Suite à un voyage au Vietnam, Horace Campbell décrit l’histoire de la lutte anticoloniale du pays et sa guerre contre les Etats-Unis. Dans la lancée d’une collaboration accrue à travers le Vietnam-Africa International Forum, Campbell souligne que «les Africains ont beaucoup à apprendre du Vietnam et que les Africains ont beaucoup de choses à enseigner aux Vietnamiens».
C’est en août 1945 que Ho Chi Minh et le peuple vietnamien ont déclaré leur indépendance à l’égard de la France. Entre le 19 août et le 2 septembre 1945, le mouvement indépendantiste vietnamien a consolidé son emprise politique sur le pays. Alors que les Japonais se rendaient et qu’une aube nouvelle se levait, annonciatrice de l’autodétermination des peuples du Sud-Est asiatique, le mouvement indépendantiste conduit par Ho Chi Minh a lu un appel à la révolution du peuple vietnamien.
Le dimanche 2 septembre 1945, sur la place Ba Dinh, le président Ho Chi Minh a ainsi proclamé l’indépendance devant des dizaines de milliers de personnes : « Nous, le gouvernement provisoire de la république démocratique du Vietnam déclarons solennellement au monde que :
Le Vietnam a le droit de jouir de la liberté et de l’indépendance et, en fait, est devenu un pays libre et indépendant. Le peuple vietnamien tout entier est déterminé à mobiliser toute son énergie physique et mentale, de sacrifier sa vie et sa propriété afin de sauvegarder son indépendance et sa liberté… »
Cette année-là, l’optimisme était grand que la fin de la guerre allait voir la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie. Le président Ho Chi Minh avait joué un rôle prépondérant en devenant la première personne à déclarer l’indépendance d’un pays colonisé. La victoire de la révolution vietnamienne d’août 1945 a exercé une grande influence sur les luttes pour l’indépendance de territoires occupés à l’époque, en particulier sur les pays africains. Les Africains qui avaient combattu le fascisme aux quatre coins de la planète étaient aussi d’avis que l’Afrique devait devenir libre et indépendante. En octobre 1945, le 5ème congrès panafricain, au cours duquel les peuples africains ont demandé l’indépendance, s’est déroulé à Manchester (Royaume Uni).
Les Européens, qui se sont combattus les uns les autres pour leur indépendance, ont refusé d’accepter l’idée de l’indépendance des Africains et des Asiatiques. Les colonialistes français, qui avaient été humiliés par les fascistes allemands, ont refusé d’accepter la déclaration d’indépendance du peuple vietnamien. Celui-ci a lutté pendant trente ans. D’abord en infligeant en 1954, à la France, une défaite décisive à Dien Bien Phu. En défaisant la France, le général Vo Nguyen Giap a inscrit son nom dans le livre des grandes prouesses militaires. Après les négociations des accords de Genève préconisant un processus pacifique de réunification du Vietnam, les militaristes américains sont intervenus pour miner son indépendance. Entre 1961 et 1975, s’appuyant sur la phobie du communisme de leur propre peuple, ils ont mis sur pied une force militaire qui, à son apogée, comprenait pas moins de 560 000 soldats américains auxquels s’ajoutaient les forces alliées d’Australie, du Canada, de la Corée et de la Nouvelle Zélande. Les Etats-Unis et leurs alliés ont été défaits de manière définitive en 1975.
