Madagascar et ses ressources naturelles : c’est bien plus grave que ce qu’on vous dit!
Paradis terrestre où tout est accessible si facilement, Madagascar voit le pillage de ses ressources naturelles s’organiser à une échelle à une échelle inouïe. Multinationales et compagnies privées étrangères en profitent d’autant plus que la gouvernance est faible et le peuple maintenu dans une “ignorance totale”. Projets miniers, pétroliers, minerais, bois précieux, ressources halieutiques, plantes médicinales et biopiraterie, puits de carbone, la liste est longue.
Le 13 septembre 2012, je venais d’apprendre via les médias malgaches et internationaux que l’autorité transitoire à Madagascar dirigée par Andry Rajoelina (qui rappelons-le, est une autorité de fait et non élue) venait de donner officiellement son accord, ou son approbation pour le projet minier Ambatovy (1) avec la société Sherrit International. En d’autres termes, on passe à l’étape de l’exploitation. Dans la même journée, j’ai aussi appris que l’action en bourse de Madagascar Oil (2) a légèrement augmenté passant de 22,25 pence (soit 0.27 euros, 771 ariary) à 28 pence (0,35 euro, 1000 Ariary), augmentant ainsi sa capitalisation boursière aux alentours de 87 millions d’euros à la dernière négociation.
Quelques jours auparavant j’ai appris, via le collectif Tany et quelques journaux en ligne, que plusieurs milliers de paysans ont été expulsés par la société Bionexx (3) du côté de Fenomanana, près d’Imerintsiatosika, dans le district d’Arivonimamo. Les médias locaux parlent d’expulsions de 6000 familles et des emprisonnements. Des paysans qui continueraient à occuper illégalement 658 ha de terres (sur lesquelles ils vivent depuis plusieurs décennies!) que la société Bionexx loue désormais auprès d’une entreprise lybienne Laico. Encore, une autre affaire d’accaparement de terres, ou “land-grabbing” selon le jargon de l’organisation RAFI qui l’a inventé et qui fait de la lutte contre l’accaparement des terres dans les pays du Sud, une de ses priorités – terme largement popularisé et approprié par les experts mondiaux des questions foncières et des conflits environnementaux.
Une semaine auparavant, je venais de recevoir un rapport de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) intitulé « Préparer le chemin pour atteindre un impact positif net sur la biodiversité pour les activités de Rio Tinto QMM ». Il s’agit en fait d’une initiative commune de l’UICN et de Rio Tinto, groupe mondial d’exploitation minière, principal partenaire de l’État malgache dans la région Anosy pour l’exploitation de l’ilménite. Visiblement, l’UICN félicite les efforts déployés par Rio Tinto QMM (4) pour protéger l’environnement et la biodiversité dans la région d’Anosy. Cette même entreprise qui, pour le besoin de ses extractions, va dégrader 1665 ha d’habitat forestier littoral (5) sur les sites miniers de Mandena, Petriky et Sainte Luce en 40 ans et avait déjà commencé à déplacer des communautés (UICN et Rio Tinto, 2012). Rio Tinto QMM assure néanmoins que ces communautés ont reçu des compensations financières.
J’ai découvert aussi, il n’y a pas si longtemps, que la société Mainland Mining Ltd, (6) qui explore actuellement (ou exploite, on ne sait plus trop!) l’ilménite et le zircon dans les régions Analanjirofo et Vatovavy Fitovinany, avait obtenu une concession de 26 000 carrés miniers de la part de l’État Malgache. D’après Hariniaina et Zafimahova (2012), voici les engagements de Mainland :
- Construction d’une usine de séparation de pré-concentres d’Ilmenite pour produire annuellement (à partir de 2016) 900.000 tonnes d’Ilmenite pur, 35.000 tonnes de Zircon et 1.000 tonnes de rutile
– Construction d’une usine de production de dioxyde de titane de 35.000 tonnes/an
– Construction d’un barrage hydroélectrique de 60MW sur le site d’Ivolobe Toamasina dont 30 MW pour les besoins en énergie des usines
– Construction d’un port destiné à l’exportation des produits miniers et commerciaux
– Création de plus de 1.000 emplois directs pour les travaux de recherche et de construction et 1.000 autres supplémentaires pour l’exploitation.
