Le déficit de démocratie interne mine l’Anc

La participation démocratique au sein de l’Anc se heurte à des pratiques qui font obstacle à la véritable expression des militants, imposant un leadership coupé des réalités et des préoccupations de la base et qui s’instaure à partir d’une caste ayant fini de «capturer» le système interne de désignation et d’élection des candidats. Si tout cela ne change pas, c’est la survie de l’Anc qui peut être remise en cause.

La façon dont l’Anc choisit ses présidents est profondément imparfaite et a tendance à ne produire que de mauvais candidats, transformant ses membres et supporters en des spectateurs frustrés et impuissants. Les 4500 délégués électeurs qui voteront pour le président de l’Anc lors de la prochaine conférence nationale du parti en décembre 2012, ne sont pas représentatifs des membres ordinaires de l’Anc, encore bien moins du pays. En l’état actuel des choses, chaque section de l’Anc a un vote (voire deux ou trois s’il s’agit d’une importante section urbaine) lors de la conférence nationale. Chacune délègue un membre (2 ou 3 pour les branches importantes) afin de voter en son nom.

Le délégué votant est habituellement l’un des responsables de la section : soit le secrétaire soit le président. Ce dernier est souvent un fonctionnaire, maire ou conseiller local, si ce n’est un fonctionnaire supérieur ou un homme d’affaires proéminent en relation avec le gouvernement. Comme quoi les délégués électeurs représentent l’establishment de l’Anc. Il est peu probable qu’ils soient militant ordinaire provenant de la classe ouvrière ou un chômeur, ou quelqu’un en situation de détresse économique. Ne le cherchez pas dans la catégorie de gens susceptibles d’avoir recours aux hôpitaux publics qui sombrent dans la léthargie, ou qui envoient leurs enfants dans des écoles publiques inefficaces, encore moins ceux qui risquent leur vie tous les jours en voyageant dans les minibus.

ELITE PRIVILEGIEE DE L’ANC VERSUS LA TROUPE

Il y a en fait un fossé social qui va se creusant entre les dirigeants de l’Anc qui, pour la plupart vivent dans le luxe, et leur base, bien loin des difficultés quotidiennes de ces membres et supporters ordinaires. Sinon, pourquoi l’explosion de Marikana a pu se produire à Rustenburg et que les dirigeants de la section locale (Rustenburg) se sont retrouvés pris totalement par surprise (bien sûr que la réaction des leaders de l’Anc au niveau national et provincial a aussi été maladroite) ?

De nombreux délégués électeurs venant des sections vont se retrouver dans une situation compliquée, parce que devant instinctivement voter pour l’actuel président ou pour les leaders nationaux dont ils dépendent pour conserver leur travail et avoir des faveurs lors des appels d’offres gouvernementaux. Nombreux sont ceux qui, naturellement, craindront que voter pour un nouveau président pourrait leur coûter leur poste au gouvernement ou dans le parti comme conseiller ou comme fournisseur.

L’élection du président de section se fait le plus souvent à main levée, plutôt que par bulletin secret. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’un membre ordinaire qui vote contre le candidat désigné pour le leadership local sera sanctionné, privé de chance de trouver un emploi, un logement ou un contrat avec le gouvernement.

MANQUE DE TRANSPARENCE

Dans le système actuel de l’Anc, la liste des membres est conservée par le secrétaire de section. Ce qui signifie que ce dernier a tout loisir de faire disparaître les noms des membres qui ne partagent par ses vues, les rendant du même coup inéligibles et privés du droit de vote lors des réunions générales annuelles. De même ils peuvent facilement inclure dans les réunions des alliés dont il serait difficile de vérifier s’ils font partie des membres.

Les audits des adhérents d’une section sont effectués par le bureau du secrétaire général de l’Anc et non par une institution extérieure indépendante. Si le secrétaire général est candidat à sa réélection, il y a, à l’évidence, un conflit d’intérêt. Le véritable danger est que le secrétaire général en fonction, qui veut être réélu, peut pénaliser des sections qu’il soupçonne lui être hostiles et trouver des raisons à cela. Le secrétaire général en fonction peut aussi donner de la proéminence à des sections dormantes qui le favoriseraient lors d’une réélection.