Guerre et modernisation
Robert McNamara incarnait l’intellectuel moderne. Il était à la tête du Pentagone durant la guerre contre le peuple vietnamien. De la supervision de la guerre militaire du Vietnam, il a passé à la supervision de la guerre intellectuelle lorsqu’il est devenu le chef de l’International Bank for Reconstruction and Development (IBRD), c’est à dire de la Banque Mondiale. Cette institution a été créée en 1944, pour être une des armes soeurs des institutions financières internationales qui sont les piliers de la dominations financière et politique américaine. Au plan intellectuel, les idées de développement propagées par la Banque Mondiale émanaient des sciences politiques représentées par Walt Rostow qui, une fois qualifié, est devenu conseiller national pour la sécurité
Rostow était l’un des défenseurs de la thèse de guerre et ‘développement’ et avait écrit deux pamphlets anticommunistes concernant le développement : The process of economic growth (1952) et The stages of economic growth (1960). Rostow a élaboré une vision du développement enraciné dans l’histoire américaine et l’intérêt national. En fait le sous-titre de Stages of Economic Growth était un manifeste anticommuniste. Le livre a été écrit afin de contrer le genre d’idées socialistes qui ont inspiré les Vietnamiens dans leur résistance à la France et aux Etats-Unis. Rostow et une collection de théoriciens de la modernisation ont fourni le concept selon lequel les Etats-Unis avaient pour mission de combattre le projet d’indépendance du peuple vietnamien.
Enveloppée dans le discours du ‘développement’, la modernisation est devenue la doctrine anticommuniste qui devait motiver les troupes américaines. Décrite comme étant à la fois une idéologie et un discours, la modernisation comprenait des idées et des stratégies malléables qui permettaient de justifier les politiques impériales sous couvert d’aide étrangère et de commerce, mais qui révélait sa vraie nature dans les doctrines combattant l’insurrection en Asie. Au cœur de cette théorie réside le postulat que la situation économique et politique qui prévaut aux Etats-Unis et dans les anciennes puissances coloniales sont la norme. Il en découle que c’est l’intérêt général de tous les peuples que les deux autres tiers de l’humanité soient amenés à un niveau comparable.
Les théories des sciences sociales ont expliqué les causes du ‘retard’ de l’Asie, de l’Amérique latine et de l’Afrique et ont proposé des remèdes appropriés. Les théoriciens et les technocrates comme Rostow et McNamara ont redéfini la Guerre Froide comme étant une compétition dans le domaine du développement avec des composantes militaire, idéologiques et économiques.
Sur la base des idées sur le développement et de la modernisation, les militaires américains ont mobilisé les forces occidentales afin d’écraser l’indépendance du Vietnam. En 1975, les Vietnamiens avaient résisté avec succès à la modernisation et aux bombes américaines qui accompagnaient les théories du développement.
Depuis la consolidation de l’indépendance, les nationalistes vietnamiens ont transformé une société pauvre, un Etat sous-développé en une économie intégrée, autosuffisante dont la transformation rapide indique les possibilités d’une stratégie socialiste. Néanmoins, depuis 1986, depuis que les dirigeants ont ouvert la porte aux investisseurs occidentaux, l’économie socialiste a gardé une forme socialiste tout en ayant un contenu capitaliste. Au cours de deux décennies écoulées, les dirigeants vietnamiens ont suivi un chemin similaire à celui de la Chine en se concentrant sur la croissance économique. Au cours de cette période, le Vietnam a enregistré un PIB constant, avec une croissance de 7-8%, prenant ainsi la deuxième place dans la région, juste après la Chine. Les observateurs de l’économie de marché aux tendances socialistes du Vietnam prévoient qu’au cours des 15 prochaines années le Vietnam figurera dans le tiers supérieur des 20 économies dominantes du monde.
La Chine a prévu l’avenir, lorsque l’économie de marché à tendance socialiste sera l’acteur dominant dans le système international. Les stratèges vietnamiens sont également conscients du changement du système international avec le déclin des hégémonies, ce qui a fourni le contexte à l’invitation de l’Afrique à des réunions. Le premier Vietnam-Africa International Forum a eu lieu à Hanoi en mai 2003. Au cours de ce forum, le gouvernement du Vietnam a énoncé un programme d’action national, afin de promouvoir de meilleures relations avec l’Afrique. Le deuxième forum international a eu lieu sur le thème de ’Vietnam-Africa : la coopération pour un développement durable’. Il s’est déroulé entre le 17 et le 19 août avait pour but de discuter les modalités de la promotion de la coopération. Les Vietnamiens ont profité de ce second forum pour montrer la transformation rapide de leur société, en particulier les changements survenus dans la production agricole et l’intégration des différents éléments représentés par l’agriculture, l’industrialisation et l’aquaculture.
