Obama au Ghana : Un vent porteur de changements?
Avec le voyage du président des Etats-Unis, Barak Obama, la semaine dernière, Charles Abugre espère que souffle un vent de nouveau, porteur de changements. Du discours d’Obama il attendait qu’il influence de façon importante le regard que le monde porte sur l’Afrique. Anticipant tous les propos sur la bonne gouvernance et la démocratie, il insistait sur la nécessité, pour le président américain, de reconnaître le rôle historique de son pays dans ce qui a miné la stabilité et le progrès en Afrique. Obama est venu, a séduit, mais la solutions aux maux de l’Afrique ne se trouve pas dans les intentions affirmée. Abugre soulève un ensemble de paramètres indispensables pour développer un nouveau commencement nécessaire à des relations afro-américaines basées sur des intérêts réciproques et le respect. Un nouveau cadre pour désamorcer la peur d’une militarisation américaine et revoir les relations économiques des USA avec le continent.
Qu’il ait régné sur Accra, capitale du Ghana une ambiance de carnaval en attendant la visite d’Obama n’a rien de surprenant. Je me souviens de l’excitation dans les rues d’Accra en octobre 1994 lorsque le ministre de la Nation of Islam, Louis Farrakhan, a conduit 2000 Noirs Américains à Accra pour la première Nation of Islam first International Saviour’s Day. Les foules avaient envahi les rues pour les saluer. Il était venu prêcher le réveil et la rédemption. En mars 1998, en proie à une popularité en baisse et au scandale sexuel, les Clinton ont eu un succès foudroyant à Accra. Bill Clinton a été accueilli par la population avec enthousiasme – comme une star du rock- et est apparu plus tard en tenue ghanéenne. Il a prêché l’espoir pour l’Afrique, a offert de l’aide et a aussi présenté des excuses pour son inertie lorsque des centaines de milliers de personnes se faisaient massacrer lors du génocide au Rwanda.
Une décennie plus tard, le président Georges W. Bush, traînant la plus grande impopularité qu’un président américain ait connue, responsable d’une guerre illégale et meurtrière en Irak, est arrivé à Accra. Il a été reçu comme un héros, un sauveur qui libère l’Afrique de la maladie. Il a dansé et a été envoûté. Il a prêché la liberté et la démocratie, a promis d’augmenter l’aide pour lutter contre le HIV/SIDA et la malaria, tout en niant l’existence d’un programme américain agressif pour le continent dont l’objectif serait d’assurer l’accès aux ressources pétrolières
Où dont est la nouveauté dans la visite d’Obama ? Son voyage au Ghana est son seconden Afrique en l’espace d’un mois et ce après seulement 7 mois passés à la présidence. Il est d’abord allé au Caire en Egypte au début juin. Ceci est un record et signifie que l’Afrique est plus qu’un intérêt passager. En outre, il n’y a jamais eu de présent américain ayant des racines africaines, ce qui fait de sa visite comme un retour au bercail, que lui-même l’envisage sous cet angle ou non. Etre un fils de l’Afrique a en soi plus de significations pour les Africains - à tout le moins la fierté, la dignité et l’espoir - que n’importe quel discours.
(…) Le personnage d’Obama surpasse son rôle de simple politicien. Il est devenu une icône qui, comme pour toutes les icônes, génère des disputes quant aux valeurs et significations qui la sous-tendent. Il signifie l’espoir, un vent nouveau, le triomphe de notre humanité commune, l’égalité entre les peuples et les cultures et beaucoup d’autres choses. Mais il signifie aussi pragmatisme, une manifestation du pouvoir américain, la responsabilité et les intérêts.
(…) Son discours au Caire, largement orienté vers le monde musulman, est un excellent parallèle. Là-bas, il a reconnu que les réalités d’aujourd’hui sont enracinées dans des siècles de co-existence mais aussi de conflits et de guerre. Un nouveau commencement devra prendre en compte l’histoire et se construire sur un respect mutuel, des intérêts mutuels et une écoute mutuelle. Il a mentionné ce que la culture musulmane a donné au monde- une poésie immortelle, de la musique raffinée, une élégante calligraphie, par exemple. Il a parlé de l’alliance inaltérable avec Israël en raison des liens culturels et historiques. Il a reconnu les torts de l’Amérique à l’égard de l’Iran, en particulier le rôle de la CIA dans sa tentative de renversement d’un gouvernement démocratiquement élu.