LE POUVOIR DE LA "PRESELECTION" ET LES COMITES DE DEPLOIEMENT

Dans le processus interne de nomination pour la présidence de l’Anc, il y a généralement une présélection par un petit groupe dirigeant qui fonctionne dans l’opacité la plus complète. Le Comité national de déploiement joue souvent un rôle clé dans les coulisses dans la présélection des candidats pour nouer des accords en vue de cette élection. Ceux-ci sont ensuite "présentées" aux sections provinciales afin que chacune "choisisse" son candidat préféré. L’idée de ces comités de déploiement, qui n’existent pas seulement au niveau national mais aussi au niveau provincial et municipal, mine la démocratie interne. La manière dont ils présélectionne les candidats à la présidence et parvient à une décision reste voilée de mystère. Non seulement le groupe de présélection est restreint, les choix de candidats "présentés" aux provinces et aux sections est limité.

Les comités présélectionnent souvent des candidats favoris non seulement pour le leadership de l’Anc, mais aussi pour des postes à tous les niveaux du gouvernement et parfois même comme fournisseur. Ils sont généralement contrôlés par la faction qui exerce le contrôle au niveau national et, depuis la conférence nationale de l’Anc à Polokwane, en 2007, par Zuma. Lors des dernières élections locales, ce sont ces comités qui ont présélectionné des candidats qui seraient les conseillers et les maires locaux

LES VOIX DES MEMBRES DE L’ANC NE COMPTENT PAS

La coalition interne qui a porté Zuma au pouvoir lors de la conférence nationale de 2007, à Polokwane, s’est désintégrée. La bataille fait maintenant rage entre les deux parties pour le contrôle de ces comités de déploiement. Les candidats à la présidence qui ont recueilli des adhésions ne vont guère prospérer. Tel a été le cas de Tokyo Sexwale qui, avant la conférence de Polokwane de 2007, était candidat à la présidence sans succéès. Les sections et les délégués électeurs ont été encouragés à ne pas soutenir sa candidature.

Du fait que les délégués des sections à la conférence nationale de l’Anc sont souvent des dirigeants du mouvement liés au gouvernement ou aux affaires gouvernementales, les voix des membres et des adhérents ordinaires ne compte en réalité pour pas grand-chose. Presque tous les jours, des manifestations publiques de protestations s’organisent contre la mauvaise qualité des services publics, contre les fonctionnaires indifférents et contre la corruption officielle. La plupart d’entre elles sont le fait de membres de l’Anc.

Une des raisons qui font qu’ils expriment leur colère dans la rue - souvent violemment – tient au fait qu’en leur qualité de membre ordinaire de l’Anc ils n’ont peu ou pas de pouvoir pour demander des comptes aux chefs locaux, qui sont le plus souvent les conseillers locaux, lors des réunions de sections. Certains expriment leur frustration en attaquant violemment les conseillers locaux, parce qu’ils ne peuvent influencer les politiques et les élections pour la direction de leur section locale.

A ce propos les actions de Kgalema Motlanthe et la campagne "Anyone but Zuma" (Abz - Tout mais pas Zuma) qui est menée pour éviter que les délégués des sections ne votent en faveur du président en fonction, vont les rassurer sur le fait qu’ils seront renommés à leur poste de conseiller ou que leur contrat gouvernemental sera reconduit, même si ce sont des fonctionnaires inefficaces, corrompus ou inefficients.

DE LA NECESSITE DE MODERNISER ET DE DEMOCRATISER LE PROCESSUS

Le système du processus électoral de l’Anc encourage la corruption. La présélection pour nommer un candidat à la présidence et la désignation des électeurs reposent sur un système si fermé, inaccessible aux membres ordinaires et aux adhérents qu’il est de réviser, moderniser, démocratiser et renouveler le fonctionnement interne. A défaut l’Anc doit s’attendre à une fossilisation complète.

Les éléments d’un tel programme de modernisation doivent rendre accessibles les élections au leadership, de sorte à ce que chaque membre, les organisations affiliées ou les partenaires de l’alliance tripartite puissent y participer. Tout membre de l’Anc devrait pouvoir accéder à la présidentielle.

Les candidats choisis doivent débattre au niveau provincial comme les candidats américains entrent en lice l’un contre l’autre. Un système pourrait être introduit, qui les obligerait à présenter un minimum de signatures vérifiées (disons de façon arbitraire) de 1000 membres de l’Anc. Le gagnant de la compétition provinciale peut alors entrer en compétition au niveau national. Tous les candidats sont alors invités à débattre publiquement de leur position politique et permettre aux membres de voter à titre individuel et non au travers des sections. Ce nouveau système serait identiques aux primaires aux Etats-Unis ou au système introduit par les socialistes français l’an dernier, qui donnait à chaque membre ou supporter une possibilité de voter pour le candidat du parti à la présidentielle.

