A qui appartient l’affaire Habré ? Réponse aux avocats de Hissène Habré

L’affaire Habré est le fruit de la conjugaison des efforts de survivants d’un régime brutal décidés à ne pas courber l’échine et de défenseurs des Droits de l’homme. Face à l’inévitable, les défenseurs de Habré tentent de déplacer le débat et de se dérober devant des preuves accablantes de milliers d’assassinats et de torture systématique commis pendant le régime de leur client.

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Plus d’un an après l’inauguration des Chambres africaines extraordinaires par le Sénégal et l’Union africaine, Hissène Habré, à l’instar d’autres dictateurs rattrapés par la justice avant lui, attaque le tribunal, dénigre les survivants de son régime et tente de s’ériger lui-même en victime. Mais comme d’autres, de Pinochet à Milosevic, il ne répond jamais aux accusations portées contre lui.

En particulier, les avocats de Hissène Habré s’acharnent à critiquer les Chambres africaines qui auraient été créées par le président du Tchad, Idriss Déby Itno, puis manipulées par ce dernier. Cette affirmation sans fondement est insultante pour les victimes, les survivants et les militants des Droits de l’homme qui les assistent.

L’affaire Habré est le fruit de la conjugaison des efforts de survivants d’un régime brutal décidés à ne pas courber l’échine et de défenseurs des Droits de l’homme. Le régime Habré a volé à ces victimes, ces rescapés, leur dignité, mais pas leur soif de justice et leur idéal d’équité. C’est par exemple le cas de Souleymane Guengueng qui avait promis devant Dieu, alors qu’il voyait des dizaines de ses codétenus mourir de tortures et de maladies dans les geôles de Habré, qu’il consacrerait sa vie à se battre pour que justice soit rendue. Dès la chute du dictateur et sa fuite vers le Sénégal en 1990, il s’est uni avec d’autres survivants en créant une association pour demander justice, réparation et réconciliation. Ensemble, ils ont compilé des centaines de témoignages pour qu’un jour ces récits de l’horreur soient utilisés comme preuves devant une juridiction pénale.

Mais face à des menaces des nouvelles autorités tchadiennes, dont de nombreux tortionnaires de l’ancien régime recyclés dans l’appareil de sécurité de l’État, l’association a dû suspendre son combat publique et cacher ses preuves jusqu’à ce que la société civile l’assiste pour porter plainte à Dakar en 2000.


Pendant 12 longues années, de 2000 à 2012, l’ancien gouvernement sénégalais a soumis les victimes à ce que l’archevêque Desmond Tutu a appelé un « interminable feuilleton politico-judiciaire ». Les victimes ont dû saisir toutes les instances internationales jusqu’à ce que la Cour internationale de Justice, la plus haute juridiction des Nations Unies, ordonne au Sénégal de traduire Habré en justice « sans autre délai », à défaut de l’extrader.


Au Tchad, les victimes et leurs soutiens ne sont pas sortis indemnes de ces années de lutte. Les intimidations régulières contre Souleymane Guengueng l’ont contraint à l’exil. Notre consœur Jacqueline Moudeïna a été la victime d’un attentat à la grenade planifié par l’un des anciens sbires de Habré devenu le chef de la Police judiciaire et contre lequel elle avait porté plainte au nom des victimes pour actes de torture. Le gouvernement tchadien n’a jamais accordé aux victimes ni réparation ni même la moindre reconnaissance de leur statut de victime.


Aujourd’hui la donne a changé. Le gouvernement sénégalais applique la Convention contre la torture, les arrêts de la Cour internationale de Justice et de la Cour de la Cedeao et le mandat donné par l’Union africaine. Le gouvernement tchadien, qui n’a jamais cru que ce procès allait se tenir, tente désormais de se constituer partie civile dans la procédure, ce que nous récusons comme inopportun et sans base juridique.


Face à l’inévitable, les défenseurs de Habré tentent de déplacer le débat et de se dérober devant des preuves accablantes de milliers d’assassinats et de torture systématique commis pendant le régime de leur client.

Qu’est-ce que « l’affaire du turban » où Hissène Habré a décidé de changer son « kufi » de toujours pour comparaitre devant les juges la bouche couverte, sinon une nouvelle tentative de distraire l’opinion ? Leur objection à la retransmission des audiences, nécessaire pour que le procès soit suivi par le peuple tchadien, et prévue par le Statut des Chambres comme dans tous les autres procès internationalisés, est tout aussi révélatrice : les défenseurs de Habré ne veulent manifestement pas que les opinions sénégalaise et africaine puissent voir la solidité des preuves qui seront présentées lors du procès.


Il est toujours facile de dénigrer des survivants qui se battent pour la justice et d’accuser le président Déby de tout instrumentaliser. Et pourtant, quel intérêt tirera ce dernier – qui était le Commandant en chef des forces armées de Habré pendant « Septembre Noir » – de l’affaire Habré ? Aucun, si ce n’est un rappel que personne n’est au-dessus de la loi.

Nous, avec les membres de la société civile et d’organisations de défense des Droits de l’homme, sommes pleinement engagés dans la lutte contre l’impunité. Le procès de Hissène Habré sera un avertissement envoyé à tous les puissants et gouvernants d’Afrique, y compris à Idriss Déby Itno.

C’est bien la persévérance et la ténacité inouïes des victimes de Hissène Habré qui font des Chambres africaines extraordinaires un « tournant pour la justice en Afrique », comme le titrait le journal Le Monde. Les victimes ont su, par leur courage, gagner tout notre respect et nous sommes fiers de les représenter. L’affaire Habré leur appartient, mais le précédent Habré, lui, appartiendra à toute l’Afrique et à tous les Africains. Que Hissène Habré et ses avocats le veuillent ou non.

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** Le collectif des avocats des victimes du régime de Hissène Habré est composée de Me Jacqueline Moudeina, avocate au Barreau de Ndjamena, 
Me Assane Dioma Ndiaye, avocat au Barreau de Dakar,
Me Georges-Henri Beauthier, avocat au Barreau de Bruxelles,
Me William Bourdon, avocat au Barreau de Paris, Me Soulgan Lambi, avocat au Barreau de Ndjamena, Me Delphine K. Djiraibe, avocate au Barreau de Ndjamena
et Me Alain Werner, avocat au Barreau de Genève

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