Les parallèles avec l’Afrique sont frappants. L’humanité est collectivement redevable à l’Afrique, en matière de culture, de musique et de calligraphie (dans le cas de l’Ethiopie), de multiculturalisme et de l’histoire de la co-existence de cultures diverses. Si quelqu’un peut reconnaître ce que l’Afrique a à offrir d’autre que des ressources minières, c’est un fils de l’Afrique. Il est bon d’entendre que l’Afrique n’exporte pas seulement la pauvreté et les conflits. Il y a tellement plus dans l’histoire entre l’Afrique et les Etats-Unis qui peut créer une alliance inaltérable.
La visite Obama au Ghana coïncide avec le centième anniversaire de la naissance de son père fondateur, Kwame Nkrumah. Il arrive dans un aéroport construit par Nkrumah, il parle dans un parlement construit par Nkrumah et il bénéficie de l’électricité qui résulte des investissements de Nkrumah. Tous ces projets avaient été décriés en Occident qui parlait ‘’d’éléphants blancs’’, y compris l’extension du port et des routes. Il s’adresse à une élite éduquée qui, pour la majorité, a bénéficié des efforts sans faille de Nkrumah en faveur des écoles. Lorsqu’il chante la louange de la paix relative qui règne au Ghana, il rappelle que celle-ci est le résultat de stratégies de développement équitable dans les années 1960 qui ont fourni des opportunités à tous les groupes ethniques. La valeur de l’Etat aux yeux des Ghanéens - qui mérite la prise de risque pour promouvoir la gouvernance démocratique- est enracinée dans la culture d’un Etat qui fournit des services essentiels et ce dès 1960.
Lorsqu ’Obama réfléchit à tout cela, il aura peut-être à cœur de présenter des excuses pour le rôle de la CIA dans la destitution du gouvernement démocratiquement élu de Kwame Nkrumah, afin de satisfaire à des intérêts stratégiques de la Guerre Froide. Ce faisant, il pensera peut-être aussi à présenter des excuses pour le rôle de la CIA dans l’assassinat de Patrice Lumumba dont la conséquence est le chaos qui règne aujourd’hui encore dans la République démocratique du Congo. Les coups d’Etat militaires en Afrique, la plus grande menace pour la démocratie et la bonne gouvernance, y ont été introduits par la CIA et d’autres agences de renseignement occidentaux. Ne pas reconnaître ce fait dans un discours sur la bonne gouvernance, c’est minimiser l’histoire africaine de la lutte pour la démocratie. Un bon fils de l’Afrique ne saurait se rendre coupable d’un tel forfait.
Dans son insistance sur la bonne gouvernance, le président Obama se souviendra peut-être que dans l’expérience des Africains, les militaires ne sont pas des protecteurs mais les instruments d’intérêts destructeurs, que les militaires soient étrangers ou nationaux. La militarisation signifie une interférence dans le processus démocratique. Dans l’expérience des Africains la montée en puissance des militaires est le prélude à des interventions extérieures servant à soutenir un dictateur, ou la perturbation d’une élection pour la protection d’intérêts étrangers. Si Obama est sérieux à propos de la démocratie et de la bonne gouvernance, il aura à cœur de dissiper la peur (et la rumeur) que les Etats-Unis sont en train d’activement militariser le Golfe de Guinée par des activités accrue des forces navales américaines.. Il devrait dire, haut et clair, qu’il respecte la réticence de l’Union africaine à permettre une présence militaire américaine plus importante, que ce soit par des droits à l’atterrissage ou pour héberger des installations de l’AFRICOM (United States Africa Command). Il doit faire taire la rumeur qui circule au Ghana, selon laquelle l’ancien président du Ghana, John Kufuor, a passé un accord permettant aux forces américaines d’utiliser le territoire du Ghana.
