchiment estimé, en 2012, à plus de 1000 milliards. Le tout à coté d’une contribution substantielle identifiable mis au crédit de l’activité des banques locales. Cette manne aura contribué à tripler le budget, grâce au travail remarquable des services et serviteurs des douanes et des impôts, mais aussi du fait d’une pression fiscale qui n’aura malheureusement servi qu’à financer les extravagances du régime. La manne financière a porté les recettes budgétaires de 750 milliards en 2000 à près de 2500 milliards à partir de 2002, soit, comme on l’a dit, des recettes et des aides publiques globales qui totalisent pour le moins, 25 000 milliards pour les deux mandats de Wade et ce, en dépit de la modicité d’une croissance induite inférieure à 5% et surtout stimulée par le secteur tertiaire et les transferts. Il faut juger de manière superficielle ce « travail de Goorgi » dont se gargarisent ses thuriféraires, pour mesurer, eu égard aux recettes budgétaires amassées en 12 ans de législature, l’ampleur du désastre.

Il faut évidemment, face à ce bilan sectoriel, dresser, pour y voir clair et inventer désormais de nouvelles pistes, un bilan global pour lequel les audits que l’on annonce restent incontournables.

Sur ce plan, c’est non pas seulement la cession des ICS dans des conditions scabreuses qui heurte, mais surtout celle à la SUNEOR, de la SONACOS, fleuron, comme on l’a dit, de l’appareil agro-industriel construit sur plus d’un siècle par la paysannerie sénégalaise. Plus qu’un scandale, cette cession à un groupe de simples spéculateurs qui, en un tournemain, s’est construit un véritable pactole, a constitué un crime. La filière arachidière que Wade, théoricien de « l’effet de percussion » ou de la « chiquenaude initiale », mettait ainsi en lambeaux, constitue, aujourd’hui encore, après les improvisations sans lendemain et à l’emporte-pièce, sur le sésame, le manioc, l’essence du bentamare et autres spéculations mirifiques, l’un des rares atouts dont disposait le pays. Elle l’était pour des activités d’autoconsommation et de rente, du fait de son enracinement au terroir. Elle reste même couplée au mil et au maïs, eu égard à son potentiel réel, un des rares pôles de compétitivité, dont le Sénégal de l’après-barrage et de l’avant-mise en eau des Vallées fossiles, dispose, à court et moyen termes, dans le domaine agro-industriel.

L’audit global de la gestion de Wade, opéré en toute sérénité, doit servir de repère. Il fournira l’éclairage nécessaire sur les projets de l’aéroport de Ndiass, de l’autoroute à péage et sur les autres entités pompeusement annoncées à autofinancement propre et qui ne l’auront pas été.

Il restera au passage à trouver explication, pour un budget de 2 500 milliards par an à partir de 2000, à l’utilisation faite de cette manne financière de 25 000 milliards budgétisée comme recettes sur la décennie et pour laquelle paraissent bien modestes : les 450 milliards engloutis par la Corniche, ses tunnels inondés et impraticables en hivernage et qui suintent le reste de l’année ; les 70 milliards du Fesman ou les 30 milliards de la statuaire de Ouakam.

Il faudra peut-être se pencher sur la pertinence des aménagements routiers, sur leurs coûts et leur pertinence. Ils défigurent, avec leurs mastodontes en béton, entre l’aéroport et le Palais présidentiel, un plateau et un schéma urbain plat, qui méritait des aménagements de premier ordre. Cette topographie ne réclamait que des larges avenues balisées de feux rouges, comme celles qui sillonnent et quadrillent Paris ou Londres, Rome ou Boston. Il est peu probable que l’on puisse s’accommoder, sur un autre plan et à long terme, d’axes routiers à l’abandon qui, à travers la Presqu’ile du Cap-Vert, dessinent un réseau urbain interne fortement crevassé ou hérissé de ces énormes palissades en béton, qui se dressent comme des défis face aux femmes, aux personnes âgées, aux handicapés et aux automobilistes eux mêmes.

L’Alternance trahie s’inscrit ainsi derrière ce bilan que l’on peut juger en toute sérénité. Elle est, de fait, derrière nous. On en prend acte pour l’assumer et revenir aux priorités déclinées déjà bien avant l’an 2000 et qui, à côté des urgences à traiter dans les mois à venir, demeurent en l’état. Elles avaient vu évincer Abdou Diouf impuissant face aux exigences de stratégies nationales et régionales incontournables comme médiations. Ce sera toutefois, pour faire place, avec Wade, aux improvisations, aux incohérences et aux éléphants blancs annoncés avec le NEPAD qui, du nucléaire aux milliards de GW sahariens, des corvettes maritimes au train transcontinental à double écartement, ont meublé le discours, la gestuelle et une gestion où en fait l’incompétence de l’économiste ne l’aura cédé qu’à son arrogance.

