Leurres et lueurs de la libéralisation du commerce pour les femmes en Afrique
L’Afrique subit depuis dix ans les contre-coups d’une libéralisation sans ambages qui, selon Cheikh Tidiane Dièye, a fini de donner un coup de massue au continent. Plus que tout autre groupe, ce sont les femmes qui portent le lourd fardeau de la paupérisation résultant de ce commerce mondial inégal. Aussi, il revient à ces mêmes femmes de s’ériger en rempart contre ce système inégal et gagner le combat pour un système commercial meilleur à l’échelle mondiale.
Bien que de nombreux pays africains aient adopté ces vingt dernières années des réformes économiques parfois draconiennes, les avantages de la libéralisation du commerce qui avaient été promis - hausse des investissements étrangers directs, ouverture des marchés du Nord et accroissement du transfert de technologies et de l'assistance technique - ne se sont pas matérialisés.
Au contraire, les pays développés ont bénéficié de 70 % des richesses générées par la libéralisation des échanges. A certains égards, les réglementations du commerce mondial -- définies en grande partie par les pays industrialisés au cours des accords du Cycle d'Uruguay de 1986 à 1994 -- n'ont fait qu'accroître les difficultés économiques de l'Afrique.
Avant l’obtention du « consensus ambigu (1)» de Doha qui est à la base du lancement du cycle de négociations multilatérales en cours à l’OMC, « La bataille de Seattle (2) » avait déjà révélé au monde l’insatisfaction grandissante des pays en développement quant à l’OMC dont le fonctionnement ne semblait pas répondre à leurs aspirations profondes de progrès économique et de développement. Soutenus par de puissants regroupements d’acteurs non gouvernementaux, ils avaient alors mis en pratique leur pouvoir de blocage des négociations en refusant de se soumettre à un éventuel consensus.
Par cet acte inédit, les pays en développement, ceux d’Afrique en particulier, avaient réussi à attirer l’attention de la communauté internationale et des représentants des institutions multilatérales sur les graves inégalités qu’une mondialisation inéquitable a engendrées, avec comme corollaire la réduction de milliards d’êtres humains au dénuement le plus total et la destruction quasi irréversible de l’environnement.
C’est pourquoi à Seattle, alors que les Etats-Unis et l'Europe souhaitaient entamer un « cycle du millénaire » de négociations de grande envergure, portant sur de nouvelles questions complexes, et notamment sur les politiques d'investissement, la concurrence, le commerce électronique, et les normes en matière de droit du travail et d'environnement, bon nombre de pays africains préconisaient « un cycle de développement », qui permettrait d'examiner la mise en oeuvre des réglementations du Cycle d'Uruguay concernant directement les pays en développement, et de pousser les pays industrialisés à respecter leurs engagements.
Ces pays espéraient ainsi réussir, finalement, à ouvrir à leurs exportations les marchés des pays développés, à éliminer d'autres déséquilibres structurels défavorables aux pays en développement, à supprimer les barrières tarifaires, non tarifaires et techniques imposées aux exportations des pays les moins avancés et à développer et officialiser les programmes d'assistance technique et de renforcement des capacités de l'OMC.
Le groupe africain proposait, dans cette perspective, de renouveler et de faire appliquer les dispositions « spéciales et préférentielles» des accords d'Uruguay visant à faciliter l'intégration des pays en développement au système du commerce mondial.
Après l’échec de Seattle, la quatrième conférence ministérielle de l’OMC fut tenue à Doha, au Qatar, en novembre 2001 avec une volonté commune des membres de corriger les dysfonctionnements du système commercial multilatéral. Les pays développés y firent les promesses entre autres, de réduire ou d’éliminer les subventions qui entraînent des distorsions sur les marchés internationaux ; de lever les obstacles à l’accès des produits des pays en développement à leurs marchés, de reconnaître et de rendre effectif un traitement spécial et différencié, de faciliter l’accès des pays pauvres aux médicaments essentiels et de créer les conditions d’une participation accrue de ces pays aux négociations commerciales par l’assistance technique et le renforcement des capacités.
Au contraire, la volonté farouche des pays développés de défendre les intérêts de quelques uns de leurs citoyens privilégiés et de leurs multinationales a tout de suite pris le dessus sur les considérations éthiques et les préoccupations de survie des populations africaines : l’accès aux médicaments essentiels reste encore bloqués pour des millions de malades africains à cause des intérêts mercantilistes ; des millions d’agriculteurs s’enfoncent chaque jour dans la pauvreté à cause des subventions illégales (3) du Nord et les pressions pour une libéralisation accrue des services sociaux de base comme l’eau, l’éducation, l’énergie, la santé sont sur le point de déstructurer ce qui restait des économies africaines.