Cependant, la société n’aurait ni paramètres de suivi environnemental, ni un responsable environnemental du projet, ni rapport de suivi environnemental, encore moins un acte domanial du terrain (Source : Hariniaina et Zafimahova, 2012). Autre précision importante, toujours d’après le même rapport : l’appel d’offre pour l’ilménite de Manakara avait été lancé par le Bureau du cadastre minier de Madagascar, avec l’aval du ministère de l’Énergie et des Mines (cf. lettre N 039/MEM/SG/DG/DMG du 21/01/2008) en date du 26 juillet 2008, c’est-à-dire à l’époque de Marc Ravalomanana, président élu du peuple.
A la lecture de ce rapport, j’ai été frappée par ce chiffre de 26 000 carrés miniers que j’ai d’ailleurs retrouvé dans divers articles de journaux malgaches et sur RFI. Alors, j’ai fait une petite recherche et visiblement, 1 carré minier équivaudrait à 85 ha. Et si vous faites le calcul, on arrive donc à 2 221 000 ha de terres (à vous de vérifier au cas où je me serais trompée !). Au vu de ce chiffre, je peux vous assurer que j’ai un peu paniqué. Ça me paraissait bien trop grand. Alors, j’ai voulu vérifier et effectivement, c’est bien au-dessus des 1 300 000 ha que Daewoo souhaitait louer pour 99 ans à Madagascar. Vous vous rappelez de l’affaire de “land-grabbing” avec Daewoo ? Une affaire qui a particulièrement bouleversé l’opinion publique malgache et internationale, et qui a été, osons le dire, fatale au président de la République de l’époque.
Bon, je continue… Il n’y a pas si longtemps que ça, peut-être il y a sept mois, j’ai rencontré un chercheur “vazaha” qui aime beaucoup Madagascar et qui est un grand spécialiste des conflits environnementaux mondiaux. Et puis il me demande : “Alors, vous les Malgaches, vous ne réagissez pas à ce projet d’exploitation de sables bitumineux de Bemolanga et Tsimiroro par Total ?”. Et moi, comme une extraterrestre, je lui réponds très franchement : “Mais de quoi vous me parlez là?”. D’abord, il croyait à une blague de ma part, mais très vite, il a compris que comme beaucoup de citoyens malgaches, je n’étais pas au courant.
Et non, je n’étais vraiment pas au courant du fameux “sable bitumineux”. Alors, il m’a donnée quelques liens sur le net, j’ai fait mes recherches, et je suis littéralement tombée des nues à la lecture de ce document : “Marginal Oil : What is driving oil companies dirtier and deeper?”, ou si l’on traduit “Pétrole marginal : qu’est-ce qui emmène les compagnies pétrolières toujours plus loin et plus sale ?” (Rapport de Heinrich Böll Stiftung et Friends of the Earth, 2011). Et j’ai été encore plus abasourdie à la lecture de celui-ci : “Impacts sociaux et environnementaux de l’exploitation des sables bitumineux : les cas du Canada et de Madagascar” (Des Amis de la Terre, 2011). Puis, je tombe aussi sur cet article : “Total et l’or sale de Madagascar”. Voici le lien pour ceux qui le souhaitent : http://blogs.mediapart.fr/blog/jade-lindgaard/141210/total-et-l-or-sale-de-madagascar
Très brièvement, j’apprends donc à la lecture de ces documents, ainsi que de quelques autres, qu’en septembre 2008, c’est-à-dire juste avant le coup d’État militaro-civil de 2009, Total a payé 100 millions de dollars pour ses 60 % du champ de Bemolanga, devenant ainsi son exploitant unique et ayant convenu d’un programme de travail de deux ans destiné au forage de 130 puits principaux supplémentaires pour un coût de 200 millions de dollars. D’après les estimations, le champ de Bemolanga contiendrait plus de 16,5 milliards de barils de pétrole en place, avec près de 10 milliards de barils de pétrole récupérable, et le développement du champ coûtera entre 5 et 10 milliards de dollars (Source : Friends of the Earth, 2011).
On apprend aussi que les conditions commerciales et financières accordées par Madagascar aux sociétés pétrolières partenaires leur sont exceptionnellement favorables : pendant 10 ans, elles toucheront 99% des recettes tirées de la vente de l’or noir extrait des sables, l’État malgache ne touchant que 1% (Sources : Guardian et Jade Lindgaard). Mais ce qui est très important à savoir, c’est que “les sables bitumineux sont un mélange naturel de sable ou d’argile, d’eau et d’une forme très visqueuse et dense de pétrole que l’on appelle le bitume. Les processus qui permettent de transformer les sables bitumineux en carburant libèrent de 3 à 5 fois plus de gaz à effets de serre (GES) que le pétrole conventionnel. Les sables bitumineux produisent le carburant pour transport le plus nuisible au climat qui soit commercialisé actuellement. Leur extraction et transformation provoquent de graves pollutions de l’air et de l’eau, des changements d’affectation des sols dus à la destruction des forêts, la perte de biodiversité et la destruction des conditions d’existence des communautés locales. Il faut extraire, transporter et traiter près de 2 tonnes de sables bitumineux pour produire 158,9 litres de pétrole c’est-à-dire 1 baril.” (Source : Friends of the Earth, 2010).