Il y a lieu, face à ce fiasco, de prolonger et d’actualiser le riche bilan des réflexions générées sur l’histoire économique et d’en tirer les leçons. Il faut réfléchir sur la problématique de la Méga économie établie ou émergente de compétitivité que dicte l’époque. Cela, eu égard aux chantiers et aux paramètres, dont on ne peut faire l’économie si l’on veut construire le futur. Sans épouser une approche systémique, on peut privilégier ici une simple invitation à réflexion qui, à travers un certain nombre de domaines et thèmes majeurs, explore, comme chantiers, les projets qui nous paraissent incontournables.

- Chantier de l’immédiat et des urgences, porté à court terme par la demande du quotidien face aux épreuves que vivent les populations sinistrées du monde rural et urbain.
- Chantier institutionnel à moyen terme qui appelle, non pas la seule suppression du Sénat, du poste de vice-président, le maintien en l’état du Conseil économique et social amendé et la réduction du septennat en quinquennat, mais une refondation des institutions au cours du quinquennat.
- Chantier géoéconomique relatif aux paramètres de l’intégration et de la sécurité confédérale sous régionale.
- Chantier stratégique porté comme levier par le projet des Vallées Fossiles tel qu’il avait été initié, puis mis en veilleuse sous le régime de Diouf et sous celui de Wade

LE CHANTIER DES URGENCES ET DU COURT TERME

Les urgences ont d’emblée été identifiées par le nouveau régime soucieux de la flambée des prix des denrées et produits de première nécessité que sont : le riz, le sucre, le gaz et l’essence. Elles requièrent des solutions qui ne sont pas uniques. Le train de vie dispendieux de l’Etat wadiste est ciblé avec ses dépenses somptuaires financées, durant deux législatures, sur des recettes budgétaires en croissance exceptionnelle à l’issue de la politique dite d’ajustement structurel, et qui auront toutefois, avec les taxes, pesé sur le coût de la vie.

Le libéralisme de compétitivité régulée, tempéré par une dose de réalisme, suggère les compromis inhérents à la nature de la coalition politique et gouvernementale actuelle. Il n’exclut pas la mise en place, au delà de l’urgence immédiate, dans les plus brefs délais, d’un certain nombre de dispositifs.

On peut remettre sur pied une caisse de péréquation et une politique de mutuelle paysanne agro-industrielle. Elles devront, à terme, contribuer à réguler le marché des produits de première nécessité au profit des consommateurs et à rendre compétitifs les producteurs locaux. Elles devront faciliter l’accès aux dotations en facteurs indispensables au monde agro-industriel et rural, pour les productions. Ces mesures devront permettre de discipliner les acteurs, de gérer à court terme et de rationaliser à moyen terme un système de libéralisation graduelle et totale, tenant compte, par ailleurs, des politiques tarifaires, communautaires ou non, des pays voisins dont les frontières font un peu passoire.

Le chantier des urgences et du front social passe également et nécessairement par la reconnaissance et le report négocié à court terme, pour inventaire et opportunité, des engagements pris vis-à-vis des syndicats de travailleurs du service public, dont les enseignants, clé de voute de la crise scolaire endémique. Ils ont toujours été, avec le corps médical, des fers de lance par leur dévouement.

Le chantier des urgences, c’est aussi la gestion des campagnes agricoles prise à bras le corps par le nouveau régime et celle de la maitrise définitive de l’inondation des quartiers populaires déshérités.

Le gouvernement de ce qui semble augurer d’un nouveau cycle affirme avoir compris les attentes et les urgences du chantier du court terme et des urgences. Il dit anticiper la gestion future après les inondations actuelles qui impactent la santé, l’école et la vie quotidienne. Il a pris langue avec les patronats pour assurer, même si les résultats sont encore modestes, la prise en charge immédiate de la demande et des prix des denrées importées ou locales, donc du riz, du sucre, de l’huile, de la farine. Il y a donc à résoudre définitivement, en urgence et pour les années à venir, outre la question des engrais et semences de qualité, celle des dotations en facteurs nécessaires non pas seulement à une campagne agricole d’assistance et de survie, mais à une économie agro-industrielle rurale et paysanne moderne, stable et prospère.