Au cours des cinq dernières années, toutes les économies et les puissances émergentes ont courtisé l’Afrique et ont signé des accords avec l’Union africaine. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, la Turquie, le Japon, l’Union européenne et les Etats-Unis ont tous vu l’importance de l’Afrique pour les dix ans à venir. Ni la Corée ni le Vietnam n’ont signé d’accords formels, mais ont sondé le terrain en vue de l’établissement de nouvelles relations avec des gouvernements africains.
Visites de sites prometteurs lors du second forum international
Contrairement à d’autres conférences internationales rassemblant l’Afrique et d’autres régions, ce forum n’est pas resté exclusivement dans les salles de conférence. Elle a aussi été l’occasion de visites sur le terrain, notamment à Haidoung, afin de voir ce qui s’était fait concrètement dans les régions rurales. La visite à la coopérative et à l’Institut de Recherche Agricole a montré ce qu’il est possible de réaliser lorsque les secteurs agricoles et industriels mettent l’humain au centre de leurs activités économiques. La province de Haidoung, située au nord du delta du Mékong, prouve que la société a les possibilités d’offrir un meilleur niveau de vie aux populations des zones rurales, fournissant de l’électricité, de l’eau, des constructions de bonne qualité, des soins de santé et de la nourriture. Ceci démontre les réussites d’une société qui place les besoins humains au-dessus du profit. Des siècles d’expérience dans la culture du riz et les nouveaux développements de l’aquaculture ont permis aux coopératives de la province d’atteindre un haut niveau de croissance et un bon niveau de vie pour la population.
Lors de l’excursion d’un jour, il est apparu que l’Angola, le Mozambique et le Rwanda avaient développé des relations avec des experts vietnamiens. J’ai participé à la visite des villages et des fermes rurales où le niveau de vie des villageois s’était considérablement amélioré. L’hôte vietnamien était fier d’une des coopératives qui avait une productivité particulièrement élevée. Lors de la visite, de petites discussions ont eu lieu sur la question de la propriété dans le village. Il s’avère que les paysans ont accès à la terre pour la travailler mais la propriété privée et le marché foncier sont marginaux dans les régions rurales. A la différence des régions urbaines, comme Hanoi et Ho Chi Minh city, où l’on peut voir des agences immobilières
J’ai visité nombres de fermes, de coopératives ainsi que le centre national pour les poissons d’eau douce. Lors des visites des centres d’aquaculture, les Africains demandaient : comment s’assurer que les moustiques ne soient pas porteurs de malaria ? Les Vietnamiens ont déclaré fièrement avoir combattu la malaria avec succès mais aussi qu’ils ont développé leur propre base pharmaceutique produisant des médicaments anti-paludéens pour la population.
A l’Institut de recherche sur l’agriculture on ne pouvait être qu’impressionné par les avancées spectaculaires réalisées dans le domaine de la biotechnologie des produits alimentaires. Toutefois, la différence entre des produits alimentaires génétiquement modifiés du Vietnam socialiste et ceux des grandes firmes de l’agrobusiness de l’Occident n’était pas claire. La question a été posée à plusieurs reprises. Mais la réponse a toujours mis l’accent sur l’autosuffisance alimentaire sans considération pour les conséquences à long terme de cette forme particulière de manipulations génétiques.
La manipulation génétique a eu pour résultat une abondance de fruits frais dans les régions rurales. Il a été possible de distinguer le goût des papayes et des ananas génétiquement modifiés de ceux qui avaient poussé naturellement. L’exploitation des nouvelles ressources génétiques et les nouveaux processus de sélection dans la production des aliments halieutiques étaient visibles dans de petites fermes de forte productivité. Ni l’Institut de Recherche en Aquaculture ni le Centre de Recherche en Agriculture ne se sont contentés de montrer la stratégie socialiste du passé ; ils ont montré les productions futures intégrant la formation, la science, la technologie et la recherche biotechnologique qui ont conduit à une amélioration du niveau de vie de la population rurale. Tous les ministres et diplomates africains qui ont pris part à ce voyage extensif sur le terrain ont remarqué à quel point une aquaculture planifiée pourrait profiter aux politiques à l’intention des pauvres.
