La société civile au sommet du G8 : Faut-il retourner à Gênes ou suivre Gleneagles?
Le Groupe des Huit a vu le jour en 1975 comme G 7, à un moment où le monde était empêtré dans une profonde crise économique, comme c'est le cas aujourd'hui. Son principal objectif était de coordonner les politiques macro-économiques des pays riches à une époque marquée par la stagnation et l'inflation, et de développer un stratégie commune vis-à-vis des pays en développement qui avaient relâché leur dépendance politique et économique des pays occidentaux à la faveur de l'euphorie née de la décolonisation, des luttes de libération nationale, et de l'émergence de l'Organisation des pays producteurs et exportateurs de pétrole (OPEP) comme pouvoir économique.
Le G7 n'a pas réussi à cordonner ses politiques, les Etats-Unis sous Ronald Reagan poursuivant de manière agressive une politique du dollar faible qui a provoqué la récession en Allemagne et au Japon. Les pays du G7 ont réussi, cependant, à former un front uni contre les pays en développement, pesant de tout leur poids contre les politiques néolibérales d'ajustement structurel imposées par le Banque mondiale et le Front monétaire international (FMI) à plus de 90 économies en développement et en transition (post-socialistes). Les programmes d'ajustement structurel ont fait disparaître les gains économiques réalisés par le Sud dans les années 1950 et 60.
Dans les années 1990, le G7 est devenu le principal promoteur d'une mondialisation tirée par les entreprises, dont le chemin avait déjà été balisé par la déréglementation libérale et la privatisation radicale qui a eu lieu dans les pays en développement sous ajustement structurel. Le G7 a aussi fortement soutenu l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) comme la principale agence pour le processus de libéralisation du commerce et de l'investissement dans le monde qu’exigent leurs entreprises.
Toutefois, la fin des années 1990 a apporté, non une plus grande prospérité pour tous, comme promis par les politiques néolibérales fondées sur les lois du marché, mais la pauvreté absolue, des inégalités grandissantes et la consolidation de la stagflation dans le Sud. L'échec du troisième sommet ministériel de l'OMC à Seattle, en décembre 1999, a marqué la réalisation d'une masse critique par les forces d'opposition créées par les contradictions de la mondialisation.
Une fois les réalités de la mondialisation connues de tous, les sommets du G7 - maintenant G8 avec l'incorporation de la Russie - sont devenus un paratonnerre pour l'opposition mondiale grandissante. Lors du sommet du G8 qui s'est tenu à Genoa en juin 2001, trois cent mille personnes se sont réunies sous le programme intransigeant du “Non au G8.” Les lignes de bataille étaient clairement tracées, la police italienne ou carabineri contribuant immensément à la polarisation en intervenant dans une émeute qui a coûté la vie à un activiste et en a blessé des vingtaines d'autres.
Des éléments à l'intérieur du G8 se sont rendus compte que l'image qu’ils renvoyaient, d’un directoire hégémonique de la mondialisation, n'était pas bonne pour l'avenir de l'organisme. Sous la houlette du gouvernement travailliste dirigé par Tony Blair et Gordon Brown en Grande Bretagne, le G8 s'est fait faire un lifting. Un nouveau discours a été au goût du jour, dont les maîtres mots étaient la remise de la dette des pays pauvres, l'élévation du niveau de l'aide dans les pays du G8 à 0,7 pour cent de leur PIB, un ensemble de mesures d'aide en faveur de l'Afrique, mettant le commerce au service du développement et prenant à bras le corps le changement climatique.
Les nouveaux mots d'ordre ont pour noms “Partenariat,” “Consultation,” “Intégration Sociale Mondiale” et “Objectifs du Millénaire pour le Développement.” La bataille avait pour but de sauver l'âme de la société civile mondiale. Le point culminant de cette nouvelle approche était le sommet de Gleneagles en 2005, qui a été mise en chorégraphie par une alliance entre le gouvernement travailliste, des vedettes comme Bob Geldof et Bono, ainsi que des ONG britanniques très influentes. Plusieurs centaines de milliers de personnes qui ont fait le déplacement de l'Ecosse se sont vues manipulées pour faire chorus en faveur des concerts organisés en grande pompe en Afrique sous la bannière de l'aide, ainsi que dans différentes parties du globe.
Avant 2007, tout le charme de ces concerts et autres manifestations s'est dissipé. L'idée d'un partenariat entre la société civile mondiale et le G8 a vite cédé à l'amertume puisqu'aucun des pays du G8 n'a atteint la cible de 0,7 de son PIB, l'aide à l'Afrique n'a pas atteint les 20 milliards de dollars promis à Gleneagles, le “Round du développement de Doha” était devenu une grande farce, et aucune action vigoureuse en matière de climat n'était prévisible dans le court terme.
Au contraire, le communiqué du G8 au sommet de Heiligendamm ou de Rostock a mis l'accent sur les technologies fixes pour les pays en développement sur la non restriction des investissements par les sociétés multinationales, et ont émis un avertissement à peine voilé sur le fait que la Chine bénéficiait d'un accès préférentiel aux matières premières en Afrique.
Sous la direction de la société civile en Allemagne, la dénonciation et la confrontation militantes du G8 ont été la réaction préférée de la société civile, avec des milliers de manifestants essayant de pénétrer dans le site où se tenait la réunion des chefs d'Etat pour y mettre fin. Avec le slogan dominant "Que le G8 s'écarte du chemin", les protestations de Heiligendamm ont fait renaître la tradition militante de Génoa qui avait été supprimée à Gleneagles.
Ainsi donc nous arrivons au sommet du G8 ici à Hokkaido, au Japon. Les Bush, Sarkozy, Brown et Fukuda ne sont pas seulement un groupe de leaders discrédités qui ont fait de faibles scores dans les scrutins qui se sont déroulés dans leurs propres pays, mais nous avons également un G8 plus que jamais délégitimé à mesure que le typhon lâché par le projet de mondialisation qu'il a promu est en train de faire des ravages dans le monde sous la forme de crises simultanées liées à la montée en flèche des cours mondiaux du pétrole et des denrées alimentaires, mai aussi à l'effondrement financier mondial et aux changements climatiques aux conséquences toujours plus dramatiques.
Dans ce contexte, les mouvements sociaux au Japon et en Asie sont confrontés au choix de maintenir l'élan de Génoa ou celui de Gleneagles - c'est-à-dire approfondir davantage la crise de légitimité du G8. Le plus grand cadeau que le mouvement japonais puisse faire à la société civile mondiale est d'être à l'avant-garde de la bataille consistant à faire du sommet de Hokkaido le dernier sommet du G8.
*Walden Bello est le président de la Coalition ' Freedom from Debt' et analyste principal de 'Focus on the Global South' (Discours prononcé à l'ouverture de la plénière du sommet du peuple, au palais des congrès Sapporo, Hokkaido, Japon, le 6 juillet 2008.)
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