Pourquoi ne pas réinventer, eu égard au chantier des urgences, en ce qui concerne les prix et la défense du pouvoir d’achat, une caisse bien gérée de péréquation et de stabilisation, pour les biens stratégiques de consommation populaire et les outils de production du monde rural. La caisse permettrait de mieux réguler, à terme, au cas par cas et à bon escient, un marché libéralisé et concurrentiel. Elle assisterait les paysans et les citadins frappés par la famine ou la spéculation, en créant un réseau de magasins témoins d’import-export. Ce système (ancienne caisse de péréquation, magasins SONADIS, etc.) avait existé sous Senghor, mais avait été dévoyé, puis supprimé sous Abdou Diouf. On répondrait à la fois à la demande pressante et aux engagements institutionnels d’un libéralisme sous contrôle.

Pour un court et moyen terme qui prépare la longue durée, il faut inventer une politique ambitieuse, tout en dressant au préalable, malgré les urgences, un bilan circonstancié dans le domaine institutionnel et économique. Celui-ci devra, ici encore, aller au delà des audits associés à la gestion d’Abdoulaye Wade et de son legs.

LE CHANTIER INSTITUTIONNEL ET DU MOYEN TERME

Wade s’était donné une Constitution qui, avec une majorité parlementaire légalement élue en 2000 mais imposée au forceps en 2007 et à sa dévotion sur deux législatures, aura autorisé toute les forfaitures à coté d’un Sénat dont il nommait 60 des 100 membres, d’un Conseil économique et social non moins clientélisé avec, en prime, un vice-président, héritier potentiel. La mauvaise tentation aurait été, avec le nouveau régime, de dissoudre ces institutions pour les rétablir sous d’autres formes. L’idée d’une organisation du pouvoir entre trois chambres peut être judicieuse, voire incontournable, à condition d’être construite en cohérence, eu égard à une répartition qui articule des compétences complémentaires et représentatives exercées en toute légitimité.

Le projet constitutionnel présenté à ce sujet par les assisses, en dépit de ses innovations majeures, continue de pécher au plan d’une séparation et répartition des pouvoirs qui réponde, de manière explicite, à une demande sociétale plurielle et à des exigences d’ordre géoéconomique, géopolitique, voire culturel, identifiées et justifiables au plan institutionnel. Il ne suffit pas de supprimer le Sénat et la vice-présidence ou d’amender le Conseil économique et social en précisant son rôle en matière d’environnement. Il faut une refonte globale qui ouvre des fenêtres sur la gestion locale de proximité (pulvérisée par le régime distributeur et clientéliste de Wade) ; qui a compétence sur une stratégie d’intégration interne et externe ; qui compose, en dehors du législatif, avec un Conseil économique, social et environnemental, avec un Sénat en charge des problèmes des collectivités locales et nationales et ceux propres au projet régional ouest-africain en particulier.

Le leader de l’APR, élu président de la République semble, jusqu’à preuve du contraire, souscrire et mettre en œuvre, sur le plan des réformes constitutionnelles, certains des engagements majeurs pris et partagés avec des alliés. « Je proposerai, déclarait-il à l’issue de la présidentielle et des législatives, une réforme constitutionnelle visant, entre autres, à ramener la durée du mandat du Président de la République à 5 ans renouvelable une seule fois. Et là je voudrais dire que je m’appliquerai cette réforme. C'est-à-dire que si je suis élu pour 7 ans je m’engage à n’exercer qu’un mandat de 5 ans et cette réforme qui limitera le nombre de mandats à deux et la durée du mandat à 5 ans ne pourrait plus faire l’objet de modification. » On verra ce qu’il en sera.

« Je m’engage par ailleurs à modifier le mode de désignation du Conseil constitutionnel. De 5 membres ils devraient passer à 7. Le président de la République ne pourrait proposer que 3 sur les 7. L’Assemblée nationale à travers le groupe de la majorité 1 ; le groupe de l’opposition 1 et les 2 autres seraient désignés par les magistrats eux-mêmes selon des modalités définies ». Ce modèle n’est pas des meilleurs. Il est synonyme d’une relative mainmise du président sur le Conseil constitutionnel et un pouvoir judiciaire qui ont besoin d’une indépendance totale.

« Le poste de Vice-Président je le supprimerais, poursuivait-il, parce qu’il est anachronique. Dans un régime où vous avez un Premier Ministre qui est chef du gouvernement, le Vice-Président n’a pas sa place C’est un schéma qui a été mis, expliquait il, dans le cadre de combinaisons politiciennes, justement dans l’hypothèse d’une succession de type dynastique ou en tout cas de combinaisons politiciennes qui avaient pour finalité de mettre quelqu’un à la tête du pays » Promesse tenue. Il aurait pu, en tirant les leçons des deux tours, rappeler son respect d’une laïcité dont il a clairement affirmé, sans ambigüité, le principe à l’entame des présidentielles.