Bien que depuis 1987 le Vietnam se soit ouvert aux investissements étrangers, c’est l’organisation politique socialiste de transformation qui était en évidence dans cette diversification spectaculaire
Transformations économiques et traditions révolutionnaires
Le Vietnam se trouve dans un conflit avec d’une part la stratégie socialiste et d’autre part, la puissance du capital global. Le Parti socialiste du Vietnam a réussi à obtenir que la tradition révolutionnaire se manifeste dans ce qui est entrepris pour la population. Dans les espaces publics, le drapeau à l’étoile rouge flotte afin de rappeler aux gens la tradition de la lutte révolutionnaire. Ici nous avons une société qui présente fièrement une statue de Lénine et maintient un système éducatif qui doit inspirer aux jeunes générations les traditions de la lutte révolutionnaire. Quatre philosophies sont enseignées aux jeunes : le léninisme, le confucianisme, les pensées de Ho Chi Minh ainsi que l’histoire du Vietnam, enseignement confronté aux assaut de MacDonald, Kentucky Fried Chicken, Google, des banques américaines et des militaires qui les soutiennent.
La génération née après 1975 est fascinée par les modes et le scintillement du mode de vie anglo-américain sans comprendre les grands sacrifices consentis par le peuple vietnamien pour sauvegarder son indépendance. J’ai parlé avec des étudiants de l’école de diplomatie qui ne comprenaient pas la relation entre le militarisme et le ‘développement’.
Entre transformation et développement
Du point de vue d’un Africain, c’était encourageant de voir la fierté que les Vietnamiens retiraient de leur lutte pour l’indépendance ainsi que la détermination et la résilience qui leur ont permis de résister au colonialisme français et à l’agression militaire américaine. Le souvenir des plus de trois millions de morts dus aux bombardements américains stimule la quête de l’indépendance économique et de l’autosuffisance. Pourtant l’émergence de la Chine comme puissance globale contraint l’actuel gouvernement vietnamien à développer d’étranges alliances au niveau international. Ceci est illustré non seulement dans les relations tripartites avec certains Etats africains comme l’initiative Vietnam-Japon-Mozambique mais aussi dans les efforts qui visent à développer de bonnes relations avec les Etats-Unis afin de se trouver dans les bons papiers de la communauté internationale.
Comme membre de la zone de libre échange de l’Association of Southeast Asian Nations (ASEAN), le Vietnam fait partie d’une région qui est le moteur économique du monde d’aujourd’hui. La croissance économique et les changements survenus au Vietnam sont comparables à la croissance rapide qu’on a vue en Corée, à Taiwan, en Chine, à Singapour et dans d’autres pays qui se sont libérés du joug idéologique du néolibéralisme. En dépit de leur croissance économique impressionnante, toutes ces sociétés devraient reconsidérer les effets à long terme de certains aspects de l’industrialisation du point de vue de leur impact sur la santé humaine et celle des écosystèmes.
Dans le delta du Mékong
Ho Chi Minh city - anciennement Saigon - reflète les tensions entre le capitalisme du passé et le futur socialiste du Vietnam. C’est là que l’on trouve de nombreux établissements de Kentucky Fried Chicken et où les capitalistes de Cholon ont pris fermement position en faveur d’une renaissance du capitalisme au Vietnam. La croissance explosive de la ville profite de la prospérité agricole du delta du Mékong. Un voyage dans ce delta, ses canaux et ses ramifications, révèle la longue histoire de l’expertise du peuple vietnamien.