L’une des caractéristiques les plus tangibles de la pauvreté africaine est sa « féminité ». Les statistiques indiquent que les femmes africaines subissent plus que toutes autres catégories les méfaits de la pauvreté et de toute sorte de contraintes engendrés par la structure actuelle des relations économiques et commerciales mondiales. Aussi bien dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’accès à la terre, aux ressources économiques etc., les femmes africaines sont restées bien en deçà des moyennes mondiales.
Il n’est pas difficile dans un tel contexte d’établir un lien entre la situation des femmes en Afrique et le système commercial mondial qui, s’il n’en est pas le seul facteur explicatif, en est au moins un facteur important. Et pour cause. La faillite des agricultures et des industries africaines occasionnée par l’effet conjugué des politiques libérales imposées par les institutions financières internationales et des règles de l’OMC impacte davantage sur les femmes rurales comme urbaines, les exposant à une insécurité alimentaire chronique, à la mendicité ou à la précarité du secteur informel dans les villes africaines.
Une libéralisation croissante qui n’engendre pas un développement humain
D’abondants travaux ont tenté d’établir une corrélation entre le degré d’ouverture au commerce et l’augmentation de la croissance économique et du développement humain. Mais vus de près, les arguments avancés par la plupart de ces travaux sont loin d’être convaincants. Il n’y a en effet aucune preuve que la libéralisation des échanges induit automatiquement la croissance économique et le développement humain. Dans un ouvrage (4) consacré aux relations entre le commerce et le développement humain durable, le PNUD a fait une intéressante comparaison entre deux pays, selon leur niveau d’ouverture au commerce mondial, pour démontrer une telle assertion. Ces pays sont le Viet Nam et Haiti.
Depuis le milieu des années 80, le Viet Nam a entrepris une démarche progressive de réforme. Il n’est pas membre de l’OMC. Il a organisé un commerce international d’Etat, maintenu le monopole des importations, conservé des restrictions quantitatives et des droits de douane élevés (30 à 50%) sur les importations des produits agricoles et industriels. Pourtant, malgré ces mesures contraires aux « recettes» couramment préconisées par les tenants de la doctrine néolibérale, le Viet Nam a obtenu des succès spectaculaires en réalisant un taux de croissance supérieur à 8% par an depuis le milieu des années, ce qui lui vaut une augmentation de son commerce de 12%, un réduction considérable de la pauvreté, y compris en milieu rural et dans les couches vulnérables (les femmes et les jeunes) et a attiré des flux d’investissement étrangers directs considérables.
Haïti par contre s’est engagé dans une ambitieuse voie de libéralisation et d’ouverture tous azimuts depuis 1994/1995. Il a ramené ses tarifs douaniers à un maximum de 15% et éliminé toutes ses restrictions quantitatives. Son économie n’a pas pour autant évolué. Les indicateurs sociaux se sont même détériorés et la pauvreté a atteint par endroit des niveaux préoccupants. Bien qu’il soit membre de l’OMC, sont intégration dans le commerce mondial est des plus marginales.
L’analyse de l’évolution du commerce mondial sur les vingt dernières années montre que l’Afrique n’a malheureusement pas tiré profit des avantages (5) accordés et qu’en dépit de tous les accords et régimes préférentiels, la part du commerce africain dans le commerce mondial a significativement reculé, passant de 6 % en 1980 à 2% en 2004. En effet, depuis 1980, les exportations africaines ont progressé à un rythme annuel moyen de 1.5% alors que le monde progressait de 5.8% par an. Donc chaque année, l’Afrique a perdu des parts de marché par rapport au reste du monde. Si l’Afrique avait maintenu la même part du marché mondial qu’en 1980, elle aurait eu pour 140 milliards de dollars d’exportation additionnelle par année sur la période, soit près de douze fois ce que la région reçoit en aide étrangère.
Les conséquences sociales d’une telle régression économique ne sont plus à démontrer. Et les exemples ne manquent malheureusement pas. Dans le domaine agricole, l’Afrique connaît une double pression qui résulte à la fois de la concurrence des produits subventionnés du Nord sur les marchés africains et des obstacles qui entravent l’accès des produits africains aux marchés du Nord. Ces deux aspects concourent à déstabiliser les filières agricoles et à exposer les agriculteurs à une insécurité alimentaire quasi chronique.