« Les marabouts, rappelait, à la veille du premier tour, le candidat-président manifestement en phase avec une tradition sénégalaise citoyenne, pluraliste et laïque, sont des citoyens. Ils sont soumis rappelait-il sans ambages, à la loi comme tout le monde. Dans le domaine religieux privé, le marabout peut être l’autorité du président ou son guide spirituel. Mais, dans la vie publique, il ne peut l’être parce que le marabout est un citoyen comme les autres. Donc les choses doivent être claires. Je le dis clairement. Nous sommes dans une République démocratique et laïque où la liberté de culte sera garantie pour toutes les religions, toutes les confréries. » On ne pouvait être plus clair, ni mieux dire.

Les législatives de juillet lui ont donné raison. Elles ont confirmé massivement, que l’on y prête ou non attention, l’attachement des Sénégalais à cette laïcité politique. Celle-ci peut évidement concéder de la place à des listes de candidatures à connotation religieuse plus ou moins avouée. La plus représentative, lors des législatives, participait heureusement, par son caractère à la fois pluraliste et progressiste, d’une représentation démocratique.

LES PARAMÈTRES, LEVIERS ET DOSSIERS STRATÉGIQUES DU LONG TERME

Le Sénégal de l’après-scrutin législatif de juillet 2012, qui va adopter une nouvelle Constitution, pourrait, tout en assumant et en partageant ses responsabilités géopolitiques et stratégiques sur le plan régional et communautaire, se positionner sur des pôles privilégiés qui engagent une problématique nouvelle. Ceux-ci prendraient en compte la complexité des paramètres propres au contexte régional et mondial, pour mettre en œuvre, à partir des choix majeurs qui s’imposent, les leviers qui commandent ici les scenarios possibles d’évolution sociale et économique du long terme.

De ce point de vue, l’évolution institutionnelle ne peut faire l’économie de la prise en compte des paramètres qui caractérisent en particulier le contexte géopolitique ouest-africain, ni faire l’impasse, au niveau des choix, sur les leviers à même d’assurer, la reconquête de sa souveraineté monétaire sous tutelle. Elle doit accorder la priorité à la formation-emploi de ses millions de jeunes et à la maitrise les entreprises stratégiques de développement. Elle ne peut renoncer à la définition et à la construction d’un espace ouest-africain optimum de développement national et régional, porté, en l’occurrence dans la zone Nord, par le Projet de revitalisation des vallées fossiles avec, comme potentiel, ses millions d’ha à double, voire triple culture annuelle.

DES PARAMÈTRES STRATÉGIQUES
Les enjeux de présence et développement du Sénégal comme composante significative au sein d’une entité ouest-africaine souveraine concurrentielle et d’équilibre optimal pour le demi-siècle à venir, impliquent, face à la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée Nord ou l’Australie, la prise en compte et la maitrise de quatre paramètres majeurs.

- LE PARAMETRE POLITIQUE tient à la vision que l’on peut nourrir face au démantèlement des grandes fédérations de territoires, de peuples et de cultures. Celui-ci a été entrepris à partir de la loi-cadre de 1957, parrainé par la SFIO de Guy Mollet et Gaston Deferre, continué par l’hégémonisme gaulliste qui l’a parachevée au prix de la décapitation des élites de l’Afrique noire de Félix Éboué et Félix Houphouët-Boigny qui en furent les deux figures symboliques au cœur et après la Seconde Guerre Mondiale.

- LE PARAMETRE CULTUREL ET HISTORIQUE. Il légitime, en perspective, les références identitaires positives qui unissent les populations de cet espace, par-delà la diversité qui fait leur richesse. Celles-ci ont établi les liens multiples et complexes qui ont brassé et façonnent encore l’Ouest africain relativement bien intégré par l’empire précolonial. Il lui a légué ses spécificités, ses valeurs fondatrices millénaires partagées, sa tradition pluraliste et confédérative, aujourd’hui en crise face à des fanatismes aveuglés, portés ou encouragés par des enjeux externes d’intérêt.