Selon Juliette Renaud des Amis de la Terre France, qui a conduit une mission de terrain à Madagascar en 2011, même des responsables au sein des ministères concernés et de l’ONE ne connaissent pas les enjeux de ce projet et n’ont jamais vu le contrat conclu entre Total et l’Etat malgache. Pire, selon elle, les autorités publiques locales dans les régions de Bemolanga et Tsimiroro n’ont pas accès aux informations concernant cette exploitation du sable bitumineux dans leur région. Certains responsables leur ont clairement révélé que, de toute façon, c’est une décision qui vient d’en haut ! Voilà la réalité à Madagascar pendant qu’en Europe, on veut que les industries extractives réduisent leurs externalités négatives. En octobre 2011, la Commission européenne a publié une proposition relative à la mise en œuvre de la Directive sur la Qualité des Carburants, votée en 2008 sous présidence française de l’Union Européenne. Cette directive vise à réduire de 6% les émissions de gaz à effet de serre (GES) des carburants pour les transports.
La liste des projets d’exploitation des ressources naturelles et des actifs naturels sur le territoire malgache est long, bien trop long (projets miniers, pétroliers, minerais, exploitation illégale légalisée du bois précieux, pillage des ressources halieutiques, plantes médicinales et biopiraterie, les puits de carbone ou REDD, les terres, etc). Et malheureusement, elle est méconnue du “grand public” alors que les enjeux sont colossaux. Pourtant, il s’agit indiscutablement d’une question de “choix social” qui devrait être démocratique, concerté et négocié. Les dirigeants d’hier et d’aujourd’hui hypothèquent le futur de tout un peuple et celui de la génération future Malgache, en négociant et signant de “manière unilatérale” ces différents contrats, sous-prétexte d’une nécessité de redressement du pays et de préalables au développement.
Tous ces projets, catastrophiques et irréversibles pour certains, ont un coût incommensurable pour la Société malgache, notamment les 75% de population pauvre et extrêmement vulnérable, sans parler des dégâts irréversibles pour l’environnement et pour notre biodiversité. Une vraie injustice environnementale, économique et sociale ! Bien sûr, ces projets sont indéniablement bénéfiques pour l’Etat malgache qui devrait théoriquement bénéficier de taxes et de royalties (encore faut-il que ça arrive dans les caisses !), pour les élites qui réussissent à “capter la rente” (c’est devenu monnaie courante pour cette catégorie sociale privilégiée !) et pour les quelques Malgaches qui sont employés dans ces projets, mais aussi et surtout pour les compagnies privées venues dans ce pays béni des dieux, ce paradis terrestre où tout est accessible si facilement. Et bien évidemment, les multinationales et les compagnies privées étrangères ne peuvent que se saisir de telles opportunités, surtout quand la gouvernance est faible, et le peuple maintenu dans une “ignorance totale”.
Enfin, pour terminer cette première partie de mon article, je voudrais vous partager deux des principes fondamentaux de la justice environnementale, mouvement né aux USA dans les années 1980 pour dénoncer à l’époque le “racisme environnemental”, mais qui est devenu aujourd’hui un Mouvement mondial qui milite pour une transition vers des sociétés soutenables et qui dénonce les pollutions et les injustices environnementales subies par les pays pauvres.
Premier principe : “Le droit à un environnement sain est reconnu à tout homme, quel que soit sa race, son appartenance ethnique, son revenu” (De Joan Martinez-Allier, Professeur des Universités à l’Université Autonome de Barcelone). En d’autres termes, le Malgache aussi pauvre qu’il soit, quelle que soit son ethnie, a aussi le droit de vivre dans un environnement sain sans avoir à subir tant d’injustice!
Le second principe : “Quand tu subis de l’Injustice, tu dois parler pour toi-même” (De Robert Bullard, un des Pères du Mouvement Environmental Justice aux USA). Si je l’interprète à ma manière, je dirai : “Malgache, reprends en main ta destinée! Exprime-toi! Choisis et façonnes la Société de demain que tu souhaites”.