C’est dans les bateaux et canoës de l’estuaire du Mékong que l’on peut considérer à loisir l’échec et la faillite de l’arrogance des stratèges militaires américains lorsqu’ils prévoyaient de subjuguer le peuple vietnamien. Tout au long de l’occupation du Vietnam du Sud par les militaires américains, les modernisateurs américains ont miné l’indépendance du Vietnam et introduit divers programmes supposés moderniser le pays. Ces programmes ont échoué et le visage brutal des ambitions impériales américaines s’est manifesté par des bombardements continus de la population du Vietnam du Sud. Le musée commémoratif de la guerre à Ho Chi Minh city, hormis qu’il souligne l’échec de la campagne américaine, montre la solidarité des nations du monde qui ont soutenu le peuple vietnamien agressé.
La guerre chimique et biologique contre les Vietnamiens
Le Musée commémoratif de la guerre montre la guerre chimique contre le peuple du Vietnam. Dans une pièce, une exposition souligne l’impact de tous les poisons que les Américains ont lâché sur le pays au cours de la guerre et dont les effets sont toujours perceptibles. L’exposition montre aux visiteurs l’impact de l’Agent Orange. Répandu à partir de gigantesques avions cargo C-123, il contenait de la dioxine et servait à détruire les champs et les forêts où se réfugiait le peuple vietnamien qui défendait son indépendance. Les Vietnamiens ont établi que l’Agent Orange et la dioxine qu’il contient ont sérieusement affecté la santé de ceux qui vivaient dans ces régions.
Des millions de litres de dioxine ont été répandus sur la campagne vietnamienne et 35 ans après la fin de la guerre, les effets pernicieux de cette guerre chimique se font toujours sentir et continue d’empoisonner la chaîne alimentaire, générant ainsi de grandes préoccupations sur leurs effets sur la santé humaine. Il y a nombre de formes de cancer et d’autres maladies qui abondent aujourd’hui au Vietnam et qui résultent de la guerre. Bien que niant toujours les effets dévastateurs de l’Agent Orange sur le Vietnam, les Américains paient, aux vétérans qui l’ont manipulé, des compensations pour toute une série de maladies dont la dioxine pourrait être la cause. Ces maladies vont de problèmes dermatologiques comme le chloracné aux problèmes neurologiques, aux affections du système lymphatique ainsi que certains cancers comme celui des poumons, du larynx et de la prostate.
Le musée commémoratif de la guerre a mis en évidence la nécessité de réécrire l’histoire américaine. Une telle histoire mettrait l’accent sur une justice réparatrice afin que la réparation de la santé et des relations sociales puisse prévaloir. Le besoin de réparation et pour « Ubuntu » est devenu encore plus évident suite à la visite des tunnels de Cu Chi.
Cu Chi
Des millions de tonnes de bombes ont été larguées sur les Vietnamiens dans la campagne de bombardement la plus importante de toutes les guerres. Les traces de bombardements au Cambodge sont une indication supplémentaire de la nécessité de vérité et de guérison aux Etats-Unis. Mais si la vérité est cachée aux citoyens américains, les preuves des bombardements sont nettement visibles dans des endroits comme Cu Chi. Des cratères immenses, qui font ressembler le paysage à des paysages lunaires, sont les preuves évidentes du passage des bombardiers B-52. C’est dans cette région que les gens ont dû se montrer très créatifs et ont dû développer des compétences pour échapper à la pluie de bombes, y compris les bombes antipersonnelles qui dispersaient des milliers de fléchettes qui déchiraient les chairs, les bombes incendiaires au phosphore blanc, les immenses ’’daisy cutter’’ (littéralement qui coupent les marguerites) qui transformaient la jungle en un terrain de football et la gazoline gélifiée appelée aussi napalm.
Les tunnels de Cu Chi représentent une surface souterraine de 150 km2 de tunnels et démontrent l’ingéniosité, la ténacité et l’endurance d’un peuple qui a résisté aux bombardements continus de B-52, à un moment où le général Curtis Lemay déclarait qu’il allait bombarder la population vietnamienne jusqu’à ce qu’elle se retrouve à l’âge de la pierre.