- LE PARAMETRE GEOSTRATEGIQUE ET SECURITAIRE. Il se dessine dans l’urgence, à un moment où la base stratégique de la Presqu’île du Cap-Vert d’intérêt mondial sur l’Atlantique s’est dégarnie au profit d’une spéculation immobilière orchestrée, deux décennies durant, par le chef de l’Etat sortant. Celui-ci aura été totalement inconscient, face aux menaces qui pèsent sur une zone orientale que cherche à investir les émules du Boko Haram et un domaine occidental miné par les narcotrafiquants.

- LE PARAMETRE GEOECONOMIQUE. Il nourrit et légitime les liens institutionnels de coopération et de co-développement qui organisent ou devraient organiser, sans l’hypothèque que constitue l’intermédiation française ou européenne de type néocolonial : l’UEMOA. Ce paramètre géoéconomique et sous-régional est mis à mal par l’hypothèque monétaire de la France sur l’espace à vocation confédérale ouest-africaine en construction. Le développement compétitif des économies nationales et ouest-africaine passe nécessairement par le biais d’un espace communautaire d’équilibre et de compétitivité. Il a à articuler une économie industrielle et post industrielle, sur un outil monétaire d’intégration, un réseau ferroviaire, routier, portuaire, porté par des grands travaux infrastructurels.

Le NEPAD sans institutions politiques supranationales régionalisées n’a su être, en l’état, la réponse adéquate face aux urgences et à la maîtrise des contraintes techniques. L’avenir économique et géopolitique maitrisable en cette décennie passe d’abord, face aux menaces et urgences, par l’intégration non pas continentale techniquement et politiquement impossible à moyen terme, mais subcontinentale et sous-régionale. Celle-ci ne peut ignorer les économies déjà associées, à l’instar de la CEDEAO-UEMOA conçue comme projet stratégique sur le plan civilisationnel, sécuritaire et économique. Le paramètre géoéconomique de l’espace optimum régional prend tout simplement en compte l’évolution d’un monde que l’on veut globaliser et au cœur duquel les méga économies industrielles et post industrielles émergées ou émergentes sont incontournables comme médiations, eu égard aux contraintes de compétitivité. Celles-ci le sont eu égard à l’économie de marché des biens, des services et des capitaux. On ne doit plus, quels que soient les intérêts partagés et les liens humains tissés, s’en remettre à de simples partenaires comme la France ou l’Europe qui sont elles-mêmes impuissantes. Le paramètre géoéconomique interpelle aujourd’hui le rôle central du Sénégal comme espace de propositions et d’initiatives au sein de la CEDEAO-UEMOA.

DES LEVIERS STRATÉGIQUES
On peut identifier, dans le cadre des programmes majeurs, quatre leviers stratégiques. Ils méritent, en dehors du levier politique institutionnel déjà évoqué, du fait de leur position centrale, des développements plus larges que celui qu’on leur consacre ici.

- DU LEVIER CONFEDERAL ET DE LA SOUVERAINETE MONETAIRE. L’UEMOA peut-elle pour ses économies nationales et sa communauté, continuer d’être gérée pour l’essentiel par un outil monétaire qui met 55% de ses réserves à la disposition du Trésor français ; qui hypothèque la compétitivité de ses économies sous contrôle aléatoire de la France ou de l’Europe de l’euro, en crise ?

L’arrimage du franc CFA au franc français jusqu'à une période récente où il c’est à l’euro aura été, à l’issue d’un siècle de sujétion, le principal levier mis en place pour verrouiller la gestion adéquate d’économies africaines mises sous tutelle. La démonstration en a été faite il y a un demi siècle environ avec la publication de « Pour l’unité ouest-africaine : Intégration ou Micro État ». Face à la dépendance structurelle des pays vis-à-vis de la France, la règle oblige chaque banque centrale de la zone franche, la BCEAO et la BCEAC en particulier, à ouvrir un compte d’opérations au Trésor public français et à y déposer, depuis 2005, 50% de ses réserves de change contre 65% auparavant. C’est la capacité de la zone à financer son économie qui est ici doublement hypothéquée. Elle l’est du fait de cette obligation qui stérilise des avoirs. Elle l’est du fait que la surévaluation du franc CFA fait écran quant à l’attraction des flux de capitaux et au plan de la compétitivité.

Le solde du compte des États africains via la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) est ainsi estimé à environ 8000 milliards de FCFA, soit plus de 12 milliards d’euros. C’est environ quatre fois le montant du budget annuel sénégalais sous le régime dépensier de Wade. C’est autant d’argent manquant dans les caisses des banques centrales de la zone franc. Il est insupportable, comme nous l’avons dit il y a un demi-siècle, à l’avènement des indépendances et des économies sous tutelle gaullienne, que les réserves de ces banques centrales soient détenues par le Trésor public français, alors même que ces entités ne partagent pas un système monétaire identique.