Malgré la démocratie et la bonne gouvernance, il est difficile de maintenir une atmosphère paisible lorsque la majeure partie de la population n’a ni éducation ni emploi, ce dernier étant source de revenus permettant de faire vivre les institutions démocratiques. Lorsque les institutions publiques sont financées soit par de l’aide étrangère soit indirectement par des compagnies étrangères, plutôt que par un système d’impôts, le gouvernement tend de facto à rendre des comptes à l’extérieur. Tous les types d’emplois ne sont pas propices à la démocratie. Les emplois concentrés dans le monde rural et sur la production primaire ne tendent pas à créer une masse critique de militantisme et de prise de conscience requise pour demander des comptes au gouvernement, contrairement aux emplois dans le secteur de la manufacture et des services à valeur ajoutée. A mon avis, la production de biens et services à valeur ajoutée ainsi que la taxation sont les instruments les plus puissants pour la démocratisation. Il est donc impossible de séparer l’économie de la démocratie.
Il serait utile que le discours d’Obama prenne en compte ces situations. En plus, il y a deux choses qu’il pourrait faire: il pourrait étendre sa croisade contre ceux qui trompent le fisc et revoir les politiques économiques américaines actuelles avec l’Afrique. La question de la taxation signifie la capacité de faire rentrer les impôts, le partage de la location des ressources naturelles entre les pays africains et les compagnies minières étrangères - dont de nombreuses compagnies américaines ou cotées en bourse aux USA - qui échappent au fisc en s’échappant vers les paradis fiscaux. Ce serait magnifique si Obama devait demander à Newmonts et autres multinationales de publier leurs comptes, pays par pays, y compris leurs profits et la façon dont ces derniers sont partagés ou réinvestis. Il serait déjà bon de prendre note de la nature pernicieuse de l’évasion fiscale des multinationales.
Ce serait également utile si Obama déclarait qu’en accord avec la convention des Nations Unies sur la corruption, les Etats-Unis poursuivront en justice les compagnie américaines ou africaines ou les individus actifs sur les marchés américains, suspectés de corruption, d’évasion fiscale ou de fraude fiscale. Ceci serait un merveilleux signal de dissuasion. Résoudre la question des impôts permettrait à l’économie africaine d’encaisser quelques US$ 50 milliards par an.
A l’hémorragie des ressources s’associe la question de la dette. Les effets de l’allègement limité de la dette, qui résultent de l’initiative multilatérale, ont été annulés par la flambée des prix des denrées alimentaires et la crise financière. Deux choses doivent se passer. Obama doit répondre à l’appel des Nations Unies pour un moratoire sur le remboursement des dettes en se basant sur la législation américaine sur les faillites. Ceci serait juste et démontrerait qu’Obama écoute les Nations Unies en matière économique. Ensuite, il y a un besoin impérieux pour des solutions structurelles. Ceci devrait prendre la forme d’une commission indépendante d’arbitres qui opèrent sous l’égide des Nations Unies et qui servent de médiateurs entre les débiteurs et les créanciers, plutôt que le système actuel où le débiteur est entièrement à la merci du créditeur. Ceci n’est pas seulement juste mais indispensable pour un système international stable qui profite aux riches comme aux pauvres.
En ce qui concerne la production à valeur ajoutée, Obama a déjà fait un pas dans la bonne direction en poussant la productivité agricole vers le haut de l’agenda international. Mais d’abord quelques mises en garde s’imposent. La focalisation sur la productivité agricole ne doit pas devenir le prétexte pour des compagnies étrangères à accaparer la terre ou à imposer des méthodes coûteuses, tributaires de quantités d’intrants, au nom de la modernisation. La question de l’accaparement des terres est particulièrement préoccupante. Une étude récente de la FAO dans cinq pays africains, y compris le Ghana, montre que 2,5 millions d’hectares, en parcelles de plus de 1000 hectares, ont été acquises, au nom de la promotion de l’investissement étranger direct. Les acquisitions ont dans certains cas la taille de 450 000 hectares (Madagascar) et 400 000 hectares (Ghana), dont la plus grande partie va servir à la fabrication de biocarburants. La totalité des investissements prévus pour l’acquisition de terrains de plus de 1000 hectares dépasse 1 milliard de dollars au jour d’aujourd’hui. Le mythe que l’Afrique est le continent avec de la terre en abondance n’appartenant à personne est dangereux pour le futur et l’équité sociale.