En Afrique sub-saharienne les femmes produisent jusqu'à 80% des produits alimentaires de base dans certaines zones et jouent ainsi un rôle décisif dans la sécurité alimentaire familiale et nationale. Et dans les zones où les cultures de rente prédominent, la baisse des revenus consécutive à la baisse des protections tarifaires et à l’entrée massive de produits importés sur les marchés nationaux a exacerbé la vulnérabilité des femmes dans la mesure où elles n’ont eu d’autres choix que d’aller grossir les populations des bidonvilles pour s’y adonner à des petits emplois informels ou au petit commerce de survie.
Dans le domaine industriel, les accords de l’OMC relatifs aux règles sur l’accès aux marchés pour les produits non agricoles ont imposé une réduction drastique des droits de douane qui étaient les seuls instruments de protection des industries africaines. Cela a exposé l’industrie africaine naissante, donc vulnérable, à une confrontation directe avec les grandes firmes des pays développés qui a tourné très vite à l’avantage de ces dernières. Le secteur le plus édifiant est aujourd’hui le secteur textile africain où des pays qui avaient un avantage comparatif certain se sont vu obliger de supprimer des centaines de milliers d’emplois avant même la fin de l’accord sur les quotas en décembre 2004.
Et depuis 2005, l’entrée en force de la Chine dans le marché mondial des textiles a resserré les pressions dans ce secteur. Aujourd’hui le Nigeria, la Tunisie, la Maroc, le Ghana, le Sénégal entre autres, subissent de plein fouet les crises de ce secteur à très forte potentialité de main d’œuvre, y compris féminine.
Au Nigeria par exemple, le textile était en 1993 la deuxième source d’emplois, après le gouvernement. La plupart des emplois étaient occupés par des femmes. Mais en 1997, 60% d’entre elles se sont retrouvées au chômage suite à l’entrée en vigueur des accords de l’OMC. Ces ex-travailleuses se sont ainsi pour la plupart reversées dans l’économie informelle où elles ont commencé à accepter des contrats de couture à domicile, sans sécurité ni avantages sociaux, avec un revenu inférieur pour le même travail.
Même si libéralisation du secteur textile a augmenté et diversifié l’offre du produit dans les marchés africains où les prix ont aussi connu une tendance à la baisse, un tel fait ne peut compenser les pertes qu’occasionnera à long terme une désindustrialisation de l’Afrique. Elle n’a fait qu’augmenter l’informalisation de l’économie en développant le commerce autour de produits fabriqués ailleurs.
Plus récemment, les fortes pressions des navires de pêche de l’UE sur les ressources halieutiques sénégalaises, qui ont bien du mal à se régénérer, ont engendré des drames sociaux qui se sont manifestés par l’émigration de milliers de jeunes issus en majorité du secteur de la pêche artisanale qui ont, par vagues successives, pris d’assaut les côtes espagnoles et italiennes. Les femmes qui occupent encore le secteur de la vente du poisson au Sénégal comme dans de nombreux pays africains ont quant à elles vu leurs revenus baisser de façon très significative. Un drame d’une telle ampleur que l’Etat Sénégalais a dû suspendre la négociation de l’accord de pêche qui devait le lier avec l’Union européenne jusqu’en 2010.
L’OMC dix ans après : opportunités économiques ou risques nouveaux ?
Dix années de libéralisation sous l’égide de l’OMC mérite un bilan. Au-delà des doctrines et des querelles d’écoles, il a été communément admis que pour les pays africains, la libéralisation commerciale n’a pas produit les résultats escomptés.
Le moins que l’ont puisse dire, c’est que les politiques commerciales nationales comme multilatérales n’abordent la question des femmes qu’en pointillé. Pourtant, une analyse sous la perspective du genre pourrait permettre de mieux évaluer l’incidence des règles commerciales multilatérales de l’OMC sur le vécu quotidien des populations.
Des études réalisées dans de nombreux pays africains sur la libéralisation du secteur de l’eau ont montré que ce sont essentiellement les femmes qui portent le fardeau des nouvelles contraintes engendrées par les privatisations de ces secteurs stratégiques.
Dans le domaine de l’emploi, certes la libéralisation a augmenté les opportunités d’emploi pour les femmes dans certains pays, mais ceux-ci se font toujours dans de très mauvaises conditions et sont souvent moins bien payés. Cela s’explique à la fois par la déréglementation des normes du travail et à la nature des structures institutionnelles qui limitent la capacité des femmes à négocier de meilleurs salaires et conditions de travail. L’emploi (6) féminin devient de plus en plus incertain (en raison de l’instabilité et caractère imprévisible des marchés mondiaux), de plus en plus intense et de plus en plus dangereux.