Les cimetières de Cu Chi témoignent du prix élevé que la population du sud, mais particulièrement la population de Cu Chi, a payé pour son indépendance. Un tiers de la population de cette communauté villageoise a été exterminée par les bombardements américains dans la tentative d’éradiquer le communisme. Et pourtant il n’y a pas de trace d’amertume chez les gens du Vietnam.
Dans le musée de commémoration de la guerre, les Vietnamiens ne font pas que célébrer leur histoire. Ils célèbrent aussi la solidarité de tous les peuples du monde. Remarquables parmi ceux-ci, il sont six pays africains à avoir fait montre d’une solidarité déclarée avec le peuple vietnamien. Ce sont l’Algérie, l’Egypte, la Guinée, le Congo Brazzaville, la Tanzanie et le Mali.
Solidarité et transition au-delà du militarisme et du développement.
Le 2 septembre 2010 est le jour anniversaire de la déclaration d’indépendance de Ho Chi Minh. L’auteur veut se joindre aux célébrations du peuple vietnamien qui cherche à développer une nouvelle et saine société. Que ce soit par les représentations des marionnettes aquatiques qui montrent clairement un lien avec l’aquaculture ou la riche tradition religieuse, la preuve est faite que les Vietnamiens constituent un peuple fier et résilient. L’histoire de la lutte du peuple vietnamien est une inspiration pour tous ceux qui souhaitent un monde au-delà du capitalisme. L’échec des militaristes américains qui avaient cru pouvoir le subjuguer est partout apparent. Sur un mur du musée, les Vietnamiens ont affiché les propos de McNamara : « Nous avions tort, nous avions terriblement tort et nous sommes dans l’obligation d’expliquer aux générations futures, pourquoi nous avions tort. »
Cette explication est très urgente au vu de la mentalité militariste prévalente et qui se manifeste dans le déploiement en Afghanistan en attendant les stratégies futures de militarisation de l’Afrique. Cette explication est aussi urgente pour les enfants africains et vietnamiens qui aspirent au développement et qui y associent MacDonald, Hollywood et Microsoft et oublient McDonald Douglas, Boeing et les vestiges de l’Agent Orange. Les Africains ont beaucoup à apprendre du Vietnam. Et les Africains ont beaucoup de choses à enseigner aux Vietnamiens. L’une de ces choses est que les Vietnamiens doivent rejeter les idées de Walt Rostow et de Robert McNamara comme base du développement durable.
La coopération entre le Vietnam et l’Afrique dans les domaines de l’énergie, de l’éducation, de la santé, de la réparation de l’environnement, de l’aquaculture et de l’agriculture est prometteuse. Toutefois, cette promesse doit d’abord affronter les tenants des idées néolibérales promues par ceux qui au Vietnam croient que le futur se construira avec ceux dont la mentalité a permis l’usage de l’Agent Orange ou ont expérimenté des agents biologiques afin de soutenir l’Apartheid
Le boom et l’expansion de l’économie vietnamienne placent cette société au carrefour entre la transformation socialiste et la recomposition et la reconstitution du capitalisme au Vietnam. La tradition de Ho Chi Minh est profondément ancrée et requérrait un changement politique majeure pour s’en défaire au profit des idées de Walt Rostow. Je ne suis pas sûr que les Vietnamiens, lors du deuxième forum Vietnam-Africa, aient eu conscience que la plupart de leurs documents faisaient usage du langage de McNamara et Rostow dans leur discours sur le développement.
Alors que les Vietnamiens enseignent à leurs enfants les sacrifices consentis par Ho Chi Minh, il est aussi nécessaire de leur parler de Patrice Lumumba, de la reine Nzinga, de Mbuya Nehanda, de Kwame Nkrumah, de Nelson Mandela et Samora Machel. La jeune génération doit être amenée à comprendre que la coopération entre le Vietnam et l’Afrique pour la transformation du XXIème siècle est très différente de la coopération Vietnam-Afrique pour le développement durable. Il devrait y avoir une quête accélérée de la première.
* Horace Campbell* est enseignant et écrivain. Son dernier livre ‘ Barack Obama and the 21st century: a revolutionary moment in the USA’’ a été publié par Pluto Press
* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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