Les Africains ne doivent rien attendre des soi-disant OMD
Plutôt que de tomber dans le piège de la rhétorique qui abonde à propos des Objectifs de développement du Millénaire fixés par les Nations Unies, l’Afrique devrait évaluer le véritable engagement des pays riches en ce qui concerne l’éradication de la pauvreté sur le continent en examinant le passé. Dans ce domaine, le G8 a gravement fait défaut, soutient Cameron Duodu.
Le professeur Jeffrey Sachs, directeur de l’Earth Institute à l’université de Columbia aux Etats-Unis, d’habitude plutôt critique quant aux réalisations du G8 en ce qui concerne l’éradication de la pauvreté en Afrique, est des plus positifs en considérant les possibilités des pays riches d’atteindre les objectifs des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) avant l’échéance de 2015.
Dans un article publié dans le Guardian à Londres, le 21 septembre 2010, Sachs déclarait : ‘’ Les OMD ont donné naissance au plus important effort de coopération de l’histoire du monde pour la lutte contre la pauvreté, la faim et la maladie. Ils sont devenu le cri de ralliement dans les pays pauvres comme dans les pays riches. Dix ans après avoir été adoptés, ils sont toujours actuels et plus dynamiques que jamais, générant des progrès autour du globe. Le monde veut qu’ils aboutissent. Il nous reste 5 ans avant l’échéance et si nous visons haut de grands résultats nous sont accessibles’’
‘’L’Afrique peut atteindre la sécurité alimentaire. Tous les garçons et toutes les filles peuvent finir l’école primaire et des millions d’autres pourront accéder à l’école secondaire. L’énergie solaire et d’autres sources d’énergie peuvent amener l’électricité dans des villages retirés et les soins de santé primaires peut prévenir des millions de décès et permettre le contrôle des naissances avec la certitude que les enfants vont survivre. En bref, nous pouvons réaliser les OMD et considérer la fin de l’extrême pauvreté au-delà de 2015, de notre vivant’’
Il est tentant de se moquer de l’enthousiasme de Sachs, qui semble avoir été infecté par une forme bénigne d’euphorie au contact des nombreux chefs d’Etat aux Nations Unies, qui tous brandissent les résultats de recherches enthousiastes sur ce qui adviendra après 2015, sur ce qui peut être fait et ce qu’il est prévu de réaliser. En fait, Sachs lui-même, dans un précédent article publié dans le Guardian du 4 juillet 2010, a donné une très mauvaise note au G8 après avoir juxtaposé les promesses - en particulier celles faites à Gleneagles en Ecosse en 2005 - aux réalisations - ou aux non réalisations – enregistrées, dans l’intervalle, dans le domaine du développement. Le gouvernement du Royaume Uni est le seul à avoir passé le test de fiabilité de Sachs. Pour les autres, il a trouvé que non seulement ils ne faisaient aucun effort pour atteindre les objectifs qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés, mais qu’en plus certains bricolaient les chiffres qui donc projetaient une image fausse.
Par exemple, les chiffres apparaissaient au cours du jour, sans tenir compte de l’inflation qui a fait des coupes sombres dans le capital promis il y a 5 ans. ‘’La plus importante promesse du G8 a été faite à Gleneagle où il déclarai,t que d’ici à 2010, il augmenterait l’aide annuelle au développement aux pays pauvres de US$ 50 milliards par rapport à 2004. La moitié de l’augmentation, soit US$25 milliards irait à l’Afrique, avait dit le G8’’, écrit Sachs.cMais c’est pour souligner que le G8, dit Sachs, est bien en deça de cet objectif ; en particulier en ce qui concerne l’Afrique… L’aide à l’Afrique a augmenté de 10-15 milliards de dollars plutôt que de 25 milliards de dollars comme promis. Le manque est même plus important parce que les promesses ont eu lieu en 2005 et devrait donc prendre en compte l’inflation. Selon ces engagements, en terme réel, l’aide à l’Afrique aurait dû se monter à 39 milliards de dollars. En réalité, le G8 n’a tenu que la moitié de sa promesse en augmentant son aide de 15 milliards de dollars plutôt que de 30 milliards de dollars.
Vous comprenez dès lors pourquoi je suis surpris par l’optimisme manifesté par Sachs, en voyant les possibilités qu’ont fait miroiter les Nations Unies lors du Sommet des OMD. On peut généralement prédire le comportement des gens sur la base de leur comportement passé. Si, malgré l’espoir généré par le G8 à Gleneagle, de faire de la pauvreté une affaire du passé - selon les termes d’un groupe de pression -, seuls 50% de l’aide à l’Afrique se sont matérialisés. Quelles seraient les raisons pour lesquelles on devrait prendre le sommet de New York au sérieux ?