Il est notoire que la parité fixe franc CFA-euro est une entrave à la compétitivité mondiale des économies de ces pays. La valeur du franc CFA sur les marchés mondiaux dépend, en effet, de celle de l’euro. Autrement dit, les pays de la zone franc n’ont pas de contrôle sur leur politique de change et subissent les fluctuations du cours de la monnaie unique européenne. Les recettes de leurs exportations sont converties en euro avant de l’être en franc CFA. Si le taux de change de l’euro face aux monnaies étrangères fluctue, les recettes des pays de la zone franc le font également. Est-il possible d’obtenir des prévisions budgétaires fiables dans un tel contexte ? Quand la valeur de l’euro se renforce face aux monnaies étrangères, la compétitivité des pays de la zone franc diminue par rapport au reste du monde. Les économies locales connaissent des difficultés accrues à écouler leurs productions sur le marché mondial. Les conséquences sont extrêmement lourdes pour ces économies extraverties. Après un demi-siècle d’indépendance dévoyée par la Françafrique gaullienne, les pays qui ont renoncé au contrôle de leur politique monétaire en subissent les conséquences. Celle-ci demeure donc, en grande partie, décidée par des acteurs étrangers qui composent souvent en fonction de leurs intérêts propres. Le modèle du système franc CFA induit une verticalité des échanges (nord-sud), au détriment d’une coopération horizontale (sud-sud).

DU LEVIER DÉMOGRAPHIQUE ET DE LA FORMATION : le plein emploi des jeunes. La question de la formation et du plein emploi des jeunes constitue un, sinon le, paramètre majeur, eu égard à un développement économique, social culturel et linguistique équilibré et à une stratégie de compétitivité sur le marché mondial. Les chantiers de l’avenir ne peuvent qu’être associés à une stratégie de formation-emploi en adéquation avec les besoins de l’économie industrielle et post-industrielle qui se construit parallèlement à ses écoles et ses universités. Elle concerne, de ce fait, non pas ces 500 000 jeunes à mobiliser en cinq ans qu’évoquent les projets en cours les plus audacieux et qui évoquent 30 000 initiateurs de projets, mais des millions de jeunes attendus dans les centres-relais urbains et ruraux. Le régime de Wade, plébiscité en 2000 sur la base de ses promesses, a enregistré un nombre ridicule d’emplois et des plus coûteux. L’avenir des millions de demandeurs d’emplois est indissociable, au Sénégal et dans l’Ouest africain, de l’essor du secteur des grands travaux de l’hydraulique, de l’infrastructure aéroportuaire, maritime, fluviale, routière et ferroviaire porté par la dynamique d’une intégration régionale industrielle et post-industrielle de compétitivité à l’échelle mondiale. Cet avenir interpelle le Projet des Vallées fossiles évoqué plus loin, celui confédéral ouest-africain, au sein de la CEDEAO-UEMOA, et même les stratégies que requièrent la question des terres frontalières nord avec la Mauritanie, les activités de pêche et de pisciculture, d’élevage, de télécommunication ou de services.

DU LEVIER STRATÉGIQUE ENTREPRENEURIAL. La gouvernance libérale a mis par terre les entreprises stratégiques déjà partiellement hypothéquées par la gouvernance socialiste.
La SONATEL et le secteur des technologies de pointe les plus porteuses, la Sonacos-SUNEOR dans le secteur vital de la filière agro industrielle rurale et paysanne relativement protégées sous Abdou Diouf comme sociétés à prééminence publique, ont tout simplement donné lieu à des transactions scandaleuses.

L’opacité de la gestion du secteur minier, dont relèvent les ICS, les cimenteries ou l’or de Sobodola, portent, comme celle du portefeuille légué par Air Afrique et le transport aérien, international, la marque de la gouvernance de Wade.

Les « Grands chantiers » dont se prévaut son régime ont tous été, en dernière instance, des entreprises ayant débouché d’emblée sur « des affaires » d’intérêt ou de l’ego et de la démesure, qu’ils aient, sur ce plan, été légués directement ou non par les régimes antérieurs ou qu’ils aient relevé de la prise en charge de leviers stratégiques qui auraient pu servir le projet global d’une économie industrielle et post industrielle à construire.