Même si l’OMC a affirmé sans ambages dans ses principes que sa vocation est de libéraliser le commerce international par l’établissement de règles multilatérales, il semble qu’elle soit devenue aujourd’hui plus qu’une simple instance neutre de négociation de ces règles. Son influence n’épargne aucun espace de la réalité économique et sociale des pays qui en sont membres ou non.
Une analyse fine de son fonctionnement révèle explicitement une grande insatisfaction des africains quant à la distribution du pouvoir au sein de l’organisation, aux mécanismes de prise de décision et à l’opérationnalité des « flexibilités » prévues pour les pays pauvres. Un rapport (7) produit en 2005 pour évaluer les dix années de fonctionnement de l’OMC a d’ailleurs démontré cette caractéristique et a indiqué qu’une réforme de l’organisation est nécessaire.
Il ne fait aucun doute que le « programme de Doha pour le développement » en cours de négociation à l’OMC est façonné par les intérêts des pays riches sous la conduite des Etats-Unis, de l’Union Européenne, du Japon, du Canada et de l’Australie. Les préoccupations des pays africains et de leurs populations en quête de développement sont largement ignorées. Les règles du jeu proposées sont asymétriques dans leur structure et inéquitables dans leurs résultats.
Tout dans l’architecture actuelle des négociations dans le programme de Doha pour le développement tend à faire du commerce fin. Ce qui est une erreur grossière dans la mesure où le commerce ne saurait être qu’un moyen au service au développement humain durable et autogéré et ne peut être profitable que s’il est encadré par un cadre institutionnel et réglementaire efficace. .
Les résultats médiocres obtenus après dix ans de libéralisation sous l’égide l’OMC pour les pays africains n’a point amené les pays développés à remettre en question leurs positions et leurs objectifs. Si les négociations se sont aujourd’hui enlisées dans de profondes divergences au point d’être « suspendues » par le Directeur de l’OMC pour une durée indéterminée, ce n’est pas parce qu’on cherche à mieux prendre en compte les intérêts des pays en développement, des africains en particuliers.
La crise actuelle est essentiellement due à la bataille entre les Etats-Unis et l’Union européenne d’un côté et le G20 (8) de l’autre autour de la question du parallélisme (9) des formes. Les pays développés demandent aux pays en développement d’opérer une réduction drastique des droits de douane sur les produits industriels et de prendre des engagements en matière de libéralisation du commerce des services tandis que ces derniers demandent aux premiers de réduire leurs subventions agricoles. Vaste programme !
Au regard de la crise actuelle et des sombres perspectives à l’OMC la conclusion logique à une évaluation des dix ans de fonctionnement devrait être « mission non accomplie ».
Et la question serait dès lors de savoir quelle serait l’alternative à l’OMC ? Quelles seraient les conséquences d’une crise durable de l’OMC sur les populations africaines, en particuliers sur les femmes ?
La tentation est bien grande de répondre par la simplicité en disant qu’un échec des négociations à l’OMC ne serait que bénéfice pour le pays africains en raison de l’inéquité des règles actuelles. Cette position est aussi celle d’un nombre de plus en plus grand d’acteurs qui militent la diminution ou le rétrécissement du pouvoir de l’OMC.
Un regard sur les relations de pouvoir à l’OMC et dans le système de la gouvernance mondiale montre cependant qu’une telle position résiste difficilement à une analyse lucide. L’échec des négociations commerciales consacrerait définitivement le statu quo et renforcerait les relations commerciales actuelles largement en défaveur des pays africains.
La spécialisation africaine dans le commerce des matières premières et des produits à faible valeur ajoutée est largement déterminée par les crêtes tarifaires et la progressivité des droits appliqués dans les pays développés ; la réduction des droits de douane sur les produits industriels réduit l’espace politiques des Etats africains et exposent les industries à une concurrence directe des multinationales ; le maintien des subventions agricoles illégales du Nord dans les secteurs comme le coton ou d’autres secteurs importants pour l’Afrique enfonce les producteurs africains dans la misère ; la décision sur l’accès des pays pauvres aux médicaments génériques n’est toujours pas opérationnel ; etc.
Les exemples pourraient être multipliés à l’infini. Dans un tel contexte prôner l’arrêt des négociations multilatérales revient à plaider pour le maintien d’une telle situation. Il faut donc au, contraire, relancer les négociations multilatérales et se battre pour que le principe d’un traitement spécial et différencié pour les pays africains soit effectif, opérationnel et obligatoire, conformément à l’esprit du mandat de Doha dans tous les domaines de négociation.