Sur une note plus positive, Obama a l’opportunité au moyen de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) et le Millenium Challenge fund de démontrer son soutien à miser prioritairement sur la productivité. Cependant, pour se faire, il sera nécessaire de réviser radicalement ces deux instruments. Tel qu’ils sont actuellement, ils vont dans le sens opposé. Les Américains, en imposant, dans leurs critères d’éligibilité, l’usage de produits patentés aux USA, en imposant la privatisation et en insistant sur la précondition qui interdit aux Etats une implication économique directe, découragent et minent la capacité de production de l’Afrique. Ils découragent aussi les Africains d’établir des politiques industrielles afin de sortir de la dépendance des matières premières et usent de l’assistance technique afin de persuader les gouvernements de prendre des mesures de libéralisation du commerce ce qui sape l’objectif visant à la diversification des économies.
Le point de vue, qui veut que la libéralisation à tous crins soit la panacée pour l’économie, vient d’être démenti. Ceci est encore plus vrai dans le cas des pays africains. Si Obama veut réellement promouvoir la production à valeur ajoutée en Afrique, il devrait donner des indications claires selon lesquelles le temps des idéologies économiques extrêmes est révolu et que les Africains sont peu susceptibles d’échapper à la production des seules matières premières et du chômage, à moins que l’Etat prenne une part active et équilibrée dans les investissements, la manufacture et en augmentant sa part dans la chaîne des valeurs.
Une telle stratégie existe déjà en Afrique. En 2004, L’Union africaine, les ministres africains de l’industrie et le NEPAD (New Partnership for Africa’s Development) ont adopté l’ African Productivity Capacity Initiative (ACPI) dont le but est précisément le sage usage de politiques industrielles, d’investissements publics et privés dont le but est la production à valeur ajoutée. Cette stratégie ne peut pas aboutir sans la protection ciblée et limitée dans le temps des industries naissantes, y compris un usage judicieux des politiques commerciales. Obama devrait manifester son soutien à une telle approche et aligner sa stratégie agricole sur l’initiative agricole africaine. Un tel soutien, même avec des moyens modestes, aurait une très grande valeur en terme politique. Il devrait également indiquer au FMI et à la Banque Mondiale que le modèle économique néolibéral avec lequel ils travaillent est rendu caduc par la pauvreté globale, les crises financière et commerciale.
Obama doit continuer à souligner la responsabilité personnelle des populations et des dirigeants africains. Il devrait leur demander de s’accommoder de ce qu’ils ont, de mobiliser plus de ressources à l’intérieur, d’éliminer la corruption et de vivre moins somptueusement. Il devrait louer le Professeur Atta Mills pour la modestie de ses cortèges d’automobiles et pour n’avoir pas emménagé dans le palais présidentiel ridiculement luxueux construit à grand renfort d’emprunts alors que les gens n’avaient rien à manger. Il devrait aussi rappeler aux parlementaires africains qu’ils n’ont pas le droit à un niveau de vie plusieurs fois supérieur à celui de la population. Il devrait décourager les politiciens africains d’être des hommes d’affaire, ceci représentant un conflit d’intérêt et la source de la corruption. Il devrait leur dire que les citoyens les jugeront aux nombres de citoyens qui ont de l’emploi, accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau et à la protection personnelle.
Par-dessus tout, il devrait se souvenir, et nous avec lui, que le vent de renouveau qui a soufflé à travers tout le continent et qui a pris son essor à Accra en 1957, pour être étouffer pendant plusieurs décennies, ce vent là est peut –être entrain de se lever à nouveau. Qui mieux que Barak Hussein Obama pour comprendre cela?
* Charles Abugre est à la tête du département de Global Policy and Advocacy de Christian Aid
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