Sachs, dans son compte rendu des promesses d’aide du G8, estimait qu’une bonne partie de l’augmentation de l’aide du G8 allait en effet à l’Irak et à l’Afghanistan afin de soutenir l’effort de guerre, plutôt qu’à l’Afrique. On aurait tort de croire de qu’il suffit d’inviter les Etats-Unis à envahir le pays pour obtenir une aide accrue. La vérité est autre. Une bonne part de l’aide va dans les poches de compagnies américaines qui exécutent des contrats pour l’armée américaine. Le reste consiste surtout en livraison d’armes pour les pays clients des Américains en Irak et en Afghanistan. C’est un abus de langage que de qualifier cet argent ‘’d’aide’’ compte tenu du fait qu’en Irak, par exemple, sept ans après l’invasion, l’électricité n’est toujours pas généralement rétablie pas plus que les écoles et les hôpitaux, réduits à des tas de gravas par les bombardements, n’ont été reconstruits.
Développant la notion de manipulation des chiffres par le G8, Sachs décrit ce qui est en effet un tour de passe-passe (quoique qu’il omette d’appeler les choses par leur vrai nom). Il écrit : ‘’ Alors que le G8 est en retard par rapport à ses engagements sur plusieurs années, je me suis longtemps demandé ce qu’il allait dire en 2010 lorsque ceux-ci devront être honorés. En fait, le G8 a pris deux approches. La première, dans son compte rendu, porte sur ses engagements en dollars actuels plutôt qu’en dollars ajustés à l’inflation, afin de minimiser la dimension du manque. La deuxième fût de simplement s’abstenir de faire état des engagements non respectés. En d’autres termes, le principe qui sous-tend les compte rendus du G8 est le suivant : si le G8 n’a pas atteint des objectifs importants, il convient d’arrêter d’y faire référence, une attitude cynique notée en particulier lors du Sommet au Canada (2010) dédié à la transparence
Sachs ajoute que ’’le G8 n’a pas failli en raison de l’actuelle crise financière. Même avant la crise, les pays du G8 ont omis de prendre des mesures sérieuses afin d’honorer les promesses faites à l’Afrique. Mais ceci n’empêche que, et c’est tout à son honneur, la Grande Bretagne a héroïquement honoré ses engagements en dépit d’une coupe budgétaire drastique ; ce qui montre que d’autres pays auraient pu faire de même s’ils l’avaient voulu’’.
Dès lors, ce que tous gouvernements africains doivent comprendre, plus clairement que jamais ; c’est que nous autres Africains sommes nos propres sauveurs et que nous devons arrêter de dépenser de l’argent pour des choses stupides comme l’achat d’avion luxueux pour les voyages présidentiels, alors que nos enfants meurent de maladies curables ou de malnutrition. Récemment j’ai remarqué que ce précieux argent a été dépensé pour une conférence pour ‘’ la notoriété du Ghana’’.
Pendant que la conférence se déroulait, un correspondant qui avait visité le Ghana, il y a cinq ans, est retourné afin de constater le progrès depuis sa dernière visite. Il a choisi de rendre visite à une petite fille qui est née il y a exactement 5 ans. Il a rencontré la petite fille, Hannah Klutsey - qui courrait hors de la maison familiale composée d’une seule pièce avec des yeux plein de larmes. Un morceau de pain s’était logé dans sa gorge et ses yeux étaient exorbités et injectés de sang. Sa mère, Mary, a abandonné son fagot de bois qu’elle portait et s’est précipitée vers un pot à eau en plastique qui se trouvait devait une cuisine misérable. Elle est revenue avec une tasse en plastique pleine d’eau que Hannah a vidée d’un coup. C’est seulement plus tard, alors que la petite fille récupérait sur les genoux de sa mère, qu’elles ont remarqué les larves de moustique au fond de la tasse ; ’’une demi douzaine de créatures ressemblant à des vers qui se tortillaient dans l’eau’’
‘’ Le pot a dû rester ouvert pour que les moustiques puissent y pondre leurs œufs’’, a dit la mère dont la préoccupation immédiate était son unique fille qui venait juste de récupérer de démangeaisons sévères et pour laquelle elle craignait une rechute. ‘’Elle a survécu à sa récente maladie par miracle, une nouvelle maladie la tuerait’’, a confié le père. Il n’y a pas d’eau courante à Kpobiman, la communauté pauvre des faubourgs d’Accra où la famille demeure. Comme la plupart de leurs voisins, le ménage tire son eau d’un puits peu profond. ‘’ D’autres sont contraints de tirer leur eau de mares d’eau stagnante dans laquelle les germes et les parasites abondent. Et le correspondant d’ajouter : ’’Cette eau est tellement mauvaise qu’on ne peut pas imaginer que cette communauté n’est qu’à un jet de pierre de la capitale Accra.’’
Est-il utile de dire que si l’argent dépensé pour envoyer des délégations écouter les discours édulcorés des Nations Unies (ou plus précisément dormir semble un terme plus approprié) avait été utilisé pour améliorer la vie dans le village visité par le correspondant, il aurait contribué à la notoriété du Ghana comme étant le pays qui progresse et non comme étant le pays où la vie empire pour certains. Et soit dit en passant, ce genre de notoriété n’aurait pas coûté un centime au contribuable ghanéen.
* Cameron Duodu est journaliste, écrivain et commentateur ;
Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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