DU LEVIER DE LA DECENTRALISATION ECONOMIQUE ET POLITIQUE. Il est urgent, après l’émiettement clientéliste du Sénégal en entités territoriales coûteuses, non productives, lilliputiennes et inefficaces, de revenir à la politique de territorialisation des années 1960. Il est nécessaire face à la crise casamançaise et à la nécessite la redéfinition à l’échelle nationale, d’opérer à partir de grandes régions naturelles géopolitiques optimales à vocation économique ou /et portées par des axes de communication, partant de l’Est, qui débouchent à l’ouest sur les ouvertures portuaires maritimes de l’Atlantique, à travers le Sénégal oriental, la région du Fleuve, le Cayor Baol, le Sine Saloum, la Casamance ou le Cap-Vert.

DU DOSSIER-PHARE DES VALLÉES FOSSILES

À l’époque où l’on contestait le legs Dia-Senghor, marqué par l’entreprise d’Etat naufragée, les programmes d’ajustement structurel imposés au régime de Abdou Diouf, le Centre d’étude alternative et de politologie (CEPAP) se mobilisait pour une alternance alternative avec, comme référent, le projet-phare des vallées fossilisées.

L’HISTORIQUE. Hérité de la colonisation, ce projet fut revendiqué, dès le début du siècle dernier, en particulier par le docteur vétérinaire Amadou Camara, contemporain de la conquête militaire française désastreuse du Fleuve. C’est à lui, et à un certain nombre d’ingénieurs français de l’époque, sensibles au naufrage écologique, que Cheikh Anta Diop et Oumar Wone emprunteront l’idée de revitalisation des défluents bouchés. Le projet devait corriger les effets désastreux de la désertification entrainée par le détournement vers la mer des eaux du réseau fluvial pour faciliter la navigation de conquête. Wade avec ses « bassins de rétention », sa « ceinture verte » comme slogans de fuite en avant, devait s’en démarquer, pour le dénaturer, comme il l’aura fait à propos de bien d’autres projets majeurs qu’il découvrira dans la pipeline. Il ne s’agit pas ici de discuter du détail de ce projet et encore moins de ceux conçus pour le concurrencer ou l’écarter. Le débat technique doit tout simplement être rouvert avec ses enjeux économiques et géopolitiques. On se bornera à rappeler les faits et à évoquer les travaux accumulés sur la question, mais aussi à interpeller l’opinion qu’experts et décideurs ont pu s’en faire.

En 2000, dans l’euphorie de l’alternance, les stratégies et les projets majeurs conçus dans le cadre du programme de revitalisation des vallées fossiles ou fossilisées étaient parfaitement identifiés. Sa pertinence face à laquelle Abdou Diouf, prisonnier à l’époque des bailleurs de fonds, avait hésité, semblait incontestable. Il l’était en comparaison avec les projets concurrents et sectoriels, identifiés comme plan d'alimentation en eau potable de Dakar.

Le Canal du Cayor, conçu sur le modèle tunisien et chinois, fut, dans ce contexte, mis en avant pour alimenter en eau le Cap-Vert et les zones traversées. Il eut, face aux lobbies, du mal à mobiliser les 200 milliards nécessaires, malgré sa relative pertinence. La Société nationale des eaux du Sénégal (Sones), pour parer au plus pressé, mettra en œuvre, en 1988, avec la bénédiction des lobbies, le Plan d'alimentation en eau potable de Dakar (PAE) aujourd’hui en panne. Il fut conçu comme une phase intérimaire et pierre d'attente, en vue d'une solution à long terme. C'est dans ce même contexte que se développera, sous l’incitation des analystes et des experts sénégalais dont Abdoulaye Sène, fin connaisseur s’il en est, le Projet de revitalisation des vallées fossiles. L’idée a des origines lointaines qui remontent au début du siècle dernier. Elle fut suscitée par une désertification accélérée provoquée par les détournements des eaux vers la mer au profit de la navigation de conquête coloniale de l’hinterland engagée par la France. Le projet naturel de revitalisation des vallées fossilisées bouleversait les données par la faiblesse annoncée de son coût, la rapidité de ses études, l'efficacité de ses stratégies de réalisation administrée par les résultats obtenus le long du Ferlo.