Merci à vous de m’avoir lue! J’ai été particulièrement longue ce soir
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NOTES
(1) Le Projet Ambatovy est le fruit d’un partenariat entre quatre Sociétés ; Sherritt International Corporation et SNC-Lavalin Incorporated, toutes les deux du Canada ; Sumitomo Corporation, du Japon et Korea Resources Corporation, de Corée. En 2011, le projet Ambatovy était dans la phase finale de la construction, mais a priori le démarrage des activités est pour bientôt puisqu’il vient d’être officiellement autorisé par le “gouvernement de Transition”. D’après les responsables (site internet), une fois pleinement opérationnelle, la production annuelle d’ Ambatovy s’élèvera à 60 000 tonnes de nickel raffiné, 5 600 tonnes de cobalt raffiné et 210 000 tonnes d’engrais sous forme de sulfate d’ammonium pendant au moins 29 ans. Le nickel et le cobalt deviendront feront alors partie des plus importants produits d’exportations de Madagascar.
(2) Madagascar Oil Sa est une société pétrolière malgache spécialisée dans le développement, exploration et exploitation du pétrole. Elle est la première compagnie pétrolière “onshore” à Madagascar en termes de ressources pétrolières et de km². Sur ses concessions se trouvent les immenses gisements de pétrole lourd de Tsimiroro et Bemolanga (découvert vers 1850). En regardant le site internet de la compagnie, voici la liste des membres du Board : John Laurie Hunter (Chairman and Chief Executive Officer), Mark Field Weller (Chief Operating Officer), Andrew James Morris (Non-Executive Director), Ian Colin Orr-Ewing (Non-Executive Director), Ian Christopher Simon Barby (Non-Executive Director), John Alexander van der Welle (Non-Executive Director). Et voici le Management team : Seth Fagelman (Chief Financial Officer), Gil Melman (General Counsel), Alvaro Kempowsky (General Manager, Madagascar), Dr. Emma Ralijohn (Deputy General Manager, Madagascar), Jim Lederhos P.E. (Chief Engineer).
(3) Bionexx est une jeune société malgache créée en 2005. Elle a démarré une activité de culture et de purification de l’Artémisia Annua (AA), plante de laquelle est extrait un principe actif permettant de lutter contre le paludisme et la malaria, appelé artémicine (Source : AFD). Avec une production annuelle de 500 tonnes par an, Bionexx ambitionne d’être le leader mondial en tant que fournisseur en artemicine d’ici 3 à 4 ans, avec une part de marché égale à 25 %, soit le 1/4 du marché international. Elle fournit des industries pharmaceutiques mondialement connues comme Novartis, Sanofi Aventis, Indena… et emploie environ 3100 petits paysans (Sources : AFD, PNUD et journaux locaux).
(4) QIT Madagascar Minerals (QMM), détenue à hauteur de 80% par Rio Tinto et de 20% par l’Etat malgache, a mis en chantier une opération d’extraction de sables minéralisés près de Fort Dauphin à l’extrémité sud-est de Madagascar. Au cours des 40 années à venir, QMM prévoit d’extraire de l’ilménite et du zircon à partir des sables minéraux lourds sur une zone d’environ 6000 ha le long de la côte. QMM a commencé à explorer la région d’Anosy vers la fin des années 80 et en même temps à entamer des études sociales et environnementales préliminaires. (Source : site internet de l’entreprise).
(5) La forêt littorale est un habitat rare et menacé à Madagascar ; près de 90% de ce type d’habitat a déjà été détruit suite. Près de 1 665 hectares (soit 3,5% des 47 900 hectares restants de forêt littorale à Madagascar) seraient perdus en raison du dragage, qui détruit non seulement la végétation mais enlève aussi le sol et la banque de graines qu’il contient. (Source : UICN & Rio Tinto QMM, 2012)
(6) Mainland Mining Ltd est une société chinoise arrivée à Madagascar en 2008, et qui à terme, souhaite extraire de l’ilménite et du zircon. D’après le Collectif TANY, l’Office national de l’environnement (ONE) est particulièrement vigilant par rapport à ces 26 000 carrés miniers dont MAINLAND a obtenu des “permis de recherche”. Leur zone de recherche s’étend ainsi de Vatomandry à Farafangana, c’est-à-dire sur près de 400 kilomètres de côtes.