Même si les négociations ne font pas encore vraiment avancer la cause africaine, elles permettent au moins de maintenir l’intérêt des populations africaines pour celles-ci ; renforcent la pression populaire sur les gouvernements et les négociateurs, offrent une tribune aux Etats africains et aux organisations de la société civile (ONG, organisateurs de producteurs, syndicats, associations de femmes etc.) pour dénoncer les régimes et les règles commerciaux actuels et atténuent les pressions des gouvernements du Nord et des institutions multilatérales qui prônent une libéralisation au services des riches.
Conclusion
La façon dont le commerce international est régi aujourd’hui engendre des résultats forcément inéquitables. Peut-il n être d’ailleurs autrement dans une partie où les joueurs ne sont pas égaux ?
Alors que les règles établies ne permettent pas au pays africains de développer des moyens pour compenser ceux qui sont lésés par les échanges internationaux, les pays développés on quant à eux mis en place des mécanismes qui les protège des dangers induits par la libéralisation.
Dans ce contexte, le programme de Doha pour le développement ne pourrait réellement atteindre sa mission de créer un cadre favorable au développement que s’il permet la création d’un environnement international qui garantit aux pays africains suffisamment de flexibilités pour la mise en place de politiques et de normes nationale. Cela devrait avoir pour effet d’aider ces pays protéger leurs populations, leurs marchés et leurs institutions des effets du marché.
Une telle démarche interpelle cependant la responsabilité des dirigeants africains. S’il est convenu que le système de gouvernance du commerce international devrait plus prendre en compte la voix des populations vulnérables, il faut aussi reconnaître que ce travail doit d’abord se réaliser au niveau national.
Une participation accrue de diverses catégories d’acteurs incluant les parlementaires, les ONG, les organisations de producteurs, de femmes, de consommateurs, le secteur privé etc. dans l’élaboration des politiques commerciales est un pré requis incontournable pour faire valoir les intérêts nationaux dans les négociations à l’OMC. Dans une perspective genre (10), ceci reste cependant une lacune sérieuse qui entrave les stratégies de négociations africaines même si des efforts sont fait depuis quelques années.
(1) Voir Passerelles n° 2 vol 3, novembre 2001 – janvier 2002.
(2) Du titre de l’ouvrage de Maude Barlow et Tony Clarke qui relate les manifestations des mouvements citoyens mondiaux qui ont empêché le lancement du « Cycle du millénaire » de l’OMC.
(3) D’intéressantes études menées par des ONG comme Enda Tiers Monde, Oxfam, ICSTD ont prouvé l’impact désastreux des subventions américaines sur le coton africain. A lire à ce propos le « Livre blanc sur le coton », Enda Diapol, 2005.
(4) « Mettre le commerce international au service de tous », PNUD 2003.
(5) Parmi ces avantages relatifs ont peux notamment citer les préférences commerciales non réciproques UE /ACP qui étaient la caractéristiques des accords de Lomé, les flexibilités offertes aux PMA à l’OMC et plus largement au système de préférences généralisé.
(6) Pnud, op. cit. p.33
(7) L’OMC a commandité une évaluation de ses dix années de fonctionnement qui a été publié en 2005 à l’occasion du 10ème anniversaire. Ce rapport émet des recommandations en faveur de la réforme de l’OMC. Il est disponible sur
(8) Le G20 est un grand groupe de négociations bâti autour de grands pays en développement exportateurs de produits agricoles comme l’Inde, du Brésil, de l’Argentine, de la Chine et de l’Afrique du Sud. Il a émergé peu avant la Conférence de Cancun en 2003 et se bat contre les subventions du Nord.
(9) Notion défendue en particulier par l’UE sur les engagements. Chaque groupe campe sur ses positions et demande aux autres de prendre des engagements en premier.
(10) Peu de délégations africaines à la conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong avaient des femmes à leur sein.
* Cheikh Tidiane DIEYE est Socio-anthropologue de formation. Il est chargé du programme Commerce et Négociations Multilatérales de Enda Tiers Monde. Il est membre du Réseau Africa Trade Network (ATN) et a pris part à toutes les réunions importantes et aux conférences ministérielles de l'OMC depuis Cancun. Il est co-éditeur de "Passerelles entre le commerce et le développement durable" bulletin d'information sur les négociations commerciales. Cheikh est aussi Doctorant en Etudes du Développement à l'Institut Universitaire d'Etudes du développement ( IUED), Genève, Suisse.
* Cet article a d'abord paru dans l'édition anglaise de Pambazuka News n° 268. Voir : www.pamabazuka.org