LE SEUL BON CHOIX. La mise en service des barrages de Diama et Manantali ne permet que la maitrise de 60% des écoulements du Fleuve Sénégal. A défaut du barrage plus performant de Galougou, les pertes en eau vers la mer sont énormes. Elles le resteront tant qu'il n'y aura pas d'autres barrages et de terres irriguées sur une vaste échelle. L'on estime qu'il y a eu en moyenne entre 6,80 milliards et 18 milliards de m3 d'eau déversés annuellement en mer, entre 1986 et 1994. Les besoins en eau des programmes OMVS, Rive Gauche, Canal du Cayor ou Revitalisation du Ferlo comme Vallée fossile seraient, selon les experts, nettement en deçà des capacités et des débits moyens du fleuve (172 m3/s en période d'étiage à Bakel), alors que le fleuve offre en moyenne un débit de 300 m3/s, 202 m3/s en basse saison et 2500 m3/s pendant l'hivernage. Les besoins en eau au profit des projets actuels sont ainsi largement couverts par les quotas souscrits au Sénégal visant l'irrigation de 200 000 ha sur 240 000.

La revitalisation des vallées fossilisées porteuses d’une économie de production de biens et services pour les 20 millions de riverains de l’horizon 2030, va transférer l'eau, grâce à des travaux adéquats vers les zones à fortes potentialités agro-sylvo-pastorales. Le projet devra explorer les possibilités en ce qui concerne tout un potentiel hydrographique à même d’être techniquement et économiquement mobilisable comme l’a établi l’assistance technique israélienne au Jolof. Il faudrait peut-être compter, sur ce plan, avec ce qui serait possible en ce qui concerne :

- la vallée du Ferlo pour une longueur totale de 1200 km à travers les régions de Louga (départements de Louga et de Linguère), de Saint-Louis (départements de Matam et de Podor) et de Tambacounda (département de Bakel) ;

- la vallée du Saloum qui part du Sud du département de Linguère et arrive à Kaolack en passant par le département de Kaffrine (Kaffrine et Birkilane). Cette vallée s'étend sur près de 300 km;

- la vallée du Sine qui couvre une distance d'environ 250 km, allant du Sud du département de Linguère à Fatick en passant par Mbacké, Ndoulo, Diourbel, et Diakhao;

- la vallée du Baobolon pour une longueur de 100 km à travers le Nord du département de Tambacounda (Paffa), les départements de Kaffrine et de Nioro du Rip, et Nokounda (République de Gambie);

- la vallée du Carcar qui va de Dahra (région de Louga) au sud de Thiès en passant par Boulal (département de Linguère), Sagatta Guet (département de Kébémer), Pékesse (département de Tivaouvane) et Baba Garage (département de Bambey);

- la vallée de la Sandougou qui traverse le département de Tambacounda du nord au sud (de Sinthiou Amal Aly à Maka Colibantang).

Porté, il y a une décennie, par le PRVF, le programme a plusieurs mérites. Il est ambitieux, décisif pour la sortie de crise et le décollage généralisé de l'économie sénégalaise et nord ouest africaine, tout en étant à portée du budget national et à moyen terme. Il était déjà à la portée de l’autofinancement, contrairement aux autres grands projets concurrents de même génération conçus pour la décennie 2000 (OMVS 200 milliards; Canal du Cayor 200 milliards; phase intérimaire eau 105 milliards), programmés pour l'adduction d'eau de Dakar et ses besoins à moyen terme.

Le coût du programme était estimé à 30 000 millions de francs CFA, en 1994. Cette estimation résultait d'une première évaluation sur la base de cartes topographiques existantes, des travaux de remise en eau initiés pour le Ferlo, et des besoins en études complémentaires. Elle ne prenait évidemment pas en compte, pas plus du reste que les autres projets concurrents, cinq à huit fois plus coûteux (Manantali, Plan Intermédiaire ou d'Urgence, Canal du Cayor) les actions de valorisation.

Pour l’essentiel, il s’agit d’interpeller sans complaisance, ni faiblesse à l’endroit des partenaires riverains, la pertinence globale du Projet de revitalisation des vallées fossiles. Il a donné naissance à un dossier sérieux, plus porteur et vital à un degré ou un autre. Il a été produit par la Mission d’étude et d’aménagement des vallées fossiles (MEAVF) et le Centre d’étude de prospective alternative et de politologie (CEPAP) avant d’être mis sous le boisseau par les présidents Diouf et Wade.

On peut souhaiter, sur les thèmes majeurs qui seront à l’avant-scène de ce premier quart du siècle, sur le plan de l’institution politique, de la géopolitique régionale et des enjeux économiques majeurs, que les dossiers, les leviers et les paramètres esquissés ici puissent contribuer à enrichir une réflexion plus à jour. Celle-ci a à éclairer sur le rôle qu’un Sénégal soucieux de son destin et de ses atouts humains et matériels peut jouer à nouveau, au cœur d’une région ouest-africaine dont il partage et assume l’histoire.

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** Professeur Pathé Diagne, linguiste, économiste et politologue sénégalais.

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