L’astucieux Jacob Zuma connaissait l’opacité du système interne de l’Anc et savait comment en profiter au mieux. De plus, étant le président en fonction, il a l’avantage additionnel de pouvoir faire usage de la puissance de l’Etat, de ses institutions et du népotisme afin de renforcer son emprise sur le parti. Zuma peut user du patronage de l’Etat pour marginaliser ses critiques potentiels, ses opposants et ses rivaux. Soit en les empêchant d’accéder à des fonctions dans l’appareil de l’Etat, soit par des contrats ou par des récompenses.

LE SYSTEME ENTERINE LE NEPOTISME

Dans le système électoral interne actuel de l’Anc, même si des membres voulaient remplacer Zuma comme chef du parti, ils auraient fort à faire. Lors des élections générales, la plupart d’entre eux votent pour l’Anc en tant que mouvement et non pour son chef. Il s’en suit que si le président est impopulaire dans la société en général, il lui suffit de contrôler le collège électoral interne de l’Anc pour être élu comme président.

Les déficiences du collège électoral de l’Anc découle du fait qu’elle ne prend pas en compte les compétences du candidat pour mener le pays, le gouvernement ou l’Anc. Le critère qui compte reste la possibilité qu’il a de récompenser le collège électoral, l’establishment du parti ou s’il réussira à garantir des faveurs à des factions influentes ou, pour le moins, leur permettra de conserver la richesse accumulée.

A moins que l’Anc se modernise, se renouvelle et se démocratise, il produira des leaders qui continueront de satisfaire son establishment mais qui seront inefficace dès lors qu’il s’agit de gouverner un pays complexe, avec des problèmes complexes et qui doit opérer dans un monde plus en plus complexe.

La "démocratie "interne de l’Anc est défaillante lorsqu’il s’agit de l’élection du leadership et, à moins que ne soit introduiye une véritable démocratie dans son processus électoral interne, il continuera de produire des leaders inadéquats.

La grande question est de savoir à partir de quel moment la distance sociale entre les dirigeants aux niveaux des sections, des provinces ou au plan national, et les membres et les supporters, devient-elle si considérable que ces derniers ne s’identifient plus aux dirigeants, par conséquent pas au parti, et ne voteront plus en faveur de l’Anc. Pour l’instant la déconnexion ne s’est pas traduite par des défections.

MARIKANA REFLETE LA DISTANCE DES MASSES

Pourtant l’explosion de la mine de Lonmin Marikana peut être le point de rupture, pour avoir montré que la distance sociale entre les dirigeants de l’Anc et les supporters de la base est devenue si importante qu’elle pourrait se traduire des départs massifs lors de la prochaine élection générale.

La crise de Marikana a été une manifestation du fossé social entre les dirigeants de la National Union of Mineworkers (Num) et la base. Un fossé qui devient si considérable que les mineurs de fond, ne pouvant plus s’identifier à leurs dirigeants et syndicats, ont recherché et fondé une nouvelle organisation, the Association of Mineworkers and Construction Union. Les membres à la base ont du mal à s’identifier aux dirigeants et au parti. A titre d’illustration, on peut noter la construction par Zuma d’un domaine évalué à 200 millions de Rands, au frais du contribuable, dans son Nkandla natal, alors que dans un village voisin les gens vivent dans une misère noire. Curieusement, le président et le dirigeant "communiste", tout comme le ministre de l’Enseignement supérieure, Blade Nzimande, n’y voient rien de répréhensible.

A moins qu’il n’y ait des changements parmi les dirigeants de l’Anc, y compris le remplacement de Zuma comme président, ce parti pourrait se fragmenter comme cela est arrivé à la Num avec l’affaire de la mine de Marikana. Nous pourrions voir davantage de membres de l’Anc, frustrés, se présenter individuellement aux élections locales, l’apparition de sections provinciales dissidentes et encore plus de fragmentations, comme avec le Congress of the People (COPE)

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** William Gumede est l’auteur de l’ouvrage à succès récemment paru "Restless nation : making sense of troubled times" (Tafelberg) - Une version abrégée du présent article est parue dans le Sunday Independant du 18 novembre – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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